EXCLUSIF
TGV Bordeaux-Marseille: complications juridiques
et bras de fer Etat-Alstom
Nommé le 27 décembre dernier secrétariat général adjoint de l’Elysée en remplacement de Boris Vallaud parti préparer sa candidature aux législatives dans les Landes d’Henri Emmanuelli, Thomas Cazenave n’a pas oublié d’où il vient: le cabinet de Christophe Sirugue, secrétaire d’Etat à l’Industrie. En septembre dernier, il avait eu la haute main sur la gestion de l’affaire Alstom, et largement contribué à monter ce deal étonnant pour sauver le site belfortain: une commandes de 15 TGV Duplex pour la transversale Bordeaux-Marseille. On le retrouve donc aujourd’hui à la manœuvre avec les ministres et les services de l’Etat pour tenir cet engagement ô combien sensible.
Mais au-delà des problèmes de financement déjà évoqués par Mobilettre, c’est bien la faisabilité juridique qui pose problème. Dans une note que Mobilettre s’est procurée, la direction des Affaires juridiques (DAJ) du ministère de l’Economie et des Finances déconseille dans un premier temps de recourir au marché conclu en 2007 entre la SNCF et Alstom, et plus précisément de passer par le biais d’un avenant de transfert.
«Un avenant ayant pour conséquence d’entraîner une augmentation dépassant 15 à 20% du prix du marché est susceptible d’être regardé par le juge comme bouleversant l’économie du contrat.»
Que les juristes sont prudents… et réalistes. Après cette mise en garde, la DAJ examine quand même dans le détail l’hypothèse de l’avenant… pour mieux l’écarter: «En tout état de cause, l’avenant ne pourrait être conclu sans méconnaître les règles de la commande publique eu égard à l’ampleur des modifications déjà opérées.» Pour faire simple, les juristes de Bercy alertent sur un double risque juridique:
La conclusion de la DAJ est donc claire: «Au regard de la fragilité juridique du montage contractuel existant, il serait prudent de ne pas envisager de nouvelles modifications du périmètre du marché.» Avec un coup de grâce: «L’achat envisagé de six rames supplémentaires à destination de la SNCF pour la ligne Paris-Milan pourrait également soulever des risques juridiques certains.» Tiens! cela tombe bien, le besoin urgent il y a six mois ne l’est plus du tout pour la SNCF aujourd’hui…
La défaite de l’ancien premier ministre Manuel Valls à la primaire rend-elle la promesse automnale moins impérative? Ou bien, au contraire, ne pas la tenir conduirait-il à créer un abcès avec les ex-frondeurs victorieux de la primaire? Que voudra François Hollande? Eviter une nouvelle polémique au crépuscule de son mandat, ou s’en tenir au respect des règles publiques et éviter une commande malgré tout assez baroque, d’un matériel anticipant d’au moins dix ans la LGV Bordeaux-Toulouse?
La longue histoire de la renomination
de Patrick Ropert à Gares & Connexions
Tout le monde était d’accord: imposée par le décret d’application de la loi de 2014 du 10 février 2015, la nomination du directeur de Gares & Connexions ne pouvait échapper au titulaire sortant, Patrick Ropert. Nommé une première fois en remplacement de Rachel Picard, l’ancien dircom de la SNCF a entrepris de transformer l’entité – pêle-mêle, le changement de la tarification, la reprise en main d’Arep ou la normalisation des relations avec le régulateur (avec l’abandon des recours juridiques). Pourquoi changer maintenant, quelques mois avant le choix du futur gouvernement sur un statut conforme aux règles de la concurrence – une filiale de SNCF Réseau, un quatrième Epic ou une SA? Si changement il doit y avoir, le bon moment sera alors celui-là.
Oui mais voilà, les délices réglementaires français font que l’arrêté de nomination devait être pris par… Ségolène Royal elle-même, sur proposition du conseil de surveillance de la SNCF. Et c’est là que fin novembre, les choses ont commencé à se corser. «Pourquoi ne pas nommer quelqu’un d’autre? Une femme, par exemple», plaide la ministre. Oui mais Patrick Ropert fait le job, et puis Gares & Connexions a déjà connu pas mal de mouvements ces dernières années, changer de directeur c’est prendre le risque de stopper une dynamique de développement… «Je veux voir d’autres candidats», tranche pourtant Ségolène Royal.
Elle en a donc vu, d’autres candidats, un peu surpris d’être dans son bureau, sortis de la liste de réserve des dirigeants SNCF: Bénédicte Tilloy, DRH de SNCF Réseau sur le départ, Christophe Fanichet, dircom également sur le départ, Odile Fagot, directrice financière de SNCF Réseau… Pas question pour la SNCF, et singulièrement le président de son conseil de surveillance, Frédéric Saint-Geours, très actif sur le dossier, de proposer des candidats motivés et pleinement alternatifs… Naturellement, Patrick Ropert fut auditionné comme ses «challengers», avec la belle longueur d’avance que lui confère son expérience du poste.
Fin décembre on a donc cru que l’affaire était pliée. Patrick Ropert avait reçu le soutien des trois top dirigeants de la SNCF mais aussi de quelques personnalités qui aiment à donner des coups de téléphone, comme Jean-Vincent Placé.
