MobiEdito – 27 juin 2022

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par Gilles Dansart


Ont-ils entendu?

Par leur abstention et leurs votes, les Français ont envoyé un message clair lors des législatives: gouvernez autrement! Qu’en reste-t-il, dix jours après?

On a attendu pour voir s’ils avaient entendu. L’alerte, et quelle alerte! Malgré l’injonction d’Emmanuel Macron dite du tarmac, le 15 juin à Orly, à lui donner une majorité absolue, les Français ont frondé et confirmé ce que le duel final de la présidentielle n’avait pas permis de mettre en évidence: ils ne veulent plus d’une gouvernance autocratique et technocratique des affaires du pays, confiée à un seul homme et à ses troupes obéissantes.

Les pouvoirs excessifs accordés à l’exécutif par la Constitution de la Vème République n’ont cessé de se renforcer depuis une vingtaine d’années, grâce à une exploitation répétée de l’argument d’efficacité. On s’aperçoit aujourd’hui de la supercherie: la marginalisation des pouvoirs parlementaires et des corps intermédiaires n’a nullement contribué à sortir de quelques ornières persistantes. Bien au contraire: la centralisation et la verticalité de la gouvernance des affaires publiques ont accouché de réformes stériles voire catastrophiques, et accru le sentiment de déconnexion des quartiers généraux.

Tant de réformes, tant d’échecs. Et ce serait depuis vingt ans la seule faute des juges, des cheminots et autres enseignants?

Soyons juste: une forme de responsabilité collective est engagée, tant les élites politiques, intellectuelles et médiatiques ont consciencieusement servi le récit de la réforme salvatrice, sans trop s’appesantir sur les travers bureaucratiques et les complexités organisationnelles. Energie, Education nationale, Justice, sécurité, transport ferroviaire: tant de réformes, tant d’échecs. Et ce serait depuis vingt ans la seule faute des juges, des cheminots et autres enseignants?

Et pourtant, on a le sentiment que le message «faire autrement» n’est toujours pas passé. L’alerte n’aurait donc pas encore été assez forte…

Depuis une semaine s’enchaînent les discours creux et les éléments de langage mécaniques de l’exécutif: «Le gouvernement est dans le dialogue, à l’écoute et au travail». Fidèles à notre ligne – pas de procès d’intention, chacun a le droit de se révéler -, nous aimerions qu’Elisabeth Borne, qui comprend tout, se transforme à vitesse accélérée, qu’elle devienne la cheffe d’orchestre d’une autre façon de produire de la loi, certes, mais aussi de diriger l’Etat et les services publics.

Les premiers signes envoyés ne sont pas terribles…

A une élue régionale venue lui parler la semaine dernière, entre autres, dessertes ferroviaires et écologiques des territoires, elle oppose une cinglante objection: «ça coûte trop cher, on va surtout faire du mass transit». «Elle écoute, mais elle n’entend pas», répètent nombre de ses interlocuteurs, stupéfaits devant son refus de la discussion ouverte et sa volonté de maîtrise.

L’abus de communication et de mise en scène du pouvoir exécutif, son usage effréné d’un vocabulaire technocratique éloigné du réel ont profondément atteint sa crédibilité. Pire, on cherche encore «le projet clair» d’Emmanuel Macron sur lequel il aurait été élu. Dans ce contexte, la confirmation d’Elisabeth Borne sonne plutôt le glas d’un aggiornamento des pratiques gouvernementales.

Le sentiment de supériorité de tant de décideurs se double d’une défense innée de leurs avantages et prébendes

Pourquoi une autre pratique du pouvoir, déconcentrée, modeste, ouverte aux suggestions des hommes et femmes de terrain, est-elle si impossible à mettre en place? Au-delà des lourdeurs administratives et du verrou de Bercy, avec le budget général de la Nation, le sentiment de supériorité de tant de décideurs se double d’une défense innée de leurs avantages et prébendes, dans une culture persistante de l’entre-soi qui met largement à distance les réalités du quotidien. On se souvient du trait d’humour d’un ancien ministre: «A quoi reconnaît-on qu’on n’est plus ministre? Quand on s’assied dans sa voiture, elle ne démarre plus.» On ne va pas épiloguer sur l’échec prévisible d’Amélie de Montchalin face à Jérôme Guedj dans l’Essonne, mais sa campagne pathétique d’entre-deux tours révèle de tels décalages culturels – à l’inverse d’un Clément Beaune autrement récompensé de l’attention portée à ses interlocuteurs.

Vendredi dernier, au stade de France, le Président de la République descend saluer sur le terrain les joueurs et les arbitres de la finale du Top 14 de rugby. Après l’avoir copieusement hué à son arrivée, les 78000 spectateurs se lassent d’une séquence qui s’éternise et décident de passer à autre chose, ils enchaînent les olas dans la joie et la bonne humeur. Les joueurs déjà salués s’impatientent aussi, pressés d’en découdre, ils rompent l’alignement et font quelques exercices. Du jamais vu – et les téléspectateurs n’en verront rien. Ce n’est même plus de la défiance, juste le symbole d’une divergence fatale. G. D.


