SPECIAL CRISE DE LA SNCF

L’histoire n’est pas finie

Après la brusque accélération du week-end dernier (lire Mobitelex 149), la semaine qui s’achève a permis à chacun de consolider ses positions, en attendant le dernier round, prévu pour les jours qui viennent. Jusqu’où ira le gouvernement pour obtenir la fin de la grève? Jusqu’où iront la CGT et Sud dans leur surenchère? Une chose est sûre, la SNCF sortira traumatisée d’un tel conflit, comme en témoigne la pétition des cadres sur change.org. Avec, en point d’orgues, un président Guillaume Pepy affaibli… ou poussé vers la sortie. Notre récit. Nos informations exclusives.


La persistance de la mobilisation des roulants, essentiellement les conducteurs, peut apparaître surprenante, alors que la partie nord de la France souffre des inondations et que l’Euro 2016, annoncé comme une respiration collective au terme d’une année si difficile, exige une forte mobilisation de l’entreprise, transporteur officiel. Elle s’explique par le contexte politique autour de la loi El Khomry, mais aussi par la structuration syndicale cheminote. En privilégiant de fait l’alliance avec la CFDT, la SNCF puis le ministre Alain Vidalies ont certes enclenché la dynamique du retour au travail, mais à quel prix?

Il a d’abord fallu donner des gages supplémentaires à l’Unsa, rivale de la CFDT et dont les quelques adhérents conducteurs sont dragués par la CGT. Cela a commencé par l’acceptation formelle par l’entreprise de l’accord négocié par Alain Vidalies, cela s’est poursuivi par la promesse de décisions financières favorables à l’activité ferroviaire, au travers d’une lettre du ministre. A sa lecture, rien de bien tangible, sinon la confirmation que le prochain rapport gouvernemental, prévu par la loi du 4 août 2014, s’appliquera à traiter les questions de la dette ferroviaire et de la trajectoire financière de SNCF Réseau. Cela a suffi pour que l’Unsa suspende son mot d’ordre de grève reconductible, jeudi 2 juin, au terme d’une longue concertation interne.

La CGT, elle, est bien embarrassée. Que demander de plus qu’un accord d’entreprise inespéré il y a encore dix jours? Faute de pouvoir modifier le décret-socle, qui est parti à la signature dans une version quasi-similaire à celle validée par le Conseil d’Etat il y a plus d’un mois, elle demande aujourd’hui la réouverture des négociations autour de la convention collective nationale (CCN). L’objectif est clair: tuer toute concurrence en alignant toutes les entreprises ferroviaires sur le statut SNCF. C’est évidemment inacceptable pour l’UTP, qui est allée au bout du mandat patronal sur les concessions à accorder aux syndicats. D’ailleurs, selon nos informations, elle espère faire signer le 8 juin prochain la CFDT, puis l’Unsa (qui représentent 40% des voix au sein du collège syndical). La CGT serait alors en position difficile: faire capoter l’accord de branche pourrait avoir des conséquences directes et rapides pour les salariés.

L’Unsa suspend la grève, la CGT cherche une raison d’en sortir. Guillaume Pepy continue à négocier

Du coup, c’est autre chose que le gouvernement étudierait en toute discrétion pour amadouer la CGT: l’octroi d’une indemnité de départ en retraite pour les cheminots à statut. Aujourd’hui, tout fonctionnaire qui cesse son activité en fin de carrière part avec en poche son dernier salaire mensuel. Idem pour les cheminots, nantis la plupart du temps d’un ultime avancement quelques semaines ou quelques mois avant, qui permet d’arrondir le montant de la retraite. Les contractuels, eux, perçoivent une indemnité attribuée sous certaines conditions. L’idée consisterait à étendre cet avantage aux cheminots à statut… Selon les calculs, la mesure nécessiterait de provisionner 700 à 900 millions d’euros. Le projet est sensible: comment réagiraient les Français? En outre, une telle mesure pourrait accélérer le départ des conducteurs dès l’âge de la retraite arrivé, ce qui aggraverait la pénurie d’effectifs.

Il semble donc peu probable que le conflit se prolonge au-delà de lundi, sauf si la contestation anti-gouvernementale vient à s’exacerber, et par capillarité incite les cheminots à se mobiliser plus avant.

