MobiEdito – 29 juillet 2022

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par Gilles Dansart


Devoirs de vacances

L’agenda de la rentrée est rempli, mais les caisses sont vides. Comment tenir pendant cinq ans ?

Le retour aux réalités est rapide et violent. On ne va pas faire la liste exhaustive de tous les sujets à traiter, laissés de côté par les précédents gouvernements, car elle risquerait de nous emmener très loin. Et pour tout vous avouer, en cette fin juillet, le moteur de Mobilettre commence à manquer de carburant – il est temps de faire une pause. On va donc se contenter des premières urgences d’ici la fin de l’année :

  •   la pénurie de conducteurs pour la rentrée scolaire
  •   la révision des contrats de performance de SNCF Réseau et Gares & Connexions
  •   le financement des surcoûts d’Eole et plus largement des modernisations en Ile-de-France, tous modes confondus
  •   le bordel dans les aéroports parisiens
  •   l’ajustement des salaires à l’inflation
  •   la validation des voies d’accès au Lyon-Turin
  •   les conséquences de la baisse de fréquentation du transport public
  •   la hausse du prix des matériaux de construction et de l’énergie
  •   la remontée de l’accidentologie routière
  •   la mise au point des plans de mobilité de la Coupe du Monde de rugby et des Jeux Olympiques.

La bonne nouvelle, et c’est une sorte de présomption de compétence assumée, c’est qu’un ministre ambitieux semble vouloir s’y coller. La mauvaise, c’est qu’il semble n’y avoir plus un sou dans les caisses

Après deux années à distribuer des milliards pour de bonnes et moins bonnes raisons, c’est assez logique. Et cela risque de compliquer singulièrement les efforts de Clément Beaune, puisque le logiciel économique et financier de la Macronie ne semble guère affecté par la priorité écologique, au-delà des mots s’entend. Les infrastructures de transport en général et le ferroviaire en particulier, ça coûte cher, ça ne rapporte pas grand-chose à court terme, donc ça n’est pas prioritaire. Le ministre va-t-il être condamné à gagner du temps et à faire une communication d’équilibriste pendant cinq ans?

N’y a-t-il vraiment pas d’autre choix que la diète des investissements ? Après tout, la politique est toujours une affaire de choix ! Revenons une minute sur les arbitrages de juillet. Les deux lois votées au Parlement (pouvoir d’achat et loi de finances rectificative) n’étaient pas les plus difficiles: il s’agissait surtout de distribuer (plus de vingt milliards d’euros). En revanche, si l’on regarde les détails, la remise de trente centimes à la pompe, pour tous jusqu’à la fin du mois d’octobre, augure mal de la suite. La peur du gilet jaune pétrifie le gouvernement, coûte des milliards d’euros quand une grande majorité de Français (et des millions de touristes étrangers) pourraient dépenser quelques dizaines d’euros supplémentaires par mois, et tourne le dos à toute politique de rééquilibrage des modes. Rappelons que la diminution de la circulation routière (automobiles et camions) ne ressort pas seulement d’une lutte contre le réchauffement climatique et les pollutions atmosphériques: c’est aussi un choix de société, un choix urbanistique et d’aménagement du territoire. Mais faute d’une ingénierie nouvelle et efficace, à base de compensations indexées sur les revenus, l’articulation du social et de l’environnemental est au point mort.

Pauvre transport public… Sa fréquentation est loin d’être revenue à la «normale», ce qui menace le maintien de fréquences élevées, et pourrait atténuer son attractivité déjà contrariée par la pandémie.

Qui en sera victime ? Tout se passe comme si on se souciait (légitimement) des plus vulnérables qui sont dépendants de la voiture, et pas vraiment des tout aussi vulnérables qui ne peuvent qu’emprunter les transports en commun et s’apprêtent à subir le contrecoup des sous-investissements publics. On ne voudrait pas être à la place des collectivités urbaines et régionales. Faudra-t-il attendre une crise similaire à celle de l’énergie pour réagir? Puisque le Parlement est en voie de renaissance, espérons qu’il se saisira de tels sujets d’avenir, au-delà des postures politiques.

Pour le moment, on lambine sur pas mal de financements, notamment ceux des accès du Lyon-Turin et des surcoûts d’Eole, une infrastructure qui va changer la vie quotidienne de plusieurs générations de franciliens et soulager le RER A… quand on s’apprête à compenser sans coup férir ceux des Jeux Olympiques, qui, on en prend le pari, seront très largement supérieurs au milliard d’euros.

