Madame Bricolage
L’échec de la Commission mixte paritaire et le renvoi de la LOM (loi d’orientation des mobilités) en nouvelle lecture à la rentrée illustrent les lacunes du portage politique de la ministre Elisabeth Borne et l’absence de politique ambitieuse du gouvernement.
Nous ne croyons ni à la justice immanente ni au hasard. L’échec de la CMP, hier après-midi, n’était pas inéluctable. Il n’est pas plus anecdotique, ni même le fait d’une crispation irresponsable des sénateurs. Il s’explique, tout simplement.
Il sanctionne, en bout de course d’une LOM à rallonge, plusieurs erreurs et lacunes.
- Des pratiques parlementaires rétrogrades, qui ont vu quelques députés LREM, du haut de leurs certitudes, humilier des collègues pourtant aguerris, ou proposer des arrangements baroques.
- Le mépris foncier de l’exécutif pour la Chambre haute. Les sénateurs ne se sont pas couchés devant quelques artifices; ils les ont au contraire allumés avec panache, quelques jours avant la fête nationale.
- La méthode du gouvernement, ou plutôt l’absence de méthode d’une ministre technocratique et dirigiste. On ne va pas en rajouter à nos critiques déjà répétées de la façon dont Elisabeth Borne conduit les affaires de son ministère. Elle s’était sortie de la réforme ferroviaire par les ordonnances et grâce à un soutien attentif de l’exécutif; sur la LOM, son engagement et sa détermination n’ont pas suffi. Pour convaincre les représentants de la Nation, il faut aussi de la finesse, du dosage, de la compréhension, et un peu d’humanité.
- L’absence de consistance de la LOM. La loi boîte à outils est devenue le réceptacle de tous les angles morts de la politique de mobilité, à en perdre toute cohérence au-delà des détails. Manifestement Matignon avait compris le risque: cette loi aurait dû ne rester qu’une petite loi technique puisque le gouvernement n’avait ni la puissance ni la volonté de lui conférer une ambition historique et structurelle. Mais le Premier ministre a laissé faire sa ministre qui voulait sa nouvelle Loti…
- L’impossibilité, de facto, de construire une politique de programmation des infrastructures et un financement pérenne des services de mobilité dans les nouvelles AOM. Les sénateurs ont à juste titre tiqué sur ces deux questions. Sitôt élu le président Macron avait stoppé la course aux grandes infrastructures pour mieux sécuriser dans la durée les travaux au service du quotidien des Français. Le gouvernement a vite entériné la première incantation mais a tout aussi rapidement oublié la deuxième promesse.
Le désordre de cette semaine est inouï.
Quelques jours après avoir clamé au Bourget qu’«il ne faut pas commencer à faire de l’anti-avion», le président de la République laisse ses ministres de Rugy et Borne annoncer une nouvelle taxe sur les avions (de même qu’une réduction de l’avantage fiscal sur le gazole routier). Et le Premier ministre propose un transfert de TVA si alambiqué qu’il est considéré comme insincère.
A ce niveau de bricolage, ce n’est plus du pragmatisme. La France a besoin d’une vraie politique de mobilité des personnes et des marchandises, de faire reculer la pratique de l’autosolisme qui pollue et défigure les espaces, et d’enrayer la progression du trafic de poids lourds. Pour modifier leurs comportements, ce qui n’est pas une mince affaire, les Français et les entreprises attendent des signes clairs, massifs et engageants de la part de l’Etat, et pas quelques taxes, mesures et gadgets à la marge.
Faudrait-il ne rappeler qu’un seul chiffre, ce serait celui-là: «58% des déplacements domicile-travail de moins d’un kilomètre se font en voiture individuelle.» Les effets de communication n’y changent rien: les collectivités locales, pourtant mobilisées, sont peu soutenues, de maigres appels à projets cachent mal la disette des investissements de l’Etat et le manque de décentralisation fiscale. Toujours du bricolage, une gestion calculée de la pénurie, alors que l’on n’hésite ni à claironner sur l’écologie prioritaire ni à signer des investissements routiers.
La politique des taxes est périmée et insuffisante. Un député LREM, Jean-Baptiste Djebbari, a pourtant porté une alternative efficace: emprunter massivement par anticipation de la fin des concessions autoroutières. Il fut sèchement recalé par la ministre. La disruption macronienne s’arrête là où commencent les intérêts des amis.
L’histoire sans fin de la LOM ne va guère émouvoir les foules. Les éléments de langage du gouvernement sont déjà sortis – et ils sont étonnamment peu respectueux du pouvoir législatif. Mais parce qu’elle va traîner jusqu’à l’automne, la LOM empêche de fermer un chapitre politique et alimente l’incertitude. Le bricolage de la réduction de l’avantage fiscal sur le gazole routier, ajouté à d’autres hausses ou sujets de mécontentements, pourrait être une étincelle.