Et comme si ce contexte syndical n’était pas assez compliqué, il y a les discussions entre le gouvernement et la direction de l’entreprise, prise à contrepied par l’initiative d’Alain Vidalies. Pendant toutes les négociations, la SNCF cherchait à placer le maximum de dispositions dans le décret-socle puis dans la CCN, pour aboutir à un différentiel de coûts le plus faible possible de leur entreprise avec les opérateurs alternatifs. Le scénario de la semaine dernière a fait voler en éclat cette stratégie: la branche ferroviaire que l’on disait fragile s’est révélée un acteur solide et fiable, avec une certaine confiance établie au cours des mois entre représentants syndicalistes et patronaux, alors que les positions de la SNCF apparaissaient plus compliquées, voire cryptées, aux yeux des acteurs.

Résultat, il ne reste plus grand-chose comme latitude aujourd’hui à Guillaume Pepy pour sauver la face de l’entreprise. Renvoyé publiquement par le gouvernement à ses propres devoirs de productivité, il entend jouer sur trois leviers: l’anticipation de la concurrence, le poids de la dette et la trajectoire financière de SNCF Réseau. Le Premier ministre Manuel Valls, en déplacement à Athènes hier jeudi soir, a admis qu’il ferait un geste sur la dette mais qu’«il y a aussi la trajectoire financière de l’Etat». En d’autres termes, il ne faut pas s’attendre à une grande révolution, peut-être la prise en charge directement par l’Etat d’une partie des 50 milliards. Un calcul rapide: 10 milliards d’euros placés dans une structure de défaisance, c’est 350 millions d’intérêts en moins pour SNCF Réseau. C’est bien mieux que rien.

Mais cela ne devrait pas occulter l’une des révélations de cette crise: la rupture de confiance entre l’Etat et Guillaume Pepy. Le changement rapide et radical d’attitude d’Alain Vidalies (lire ci-dessous) a spectaculairement confirmé une tendance que l’on sentait monter depuis quelques mois, à savoir la volonté de ne plus subir la puissance du président de la SNCF. Ainsi vont les hommes de l’Etat: leurs intérêts supérieurs, en l’occurrence la recherche à n’importe quel prix de la paix sociale pour des raisons de survie politique, ne se discutent pas. Le miracle de juin 2014, avec une alliance Valls-Cuvillier-Pepy contre la grève, ne s’est pas renouvelé. Manifestement l’Etat a considéré cette fois-ci que la direction de la SNCF constituait une partie du problème au moment de clore les négociations. Guillaume Pepy, probablement las de tant d’années d’équilibrisme et de tactiques d’influence, a perdu le contrôle.

L’Etat se rend compte un peu tard de l’évidence, des dégâts provoqués par ses injonctions contradictoires et les problèmes de management au sein de la SNCF

Les dégâts sont terribles pour l’avenir de la SNCF, puisque le résultat de la négociation sociale implique une perte de compétitivité dans le contexte de sévères concurrences intermodales (puis intramodales, à brève échéance), mais aussi le risque d’aboutir à une baisse de l’offre ferroviaire du fait des coûts imputés aux collectivités locales. Le gouvernement ne veut pas en porter seul le chapeau: c’est comme s’il se rendait compte in extremis de l’évidence, à savoir que l’entreprise SNCF est en crise du fait d’injonctions contradictoires mais aussi de faiblesses managériales. Mais que n’a-t-il fait, cet Etat, depuis des années en tant qu’actionnaire et Etat stratège, pour clarifier la situation, alors que se multipliaient les signes alarmants: accidents, problèmes de qualité de service et de productivité?

La pétition initiée sur change.org par un des cadres de la SNCF, qui est en passe d’atteindre 2000 signatures, confirme le malaise de l’encadrement. Comment! tous ces efforts, depuis trois ans, pour améliorer la performance en vue de la concurrence, réduits à néant par l’intervention gouvernementale? La pseudo cohésion sociale des cheminots vole publiquement en éclats.

Sous l’effet de la sidération, la parole se libère. Les confidences et commentaires des cadres révèlent un vrai désarroi. Fait singulier, Guillaume Pepy n’est ni accablé, ni épargné: il semble déjà emporté par la crise. Président ô combien charismatique, subitement devenu silencieux, il semble d’un coup avoir perdu le contrôle de la situation et la confiance des cadres, épuisés par une course engagée sans repères stables ni durables. Ces derniers devront s’interroger sur leur organisation matricielle, affronter la simplification des structures et la réduction des niveaux hiérarchiques.

