Aérien : il n’y a pas qu’Air France qui doit changer

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Aérien : il n’y a pas qu’Air France qui doit changer

Aérien : il n’y a pas qu’Air France qui doit changer

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PAR ANNE BARLET

La crise d’Air France est-elle l’arbre qui cache la forêt des difficultés du ciel français? Un rapport sérieux et plutôt sévère du sénateur Vincent Capo-Canellas, au printemps dernier, alertait sur quelques graves déficiences en matière de systèmes de contrôle aérien et d’organisation des responsabilités. Aujourd’hui, la poursuite confirmée d’une forte croissance du trafic international oblige à poser encore plus crûment la question: le ciel français est-il vraiment prêt pour l’avenir? Clairement en cause, le statut de la discrète DSNA (direction des services de sécurité aérienne) et des séparations fonctionnelles et non juridiques qui font exception en Europe. A l’issue des très confidentielles Assises de l’aérien, à l’automne, l’Etat va-t-il donc s’attaquer à l’organisation du ciel français? Car Air France, même lancée sur une nouvelle trajectoire, ne réglera pas seule tous les problèmes…

C’est officiel depuis jeudi: Benjamin Smith, numéro 2 d’Air Canada, sera directeur général exécutif d’Air France-KLM et prendra ses fonctions d’ici le 30 septembre. Le gouvernement est content, l’intéressé aussi. Il n’y a que l’intersyndicale qui continue de grogner, et quelques dirigeants politiques nostalgiques d’un patron bien de chez nous.

On ne sait pas si la décision accélérée du conseil d’administration qui met fin au feuilleton est due à la pression des administrateurs étrangers, notamment Delta, ou si le gouvernement a été soudain touché par la grâce. Toujours est-il que l’on sort du management technocratique pour mettre aux commandes un vrai professionnel du secteur, qui devra aussi faire des propositions de nouvelle gouvernance. Rien ne garantit qu’il réussira, mais c’est un changement spectaculaire pour la compagnie.

Des choix industriels forts, notamment sur le long courrier, supposent une gouvernance stable et libre

Il était temps car la gouvernance provisoire qui était imposée à Air France lui faisait perdre du temps pour positionner sa stratégie sur les segments de son marché. Ainsi sur les low cost long courrier. Air France ne peut ignorer l’intérêt d’IAG et Lufthansa pour Norwegian Airlines. Elle a bien lancé sa filiale JOON mais en se défendant de vouloir en faire une low cost long courrier. Le positionnement sur le marché long courrier est un enjeu, non seulement pour les compagnies mais aussi pour la compétitivité nationale, ne serait-ce que par rapport à la concurrence des compagnies du Golfe et leur impact sur les infrastructures aéroportuaires. Mais il implique des choix industriels forts, notamment sur le renouvellement, la taille de la flotte et sa consistance (l’uniformisation des moyens est un des éléments de réussite) qui supposent une gouvernance stable et libre. Avec son expérience de lancement de Canada Rouge, Benjamin Smith devrait être l’homme de la situation.

Au début de l’été, on avait pourtant de quoi nourrir de légitimes inquiétudes : après les présidents de la SNCF, les dirigeants de HOP – Air France étaient à leur tour convoqués par la ministre des Transports Elisabeth Borne. Les premiers, suite à l’incident de la Gare Montparnasse en décembre dernier, les seconds mi-juillet en raison de trop nombreux retards et annulations.

Ce parallélisme semblait révélateur d’un état d’esprit : les coups de règle de la «maîtresse» ont des relents d’économie administrée assez inquiétants. On verra comment le ferroviaire s’en sort avec la mise en œuvre du «pacte». Pour l’aérien, même une fois réglée la question de la gouvernance d’Air France, beaucoup reste à faire.

Ce n’est pas en interférant dans la gestion de secteurs économiques porteurs que l’Etat sera utile mais bien plutôt en créant un environnement économique favorable

Il faut bien voir que ce n’est pas en interférant dans la gestion de secteurs économiques porteurs (le trafic aérien double tous les quinze ans) que l’Etat sera utile mais bien plutôt en créant un environnement économique favorable. Par exemple? Les coûts de sûreté et le non plafonnement des charges patronales pénalisent les compagnies aériennes françaises par rapport à leurs concurrentes européennes. La France est le seul pays européen –avec l’Irlande- à ne pas plafonner les charges, ce qui pèse fortement sur le coût des personnels navigants. Quant aux coûts de sûreté, imposés par des décisions externes et souvent gouvernementales, ils sont entièrement à la charge des compagnies, à la différence de l’Allemagne, par exemple, où une partie est supportée par l’Etat. Revoir de telles distorsions de concurrence, cela, oui, ce serait utile.

Car l’explication récurrente et hyper médiatisée des maux d’Air France par le seul égoïsme des pilotes est un peu courte: toutes les compagnies du monde sont confrontées à leur corporatisme puissant. Simplement, en France, elle détourne l’attention médiatique de quelques turpitudes plus gênantes, comme le poids d’une technocratie du ciel, à Air France comme à la DGAC, qui finissent par coûter, y compris en efficacité.

