Mobitelex 146 – 13 mai 2016

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Mobitélex. L'information transport

La lettre confidentielle de Mobilettre


Londres: que fera Sadiq Khan?

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Dimanche dernier, les Londoniens ont élu leur nouveau maire, après huit ans de mandat de Boris Johnson. Avocat, membre du parti travailliste, Sadiq Khan a aussi été ministre d’Etat aux transports de 2009 à 2010, sous le gouvernement de Gordon Brown. Il affiche un intérêt tout particulier pour la thématique des transports: «London’s transport has always been a big part of my life – my dad drove the number 44 bus». Cet intérêt, il devra le mettre au service des plus de 11 millions d’habitants qui peuplent l’aire urbaine de cette ville-monde. Pour autant, va-t-il révolutionner la mobilité dans la capitale britannique, ou s’inscrira-t-il dans la continuité de ses prédécesseurs?

Les deux candidats à la mairie de Londres, le conservateur Zac Goldsmith et le travailliste Sadiq Khan partageaient un très grand nombre de propositions à propos de l’évolution des transports dans la capitale britannique. Leur diagnostic était similaire : la population londonienne croit très rapidement et en continu et il est essentiel de proposer un réseau de transports performant. Les deux candidats n’ont cessé de vanter les mérites du Tube mais aussi du réseau de bus, et ont promis de continuer à les améliorer. Tous deux s’engageaient également dans la lignée de leurs prédécesseurs concernant Crossrail 1, 2 et 3 (le réseau de RER), projets considérés comme essentiels de chaque côté de l’échiquier politique. La politique cyclable ne fut pas un sujet de discorde. Le lancement du «Night Tube» non plus.

«Aucun londonien ne paiera un penny de plus pour les transports d’ici 2020»

C’est en réalité sur la forme et sur la méthode qu’un réel fossé s’est creusé. A propos du financement de l’offre de transports tout d’abord. D’un côté Sadiq Khan s’est engagé à geler les tarifs des transports londoniens (TfL Underground, DLR et Overground) durant la totalité de son mandat, à savoir quatre ans: «Aucun londonien ne paiera un penny de plus pour les transports d’ici 2020», proclamait en substance une campagne d’affichage du candidat. Le son de cloche fut très différent du côté du candidat conservateur. D’après les calculs des travaillistes, le programme de Zac Goldsmith devait entraîner une augmentation de 17% des tarifs les quatre prochaines années. Selon les conservateurs, le manque à gagner lié au gel des tarifs annoncé par Khan était largement sous-dimensionné, à savoir 1,9 milliard d’euros plutôt que les 450 millions annoncés par les travaillistes, ce qui empêcherait un grand nombre de projets d’être réalisés. Selon Dave Hill, notre confrère du Guardian, l’actuel «Commissioner» de TfL, Mike Brown (occupant le poste depuis 2015, suite au départ de Peter Hendy comme «chairman of Network Rail») aurait personnellement garanti à Sadiq Khan que son projet de geler les tarifs était compatible avec le programme d’investissement de TfL. Il aurait déjà rendu visite au tout nouveau maire, lui affirmant son enthousiasme à l’idée de travailler avec lui.

Cette différence de point de vue concernant le financement de l’offre est loin d’être anecdotique. En France, le système de transports bénéficie de plusieurs ressources fiscales affectées, dont le versement transports. Mais à Londres, s’applique le principe d’utilisateur-payeur, réduisant largement les leviers d’action financiers: une augmentation de la fréquentation et/ou une baisse du coût d’exploitation. Et concernant ce dernier point, le vainqueur de l’élection est persuadé que de grandes marges de manœuvre existent notamment en optimisant Transport For London dans son fonctionnement. Les tacles du nouveau maire envers son prédécesseur Boris Johnson, qui aurait dépensé des millions dans des projets «vaniteux» (comme les cable car ou encore les «new Routemaster’ buses») n’ont pas fait plaisir aux conservateurs. Mais Sadiq Khan a encore plus fâché le milieu économique lorsqu’il a annoncé vouloir baisser drastiquement le budget alloué aux consultants travaillant pour l’AOT londonienne. Mais désormais, il faudra bien trouver de l’argent!