Les jours qui viennent permettront-ils d’y voir plus clair? De nombreux noms, certains bien étonnants, circulent comme il se doit dans les médias pour remplacer Guillaume Pepy, s’il venait à partir ou à être remercié. Mais quoi qu’il en soit, le sursaut de la SNCF ne serait possible qu’à la condition express d’une stratégie d’Etat claire et responsable. A moins qu’il ne soit déjà trop tard. G. D.

La revanche du ministre

Il y a deux semaines encore dans l’ombre de Ségolène Royal et sous la domination de Guillaume Pepy, le voilà aujourd’hui roi des caméras et vrai patron de la SNCF! En quelques jours, Alain Vidalies a spectaculairement changé de dimension. Crédité de la confiance du Président de la République, soutenu par Matignon, il n’a pas hésité à exécuter sabre au clair la mission de réduire les conflits sociaux dans les transports. C’est réussi avec les contrôleurs aériens, c’est plus compliqué avec les cheminots.

L’intervention du ministre sonne comme aussi comme une revanche à l’égard de Guillaume Pepy dont il ne supportait plus la supériorité ni les méthodes d’influence. Alain Vidalies est d’une certaine vieille école, celle d’un Etat auquel on obéit le doigt sur la couture du pantalon. Armé de l’onction présidentielle, il a agi sans crier gare le week-end dernier, bousculant Jean-Marc Ambrosini, résistant à Guillaume Pepy.

Cette passe d’armes révèle aussi le peu d’appétence du ministre pour l’entreprise. «La SNCF appartient aux Français», a-t-il clamé sur France Inter. Ce n’est pas si simple… Une entreprise, y compris publique, est un corps vivant complexe et sensible. Le résultat de la reprise en mains de ces derniers jours, c’est en réalité l’écroulement d’une certaine cohésion interne, qui n’était d’ailleurs peut-être devenue que faciale. En tout cas, si Alain Vidalies veut assumer jusqu’au bout son nouveau rôle, il devra reposer très vite les bases d’un nouveau contrat entre les cheminots et leurs dirigeants.

Du cabinet du ministre à DB Schenker

L’actuelle conseillère du secrétaire d’Etat Alain Vidalies, Radia Ouarti, arrivée il y a quatre ans au ministère, quitte aujourd’hui son poste pour rejoindre DB Schenker en tant que directrice des relations institutionnelles. Elle sera chargé de plaider la cause du fret et d’ECR. Après le départ d’Emmanuel Kessler, ex-dircab de Frédéric Cuvillier, chez Gefco début 2015, puis celui de l’attaché de presse du ministre, Grégoire Kopp, comme dircom d’Uber France, ce transfert confirme s’il en était besoin que les entreprises privées attirent davantage les talents – et que les concurrents de la SNCF entendent poursuivre leur développement. Et, a contrario, que l’Etat et les entreprises publiques paraissent trop lourdes et bureaucratiques?


Le départ du directeur de l’information de SNCF

Christophe Piednoël, directeur de l’information de la SNCF, va quitter ses fonctions et la SNCF. Ancien directeur de la communication de RFF puis SNCF Réseau, consacré dircom de l’année dans le récent classement V com V, il avait rejoint l’Epic de tête en septembre dernier. Il était de notoriété publique que ses relations avec le directeur de la communication Christophe Fanichet étaient exécrables. Il n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Le départ de Christophe Piednoël succède à plusieurs autres au sein de la structure de l’Epic de tête, depuis la fin de l’année dernière: Jacques Rapoport, Barbara Dalibard, Sophie Boissard.


Rendez-vous

Le 10 juin prochain à Bordeaux, une conférence transports de Réunir

Régions, départements, métropoles, intercommunalités: après la loi Notre,
un nouvel élan pour les transports du quotidien?

Avec Jean-Michel Gadrat, Julien De Labaca, Dominique Bussereau, Renaud Lagrave, Gérard Lahellec, Christophe Duprat, Alain-Jean Berthelet.
Programme et inscriptions sur www.reunir.org


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