MobiEdito – 31 juillet 2020 – La vie en pause

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par Gilles Dansart


La vie en pause

Quel semestre mes aïeux! La France en sort dans un drôle d’état. D’abord paralysée par la plus longue grève du transport public depuis 25 ans, puis pétrifiée par deux mois de confinement inédit, elle est aujourd’hui plongée dans une extrême incertitude sanitaire, économique, sociale et politique. De quoi sera faite la rentrée? L’Etat retrouvera-t-il de l’oxygène? Comment réagiront les Français face au changement de stratégie du gouvernement? C’est une gageure d’y voir un peu plus clair en cet été de transition. On va quand même essayer.


Depuis trois semaines la communication gouvernementale ressemble à ces séances de libération de la parole après un violent traumatisme: on entend à peu près tout. Des retours d’antienne (la sécurité), des promesses de radicalité (l’environnement), des changements de priorité et de méthode (les territoires et la concertation), le tout agrémenté quand même des sempiternelles ficelles : des chiffres qui marquent, des mots qui claquent – ou l’inverse.

On pourrait analyser les ressorts d’une telle débauche, après trois années d’un macronisme du chiffre roi et du verbe facile. Le Président qui voulait tout changer d’en haut dit vouloir tout reprendre par le bas. Et c’est reparti pour un tour de piste des théories de la gouvernance: décentralisation, déconcentration, référendum, concertations, débats publics… La France de la Révolution va réinventer la démocratie moderne, à coup sûr.

Et si l’on revenait sur terre ?

Ce qu’il y a de bien avec les questions de mobilité, c’est qu’elles permettent d’embrasser quasiment tous les problèmes de la gouvernance publique. Trois mois de crise sanitaire aiguë nous incitent donc à appuyer là où ça fait très mal.

1  L’Etat, c’est plus possible. Pendant le confinement la machine à décrets, arrêtés et circulaires s’est emballée, la commande publique s’est caricaturée, certains rouages d’Etat se sont ridiculisés. Le Président Macron avait évoqué une guerre ? Les chars du Covid avançaient dans les plaines de l’Est que nous en étions encore à ratiociner sur le nombre de lits et masques d’infortune. Comme un symbole extrême, le décret relatif aux conditions du déconfinement dans les transports est paru un lundi à 3h30 du matin quand les premières circulations démarraient deux heures plus tard. Et la plupart des textes produits se sont révélés inapplicables ou pire, incompréhensibles. Les arrêtés préfectoraux avaient au moins le mérite d’être écrits dans une langue accessible à ceux qui devaient les appliquer.

Cette «performance» législative et réglementaire de l’Etat français fait penser à cette scène du film «Bonnie and Clyde», quand le chauffeur de Faye Dunaway et Warren Beatty réussit un créneau parfait en plein hold-up: la maison brûle, mais la voiture est si bien rangée. Tiens, puisque ce sont les vacances, voici cette scène anthologique.

Un créneau parfait en plein hold-up

2 Les territoires, oui mais. Chers territoires… Très mobilisés pendant la crise sanitaire, ils sont sanctifiés par le nouveau Premier ministre. Le retour de balancier est puissant, mais quelques premières décisions font davantage penser à de la communication opportuniste envers l’opinion publique. Est-ce bien la priorité de lancer de nouvelles autoroutes ferroviaires quand les actuelles sont dans le rouge? Il faudrait peut-être demander aux territoires souverains ce qu’ils voudraient en priorité en matière de fret ferroviaire. Quant à faire des petites lignes ferroviaires le symbole de l’importance redonnée aux territoires, on sent l’arnaque politique. Il ne faudrait pas prendre les territoires pour des lanternes.

Les collectivités sont elles aussi engoncées dans quelques process lourdingues, mais comme leurs élus jouent régulièrement leur survie sur des projets du quotidien, elles sont susceptibles de produire des dynamiques intéressantes. On aurait même envie qu’elles montrent davantage d’audace et d’imagination, y compris à l’échelon régional, pour acquérir cette identité politique qui leur fait parfois défaut. Elles se plaignent, souvent à juste titre, des bâtons que l’Etat leur met dans les roues, notamment en matière de ressources financières. Mais elles n’ont pas d’autre choix que d’oublier l’Etat castrateur – et d’avancer.

Trouver des idées ? Fabrice Lucchini, dans un film récent «Alice et le maire», en cherche activement…

« J’arrive plus à penser, plus du tout »

3 La politique, mais comment? A ses ministres Jean Castex a dit: «Faites de la politique !» A la bonne heure… Bon, il faudrait aussi qu’ils apprennent un minimum de bases dans leur domaine. N’est-ce pas, M. Dupont-Moretti? Ses auditions par les deux commissions parlementaires ont révélé de sérieuses lacunes. Le talent oratoire ne suffira pas.

Quoi qu’il en soit, la consigne du Premier ministre est cruelle pour la plupart des ministres d’Edouard Philippe: ils n’ont peu ou pas imprimé dans l’opinion, mises à part quelques saillies superficielles. On ne va pas faire preuve de mansuétude finale, après tant de critiques assumées: le long passage d’Elisabeth Borne aux Transports n’a pas apporté grand-chose au secteur. La ministre s’est enlisée dans les sables de son savoir technocratique, quand Matignon s’entêtait à assainir le ferroviaire rebelle.

