Patrick Jeantet, retour aux sources du GI
L’affaire a été vite pliée, comme prévu. En une après-midi, mardi 24 mai, ont eu lieu les deux auditions parlementaires du candidat pressenti par l’Elysée à la présidence déléguée du directoire de la SNCF et à la présidence de SNCF Réseau. Dans la foulée les élus ont validé la candidature de Patrick Jeantet à une quasi-unanimité (24 voix pour sur 24 au Sénat, une seule abstention à l’Assemblée nationale), permettant le lendemain le décret de nomination en conseil des ministres. Voilà donc assurée, au terme de trois mois de rebondissements, la succession de Jacques Rapoport, qui va pouvoir prendre quelques vacances.
Si Patrick Jeantet entend jouer son rôle au sein du directoire de la SNCF, c’est bien la performance du gestionnaire d’infrastructures qui devrait occuper l’essentiel de ses journées
Nous avons assisté à la première audition de l’après-midi, au palais du Luxembourg. Mis à part Louis Nègre et Jean-Jacques Filleul qui maîtrisent globalement leur sujet, les questions de leurs collègues ont navigué entre le hors sujet, l’anecdotique et le ridicule. Les premiers mots publics de Patrick Jeantet nous semblèrent, eux, intéressants, à la fois par la posture qu’ils laissent entrevoir au sein du groupe public et pour les priorités managériales et industrielles qu’ils esquissent. On a senti un homme concentré sur les objectifs de management de sa future entreprise bien davantage qu’appliqué à dominer doctement tous les chiffres et les enjeux, un professionnel convaincu des nécessités de l’émulation industrielle par la concurrence et le choc des nouvelles technologies. Manifestement, même s’il entend jouer son rôle au sein du directoire de la SNCF, c’est bien la performance du gestionnaire d’infrastructures qui devrait occuper l’essentiel de ses journées – il commencera d’ailleurs par suivre très bientôt un stage de deux jours afin d’acquérir une formation sécurité. Pas question de se laisser absorber et accaparer par les jeux de l’Epic de tête, sa priorité sera bien de s’occuper de SNCF Réseau, en mal d’identité depuis la mise en application de la réforme, et a fortiori depuis le départ surprise de Jacques Rapoport. Ainsi, dans un message adressé dès son arrivée à l’ensemble des personnels de SNCF Réseau, Patrick Jeantet a annoncé qu’il se rendrait dans chaque région d’ici la fin de l’été, et dans chaque établissement d’ici un an.
Autres priorités décelées au gré des quelques réparties de Patrick Jeantet: la clarté et la transparence. «Ce n’est pas vraiment la culture de ces entités, pourtant elles sont indispensables pour plus d’efficacité et de productivité», a-t-il souligné, en souhaitant le développement de systèmes d’information robustes et sophistiqués. «C’est ainsi que l’on prend les bonnes décisions», conclut-il.
Le président aura donc les deux pieds dans le management du quotidien, mais pas seulement, car «s’ils ne partagent pas de vision d’avenir, les 52000 cheminots de l’infra ne se sentiront pas suffisamment concernés», a-t-il précisé. C’est une réponse à tous ceux qui veulent couper sans nuances tous les projets au bénéfice de la maintenance du réseau existant.
Reste deux questions qui fâchent: les sous et Guillaume Pepy. Sur la première, prudence: pas question de plonger dans les milliards avant d’avoir assuré ses arrières. Sur la seconde, formulée de façon extrêmement allusive par Louis Nègre mais comprise par tous («Quelles seront vos marges de manœuvres?»), Patrick Jeantet a répondu tranquillement: «La loi garantit l’indépendance du gestionnaire d’infrastructures». C’était son dernier mot, et on a donc bien compris que le nouveau président de SNCF Réseau se concentrerait sur ses missions essentielles. Selon nos informations, lors de ses discussions préalables à sa candidature, il n’aurait d’ailleurs rien demandé à l’Etat sinon l’engagement de faire lui-même le casting de SNCF Réseau.
