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Les amateurs
En annonçant le non-renouvellement du mandat de Jean-Pierre Farandou à la tête de la SNCF tout en lui demandant d’assurer pendant les Jeux Olympiques, le gouvernement crée une incertitude de gouvernance inédite pour une entreprise de cette taille et de cette nature. Celle ou celui qui lui succédera ne sera pas connu-e avant l’automne.
Etait-il possible de faire pire ? D’abord le supplice chinois: jusqu’au dernier jour ou presque avant la réunion du conseil d’administration du 13 mai, il régnait la plus grande incertitude sur la gouvernance de la SNCF. Son Président renouvelé, pas renouvelé, seulement quelques mois, un an tout au plus ?
Ensuite le rab à la cantine: vous nous ferez bien les Jeux Olympiques, monsieur Farandou, c’est important pour la France (et pour nous)?
Et pour finir, pendant cinq mois, le bal des prétendants à la présidence d’un groupe à 40 milliards d’euros de chiffre d’affaires. En comparaison, le groupe Vinci vient d’annoncer le plan de succession de Xavier Huillard qui partira dans un an, en avril 2025. Propre et net. «Gouverner, c’est prévoir ; ne rien prévoir, c’est courir à sa perte», disait Emile de Girardin. La procrastination d’Emmanuel Macron parachève l’échec de la verticalité élyséenne.
On n’est plus étonné d’une telle médiocratie, de la part d’un Président qui abuse de son pouvoir de nomination
A tout avouer, on n’est même plus étonné d’une telle médiocratie, de la part d’un Président qui abuse de son pouvoir de nomination et bafoue tous les principes de gouvernance qu’il avait lui-même proclamés en 2017. Bien davantage que la SNCF, c’est le politique qui est malade de son péché d’hyperpuissance. Désormais, il ne met plus les formes à ses foucades, quitte à fragiliser des structures essentielles à la Nation et à ses citoyens.
Il y a même pire : en agitant publiquement le scalp du Président de la SNCF, le pouvoir exécutif désigne un coupable aux turpitudes réelles ou supposées de la SNCF. Quelle aubaine, on va ainsi faire oublier que derrière la pénurie de places dans les trains, derrière les prix trop chers et les irrégularités des circulations, il y a aussi et surtout des erreurs de stratégie et une politique publique bien insuffisante en termes d’investissements.
L’accord sur les fins de carrière des cheminots a été présenté comme une injuste compensation à la réforme des retraites, «découverte» par le gouvernement. Mais l’opinion est-elle encore dupe de ces ficelles? Soit Bruno Le Maire ment en disant qu’il n’était pas au courant, soit il est incompétent en ne l’ayant pas été. Au demeurant, congédier le Président de la SNCF au motif qu’il a calmé le jeu socialement avant les Jeux Olympiques qui concentrent tous les espoirs de rédemption de la Macronie, ce serait pousser très loin le bouchon du cynisme.
Jean-Pierre Farandou. (c) Thomas Samson/AFP
Que restera-t-il du quinquennat de Jean-Pierre Farandou ? Assurément une gouvernance sous contraintes dont il s’est plutôt bien sorti, en fin de compte.
Rembobinons. En novembre 2019 une arrivée en forme de triple défi : mettre en œuvre la réforme de 2018, faire oublier Guillaume Pepy et pacifier le climat social – c’est d’ailleurs grâce à son ADN cheminot que Jean-Pierre Farandou avait été choisi par Edouard Philippe. Et que se passe-t-il ? Une grève dure sur la réforme des retraites et la pandémie Covid ! Autant grimper à froid le Tourmalet avec des bidons de plomb. Le nouveau président a fait face mais a logiquement mis un peu de temps à stabiliser style et gouvernance.
De fait il choisit une présidence en surplomb, cohérente avec l’architecture du groupe : il ne sera pas partout tout le temps comme son prédécesseur. Les médias n’aiment guère ça… et l’exécutif non plus, qui s’aperçoit qu’il est quand même très confortable d’avoir un paratonnerre sacrificiel qui le protège des critiques de l’opinion et des médias.
On disposera de quelques mois pour dresser un bilan complet de Jean-Pierre Farandou, qui s’est évertué à tenir la cohérence du groupe dans des contextes difficiles. A chaud il nous apparaît que son ambition de pacification interne, de réconciliation avec les Français et de modernisation de la production n’a cessé d’être contrariée : par les événements initiaux, on les a évoqués, mais aussi par les changements de cap et les promesses non tenues du gouvernement. Ils sont où les 100 milliards promis en 2023 ? Le bilan d’un président de la SNCF est aussi toujours celui de l’exécutif.
N’oublions pas non plus les conséquences de la crise Covid. Les bouleversements du rapport au travail fragilisent tellement les métiers d’astreinte et de pénibilité qu’il faut trouver des organisations et des compensations à même de fidéliser les cheminots et de garantir la qualité de service. Le récent accord sur les fins de carrière doit aussi être analysé à cette aune-là.
Pourtant, malgré ces éléments défavorables, le groupe SNCF a respecté à la lettre les objectifs de la réforme de 2018 : il se porte bien financièrement, il résiste à la concurrence naissante, ses filiales Geodis et Keolis ont rebondi après le Covid. Mais allez comprendre pourquoi, ça ne suffit pas à un gouvernement dont on n’est même pas certain qu’il a un gros poisson à placer à la place de Jean-Pierre Farandou.
Dans ce contexte, la stabilité de la gouvernance des gestionnaires d’infrastructures, SNCF Réseau et Gares & Connexions, dont les dirigeants Matthieu Chabanel et Marlène Dolveck viennent d’être renouvelés, apparaît comme une nouvelle rassurante. Car il faut bien des professionnels pour assurer le spectacle sur scène quand les amateurs se déchaînent en coulisses. G. D.