Bon, rassurez-vous, on est bien conscient de flirter avec la ligne jaune de l’amalgame facile… Il est donc temps de poser le stylo pour quelques semaines, mais seulement après avoir fait le point sur les résultats semestriels de la RATP et de la SNCF, et après avoir rendu hommage à Bernard Roman, qui quitte l’ART au terme d’un solide mandat.

Toute l’équipe de Mobilettre se joint à moi pour souhaiter un bel été à celles et ceux d’entre vous qui vont partir en vacances, et un bon courage aux permanents du mois d’août. Rendez-vous en septembre !


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BILAN

Bernard Roman, c’est une belle histoire

Sa nomination le 2 août 2016 à la tête de l’Arafer fut accompagnée d’un certain scepticisme. Un geste de complaisance de la part de François Hollande à l’égard d’un socialiste historique très proche de Pierre Mauroy, pour libérer une circonscription? Investi et courtois, Bernard Roman a démenti les pronostics, assumé la fonction avec sobriété et rigueur, et continué à faire grandir l’ART, régulateur multi-sectoriel respecté malgré les enjeux et les pressions.

Le 8 juillet 2022, à Paris dans son bureau près de la place de Catalogne, Bernard Roman prépare quelques dossiers à archiver. Fin du mandat : 1er août à minuit

«Je peux l’avouer aujourd’hui, quand le président Hollande m’a proposé la présidence de l’Arafer, en 2016, j’ai eu peur de m’ennuyer»

Dans son modeste bureau tout proche de la gare Montparnasse, Bernard Roman est en veine de quelques confidences, dont celle-ci, assez savoureuse quand on évalue la croissance des secteurs de régulation attribués et des activités de ce qui est devenu l’ART, l’autorité de régulation des transports. A 70 ans, l’ancien questeur de l’Assemblée nationale s’apprête à tirer sa révérence, ce lundi 1er août. Echanges libres.

MOBILETTRE. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué au cours de ces six années ?
B. R. J’ai pris conscience de l’importance du transport dans l’organisation de la société, des déplacements dans les enjeux de développement durable – sans sectarisme. Je ne suis pas de ceux qui disent que l’avion est à proscrire, qu’il ne faut plus investir dans l’activité autoroutière. Mais la puissance publique doit être au rendez-vous des transports propres, et en particulier du train. Et pour l’instant, la SNCF, notamment SNCF Réseau, n’a pas suffisamment pris le tournant de la modernisation. La France des start-up, c’est bien, il faut saluer les initiatives du président de la République dans une multitude de secteurs, mais on n’a pas vraiment pensé que sur le réseau on pouvait avoir une ambition comparable.

Vous semblez surpris d’avoir découvert cette réalité moins brillante que ne laisse croire l’emblème TGV ?

«Si on reste sur le même braquet, on condamne le réseau ferroviaire français»

B. R. Sur le papier on se dit que le retard ferroviaire est rattrapable. Mais quand on entre dans le détail, quand on a la volonté d’éclairer le débat et la décision publique, on se rend compte que si on reste sur le même braquet, on condamne le réseau ferroviaire français. L’une des dernières décisions prises par l’ART, validée par son collège, a été de travailler sur plusieurs scénarios du réseau à l’issue du contrat de performance – avec ou sans compensation de l’inflation, avec ou sans rallonge d’un milliard d’euros par an hors inflation. Le gouvernement aurait dû le faire en amont du contrat.

C’est vrai, j’ai découvert une certaine réalité: 2200 postes d’aiguillage en France, ça suffit ! Au lieu de se dire qu’on aura fini d’installer la CCR (commande centralisée du réseau) en 2040 ou 2050, on doit poser la question: «Peut-on le faire en dix ou douze ans ?» Il y a la nécessité d’une vraie stratégie industrielle.

Sincèrement, le défi vous semble relevable ?
B. R. Oui. Il faut aller un peu plus loin que le milliard d’euros par an (en euros courants) à ajouter aux 2,8 milliards du contrat de performance actuel. Je ne dis pas qu’il faut passer de 3 à 6, l’appareil industriel de Réseau n’y est pas prêt. Mais il faut monter progressivement en puissance, pas seulement en régénération mais aussi en performances et en modernisation.

On en est loin… Les sources du contrat de performances ne sont même pas assurées.
B. R. Il faut supprimer le milliard d’euros, à terme, en provenance de SNCF Voyageurs. Cela n’a aucun sens, notamment au vu du développement de la concurrence. Surtout, comment peut-on plaider publiquement pour le doublement de la part modale du fret quand on signe un contrat de performance qui n’en permettra que 20% ?

Alors je réponds à Guillaume Pepy: «Sortez des effectifs de votre cellule de communication et affectez-les à la préparation de la concurrence!»

