Alstom: la fin d’une hypocrisie
Ils sont encore quelques-uns à se lamenter publiquement de la disparition de l’Etat actionnaire, mais la majorité des élus et responsables politiques français se montrent soulagés: c’en est bientôt fini de la pression Alstom, du chantage au nationalisme et à l’emploi, d’une forme d’exception à la loi du marché. Les commandes publiques se feront désormais comme il se doit sur les critères de performance, de qualité, de coût. C’est le meilleur service à rendre à Alstom et à ses salariés, qui sont confrontés à cette réalité sur tous les marchés de la planète, plutôt que tenir l’entreprise dans une bulle hexagonale qui menaçait depuis vingt ans d’exploser à tout moment. Et c’est le meilleur service à rendre aux collectivités, aux voyageurs, à la SNCF.
Pour en arriver là, le gouvernement a procédé de façon radicale: l’Etat ne sera plus lui-même actionnaire, il favorise l’arrivée d’un actionnaire industriel majoritaire, puissant et respecté, et ce dernier est un allemand. Ces trois décisions correspondent à trois réalités parfois dérangeantes mais incontestables.
1
L’Etat était jusqu’ici un bien piètre stratège-actionnaire, entravé par l’obsession du court terme de ses gouvernements successifs. Le quinquennat précédent fut riche de chefs d’œuvre: souvenons-nous, c’était il y a tout juste un an, cette commande de TGV qui ne circuleraient pendant des années que sur ligne classique, ou de ces acrobaties pour attribuer le marché RER NG à Alstom plutôt qu’à CAF. La commande publique ne doit pas être un instrument politique. On oublie trop souvent en rêvant d’un Airbus du ferroviaire qu’Air France achète librement ses avions – y compris des Boeing.
2
Alstom souffrait d’un déficit de pilotage industriel en France. Aucune entreprise du secteur concurrentiel ne peut survivre aujourd’hui sans une adaptation permanente de son outil de production et de ses process de fabrication, ni un management de qualité de ses équipes. Patrick Kron se contenter de jouer au Meccano financier, et l’on pourrait découvrir que le PDG Henri Poupart-Lafarge était plus un financier qu’un industriel ou un meneur d’hommes.
3
L’avenir de l’industrie ferroviaire est européen ou il ne sera pas. Si Peugeot rachète Opel, alors Siemens peut absorber Alstom. Et Fincantieri piloter STX. N’en déplaise aux nostalgiques d’un nationalisme du repli.
Le mariage Alstom-Siemens n’est pourtant qu’une première étape dans l’amélioration, on pourrait même parler d’une moralisation des commandes ferroviaires. Il reste à la SNCF à simplifier ses cahiers des charges et ses procédures d’appels d’offres, et pourquoi pas aux régions à prendre leur destin en mains à mesure que la concurrence va arriver, par la commande directe ou la maintenance déléguée.
Malgré cela, il est probable que le maintien à long terme d’une forte capacité de production ferroviaire en France sera contrarié et difficile. D’abord parce que les Chinois, et CRRC en premier lieu, vont livrer une guerre des prix impitoyable, ensuite parce que l’Etat n’affiche pas pour l’instant de stratégie pour les transports ferroviaires à la hauteur des enjeux et des besoins des Français. C’est pourtant un préalable à la reconstruction d’un écosystème enfin débarrassé des inconséquences politiques. Il paraît qu’un certain Jean-Cyril Spinetta y travaille.
G. D.