Time is money». Perdre du temps, c’est aussi perdre de l’argent. C’était vrai pour Air France sous administration provisoire, mais cela le reste plus globalement pour la position française dans le ciel européen. Le récent rapport du sénateur Vincent Capo-Canellas (Union Centriste de Seine-Saint-Denis) a ainsi mis le doigt sur le «retard» français. Il a surtout retenu l’attention pour ce qu’il disait sur les contrôleurs aériens. Ceux-ci ont d’ailleurs été récemment mis en cause pour leurs grèves à répétition et les dysfonctionnements engendrés: d’abord par le groupe IAG (regroupant British Airways, Iberia, Air Lingus, Vueling et Level) et Ryanair, puis plus récemment par Wizz Air et Easyjet, qui ont déposé des plaintes devant la Commission européenne. Les compagnies accusent la France d’enfreindre la règlementation européenne en «ne permettant pas les vols à travers le pays», c’est-à-dire en ne permettant pas les vols au-dessus de l’Hexagone en cas de grève. Ryanair souligne notamment que lorsque la Grèce ou l’Italie subissent des actions de ce type, les survols continuent comme d’habitude. Le rapport du Sénat le déplorait déjà : de 2004 à 2016, les grèves des contrôleurs aériens français ont représenté «rien de moins que 67% des jours de grève des contrôleurs aériens en Europe.» Le sénateur Capo-Canellas suggère donc «que la loi Diard qui oblige les personnels à se déclarer soit grévistes soit non grévistes soit transposée aux contrôleurs aériens des adaptations» pour tenir compte de l’obligation de service minimum qui existe déjà.

Droit de grève

Vers une modification/extension de la loi Diard?

La loi Diard (du nom de l’auteur de la proposition de loi, le député Erice Diard) date de 2012. Elle est relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers, en fait à l’organisation du droit de grève. Concrètement, une décision de la Cour de cassation d’octobre 2017, confirmant un arrêt de la Cour d’Appel de 2015, lui a fait perdre beaucoup de son efficacité. La Cour avait en effet considéré que « s’il n’est pas interdit à l’employeur d’organiser l’entreprise pendant la grève, l’utilisation par celui-ci des informations issues des déclarations individuelles des salariés avant le début du mouvement doit avoir pour finalité celle prévue par la loi, à savoir l’information des usagers au moins 24 heures à l’avance des vols qui décollent ou atterrissent, afin d’éviter leur déplacement et l’encombrement des aéroports, ce qui répond à un objectif de préservation de l’ordre public ; que cette disposition n’est en effet pas destinée à permettre à la société de transport aérien un aménagement du trafic avant le début du mouvement par la recomposition des équipes en fonction des salariés déclarés ou non grévistes, en l’absence de service minimum imposé et alors même que la perturbation de l’activité est précisément la finalité de l’exercice du droit de grève. » C’est la raison pour laquelle, lors du mouvement du printemps dernier à Air France, deux avions pouvaient être cloués au sol faute de pouvoir des deux équipages en reconstituer un non gréviste. La loi Diard est donc au centre de toutes les attentions, qu’il s’agisse de l’étendre aux contrôleurs aériens ou de la modifier pour permettre aux compagnies de transport aérien, comme peut le faire la SNCF, de pouvoir s’organiser en cas de grève et pas seulement d’informer les voyageurs.

Plus globalement, le sénateur déplorait « l’obsolescence des systèmes » de contrôle aérien français qui, si elle ne pose pas de problème de sécurité, «crée de nombreux retards et conduit la France à être pointée comme un élément bloquant du Ciel unique européen».

Il est légitime de s’interroger sur les causes d’une telle situation. Et si, là encore, on retombait sur un bon vieux problème de gouvernance ? Car le contrôle aérien français est, de fait, un système administratif. «La DSNA est-elle suffisamment régulée? », interroge le rapport du Sénat dans une section passée plus inaperçue. La situation française est effectivement une sorte d’«anomalie» en Europe : la direction générale de l’Aviation civile est à la fois prescripteur, gestionnaire et régulateur. Revenons au rapport du Sénat: «La direction des Services de la Navigation aérienne (DSNA) n’est pas un organisme doté d’une personnalité morale propre. Elle est une administration centrale de l’Etat et fait partie des trois directions qui composent la direction générale de l’Aviation civile (DGAC), avec la direction du Transport aérien (DTA) et la direction de la Sécurité de l’Aviation civile (DSAC). Cette situation est loin d’aller de soi lorsque l’on compare la DSNA aux autres prestataires de services de la navigation aérienne européenne.»