Le nouveau maire fraîchement élu réussira-t-il à rendre TfL encore meilleure? Quels sont ses véritables leviers? Les spécialistes avec lesquels Mobilettre a échangé se demandent quels changements pourraient avoir lieu au sein du top management de Transport for London. Sadiq Khan maintiendra-t-il les hommes forts du dispositifs actuel, quand bien même ils sont issus du système Johsonn? Va-t-il changer profondément le «board» de TfL comme annoncé lors de l’un de ses speechs à Brixton: «I will reshape TfL’s board. It needs to better reflect London’s diversity in the interest of Londoners». Selon Dave Hill, du Guardian, le maire de Londres n’a pas énormément de pouvoir concernant les transports, c’est d’ailleurs pour cette raison que les programmes des deux candidats étaient assez similaires et plutôt consensuels. Mais la détermination et la motivation que le candidat a montrées lors de la campagne ont visiblement fini par le convaincre. Une détermination nécessaire pour asseoir le succès du réseau londonien: entre 2014 et 2015, il a connu un nouveau record de fréquentation, avec un demi-milliard de trajets supplémentaires comparé aux cinq dernières années. La fréquentation du métro (le Tube) a augmenté de 3,2% par rapport à l’année précédente (1,3 milliard de trajets). Le réseau de bus a enregistré un record de fréquentation (2,4 milliards de trajets, soit plus de 50% de tous les trajets réalisés en Angleterre) et le réseau DLR a aussi connu une année record, avec 110 millions de trajets.

Paris-Londres, le choc des chiffres

Depuis Paris, le traitement par les médias de l’élection du maire de Londres n’a pas été des plus reluisants, la religion de Sadiq Khan occupant tout l’espace médiatique… Quant à la question des transports, elle n’échappe pas à une certaine stigmatisation: «A Londres, le métro est hors de prix…». En réalité, c’est la comparaison sans nuances des deux villes et de deux systèmes qui crée une confusion très «franco-centrée», en surévaluant la question du prix du billet. Posons simplement un autre indicateur. A Paris, la fréquentation du réseau de transports ne connaît pas de hausse significative alors même que l’on utilise le levier «prix» pour attirer toujours plus d’usagers, notamment avec le dézonage du Navigo. A Londres, le réseau enchaîne les records de fréquentation alors même que les tarifs ne cessent d’augmenter. L’Iaurif, dans une étude comparative des deux systèmes, explique le phénomène par «l’afflux touristique soutenu et la dynamique démographique de Londres d’une part, et d’autre part les progrès constants sur le niveau et la qualité de service du réseau et les coûts d’usage importants de la voiture particulière.» Aurait-on d’un côté une capitale française malthusienne et des acteurs-commentateurs idéologiques, et de l’autre une ville-monde dynamique et pragmatique?

Jean-Paul Huchon à l’Arafer, l’échec si prévisible

L’offensive a tourné au fiasco. Tout commence dans les colonnes de notre confrère Le Monde le 5 mai dernier, d’une inattendue complaisance avec les confidences de l’ancien président de la région Ile-de-France: «M. Huchon a reçu quelque assurance de l’exécutif de se voir nommé à la présidence de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières.» Alors même que le conflit d’intérêts ne fait aucun doute depuis de nombreux mois, et rend impossible une telle nomination (lire Mobitelex 130, dès le 11 décembre dernier), la consultation juridique de Matignon est considérée comme une précaution formelle. Et un bon nombre de médias de reprendre l’hypothèse, sans plus de confirmations officielles, de même que, sur son propre site… l’Arafer, qui titrait: «Jean-Paul Huchon pressenti comme gendarme du rail». Las! le secrétaire général du gouvernement, Marc Guillaume, rendait public quelques jours plus tard son diagnostic juridique, vite suivi par Matignon: «Une telle nomination n’est pas envisageable sans courir de sérieux risques d’annulation.» Fini, le rêve de Jean-Paul Huchon d’un poste inamovible de six ans plutôt bien rémunéré…

Etrange pays où l’habitude du fait du prince réduit l’évidence juridique à peu de choses. D’autant plus qu’en l’occurrence, ce n’est pas Matignon qui nomme, mais bien l’Elysée. A quand la généralisation des comités de nomination, dont la collégialité protège un peu plus des opérations d’arrière-cour politique?

