Madame Dépannage
La nomination d’Elisabeth Borne comme ministre de la Transition écologique atteste du désarroi politique du gouvernement, après la démission de Nicolas Hulot il y a un an et celle, hier, de François de Rugy
Rendons d’abord justice à la probité d’Elisabeth Borne: Edouard Philippe ne trouvera ni homard ni grand cru à la table de sa ministre. Tout juste un coca zéro en guise d’apéritif, et c’est très bien ainsi. La République frugale n’est pas un scandale.
Puisqu’on en est aux amabilités, soulignons aussi l’expérience de la ministre, ancienne directrice de cabinet de Ségolène Royal sous François Hollande. Elle connaît bien l’Energie et l’Ecologie, même si les transports sont sa spécialité première. Des trois actuelles locataires de Roquelaure, elle est la plus capée, la plus obéissante et la plus prudente – Emmanuelle Wargon se multiplie mais n’a pas encore connu les hautes cîmes, Brune Poirson doit se mordre les doigts de s’être récemment vantée de ne pas porter de «pulls qui grattent» (sic), comme si les écolos d’aujourd’hui en étaient restés au Larzac des années 70.
Le choix d’Elisabeth Borne, à première vue, est politiquement sans saveur – on y reviendra. Il dépanne un exécutif désarmé. Ce qui ne signifie pas qu’il est sans risque. Le parcours de l’ancienne préfète de Poitou-Charente et patronne de la RATP est émaillé de vexations et d’humiliations envers des collaborateurs et interlocuteurs, y compris depuis son arrivée au gouvernement il y a deux ans (lire Mobitelex 240). Il ne s’agit pas d’une simple dureté managériale: le turn over à son cabinet et les innombrables récits de réunions où son ire s’est impitoyablement concentrée sur un malheureux ou, plus souvent, une malheureuse attestent d’un comportement très problématique sous la pression. Désormais ministre vedette, saura-t-elle éviter que la presse généraliste débusque ses emportements condamnables?
Propulsée sur le devant de la scène par la réforme ferroviaire, la crise des gilets jaunes et la loi sur les mobilités, la techno Elisabeth Borne n’a politiquement pas «imprimé«, comme on dit aujourd’hui: ni dans l’opinion ni auprès des professionnels. Sa raideur dissuade les impudents, son intransigeance punit les imprudents. Mais elle est là, travailleuse acharnée, 200% fidèle à Emmanuel Macron et surtout à son secrétaire général Alexis Kohler – c’est plus compliqué avec le Premier ministre. Ce dernier a-t-il vraiment apprécié la solution de l’Elysée? Ce ne serait pas la première fois qu’il subit un remaniement ministériel.
Oui mais voilà, la compétence technique ou technocratique ne suffit pas à faire un ministre politiquement de premier plan.
Incapable de gagner des arbitrages de haut niveau, la ministre n’a pas réussi à porter un projet d’ampleur pour les mobilités du futur, à la hauteur du défi environnemental – l’échec récent de la CMP (commission mixte paritaire) sur la loi d’orientation des mobilités (lire Madame Bricolage) a révélé ses limites politiques. Obsédée par l’extrême détail, elle se réfugie dans des antiennes éculées ou des exemples simplistes, lors de ses interventions publiques. Et elle porte son lot de contradictions, dont elle rejette souvent la responsabilité sur les autres. Un exemple: les maigres promesses faites lors des Assises de l’aérien, emportées par la nouvelle taxe sur les compagnies aériennes.
Hulot, de Rugy, Borne: ainsi se dissout progressivement l’ambition environnementale du gouvernement. Faut-il rappeler qu’un ministre n’est pas seulement le patron de fait d’une administration: il incarne pour les Français une politique, un projet. En cet été 2019, cette ambition est à l’étiage. Avant un big bang automnal?