La concurrence, une évidence
Alors que le gouvernement continue de différer le rendez-vous de la concurrence, au nom d’une vision quasi-monopolistique de l’activité ferroviaire, les voix sont de plus en plus nombreuses à estimer qu’elle est un moyen majeur de modernisation, y compris sur l’infrastructure. Ainsi ce mercredi 25 mai, lors du colloque d’Avenir Transports organisé sur le thème: «A-t-on les moyens de nos infrastructures de transports terrestres?»
Jacques Rapoport, qui vivait son dernier jour à la tête de Réseau, après avoir rappelé que «l’archaisme technologique fait partie du quotidien des cheminots et contribue au manque de motivation des équipes de terrain», a dit tout haut ce qu’il pense tout bas depuis un moment. «L’une des solutions pour répondre au sous-investissement? Introduire la concurrence également sur l’infra» En clair, le jour où Vinci (ou un autre), suffisamment solide et équipé, viendra voir l’Etat en proposant des coûts de maintenance inférieurs, il lui sera bien difficile de résister…
De son côté Michel Neugnot, président de la Commission Transport et Mobilité de l’ARF (association des régions de France), a également admis le bienfait de ladite concurrence sur l’exploitation. «En matière de mobilité il faut mettre un peu de diversité dans les moyens de réaliser le service public… C’est un tropisme français de penser que le service public ne peut être exécuté que par une entreprise monopolistique.»
Enfin, Christophe Pélissié du Rausas, directeur général adjoint de Vinci Concessions, a rappelé que «le PPP sur Tours-Bordeaux a été construit sur le postulat d’une ouverture à la concurrence à partir de 2020-2021».
Le conseil d’Etat approuve la DUP sur Bordeaux-Toulouse
et Bordeaux-Dax
On sent le ministre Alain Vidalies soulagé: il va pouvoir signer et publier la DUP du GPSO avant le 8 juin prochain. En tant qu’élu landais convaincu de la pertinence des LGV du Sud-Ouest et garant des engagements internationaux avec l’Espagne, il s’était engagé à soutenir le projet, notamment auprès d’Alain Rousset, président de la nouvelle grande ALPC, qui lui a rendu hommage. Reste à trouver les financements, ce qui est une toute autre paire de manches.
Mais cette bonne nouvelle ne peut pas tout à fait occulter un autre problème bien épineux: le sort du projet de LGV Poitiers-Limoges, dont le maintien de la DUP est rendue très improbable par l’avis très sévère du Conseil d’Etat en avril dernier. Politiquement, Alain Rousset peut difficilement lâcher publiquement le projet alors qu’il vient de récupérer les régions Limousin et Poitou-Charentes à la faveur du nouveau découpage régional. Mais il sera bien difficile à l’Etat de passer outre le Conseil d’Etat, tout comme il semble impossible d’inventer une disposition intermédiaire qui permette de gagner encore un peu de temps. Fin du suspense, donc, très bientôt.
BILLET
Quand le ministre cède aux Néocastriens
On croyait – un peu naïvement, certes – ces pratiques d’un autre temps alors que l’on ne parle que gouvernance moderne et entrée dans l’univers de la concurrence. Et pourtant… A Neufchâteau (arrondissement de Neufchâteau, département des Vosges), 6500 habitants, son industrie du meuble de style et sa fête de la fougasse (c’est le moment d’y aller, la prochaine a lieu tout bientôt, en juin), là-même où Jeanne d’Arc aurait fait sa communion, un ministre vient d’imposer sa loi au président de la SNCF. «J’ai été à de multiples reprises sollicité par le député Christian Franqueville et les élus de Neufchâteau au sujet de la desserte ferroviaire de cette gare», écrit le secrétaire d’Etat aux Transports Alain Vidalies à Guillaume Pepy dans un courrier dont Mobilettre a eu connaissance. En effet depuis le 3 avril dernier, SNCF Mobilités a réduit la desserte de cette gare vers Dijon de 3 à 2 liaisons quotidiennes [NDLR il s’agit de la desserte TGV, par ailleurs des TER Lorraine et des Intercités s’arrêtent dans la gare de Neufchâteau], ce qui ne permet plus de répondre de manière satisfaisante aux besoins de mobilité des habitants. Il me paraît nécessaire que SNCF Mobilités prévoie dans les meilleurs délais un arrêt supplémentaire du TGV Nancy-Toulouse en gare de Neufchâteau dans les deux sens.»