En attendant, le suspense est entier sur le nom de celui ou celle qui succédera à Pierre Cardo, dont le mandat expire le 19 juillet prochain à minuit. Cette semaine l’hypothèse de la nomination d’un député socialiste avait du plomb dans l’aile, l’exécutif ne voulant pas prendre le risque de voir sa fragile majorité au Palais-Bourbon se réduire encore à l’occasion d’une élection partielle à très haut risque. Par conséquent, le profil d’un haut fonctionnaire semblait devoir s’imposer, malgré les difficultés à trouver l’oiseau rare: l’Arafer, et singulièrement son président, doit montrer autant d’indépendance envers les acteurs économiques des secteurs régulés qu’avec l’Etat, dont il n’est pas le bras armé. Et pour compliquer le tout, il serait plutôt souhaitable que l’impétrant soit le plus vite opérationnel sur le fond, vu l’urgence et l’ampleur des sujets à traiter…

Le candidat qui sera pressenti par l’Elysée devra en outre passer par deux auditions parlementaires, préalables à la nomination définitive.

Le régulateur dit oui à Patrick Jeantet

C’est sans surprise que le collège du régulateur a estimé, mercredi 11 mai, que Patrick Jeantet, candidat à la succession de Jacques Rapoport à la tête de SNCF Réseau, présentait «les gages d’indépendance suffisants», et donc qu’il émettait un avis favorable à sa nomination. Si les auditions devant les commissions parlementaires compétentes se concluent par des votes tout aussi favorables, le décret de nomination en conseil des ministres pourrait être pris le 25 mai ou le 1er juin.

Quatrième paquet ferroviaire: pas d’obligation
de reprise des personnels dans les contrats OSP

Il reste encore quelques étapes à franchir avant que le quatrième paquet ferroviaire ne soit définitivement adopté, et Mobilettre aura l’occasion d’y revenir. Mais dans l’accord intervenu sur le pilier politique, il y a un point qui risque de ne pas contribuer à détendre le climat social en France: dans le cas des contrats OSP et à l’occasion de la mise en concurrence, l’accord prévoit qu’il n’y aura pas d’obligation de reprise du personnel s’il y a changement d’opérateur. Or la SNCF a toujours raisonné comme si, dans cette hypothèse, s’appliquerait l’article L 1224-1 du code du travail (transfert des contrats de travail en cas de cession) tandis que pour les opérateurs comme Transdev il était au contraire indispensable de ne pas leur imposer cette obligation, à l’exemple de ce qui se passe en Allemagne.


Toscane: Ratp Dev gagne la première manche juridique

Le feuilleton toscan continue: on se souvient que Mobit, le consortium malheureux qui n’avait pas emporté l’appel d’offres pour la gestion des transports publics sur route en Toscane face à Autolinee Toscane (Ratp Dev) avait déposé un recours devant le tribunal administratif régional. Motif invoqué: Autolinee Toscana n’aurait pas dû pouvoir participer à l’appel d’offres puisque le marché francais reste fermé. Mobit prenait prétexte de ce recours pour refuser à Autolinee Toscane l’accès à ses batiments et installations, préalable à la mise en place du nouveau service par le gagnant et pourtant prévu dans l’appel d’offres.

Saisi en référé le tribunal administratif régional a donné tort à Mobit et demandé que cesse cette obstruction. Seule concession: Mobit est en droit de protéger ce qui relèverait du secret industriel, mais on ne voit pas en quoi cela concernerait le nombre de bus ou d’agents. Autolinee attend donc que les portes s’ouvrent… Prochain rendez-vous, la décision du tribunal sur le fond, qui devrait intervenir en septembre prochain.


