A bout de souffle
La succession de crises sociales accapare l’exécutif et compromet l’édification de politiques structurelles de long terme, notamment en matière de mobilité. La séquence Jeux Olympiques ne devrait pas arranger les choses.
Voilà un an pile que l’ART (Autorité de régulation des transports) n’a pas de président en titre, depuis la fin du mandat de Bernard Roman. Les plus indulgents envers le pouvoir exécutif ne retiennent plus leurs commentaires : «Incompréhensible, irrespectueux». Les membres du collège et les services de l’ART font preuve d’une constance professionnelle qui les honore. Car la désinvolture institutionnelle d’Emmanuel Macron (cette nomination est de la compétence du Président de la République) révèle un dessein plus inquiétant : une volonté de reprise en mains par l’exécutif de contre-pouvoirs trop indépendants.
Le seul horizon qui compte, désormais, ce sont les Jeux Olympiques
En ce milieu d’été on ne va pas faire des amalgames propres à s’échauffer les sangs, mais après trois crises successives depuis le 1er janvier (les retraites, la bataille de Sainte-Soline, les émeutes), le pouvoir exécutif ne tient qu’à un fil, celui d’une police prétorienne qui profite sans vergogne de sa puissance et voudrait s’émanciper dangereusement du droit commun. La faiblesse politique de la Première ministre et d’un gouvernement ajusté a minima avec quelques amis du couple présidentiel empêche toute émergence d’un projet politique ambitieux qu’attendent les Français pour faire face aux turbulences grandissantes du monde contemporain, notamment en matière de mobilité. Le seul horizon qui compte, désormais, ce sont les Jeux Olympiques, cette bulle d’oxygène politique censée mettre à distance les contrariétés sociales.
Valérie Pécresse et Jean Castex, chacun à sa manière, l’ont bien compris, qui exploitent au mieux le compte-à-rebours. Pour le Président de la République et le gouvernement, les Jeux Olympiques doivent être au pire une parenthèse enchantée, au mieux l’occasion d’un rebond providentiel. Le droit à l’erreur n’existe pas, ni sur les prolongements de la ligne 14 ni sur l’efficacité des dessertes des enceintes sportives. Tiens, on a oublié que le dossier de candidature de 2016 promettait la réalisation de la quasi-totalité du Grand Paris Express. Les mensonges n’ont jamais nui à leurs auteurs ; ils étaient cyniquement collectifs.
La procrastination d’Etat n’incite pas à l’optimisme
Comment dans ces conditions espérer construire dès aujourd’hui un meilleur avenir pour les mobilités collectives et décarbonées? La procrastination d’Etat, en ce milieu 2023, n’incite pas à l’optimisme. Les 100 milliards du ferroviaire, la route décarbonée et la voiture électrique pour tous résonnent comme des slogans aussi sincères qu’une publicité pour une lessive miraculeuse ; la planification écologique est aussi compréhensible que la notice de montage d’un meuble en kit. Clément Beaune, investi et tenace, va gagner encore un peu de temps, il arrachera quelques arbitrages, mais la situation budgétaire limitera les marges de manœuvre.
De quoi parle-t-on cet été autour des barbecues ? Beaucoup de l’inflation qui réduit la consommation, et de la tarification ferroviaire qui décourage les plus convaincus d’une décarbonation radicale des mobilités. Les promos d’un été ne masquent pas l’évidence: le très efficace yield management du TGV, dans un contexte de crise de l’offre, est un boomerang pour la SNCF. L’argent rentre, mais la confiance s’en va.
Nous vivons une drôle de période, cette extrême difficulté collective à trouver des consensus d’avenir sur les chemins à emprunter pour répondre à l’aggravation des inégalités sociales et aux bouleversements écologiques. Elle nourrit des recours caricaturaux à des valeurs essentielles mais insuffisantes à elles seules : l’obéissance à la loi, le respect républicain. Quelques questions fondamentales sont escamotées. Comment faire face à la désagrégation du modèle social basé sur la connaissance, le mérite et l’expérience ? Comment réinstituer un minimum d’égalité des chances pour compenser la reproduction sociale ? Les mercantiles et les marketeurs ont-ils définitivement gagné ?
Ni nostalgie ni fatalité. Ni «il faudrait revenir à», ni «ils font ce qu’ils peuvent». Le retour de l’Histoire dramatique (la crise Covid, puis la guerre en Europe) et l’irruption inédite d’une menace globale (la crise climatique) exigent des réponses nouvelles, massives et collectives. Pour l’instant l’exécutif hexagonal tambouille et, faute d’impact, laisse les puissances privées mener le bal de l’opportunisme et les forces sociales se déchirer dans une violence inquiétante. Quand on est à bout de souffle, il devient si difficile de tracer une perspective. G. D.
Bonnes vacances à ceux qui prennent leurs congés, bon courage à tous ceux qui assurent la continuité des services de mobilité, et rendez-vous en septembre !
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