«Mais où est passé l’Etat stratège?», se demandait-on unanimement dans un récent colloque sur l’Urgence de l’Etat, à l’initiative de Mobilettre? Le voilà, cet Etat stratège, qui impose des arrêts TGV dans une gare qu’il aura au moins le mérite de faire connaître à nos lecteurs, au lieu de rédiger la feuille de route et de définir les grandes orientations de l’entreprise publique! Soit dit en passant, c’est en allant sur les voies et en arrêtant les circulations TGV que les usagers ont obtenu cette «victoire», au bénéfice de quelques voyageurs fort respectables, par ailleurs. Tout cela parce qu’en supprimant un jour le Corail Metz-Lyon et en faisant circuler à sa place un TGV intersecteur, gage de modernité, on a eu la mauvaise idée de créer le précédent d’un premier arrêt TGV là où la pertinence reste celle du TER. Funeste initiative…
Stif: promesses du numérique et embarras divers
Selon nos informations le prochain conseil d’administration du Stif, mercredi premier juin, devrait faire la part belle aux dossiers numériques. Ainsi devrait être précisé le calendrier de modification du système de billettique, annoncé par Valérie Pécresse dans le Journal du Dimanche dimanche 22 mai, autour du Smart Navigo:
entre 2018 et 2020, la disparition du ticket magnétique au profit d’un porte-monnaie transport (c’est le projet d’Unités Transports) et la modification des services Navigo. Entre autres, un système de paiement différé, l’utilisation de Smartphone pour acheter des titres de transport, recharger une carte ou valider via les fonctions NFC… L’échéance d’intégration des autres services de mobilité (parkings, covoiturage ou Autolib) n’est pas précisée.
Par ailleurs, d’ici le mois de décembre prochain, le Stif mettra à disposition ses données Open data temps réel via la plate-forme opendata.stif.info. Ces données alimenteront donc aussi bien un calculateur d’itinéraires à l’ambition prédictive (sur vianavigo), que les start-up de la mobilité. Selon nos informations, une tarification au-delà de 20000 requêtes/jour sera appliquée.
Mais ces développements numériques, séduisants quoi que compliqués, ne peuvent faire oublier d’autres dossiers à la sensibilité nettement plus délicate.
En présence de Vincent Bolloré…
Lundi prochain, à proximité de l’Arc de Triomphe, le lancement de la première ligne de bus 100% électrique de la capitale (la 341 entre l’Etoile et la porte de Clignancourt), par Valérie Pécresse et Elisabeth Borne, se fera «en présence de Vincent Bolloré», souligne avec fierté le carton d’invitation. On est soulagé: le fournisseur sera là… A moins que ce ne soit lui, la vraie vedette de la cérémonie? D’Autolib aux bus électriques en passant par le Bluetram des Champs-Elysées, l’industriel breton n’en finit plus d’obliger les élus parisiens et franciliens, à la manière d’un JCDecaux. Qu’en disent les concurrents?
Armistice en Toscane
La décision en référé du tribunal administratif de Toscane et les ambassades de la région ont réussi à mettre un terme au bras de fer qui opposait Autolinee Toscane et Mobit: l’armistice a été signé cette semaine. Autolinee Toscane (RATP Dev), vainqueur de l’appel de d’offre pour l’exploitation du transport public sur route de toute la région, va enfin pouvoir procéder à l’audit préalable à la signature du nouveau contrat de concession.
Avec la région pour juge de paix, Autolinee Toscane et Mobit (le groupement perdant des actuels gestionnaires) ont paraphé un accord détaillant les conditions d’inspection des locaux et de la flotte. On a donc fait un grand pas en avant qui soulage encore un peu plus RATP Dev. Seul bémol, Mobit refuse toujours de fournir les données relatives au personnel et à sa propre organisation du service actuellement délivré.
Zenpark, futur leader du stationnement partagé?
