NOMINATION
François Durovray, une volonté, quels moyens ?
Dans un gouvernement largement dépourvu d’hommes et de femmes d’expérience ministérielle, le président du Conseil département de l’Essonne nommé hier soir ministre délégué aux Transports se démarque par sa très bonne connaissance du secteur qui lui est confié. Mais les inconnues sur ses marges de manœuvres sont très nombreuses.
Il en avait très envie, l’avait fait largement savoir, et pour une fois, une stratégie de candidature assumée à un poste de ministre a été récompensée. François Durovray, 53 ans, président LR du conseil départemental de l’Essonne depuis 2015, a su multiplier les bonnes recommandations politiques pour devenir ministre des Transports, hier peu avant 20 heures. Car du point de vue de la compétence «technique», ses états de service parlent déjà en sa faveur, aussi bien comme administrateur d’Ile-de-France Mobilités (IDFM) que membre du conseil de Surveillance de la Société des Grands Projets.
Militant obstiné des Cars Express, pour le développement desquels il a notamment rendu un rapport très complet pour IDFM l’année dernière, il plaide régulièrement la cause de la route, et de ses gestionnaires d’infrastructures et opérateurs, tout en s’inscrivant dans une authentique logique multimodale. On l’a vu emprunter, l’hiver dernier, la ligne Bordeaux-Créon, en marge d’un colloque du Gart sur les Serm dans la capitale girondine – judicieuse sortie, comme s’il fallait déjà faire un peu oublier que l’Ile-de-France n’est pas la France.
De fait, la question du financement des AOM sera l’une des premières sur sa table de ministre, comme tant d’autres questions relevant du même ordre : les 100 milliards du ferroviaire mais aussi et surtout les crédits alloués à SNCF Réseau pour tenir la trajectoire de régénération indispensable à la croissance des trafics, le financement des Serm, l’avenir des concessions autoroutières… Vu l’incroyable descente aux enfers budgétaires que connaît la France (30 à 40 milliards de déficit supplémentaire en neuf mois, une dégradation continue depuis 2018), il n’est pas certain que les nouveaux locataires de Bercy soient accommodants *.
Le Gart (Groupement responsable des autorités organisatrices de transport), présidé par Louis Nègre, ne s’y trompe pas, qui a vite réagi à sa nomination : «Ses compétences et sa connaissance du transport public, et plus largement de la mobilité, constituent indéniablement un atout pour notre secteur. Mais, nous l’avons constaté avec ses prédécesseurs, volonté et vision ne suffisent pas toujours à un ministre pour faire prévaloir ses choix. Encore faut-il qu’il puisse disposer des moyens de sa politique…» On a connu communiqués d’accueil plus vaporeux; le parler franc fait des progrès!
Au demeurant, le fait que le ministre délégué François Durovray dépende de Catherine Vautrin, ministre du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation, et non pas d’Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, interroge et surprend. Où va donc ce grand ministère qui fut celui de l’Equipement, de l’Aménagement puis de la Transition écologique ? Est-ce bien le moment de détricoter l’architecture du MEEDTL ?
Que signifie ce passage aux Territoires ? Serait-ce vraiment la fin de l’ambition nationale d’une politique des Transports, à la grande satisfaction de Bercy qui œuvre aux transferts de responsabilités et de compétences ?
Place aux procédures et aux contractualisations avec les collectivités, pour les lignes de desserte fine des territoires, pour le réseau routier national non concédé, pour les aéroports… et pour les Serm, qui devraient être l’une des priorités du nouveau ministre pour les mois à venir, vu le calendrier prévu par la loi du 27 décembre dernier. Si tant est que la durabilité du gouvernement dans son ensemble permette d’envisager de telles temporalités.
François Durovray, accessible, bosseur et énergique malgré quelques accès vibrionnants, sera immédiatement un ministre opérationnel sans délai d’apprentissage des problématiques de mobilité.
C’est un atout dans le contexte politique dans lequel s’inscrit le gouvernement Barnier : pas de ligne politique claire (lire aussi ci-dessous), entre les gages explicites à l’extrême-droite (Bruno Retailleau) et les assurances manifestement données à Emmanuel Macron et Renaissance d’une continuité économique, à savoir que les décisions fiscales ne jetteront pas les Français dans la rue – pas de gilets jaunes saison 2! Le nouveau ministre des Transports devra se montrer persuasif au moment des tout prochains arbitrages budgétaires, qui s’annoncent hautement délicats.
Il lui faudra aussi participer à quelques décisions suspendues par la dissolution et ses conséquences, au premier rang desquelles les présidences de la SNCF et d’ADP. S’il est acquis qu’un successeur à Augustin de Romanet sera prochainement nommé, il n’est pas certain, c’est un euphémisme, qu’un gouvernement aussi fragile que celui de Michel Barnier ait intérêt à ouvrir une période d’incertitude à la tête de la SNCF, à quelques semaines de l’ouverture des négociations annuelles obligatoires (NAO). Jean-Pierre Farandou devrait donc en toute logique prolonger son bail de PDG jusqu’en mai prochain, terme de son mandat, et apporter sa contribution à la suite.
François Durovray, de par ses multiples engagements, au Gart et à Départements de France notamment, n’ignore pas la demande croissante d’offres de déplacements collectifs en Ile-de-France comme dans les territoires, mais aussi l’état dégradé des infrastructures ferroviaires, routières et fluviales. Entre la pression de Bercy, celle des collectivités, des gestionnaires d’infrastructures et des opérateurs, il lui faudra ajouter à son dynamisme de sacrées doses de fermeté et de diplomatie. Bon courage !
* On reste éberlué par la promotion de Jérôme Fournel à Matignon comme directeur de cabinet du Premier ministre. Lui qui fut directeur des Finances publiques de 2019 à 2024 après avoir été dircab de Gérald Darmanin à Bercy de 2017 à 2019 puis dircab de Bruno Le Maire depuis janvier dernier, avait la haute main sur les Finances de la Nation et n’a su maîtriser leur dérapage incontrôlé ? 200 milliards en cinq ans (2018/2023), et déjà 40 milliards depuis le début de l’exercice 2024? A moins que son maintien vaille couverture de ses anciens supérieurs politiques qui en auraient été alertés? L’histoire sur ce point aussi reste à écrire.
Une équipe baroque
Mobilettre s’attache, c’est sa ligne directrice, à ne pas faire de procès d’intention : chacun, y compris un ou une ministre inexpérimenté-e, a le droit à l’indulgence initiale et à la réussite. Après tout, quelques nouvelles têtes feront peut-être du bien après plusieurs gouvernements aux bien piètres performances individuelles. Rendez-vous, donc, très vite, pour les arbitrages budgétaires et les premières sorties médiatiques qui serviront d’étalonnages individuels.
Cela dit, la performance personnelle est une chose, la dynamique collective en est une autre, bien plus essentielle pour un gouvernement. On cherche à l’analyse du casting Barnier ce qui pourrait constituer une forme d’unité politique sinon idéologique du nouveau gouvernement. Et on n’en trouve guère : un degré supplémentaire est franchi dans l’absence de projet, alors même que la sanction répétée des urnes, en juin et en juillet, portait autant sinon davantage sur l’illisibilité de la politique de l’exécutif et de sa gouvernance en zig-zag, que sur son bilan. Dans ces conditions, la déclaration de politique générale du Premier ministre, le 2 octobre prochain, est très attendue par le Parlement comme par les Français dans leur ensemble. Quid, en lieu et place des navigations à vue, des promesses en l’air et des quoi qu’il en coûte ? G. D.