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Padam, des minibus pour des trajets «sur mesure»

L’actualité

Avril 2016 est une date importante pour Grégoire Bonnat et Ziad Khoury. Ces jeunes entrepreneurs, qui se sont rencontrés sur les bancs de Polytechnique, lancent officiellement leur offre de micro-transit Padam Daily dans les rues de Paris. Leur défi est de taille: proposer une offre de transports confortable, porte-à-porte, à un tarif acceptable et ce pour une clientèle réalisant des déplacements domicile-travail. Comment? Grâce à des minibus qui déclenchent leurs trajets «sur mesure», en suivant les instructions d’un algorithme (déjà testé pendant deux ans sur une offre de nuit). Séduisante sur le papier, comment cette offre de transports urbains 100% privée compte-t-elle s’inscrire dans le paysage parisien ?

L’analyse

La multimodalité heureuse… Il y avait les bus et les métros de la RATP, mais aussi les taxis, sans parler des Autolib. Puis sont arrivés Uber, Heetch ou encore Uberpool. Les Parisiens voient sûrement ce foisonnement d’offres d’un bon œil, car ils ont désormais le choix pour se déplacer. Les spécialistes des transports, de leur côté, s’interrogent: est-ce une complémentarité bienvenue ou une concurrence cachée? Les fondateurs de Padam ont dû se poser ce genre de questions avant de lancer leur offre de micro-transit, qui vient s’ajouter aux nombreux acteurs déjà en place. Néanmoins, le discours d’un des co-fondateurs, Grégoire Bonnat, est clair: «Padam, c’est avant tout un transport collectif porte-à-porte. Nous ne sommes pas là pour remplacer le bus, ni Uber. Nous proposons une offre encore différente ». Effectivement, Uber se concentre sur une clientèle occasionnelle, quand la RATP cible un transit très massifié. La start-up quant à elle cible les usagers du quotidien (domicile-travail), mais des usagers qui ont la possibilité de payer entre 5 et 10€ leur trajet, soit une cible bien particulière.

Quelle intégration? Même si la cible est clairement identifiée, l’algorithme intelligent et le marketing viral puissant, installer de manière pérenne une offre de transports d’un nouveau genre est complexe. Alors qu’en disent les autorités publiques? «Nous avons déjà rencontré Sophie Mougard (ex-directrice générale du STIF) et notre relation fut très positive. Nous allons rencontrer le nouveau directeur, Laurent Probst (lire Mobitelex 144) très prochainement», explique Grégoire Bonnat. Le jeune start-uper indique que l’autorité organisatrice francilienne est intéressée par leur offre, mais pour le moment reste dans «une position d’observation», ce qu’il trouve finalement normal: «Pourquoi le Stif aiderait-il une société privée à se développer, et pourquoi nous plutôt qu’une autre?». Néanmoins, il explique partager les mêmes valeurs que l’AOT, souhaitant comme elle développer une offre de transports collectifs, même si dans son cas, celle-ci est privée. Il pense que d’une bonne relation avec le Stif pourraient naître des projets intéressants: «Pourquoi ne pas envisager d’intégrer l’offre Padam sur la carte Navigo?». Sans aller jusque-là, un premier sujet de discussion pourrait être l’amélioration de la desserte des bus de Padam dans la capitale. En effet, ces minibus fonctionnent avec des lignes virtuelles, mais nécessitent tout de même des points d’arrêts pour prendre en charge et déposer leurs clients.

Aller plus loin… La start-up n’est pas à court d’idées. Que pense-t-elle d’une intégration de son offre dans la désormais très connue application Citymapper? Grégoire Bonnat le voit d’un bon œil: «Cela permettrait aux utilisateurs d’avoir vraiment accès à toutes les offres existantes, dans une logique de multimodalité totale». Quel regard porte-t-il sur l’étranger? Un regard très bienveillant: «En France le paysage des transports est concurrentiel mais étroit. C’est pour cela que l’étranger nous intéresse beaucoup. Nous allons d’ailleurs lancer notre offre très prochainement dans une seconde métropole européenne».

Si le succès est au rendez-vous, à Paris, ou ailleurs, l’autorité publique observera-t-elle d’encore plus près la jeune startup française? En attendant, un autre acteur privé semble aussi s’intéresser au bus: Elon Musk, le fondateur de Tesla et l’inventeur de l’Hyperloop, indique réfléchir à une offre de bus autonome, qui pourrait… «révolutionner le transit urbain!»

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