MobiEdito – 31 décembre 2021

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par Gilles Dansart


L’heure des priorités

Et si on arrêtait de vouloir tout faire en même temps, tout et son contraire? Les Français ont besoin de quelques boussoles en matière de mobilité. Les professionnels aussi…

Il serait souhaitable que les Français se saisissent, à la faveur de la prochaine élection présidentielle, de la configuration du monde d’après – ou que les médias audiovisuels veuillent bien se faire l’écho de leurs préoccupations. Comment, à un peu plus de trois mois du premier tour, se satisfaire des coups de menton des uns et des ficelles des autres ? De l’obsession identitaire et des démagogies sociales ? Un jour ou l’autre, quand ce satané virus nous laissera tranquilles, la question de l’avenir de nos sociétés bousculées s’imposera d’elle-même: quels rapports au travail, à la santé, au logement, à la mobilité ? Selon quelles organisations, quels modèles économiques, quelles bases de solidarité ? La crise du modèle social-démocrate peut-elle déboucher sur autre chose que la victoire d’un libéralisme décomplexé ou d’un colbertisme autoritaire ? Il paraîtrait salutaire que les questions sociales, économiques et environnementales resurgissent vigoureusement à la faveur d’un printemps de rédemption sanitaire – les soubresauts revendicatifs de l’automne ont constitué de sérieuses alertes.

Pour le secteur qui nous occupe, une bonne partie des Français se demandent quel comportement adopter. Dois-je acheter une voiture neuve, et si oui laquelle ? Electrique, hybride ? Les équipements de recharge seront-ils disponibles? Ou devrais-je préférer les nouvelles formes de location et de partage ? L’offre de transports collectifs va-t-elle vraiment s’étoffer ? Et pourquoi pas acquérir un vélo, électrique ou pas, pour les trajets de courte distance ? Sont-ils moins volés ? Plus sûrs ? Dans un pays aussi passionné de services publics, il est paradoxal que l’Etat s’en remette autant au marché pour tout ce qui a trait à la transition écologique du mode dominant de la mobilité quotidienne, c’est-à-dire la voiture, et «oublie» de donner des indications concrètes sur les pratiques d’après. N’a-t-il pas tiré les leçons des gilets jaunes ?

Pour l’instant, malgré des milliards d’euros engloutis en subventions en tous genres, les résultats sont faiblards, aussi bien en matière de réduction des pollutions qu’en évolution des parts modales. A vrai dire, la question de l’objectif mériterait d’être reposée: veut-on devenir à tout prix, à coups de slogans, ukases et directives, le meilleur élève des émissions carbone d’une classe mondiale divisée et assez désespérante, ou préfère-t-on élaborer avec les Français et leurs collectivités de nouveaux modèles de mobilité inclusive ?

On va poser la question autrement. Faudra-t-il vraiment faire cocorico quand tous les bus et cars de notre pays seront électriques, alors même que les émissions globales de CO2 n’auront guère diminué ? De quoi se satisfait-on vraiment ? De l’annonce, ou du résultat ? On oublie souvent que les engagements de Kyoto, en 1992, n’ont pas été tenus… y compris dans notre propre pays. L’objectif était de 100 millions de tonnes d’équivalent CO2 émises en 2019: le résultat constaté fut 136 millions de tonnes… Un coup d’œil dans le rétroviseur est toujours utile quand les proclamations politiques redoublent d’intensité.

Moins de com, donc, et davantage de cohérence et de continuité dans les décisions, pour dynamiser les politiques systémiques – et les faire échapper aux tentations politiciennes. A ce titre l’exemple du fret ferroviaire est édifiant. «Une formidable alternative à la route», répètent tous les gouvernements depuis vingt ans. Celui de Jean Castex a enfin pris le dossier à bras-le-corps. Mais ça commence déjà à patiner dans la mise en œuvre, doucement mais sûrement – l’offre sillons reste en souffrance. Pourtant de très nombreux chargeurs sont prêts à basculer sur le rail une partie de leurs trafics longue distance, aussi bien pour verdir leurs bilans que pour compenser le déficit de chauffeurs routiers.

Ne succombons pas à notre tour au bavardage… «C’est curieux chez les marins ce besoin de faire des phrases», ironisait Francis Blanche dans les Tontons flingueurs. Alors rentrons dans le dur, et esquissons dix priorités pour les cinq années qui viennent.

