Selon nos informations, le constructeur ferroviaire espagnol CAF sortirait gagnant de l’appel d’offres lancé en 2017 pour renouveler le matériel des lignes structurantes des trains d’équilibre du territoire (TET). Sa proposition serait meilleure que celle d’Alstom tant du point de vue technique que du point de vue financier. Un prochain conseil d’administration de la SNCF, responsable de l’appel d’offres, devrait l’officialiser à la rentrée.
Alstom et CAF étaient seuls en lice, Bombardier un temps intéressé n’ayant pas donné suite et Siemens comme Stadler ayant estimé que les dés étaient pipés et qu’une fois encore le contrat irait à Alstom. Mais cette fois-ci, la comédie du RER NG ne devrait pas se reproduire et CAF devrait être déclaré vainqueur: invoquer la taille du constructeur espagnol et sa capacité industrielle pour l’écarter, alors qu’il s’agit de produire une rame par mois, ne pouvait guère marcher. Et si certains ont pu caresser un temps l’idée de déclarer l’appel d’offres infructueux, la ficelle aurait été un peu grosse. La stratégie du chantage à l’emploi était d’autant moins opérante que l’offre d’Alstom (sa seule offre réaliste, car le constructeur en avait présenté une seconde, comme l’y autorisait l’appel d’offres, mais autour d’un projet d’automotrice avec des voitures qui restent à inventer…) est plus polonaise que française : du matériel à motorisation répartie et réversible, type Coradia, mais fabriqué en Pologne et assemblé en France. A ce jeu-là, CAF défend tout autant l’emploi français, avec du matériel produit en Espagne et assemblé en France à Bagnères-de-Bigorre.
Face à un constructeur à l’écoute du client, les méthodes éculées d’Alstom auraient donc pour une fois échoué et CAF peut se féliciter de sa persévérance. La commande, rappelons-le, porte sur une tranche ferme de 28 rames destinées aux lignes Paris-Clermont et Paris-Toulouse, à laquelle s’ajoute une tranche optionnelle de 45 rames initialement pour la Transversale Sud.
Reste maintenant à régler la question du plan de financement. Comme le rappelait la Cour des comptes dans son dernier rapport annuel, «l’appel d’offres prévoit des livraisons entre 2023 et 2025, sans échéancier de paiement à ce stade. Une enveloppe de 800 millions d’euros a été définie pour une tranche ferme de 28 rames, destinées aux lignes Paris-Clermont et Paris-Toulouse (…). Le cahier des charges de cet appel d’offres définit un profil de train adapté aux besoins spécifiques de lignes de longue distance, permettant une vitesse maximale de 200 km/h et proposant un niveau élevé de confort à bord. Néanmoins, il est à craindre que ces acquisitions entre 2023 et 2025, concomitantes des acquisitions de matériel au profit des régions, génèrent pour l’AFITF, qui en assurera la charge, un pic de financement difficile à gérer.» Rappelons que pour Paris-Clermont et Paris-Toulouse, c’est l’Etat qui doit garantir à la SNCF le financement du nouveau matériel.
Concurrence et compétitivité
Et 1 et 2 et… 2 à 1. Alstom ne réussira pas un 3-0 estival, après la commande des douze rames TGV Océane et celle du CDG Express, le mois dernier. La persévérance de CAF, malgré le précédent du RER NG, est récompensée: le constructeur espagnol est solide et crédible. Sa solution pour les dessertes des Intercités est meilleure que celle d’Alstom.
On ne peut s’empêcher de penser que c’est aussi une juste revanche. La protection dont jouit Alstom depuis tant d’années a autorisé presque tout, au détriment des finances publiques, souvent, du voyageur, parfois, et même du salarié français, quelquefois. Car c’est bien la qualité des sites industriels qui détermine leur pérennité: les compensations politiques n’évitent jamais, à terme, la loi de la performance. En faussant trop souvent le jeu de la concurrence, les politiques français sauvent leur peau vis-à-vis d’une opinion publique aveuglée par les arguments simplistes de l’emploi local, mais ils préparent les futures désillusions.
Rappeler à Alstom et à ses actionnaires que la France n’est pas une chasse gardée, sert une certaine idée de l’émulation au service du client et de l’intérêt public. Et c’est tant mieux. Quand on voit par ailleurs les problèmes du Regio 2N de Bombardier (après ceux des Regiolis d’Alstom), on se dit qu’un peu d’ouverture dans le terrain de jeu ne ferait pas de mal.
Elisabeth Borne pourra donc saluer avec autant d’emphase cette commande que celle des TGV Océane à Alstom en juillet. Les employés de Bagnères-de-Bigorre sont tout aussi valeureux et respectables que ceux de Belfort.