Le gouvernement calme le jeu et reprend la main. Aux élus franciliens inquiets d’une remise en cause du schéma d’ensemble du Grand Paris Express, la ministre des Transports Elisabeth Borne vient d’envoyer une lettre qui reprend avec méthode le dossier: planning de réalisation, dispositifs transitoires, nouvelles ressources financières. Ou comment sauver le Grand Paris Express, mis à mal par d’importantes lacunes de gouvernance et de pilotage, relevées très sévèrement il y a deux semaines par la Cour des comptes. Notre décryptage.
Elisabeth Borne va devenir de fait la vraie ministre de tutelle de la Société du Grand Paris.
La lettre signée Elisabeth Borne a été envoyée hier mercredi, quelques jours après une réunion vendredi dernier à Matignon qui a rassemblé parlementaires et élus d’Ile-de-France autour du Premier ministre et de plusieurs ministres. Les choses n’ont donc pas traîné: après l’émoi suscité par le rapport mi-janvier de la Cour des comptes, très critique envers les conditions de réalisation et la gouvernance du Grand Paris Express, le gouvernement calme le jeu et reprend publiquement la main. A la baguette, donc, Elisabeth Borne, qui va devenir de fait la vraie ministre de tutelle de la Société du Grand Paris. Cette première lettre énergique devrait être saluée par la plupart des acteurs, au vu des résultats catastrophiques de la gestion à la fois hyperpolitique et laxiste du dossier Grand Paris Express par les Premiers ministres précédents. Mais elle s’accompagne aussi d’une décision unilatérale et inédite: «Associer les services techniques de la Région Ile-de-France et des conseils départementaux concernés» à un groupe de travail sur le planning du Grand Paris Express! Preuve éclatante d’un jacobinisme gouvernemental qui ne se cache même plus, aux antipodes de l’autonomie des collectivités….
Cette scorie mise de côté, la lettre d’Elisabeth Borne dit objectivement beaucoup de choses, tout en laissant affleurer quelques hypothèses assez crédibles.
Commençons par les affirmations. En créant trois groupes de travail, le gouvernement veut régler dans les semaines qui viennent trois problèmes urgents.
- La refonte des plannings de réalisation. «Le calage d’un planning consolidé réaliste devra mettre en perspective la possibilité d’absorber les aléas de chantier et d’intégrer l’enjeu des ressources techniques des entreprises», écrit la ministre. On va le dire plus crûment: fini les dates fantaisistes qui ne tenaient pas compte des réalités industrielles et du terrain (et coûtaient donc cher, du fait des provisions pour risques des entreprises). Du coup, les calendriers actuels de mise en service seront forcément modifiés. La ministre pilotera directement ce groupe de travail.
- La gestion des délais supplémentaires de réalisation. Un deuxième groupe de travail «identifiera les solutions de remplacement et d’adaptations de dessertes qui seraient nécessaires en cas d’écart entre les projets d’aménagement sur un territoire et la date de mise en service du métro automatique qui est techniquement possible.» Là aussi, on va traduire: il s’agit de proposer des solutions temporaires de dessertes pour mieux faire passer les reports de mises en service. Le préfet de région et Ile-de-France Mobilités sont priés de mettre en place BHNS et autres solutions intermédiaires.
- La recherche de ressources financières et humaines supplémentaires. C’est le député Gilles Carrez, grand défenseur des ressources affectées au Grand Paris, qui va piloter ce troisième groupe de travail. Il pourra aussi «mobiliser de nouvelles ressources à identifier» (sic) et «expertiser les besoins d’emplois de la SGP» (autrement dit, le plafond d’emplois fixé par Bercy va sauter). Selon nos informations, les 578 millions d’euros aujourd’hui affectés annuellement pourraient passer à 750 millions voire plus, via une augmentation des taxes sur les bureaux et pourquoi pas sur les hypermarchés, comme le proposent les élus communistes, très actifs.