La SNCF peut-elle elle-même bouger davantage ?
B. R. Je me souviens de dialogues avec Guillaume Pepy. Je lui disais: «Monsieur le président, la mise en ordre du système comptable, c’est l’année prochaine !» Il me répondait : «Non, on ne va pas y arriver, c’est trop compliqué». «Une offre tarifaire de prestations de maintenance, c’est aussi l’année prochaine !» «Mais c’est impossible !» Alors je lui rétorquais: «Sortez des effectifs de votre cellule de communication et affectez-les à la préparation de la concurrence!»

Ce n’était pas à proprement dit une résistance, mais les restes d’une culture de la grande entreprise monopolistique qui sait comment ça marche, et qui ne fait pas les efforts suffisants pour s’adapter à un contexte d’une certaine façon «révolutionnaire».

J’avais la sensation que Guillaume Pepy se servait surtout de la concurrence pour booster ses équipes. Mais maintenant on y est vraiment… On a la séparation comptable, la cour d’appel de Paris nous a donné raison sur la question des données, on a beaucoup avancé sur la tarification avec Réseau, et cela va continuer en 2023 et 2024 avec la tarification binomale sur le conventionné et la nouvelle segmentation sur la grande vitesse.

La concurrence est une chance pour la SNCF ?
B. R. Bien sûr. En Allemagne 40% du transport régional est passé au privé en trente ans, et sur la même période la DB a augmenté son chiffre d’affaires, son offre ferroviaire et son nombre de salariés. Pareil en Italie, en Suède. Surtout, l’usager a profité partout de cette ouverture. On s’en aperçoit aujourd’hui avec Trenitalia en France: plus de trains, des services différents, des tarifs attractifs…

Vous avez hésité à saisir la commission des sanctions ?
B. R. C’est une arme de dissuasion que l’on a donnée à l’ART, d’autant plus efficace que l’on ne s’en est pas encore servi.

Ce qui est au cœur de la régulation, c’est l’indépendance du régulateur

L’Etat a-t-il arrêté de mettre des bâtons dans les roues? Joue-t-il davantage le jeu de la régulation ?
B. R. Ce qui est au cœur de la régulation, c’est l’indépendance du régulateur. Jamais l’Etat, en six ans, même s’il y a eu quelques tentations, ne m’a appelé par le biais d’un Premier ministre, d’un ministre ou d’un cabinet, pour me dire : «Tu devrais…» C’est essentiel. C’est d’ailleurs pour cette raison que je n’ai pas voulu être renouvelable. Candidat à ma succession, j’aurais été d’une certaine façon vulnérable.

Pas de pression directe, donc. Et en ce qui concerne les moyens de l’ART ?
B. R. C’est l’autre pilier de l’indépendance. Aujourd’hui nous n’avons pas les moyens nécessaires à notre activité. Le gouvernement n’a pas été réglo. Il nous faut 18 millions d’euros pour être en régime de croisière.

Avez-vous dû montrer de l’autorité vis-à-vis des régulés ?
B. R. A partir du moment où on affiche une volonté de dialogue, de façon constructive, avec fermeté, on finit par être respecté. Par exemple Gares & Connexions a compris qu’il ne fallait pas mettre un CMPC (coût moyen pondéré du capital) au-delà du raisonnable. Et on plaide pour l’aider à assumer le coût de la reprise des actifs de Réseau.

Comment qualifier votre style ? L’autorité par le dialogue ?
B. R. C’est difficile de parler de soi. Ma plus grande fierté c’est d’avoir imposé, avec le collège et les services, l’expertise de la régulation dans les transports.

Votre plus grand étonnement six ans plus tard ?
B. R. J’ai eu peur de m’ennuyer, et en fait je me suis passionné. Je suis convaincu qu’on pourrait doubler la part modale du ferroviaire, comme d’autres pays l’ont réussi, tout en continuant à développer tous les autres modes. Je sors fatigué, les sujets que l’on traite sont parfois très lourds. Mais comme social-démocrate, je suis plus que jamais convaincu qu’une concurrence bien régulée, c’est une chance pour les services publics et les citoyens.

Votre souvenir le plus fort ?
B. R. On l’a échappé belle sur un sujet, pour lequel je me suis battu comme un lion: quand on a voulu nous enlever l’avis conforme. Je suis allé voir Edouard Philippe directement à l’Assemblée – j’ai toujours ma carte d’accès -, sans passer par les cabinets. «Ce que tu es en train de faire c’est une connerie», lui ai-je dit. Il n’était pas au courant. On a fini par gagner, on était soutenu par les parlementaires. Si ça n’était pas passé je serais allé voir Macron. C’est important que le futur président de l’ART sache parler directement aux décideurs.