L’actualité
En à peine dix ans, Frédéric Mazzella a réussi à faire partager leurs voitures à de nombreux Français. Selon les termes du fondateur de Blablacar, William Rosenfeld pourrait «suivre son chemin», mais cette fois-ci, en partageant le stationnement, grâce à Zenpark. Cette start-up, qu’il a créée il y a à peine cinq ans, vient d’annoncer une levée de fonds de plus de 6 millions d’euros, avant de signer un accord avec l’Umih (Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, qui lui ouvre les portes du stationnement de la moitié du parc hôtelier français. Deux évènements majeurs qui pourraient accélérer fortement son développement.
L’analyse
Proposer un système gagnant-gagnant. Ce qui intéresse le fondateur de Zenpark, ex-vice-président marketing chez Hertz, c’est avant tout de rentabiliser les nombreuses places de stationnement inoccupées (majoritairement dans les grandes villes), qui représentent un véritable gâchis, tant pour ceux qui les possèdent que pour les automobilistes qui cherchent à se garer dans de bonnes conditions. Dans la lignée des autres pépites françaises, comme Blablacar pour le covoiturage ou Drivy pour le partage de véhicules entre particuliers, l’argument est irréfutable sur le papier: «C’est un système bénéfique pour tous». Pour l’utilisateur, qui trouve une place de manière simple, automatisée, sécurisée et à un prix plus intéressant qu’en voirie. Pour le propriétaire des places, qui peut rentabiliser son «stationnement dormant». Parce que lorsque l’on cherche bien, entre les bailleurs sociaux, les hôtels, les sièges d’entreprises, les administrations ou encore les supermarchés, l’offre «privée» est pléthorique.
Grossir rapidement pour doubler la concurrence. C’est en signant des partenariats avec l’ensemble de ces acteurs que la start-up compte faire grossir rapidement son parc et devenir leader du marché. Voiàa pourquoi en 2015, elle signait avec l’aménageur Nexity et ses 800 000 lots d’habitations. La même année, c’était au bailleur social Efidis de proposer au partage ses plus de 33 000 places de stationnement en Ile-de-France. Ce mois ci, c’est donc avec l’Umih et ses 8000 adhérents que Zenpark scelle un nouvel accord, avec 20 000 places de stationnement à la clé. Des partenariats structurants et des levées de fonds importantes – la dernière en avril, de 6,1 millions d’euros, a été réalisée auprès de la MAIF, Demeter Partners et Frédéric Mazzella: c’est la méthode des équipes de William Rosenfeld pour se démarquer, dans un marché de plus en plus concurrentiel. Car en plus des acteurs venant du digital, les opérateurs historiques tentent aussi leur chance. Comme Mobilettre l’évoquait au mois de Février (lire Mobitelex 135), même Indigo (ex-Vinci Park) s’est lancé dans la bataille du parking partagé. Mais visiblement, cela ne fait pas peur à William Rosenfeld. Interrogé par nos confrères de France Info il y a quelques mois, il évoquait un marché du stationnement «oligopolistique et poussiéreux», mais voyait plutôt d’un bon œil l’arrivée des géants du secteur dans le domaine du partage. Il rappelait que son rôle était de «digitaliser cette ancienne économie», grâce à sa position de plate-forme, tout en émettant sérieusement la possibilité future de devenir «un opérateur de stationnement à part entière en développant ses propres parkings mutualisés».
Face à des politiques publiques de stationnement toujours timides. Sur le champ de l’innovation, les applications de parking partagé comme Zenpark sont intéressantes. Néanmoins, en termes de politiques publiques de stationnement, elles posent de véritables questions. D’un côté les municipalités limitent le nombre de places de stationnement public; à Paris, en quinze ans, le nombre de places réservées aux voitures sur la voie publique a diminué de 40 % (de 235 000 à 143 000 places). De l’autre, le co-stationnement vient ré-alimenter le système avec des places issues du parc privé, continuant ainsi à attirer des véhicules dans les villes. Quant aux autorités publiques, il paraît compliqué de connaître leur avis sur la question: elles viennent de repousser la mise en application de la dépénalisation et de la décentralisation du stationnement à 2018.