Pourquoi la France a de toute urgence besoin d’un ministre des Transports

On a appris par une dépêche AFP – c’est toujours mieux qu’un tweet – que le président de la République avait décidé de renouveler sa confiance à Elisabeth Borne et la chargeait de proposer un nouveau gouvernement pour une mise en place dans les premiers jours du mois de juillet. Pas trop tôt serait-on tenté d’écrire, d’abord parce que la déclaration de politique générale de la Première ministre est prévue le 5 juillet, mais surtout parce que la France a besoin d’un gouvernement stable, tout comme les Transports ont besoin d’un ministre.

Les Transports ont effectivement besoin d’un ministre qui ne soit pas seulement chargé d’expédier les affaires courantes – non par hypertrophie, parce que chacun a tendance à croire que « son » secteur est le plus important, mais à la simple lumière des décisions quotidiennes à prendre. Illustration de cette impérieuse nécessité avec quatre sujets d’actualité urgente.

Ce lundi 27 juin a lieu un conseil européen Transports, télécommunications et énergie et le lendemain un conseil Environnement. Peut-on sérieusement envoyer pour représenter la France à Bruxelles une ministre démissionnaire puisque battue aux élections législatives (Amélie de Montchalin), alors qu’y seront débattus des sujets aussi « mineurs » que les orientations sur la modification des directives sur les énergies renouvelables et le paquet « ajustement à l’objectif 55 » qui doit modifier le système actuel de quotas d’émission de l’union européenne ? Non. La preuve, c’est la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher qui est dépêchée, soit l’avant-dernière du gouvernement, dans l’ordre protocolaire. La proposition de modification vise notamment à introduire les émissions du transport maritime dans le système actuel, à supprimer progressivement l’allocation de quotas d’émission à titre gratuit à l’aviation et aux secteurs qui doivent être couverts par le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, ou à mettre en œuvre le régime mondial de compensation et de réduction du carbone pour l’aviation internationale CORSIA.

En l’absence d’une décision de la France sur le choix des voies d’accès au Lyon-Turin d’ici la fin de l’année […] le dossier ne pourrait être réexaminé qu’à partir de 2028.

Le projet Lyon-Turin attend toujours la décision officielle de la France sur le choix du tracé des accès. Les élus consultés par le préfet se sont pourtant prononcés à une large majorité en faveur du scénario grand gabarit (lire Mobitelex 376). La Commission Intergouvernementale du 23 juin n’a pu que prendre acte de cette carence, mais l’Europe aussi! Car à cette occasion, la Commission européenne a rappelé qu’en l’absence d’une décision de la France sur le choix des voies d’accès d’ici la fin de l’année, la participation financière de l’Europe ne pourrait être inscrite dans le programme d’investissement 2022-2027 et que le dossier ne pourrait être réexaminé qu’à partir de 2028. On ne sait d’ailleurs pas si la sanction de cette « absence » ne toucherait que les financements européens des voies d’accès (30% que l’Europe était prête à monter à 50%) ou également la « surprime » dont devait bénéficier par la même occasion le tunnel de base qui passait de 40 à 55% de financement… Attendre 2028, c’est prendre le risque de voir les opposants, notamment les no TAV côté italien, relever la tête, alors que les vallées alpines n’attendent que de mieux respirer. C’est aussi le risque de mettre la société d’exploitation TELT hors d’état de fonctionner avec les conséquences financières qui iraient avec. La Première ministre Elisabeth Borne qui se plaisait l’autre soir sur LCI à illustrer comment le gouvernement était déjà au travail aurait pu se féliciter si la France avait enfin officialisé son choix sur les voies d’accès. On devra se contenter d’un conditionnel!

Et pendant ce temps, les ponts et ouvrages d’art, cet « angle mort » de la gestion des infrastructures de transport, ne cessent d’inquiéter comme le relève le rapport d’information que vient de publier la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat. Ce travail de suivi a été engagé après l’effondrement du pont Morandi de Gênes en 2018 et il n’y a pas de quoi être rassuré : « Les ponts français, dont le nombre exact n’est pas connu, sont dans un état inquiétant, qui pose des questions de sécurité et de disponibilité pour les usagers. Le vieillissement des ouvrages d’art, un sous-financement chronique et une insuffisante attention des pouvoirs publics expliquent cette situation. Les ponts gérés par les communes et intercommunalités, en particulier de petite taille, concentrent les inquiétudes », lit-on dans le rapport. Cela sans compter les « ponts orphelins » dont plus personne n’est responsable. Alors que les vacances d’été approchent, que les Français vont être nombreux à circuler sur les routes de France et que les épisodes climatiques extrêmes mettent à rude épreuve les structures des ouvrages d’art, les ponts ont besoin d’un ministre en charge des infrastructures de Transport, qu’il soit ingénieur des Ponts… ou pas.

Et s’il fallait ajouter un peu de contexte social dans la besace du ministre des transports, il suffirait de citer, dès aujourd’hui (lundi 27) le mouvement national de protestation de toutes les catégories du transport routier, la grève des contrôleurs aériens du Sud-Est (aéroports de Marseille, Nice, Lyon, Montpellier et Corse) de ce week-end et le 6 juillet le préavis de grève nationale des cheminots. Alors, un secteur sans interlocuteur? A. B.

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