L’objectif, à partir des résultats de ces deux groupes de travail, est de permettre au gouvernement «de prendre des décisions sur la réalisation globale du projet», présentées ensuite au conseil de surveillance de la Société du Grand Paris en mars. Pas question de continuer à tergiverser pendant des mois.
On comprend que le gouvernement entend faire un lot prioritaire pour les JO de 2024: 14 Sud et Nord, tronc commun 16 et 17
Passons maintenant aux hypothèses sur le nouveau calendrier du Grand Paris Express. Si Elisabeth Borne réaffirme encore une fois qu’on ne reviendra pas sur le schéma d’ensemble du réseau adopté en 2011, des phasages conséquents seront indispensables. En décidant de demander au conseil de surveillance de la SGP de notifier dès le 13 février prochain «les marchés urgents et nécessaires aux réalisations des lignes 14 Sud, 14 Nord et au tronc commun des lignes 16/17 entre Saint-Denis-Pleyel et Le Bourget RER», le gouvernement indique assez clairement, mais sans le dire explicitement, qu’il entend faire pour 2024 un lot prioritaire Jeux Olympiques (à noter que le Centre des médias, avec 20000 journalistes, sera localisé au Bourget). Au passage on se demande comment il va réussir à séparer en deux l’énorme marché de génie civil de la ligne 16, promis à Eiffage, qui allait à l’est jusqu’au Blanc-Mesnil, pour le restreindre à la partie Saint-Denis-Le Bourget.
Suspense pour la 18: va-t-elle redevenir prioritaire alors qu’il y a quelques semaines elle était reportée à 2030?
Reste à savoir si le gouvernement adjoindra à cette priorisation de l’axe nord-sud (via la 14 et la partie commune 16-17), la ligne 18 depuis Orly jusqu’au plateau de Saclay, pour laquelle les élus de l’ouest ont mis une pression très forte depuis quelques semaines, jusqu’à inverser la tendance promise d’un report à 2030. «La situation du plateau a été tellement sous-évaluée par le gouvernement précédent», constate amèrement Nicolas Samsoen, le maire de Massy. Pour lui, sans l’urgence d’une réalisation dès 2023-2024, il faudrait arrêter les transferts d’école et les programmes d’urbanisation, car la desserte deviendra techniquement impossible à 3500 voyageurs/heure à l’heure de pointe. Et son collègue député Cédric Villani renchérit: comment laisser à l’écart du nouveau réseau une bonne partie de la recherche française?
On se dirige donc tout droit vers trois ou quatre lignes à objectif 2024: la 14 (Nord et Sud), la 15 Sud (même si Mobilettre maintient qu’en dehors de tout aléa, sa réalisation ne sera achevée au mieux qu’en 2025), le tronc commun 16-17 entre Saint-Denis et Le Bourget (avec une gare Pleyel inachevée vu le casse-tête qu’elle représente), et peut-être la 18, pas si difficile à faire entre Orly et Saclay.
Pour le reste, les échéances seront probablement bien plus lointaines, a fortiori si le gouvernement entend prendre en compte parallèlement le risque politique d’un décrochage des lignes RER et Transilien, de plus en plus fragilisées par les travaux d’interconnexion à venir, la forte hausse des fréquentations et l’état des infrastructures.
L’irruption de la ministre des Transports sur le dossier remet enfin les choses en ordre, constate un expert du Grand Paris Express: c’est aujourd’hui un gigantesque chantier qu’il faut mener avec rigueur, méthode et professionnalisme, dans sa phase marchés et travaux pour commencer, mais aussi, très vite, sous ses aspects de fonctionnement et d’exploitation. Finis les effets de manches et les rodomontades de la SGP, place à l’ingratitude des maîtrises d’ouvrage. Pour relever ce défi majeur, le gouvernement va devoir trouver un président ou une présidente du directoire de la SGP à même de piloter avec efficacité et dynamisme une équipe et un projet. La tâche s’annonce immense et intense.