Oublions-les et appelons leurs successeurs à accompagner, sinon à inventer, l’édification des mobilités de demain, au-delà des mots valises – le vélo, le véhicule électrique, le train à hydrogène. Il reste tellement de services de mobilité à inventer, dans les gares et les lieux d’intermodalité, sur l’usage des routes et des voiries, ou en matière de services digitaux! La publication, hier mercredi, de la feuille de route de France Mobilité «pour une relance dans les mobilités innovantes et les mobilités du quotidien», constitue un très intéressant point de départ – elle démode d’ailleurs déjà très sérieusement la LOM. A Jean-Baptiste Djebbari et aux parlementaires d’en assurer maintenant le portage politique!

En guise d’encouragement, voici quelques conseils fort utiles tirés de «L’Aventure c’est l’aventure», de Claude Lelouch.

«Le capital c’est foutu, les biens de consommation c’est foutu, la voiture c’est foutu!»

4  Le citoyen, enfin ? Le recours à la légitimité populaire directe pose problème dans notre démocratie représentative, surtout quand le Président de la République instrumentalise avec finesse une conférence citoyenne pour bousculer les structures de l’exécutif. Mais il serait anachronique de ne pas considérer que la société civile peut apporter idées originales et sang neuf. Encore faut-il débureaucratiser les processus de concertation pour oxygéner les réflexions en amont.

Ce n’est pas simple, mais c’est indispensable pour retrouver les voies de l’acceptabilité des projets. Il suffit de constater comment la forte dynamique des associations pro vélo a emporté nombre de résistances institutionnelles. Dans un monde idéal les structures municipales auraient encore bien davantage travaillé avec elles pour améliorer la qualité des aménagements de voirie et leur insertion dans la ville, au lieu d’improviser en catastrophe des solutions parfois douteuses.

Les bons exemples commencent à se multiplier. A Strasbourg, à l’initiative de la mairie et de VNF (Voies navigables de France), une solution eau/vélo d’approvisionnement des commerces de l’hypercentre via des barges sur l’Ill puis des vélos cargos permet d’ores et déjà de transporter seize tonnes de marchandises par jour – l’objectif de la fin de l’année est de 122 tonnes, soit 150 tournées de camionnettes. L’écologie de la proximité est accessible.

On verra vite si les nouvelles municipalités dirigées par les écologistes réussissent à multiplier des exemples de ce genre, ou si les slogans proclamés pendant la campagne électorale s’échouent au pied des murs de la réalité gestionnaire. A Lyon on ne peut pas dire que la décision unilatérale d’imposer l’écriture inclusive ait été précédée d’échanges féconds…

La démocratie de proximité est un art difficile, comme en témoignent ces échanges du film «Tout ce qu’il reste de la révolution».

«S’obliger à être enthousiaste, merci quoi, bienvenue chez les scouts!»

L’Etat, les collectivités, les élus, les citoyens: le quadrille démocratique est en place. La crise sanitaire a fragilisé la structure nationale, prise en flagrant délit d’inefficacité voire de mensonge. Mais elle n’a pas pour autant idéalisé les échelons de proximité, en atteste le taux d’abstention au deuxième tour des municipales. Le terrain est donc libre pour mettre du concret sur les vocables du moment qui visent à retisser du lien social et démocratique. Après le Covid, l’Etat ne peut plus rester en l’état, au risque de perdre ce qui lui reste d’autorité.
G. D.

Dernières annonces avant les vacances

Mobilettre souhaite à tous ceux qui partent en août d’excellentes vacances, et à tous les «juillettistes» bon courage pour la reprise.


Il nous manque un peu de temps et, pour tout vous avouer, un peu d’énergie en cette fin de semestre pour décrypter les dernières annonces survenues ces derniers jours. Le fret ferroviaire, par exemple. On attendait un plat de résistance, on a eu quelques zakouski: un effort de l’Etat sur les péages, des appels à projet pour de nouvelles autoroutes ferroviaires. C’est peu, et surtout ça ne fait pas système. Pour les petites lignes ferroviaires, vantées à la fois par le Président de la République et le Premier ministre, ça sent fort le surf politique, même si à Brégançon ou à Prades les vagues sont modestes – on verra à marée descendante. En revanche, la publication du cahier des charges de l’appel d’offres des trains d’équilibre du territoire (Nantes-Lyon et Nantes-Bordeaux), ce mercredi 29 juillet, est un moment important: on verra aussi à la rentrée s’il convainc les opérateurs privés de se lancer.

Et puis il y a Keolis. Deux mois après l’incroyable débarquement de Patrick Jeantet, le conseil de surveillance a trouvé un nouveau président du directoire, en l’occurrence une présidente du directoire, Marie-Ange Debon, sur le marché depuis son départ de Suez fin 2019. Elle connaît la DSP mais probablement pas grand-chose à la mobilité ; elle arrivera le 24 août en pleines crises, celles du transport public avec la chute des fréquentations et des recettes, et celle de l’encadrement de Keolis, très majoritairement remonté contre les actionnaires et le conseil de surveillance. On a connu des arrivées plus faciles. Mobilettre reprendra donc son feuilleton dès la rentrée !

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