Lever les blocages de Bercy sur les financements de projets de long terme

L’exemple du Grand Paris Express est à suivre : la pérennité de la taxe d’équipement a permis de lever des milliards sur les marchés, dans de bonnes conditions. Assainir les finances publiques, ce n’est pas renoncer à l’investissement d’avenir – cela consisterait surtout à mettre de l’ordre dans les saupoudrages.

Accélérer la réalisation de projets à même de changer la vie quotidienne des Français

Création des RER métropolitains, développement des capacités des grandes gares, multiplication des pôles multimodaux, des pistes cyclables, des services de partage: la mise au point des protocoles de financement est souvent beaucoup trop laborieuse et handicape leur réalisation. Pourtant, sans ces projets, le report modal restera un slogan.

Sécuriser les financements des projets en cours

Il est absurde qu’un projet structurant comme Eole (le prolongement du RER E) soit fragilisé dans sa phase terminale par des querelles de boutiquiers. Les soi-disants surcoûts s’expliquent largement par les sous-évaluations initiales des coûts et les ajustements demandés en cours de projet: que les collectivités publiques assument leurs manœuvres!

Limiter les injonctions contradictoires de l’Etat

On pourrait en faire un livre… Contentons-nous ici du cas le plus flagrant : cash flow libre de SNCF Réseau à partir de 2024 et multiplication par deux du trafic ferroviaire d’ici 2030, sans augmentation des investissements publics sur le réseau. De qui se moque-t-on?

Préparer sérieusement la fin des concessions autoroutières

C’est possible, à condition de s’y coller dès maintenant, et au bénéfice de tous les acteurs. Surtout ne pas en faire un sujet d’arbitrage d’urgence!

Banaliser la mise en concurrence des monopoles historiques pour accélérer le développement des offres de mobilité collective ou partagée

C’est l’accroissement de la taille du gâteau qui est à même d’assurer l’avenir de la SNCF et de la RATP, opérateurs de référence. Le malthusianisme serait un désastre pour tous les acteurs de la mobilité.

Mieux faire coexister les modes dans les espaces urbains

Le Code de la route est trop souvent bafoué par les usagers, quel que soit le véhicule (voitures particulières, utilitaires, vélos, trottinettes… piétons). Il est temps à la fois de revoir nombre d’aménagements hâtifs et de rappeler les usagers à l’ordre. Les statistiques d’accidentologie sont inquiétantes.

Revoir la rémunération (et le statut ?) des métiers d’astreinte

Faute de gestion adaptée, les déficits de recrutements deviendront très problématiques et les conflits sociaux pourraient se développer.

S’atteler activement aux fractures territoriales

Plus facile à dire qu’à faire, tellement les efforts sont multi-systémiques (l’offre de mobilité et l’accès aux services publics, à l’éducation, à la consommation, à la culture…), mais indispensable pour limiter les séparatismes et les ségrégations.

Redéfinir notre relation à l’Europe de façon positive

Pourquoi Bruxelles royaume de la technocratie serait-elle plus haïssable que certaines de nos administrations déconnectées du terrain ? Un horizon commun, rationnel et généreux, mérite mieux que les gesticulations de nombre d’élus qui ne poursuivent que des intérêts personnels et nationaux en s’acharnant sur Bruxelles.

Ces dix priorités ne sont que quelques balises dans l’immense champ d’innovations politiques que recèle l’avenir des mobilités et des espaces. Gageons que quelques-unes d’entre elles pourraient nourrir les prochains débats de l’élection présidentielle, plus utilement que de classiques passes d’armes sur celui ou celle qui promettra plus vert, plus bleu, plus rouge – ou plus blanc.

Nous vous souhaitons, à toutes et à tous, une excellente année 2022, enfin sereine.

Gilles Dansart

Le Grand débat transport, en mars prochain

Comme en 2012 et en 2017 lorsque nous avons organisé le Grand débat transport de l’élection présidentielle, ensemble, TDIE et Mobilettre, nous interrogerons en mars prochain les candidates et candidats sur leurs intentions politiques en matière de mobilité. Etant donné la situation sanitaire, nous ne savons pas encore exactement à quelle date précise et sous quelle forme (présentielle, ou distancielle, ou mixte) nous pourrons le faire; nous vous tiendrons au courant au plus vite.

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