Justement, quel est le portrait-robot de votre successeur? Faut-il être en fin de carrière pour ne pas être vulnérable ?
B. R. Je ne sais pas si c’est une condition, mais ça aide à n’être pas dépendant, de ne pas avoir des intérêts de carrière. La perception de l’indépendance par les interlocuteurs eux-mêmes est essentielle. Mais je ne veux pas faire de profil idéal, l’indépendance heureusement n’est pas seulement liée à l’expérience.
Propos recueillis par Gilles Dansart

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RESULTATS SEMESTRIELS

SNCF et RATP, pour l’instant ça va mieux

Quel deuxième trimestre 2022! Si la reprise des trafics voyageurs est très forte sur la longue distance (TGV et Intercités) depuis le mois de mars, elle a aussi fini par toucher la métropole francilienne : ainsi sur le réseau RATP, l’écart de fréquentation n’est plus que 13% à fin juin par rapport à 2019, alors que sur le semestre il atteint 19%.

Du coup, les deux entreprises se montrent confiantes pour la suite, du point de vue des fondamentaux économiques – même si la vigueur de la reprise leur pose de vrais problèmes d’exploitation : persistance d’absentéisme avec les variants Covid, adaptation des plannings, disponibilité des matériels etc.

Pour la SNCF, Laurent Trévisani, directeur général délégué Stratégie et Finances du groupe, voit les bonnes nouvelles s’accumuler: la confirmation de la performance de Geodis (le chiffre d’affaires a crû de 70% en deux ans !), la rentabilité de SNCF Voyageurs (les taux de remplissage des TGV dépassent les 80%, ce qui pour une économie à coûts fixes est plus qu’excellent), la poursuite des gains de compétitivité (290 millions d’euros d’économies de charges industrielles et de production, notamment). Logiquement, le chiffre d’affaires 2022/2019 croît de 10% et le résultat net atteint 0,9 milliard d’euros.

C’est de bon augure pour atteindre l’objectif de cash flow libre à la fin de l’année aux bornes du groupe. A + 1,1 milliard à fin juin, il contribue, avec les 10 milliards de reprise de dette par l’Etat au 1er janvier dernier, à baisser l’endettement de 12 milliards, à 24,3 milliards. «Ce premier semestre 2022 illustre la résilience et la capacité d’adaptation du groupe, ainsi que la complémentarité de ses activités avec Geodis et Keolis», conclut Laurent Trévisani. Tout se passe comme si la SNCF voulait dire à son actionnaire l’Etat : vous avez fait votre part du travail avec la reprise d’une grande partie de la dette de Réseau, nous sommes en train de faire la nôtre avec l’amélioration de nos performances. Place maintenant aux ré-investissements pour faire croître la part modale du fer.

Tout ceci, sous réserve, bien sûr, d’une poursuite de la tendance à la hausse des trafics et de l’accalmie sur le front sanitaire. Au vu des premiers chiffres estivaux, c’est plutôt bien parti, même si, encore une fois, les tensions sur la production sont extrêmes et donnent lieu à des retards spectaculaires, et si les réévaluations salariales auront leur impact sur les comptes de l’année 2022.

Pour la RATP, Jean-Yves Leclercq, directeur financier du groupe, accueille avec soulagement la reprise des trafics et souligne la croissance des chiffres d’affaires des filiales (+218 millions d’euros rien que pour le contrat d’offres routières en Toscane, dont on vous tient informé avec constance depuis des années). Mais il redoute les effets de la dégradation macroéconomique. C’est vrai du point de vue des coûts, avec la hausse des prix des matières premières (et de ceux de l’énergie en 2023 quand ils ne seront plus couverts), mais aussi pour les délais de réalisation, avec les difficultés sur la supply chain. Premier signe d’alerte, le rythme des investissements a d’ores et déjà ralenti au premier semestre (-9% par rapport à 2021), du fait principalement de la livraison différée de matériels roulants.

La bonne dynamique des filiales assure donc l’essentiel de la croissance du chiffre d’affaires du groupe (325 millions sur 391 millions), + 13,6% à 3,278 milliards d’euros, et une stabilité du résultat opérationnel (Ebit), hors provisions de 42 millions d’euros dans le cadre d’un contentieux avec l’Urssaf (ces comparaisons prennent pour référence l’année 2021). Plutôt bien «protégé» des événements exceptionnels, comme la SNCF sur Transilien, par les contributions de son autorité organisatrice IDFM en Ile-de-France, le groupe RATP mise sur ses diversifications (RATP Dev, Solutions Ville, RATP Smart System etc) pour gagner quelques marges de manœuvre. La part de leur chiffre d’affaires dans celui du groupe atteint désormais 29,3% contre 22,1% il y a seulement un an).

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