La vérité quelle qu’elle soit
La vérité de la collision du 14 décembre à Millas, entre un TER et un car scolaire, est redoutée parce qu’elle ne ressort d’aucune fatalité ou condition particulière. Le passage à niveau était bien aménagé et signalé, la visibilité correcte. A moins d’une improbable cause extérieure, l’enquête aboutira soit à une responsabilité individuelle de la conductrice, soit à une défaillance technique du PN ou de l’autocar, soit à une conjonction des deux. A coup sûr, l’explication finale sera, comme dans la plupart des accidents aussi graves, inédite. Et ses conséquences seront terribles.
Il faut donc résister à la tentation de faire l’enquête avant l’enquête officielle. Non pas pour protéger quelque intérêt, mais parce qu’il semble évident qu’en la circonstance, la manifestation de la vérité est compliquée. Mobilettre a donc très vite twitté jeudi soir: «Accident de #Millas Urgent d’arrêter les enquêtes en direct des télés, qui reposent sur des bribes #rigueuretpatience». Depuis, faute d’éléments matériels indiscutables qui nous auraient permis de contribuer à la manifestation de la vérité, nous nous en tenons à cette ligne, malgré les insistances de nos confrères et consœurs journalistes.
Parce que le drame de Millas sera lourd de conséquences, il est déjà un enjeu de communication. Mais rien ne devra entraver la manifestation de la vérité
A leur décharge, ils ont été alimentés par des approximations et des prises de parole imprudentes. Le patron des cars Faur, dont on comprend à la fois l’émotion et la situation, n’a pas résisté à la pression; il a amorcé la polémique publique en dédouanant sa conductrice et en accusant la SNCF, laquelle a réagi quasiment dans l’instant en se disant «choquée» par le témoignage de la conductrice. La ministre chargée des Transports Elisabeth Borne, en déclarant vendredi matin sur Europe 1: «Aujourd’hui ne commentons pas la position des barrières», a donné involontairement l’impression de vouloir exclure une hypothèse. Et le procureur a lui-même pêché, vendredi à 18 heures, en évoquant «des témoignages contradictoires qui majoritairement parlent de barrières baissées.» Une telle description, si lacunaire pour l’établissement de la vérité, n’a fait que brouiller la situation. Comme nous apparaît extravagant le fait que le patron des cars Faur ait pu rencontrer sa conductrice avant les enquêteurs. On a un peu l’impression que la police scientifique était déjà munie de lasers et de drones quand les plus élémentaires mesures de protection et de confidentialité des témoins principaux étaient oubliées.
On a aussi la très nette impression que l’enjeu de la communication de crise l’a emporté sur la réserve et la prudence. C’est vrai pour les cars Faur, puisqu’ils ont été très vite conseillés par des professionnels. Et c’est vrai pour la SNCF, bien plus discrète grâce à des consignes impératives de silence données à ses cadres, mais tout aussi résolue à tenir bon. Il fallait ne pas perdre cette bataille de l’immédiateté, ni laisser accréditer l’idée que la défaillance pourrait venir de son côté. Ainsi se félicite-t-elle dans un rapport interne d’avoir obtenu grâce à un cadre technique traction d’astreinte une copie de la bande graphique du TER, après autorisation de l’officier de police judiciaire – cela lui a permis d’exclure très vite l’hypothèse d’un excès de vitesse du train. Déjà fragilisée par les accidents de Brétigny et Eckwersheim et les crises de Montparnasse, la SNCF cherche à éviter toute propagation du doute, à enrayer le risque d’une gangrène de sa mauvaise réputation du moment. Le risque est grand, il est même politique et manifestement partagé par la ministre.
Tout se passe comme si la SNCF avait voulu dire très vite: «Cette fois-ci c’est pas nous.» Cela en dit long sur son manque de sérénité. Il y a comme une petite musique insidieuse d’une perte de confiance grandissante en la technicité de la SNCF, dans les médias et l’opinion publique.
Tout ceci sera balayé quand on saura, le plus vite possible, l’exact scénario du 14 décembre. Il devra être distinct de l’établissement des responsabilités pénales, qui prendra des années. Il interrogera sur la dangerosité intrinsèque de la route (3500 morts par an) ou une défaillance répétée du ferroviaire. Et à coup sûr, il relancera utilement le programme sur la suppression des passages à niveau les plus dangereux, dont la commission Sécurité et sûreté des Assises de la mobilité durable venait tout juste de rappeler opportunément la nécessité, en appelant au soutien financier de l’Etat via l’Afitf.
Port Sainte-Foy 1997, Allinges 2008, Millas 2017: la répétition des accidents tragiques aux passages à niveau n’est plus supportable par l’opinion publique. Même si une petite part des 30 victimes chaque année est probablement due à des suicides, il reste tellement de situations évitables. L’Etat ne doit plus se contenter de dire, comme le ministre et délégué général d’En Marche Christophe Castaner dimanche dernier, qu’il faut supprimer tous les PN dangereux, puis d’en attribuer de facto la responsabilité financière à SNCF Réseau et aux collectivités locales. Il doit engager et financer un nouveau programme sur dix ans (entre un et deux milliards d’euros), au nom de l’exigence qu’il a proclamée. A défaut, pour reprendre l’expression du président Macron hier soir sur France 2, «les Français ne croiront plus ce que nous dirons». G. D.
A suivre dans Mobilettre avant les fêtes
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