Le règlement européen 549/2004 prévoit que les autorités nationales de surveillance doivent être indépendantes des prestataires de services de la navigation aérienne

Concrètement, la DTA, la direction du Transport aérien, joue le rôle de régulateur de la DSNA, tandis que la DSAC, la direction de la Sécurité de l’Aviation civile, certifie les procédures de la DSNA. Le sénateur Capo-Canellas, qui est aussi rapporteur spécial des crédits du budget annexe «Contrôle et exploitation aériens» (BACEA) et ne découvre donc pas son sujet, n’est pas tendre pour le système. L’article 4 du règlement européen 549/2004 prévoit que les autorités nationales de surveillance, les ANS, doivent être indépendantes des prestataires de services de la navigation aérienne, les PSNA, au moins au niveau fonctionnel, et disposer des ressources et des capacités nécessaires pour effectuer les tâches qui leur sont assignées. La Cour des comptes européenne avait déjà constaté qu’en France, l’ANS (c’est-à-dire la DTA) et le PNSA (c’est-à-dire la DSNA) « doivent faire rapport au même directeur général », le directeur général de l’Aviation civile « et partagent des ressources financières provenant d’un budget commun financé essentiellement par les mêmes redevances de navigation que l’ANS est chargée de surveiller en vertu de la règlementation ». Comme la Cour des Comptes européenne, le rapporteur du Sénat se dit «pour le moins circonspect quant aux garanties d’indépendance qu’offre la direction du Transport aérien (DTA)» dans l’organisation actuelle de la DGAC pour opérer une régulation sérieuse de la DSNA. Et les mêmes critiques s’appliquent à la DSAC: «A l’instar de la régulation de la DSNA assurée par la DTA, sa certification par la DSAC fait régulièrement l’objet de critiques de la part des autorités européennes qui souhaiteraient qu’une véritable séparation structurelle entre les deux entités soit mise en place, alors qu’elle n’est que fonctionnelle aujourd’hui. Du reste, de tous les pays de l’Union européenne, seuls l’Irlande et Chypre n’ont comme la France qu’une simple séparation fonctionnelle entre leur PSNA et son certificateur, tous les autres ayant mis en place une séparation structurelle.»

Faut-il transformer le statut juridique de la DSNA?

Le sénateur de Seine-Saint-Denis n’hésite pas à pointer du doigt les réticences de la DGAC. Il sait, dit-il, « combien la DGAC est attachée à son unité. Elle la défend du reste avec pugnacité au niveau européen. Alors que la Commission européenne avait proposé une stricte séparation juridique entre les prestations de service de la navigation aérienne et leurs autorités de surveillance dans le cadre du paquet Ciel unique 2+, la DGAC est parvenue à faire en sorte que soit réaffirmé le droit d’organiser les services de navigation aérienne dans le cadre d’une séparation fonctionnelle et non juridique par rapport aux autorités de surveillance, en contrepartie de garanties supplémentaires d’indépendance desdites autorités. » Mais ce statu quo lui paraît « difficilement tenable ». Car le modèle français constitue selon lui un frein « si l’on veut vraiment s’inscrire dans le système de performance et de sécurité de la navigation aérienne que l’Union européenne cherche à mettre en place dans le cadre du Ciel unique européen. »

«Le statut actuel de la DSNA contribue de toute évidence à l’inefficacité globale du système»

Et il ne s’arrête pas au constat que le « statut juridique de la DSNA constitue de plus en plus une exception en Europe : la DSNA est probablement de tous les grands PSNA (prestataires de services de la navigation aérienne) celui qui est le moins indépendant de l’Etat et dont l’autonomie administrative et financière est la plus faible. Le fait qu’elle ne possède pas la personnalité morale, pas même sous la forme d’un établissement public industriel et commercial ni, a fortiori, d’actionnaires privés, fait qu’elle est naturellement scrutée par beaucoup moins d’observateurs que ne l’est par exemple l’ENAV italienne ». Et de conclure: « L’hypothèse d’une transformation du statut juridique de la DSNA, si elle n’est pas à ce stade une priorité (…) se pose avec évidence : le statut actuel contribue de toute évidence à l’inefficacité globale du système.»

Alors que se concluront à la rentrée les très confidentielles Assises de l’aérien, peut-on espérer quelques avancées qui feraient entrer l’organisation et les règlementations françaises dans un peu plus de modernité ? S’il devait y avoir des évolutions législatives à faire, comme une adaptation de la loi Diard, la LOM qui se fait toujours attendre pourrait en être le support. Certes, il y a un risque social, mais c’était aussi le cas de la réforme ferroviaire.

En tout état de cause, la compétitivité du secteur aérien français est sans doute à ce prix : oublier les vieilles lunes et les replis administratifs pour se mettre en ordre de marche vers un système résolument plus moderne.

A. B.

Air France, loi Diard, DGAC, mais encore…

Au-delà du cas d’Air France, dont on espère que la situation va enfin se stabiliser, et de la DSNA, des décisions stratégiques sont à prendre dans le secteur aérien : plates-formes aéroportuaires – les deux grandes et les autres -, infrastructures de connexion, ADP, CDG Express, privatisations, concessions… Autant de dossiers qui ne pourront plus attendre et que Mobilettre a bien l’intention de suivre pour vous avec attention.

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