Ségolène Royal convaincue? Affaire pliée? Pas tout à fait. Début janvier, toujours pas d’arrêté ministériel… Manifestement désireuse d’user de son pouvoir de nomination, la ministre avait entrepris de regarder les conditions de la rémunération du directeur des gares… Une ultime formalité, avant de publier, le 23 janvier, le fameux arrêté de nomination. Patrick Ropert est donc confirmé directeur de Gares & Connexions.
Trois mois pour un statu quo. Trois mois de coups de fil, d’auditions, de tergiversations. Ainsi va la comédie des pouvoirs centralisés, entretenue par des procédures si peu transparentes, cultivée par une ministre qui veut tout voir… Au bonheur de l’efficacité républicaine.
SNCF: en finir avec le statut d’Epic
Deux rapports publiés la semaine dernière sur l’Etat actionnaire concluent à la quasi incompatibilité des deux termes, ou en tout cas pas comme cela… Mobilettre, qui avait organisé en octobre 2014 un colloque sur ce thème («J’aime l’Etat?»), se réjouit que la question soit aujourd’hui reprise et traitée de manière aussi prestigieuse! Le premier rapport («L’impossible Etat actionnaire») est publié par l’Institut Montaigne, le second («L’Etat actionnaire») par la Cour des Comptes.
Sous la plume de David Azema, ancien patron de l’APE (Agence des Participations de l’Etat), le rapport de l’Institut Montaigne s’arrête assez longuement sur le cas de la SNCF, ce qui n’a rien d’étonnant de la part de celui qui siégea plus de dix ans à son comité exécutif. La Cour des comptes choisit elle aussi à plusieurs reprises le cas de l’entreprise publique pour illustrer son propos. Dans les deux cas, ils plaident pour le passage d’un statut d’EPIC à un statut de SA.
Pour David Azema, ni la temporalité, ni les objectifs («l’objectif de l’actionnaire est le rendement et la protection de son patrimoine», or «l’Etat n’est pas là pour faire du profit»), ni la gouvernance avec la faiblesse des administrateurs d’Etat ne permettent que perdure cette confusion. Il concède que quelques entreprises, dont la SNCF, entrent dans une logique d’action publique et que l’Etat doit les considérer comme des «agences». Il propose donc de passer à un statut de SA qui aurait notamment l’avantage de protéger de «la tentation permanente « d’abus de bien social » le pouvoir en place». Et au passage (attention aux OS!) de réduire légèrement la place des représentants du personnel. Du même coup, on intégrerait la totalité de la dette dans la dette publique maastrichtienne.
L’analyse de David Azema repose sur la constatation que les «entreprises/agences», au premier rang desquels la SNCF, ont trois caractéristiques: la production de services considérés comme publics, l’intervention permanente du politique et des administrations et le fait que l’essentiel de leurs ressources proviennent du contribuable et non du client, ce qui en fait des entités peu ou pas rentables.
Partant d’un constat assez proche, la Cour des Comptes parvient à une conclusion identique en ce qui concerne le changement de statut d’EPIC en SA. Cette recommandation repose en outre sur une analyse dynamique de la situation.
Pour elle, ce sont avant tout les échéances de l’ouverture à la concurrence qui imposent cette évolution: en effet «le statut d’EPIC ne permet pas d’assurer à une entreprise une gouvernance appropriée, particulièrement dans un cadre concurrentiel». S’agissant de la SNCF, la Cour rappelle que lors de la réforme ferroviaire de 2014 l’Etat a fait le choix du statut d’Epic plutôt que de SA qui «risquait d’être perçu comme le signe annonciateur d’une privatisation ultérieure». Pour la Cour, il n’est pas assuré que ce choix reste compatible avec les règles européennes de concurrence dès lors que la garantie de passif implicite et illimité de l’Etat peut être analysée comme un avantage concurrentiel. Autres inconvénients du statut d’Epic: il n’y pas d’intérêt social spécifique qui se distingue de celui de l’Etat, pas plus qu’il n’y a d’autonomie du Conseil d’administration. La Cour plaide donc pour «l’évolution vers un statut de société anonyme» qui «devrait être préparé, au moins pour SNCF Mobilités, dans un délai compatible avec l’ouverture» à la concurrence. La Cour rappelle que c’est d’ailleurs aussi le point de vue de l’Arafer. Etendre la réforme à l’Epic de tête et à SNCF Réseau? Elle l’estime souhaitable «pour créer un véritable groupe et pour protéger aussi l’intérêt social de SNCF Réseau».
Dans ce long rapport (250 pages), la Cour s’attarde souvent sur le cas du système ferroviaire pour illustrer son jugement sur l’Etat actionnaire. On ne résistera pas à la tentation de citer quelques lignes sur les demandes nombreuses et souvent contradictoires de l’Etat:
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«Création de lignes à grande vitesse dont l’exploitation sera déficitaire (comme la ligne SEA); prise en charge en tant qu’autorité organisatrice de transport des trains d’équilibre du territoire; soutien à la filière ferroviaire conduisant à demander à la SNCF de commander de nouvelles rames, dont l’utilité est incertaine et la rentabilité négative; modernisation inachevée de l’organisation du système ferroviaire (préservation imposée du cadre social antérieur malgré les négociations engagées par la direction du groupe, maintien du statut d’établissement public). L’Etat agit fréquemment au détriment des intérêts économiques du groupe SNCF et de son équilibre financier, aggravant ainsi son endettement. Il n’a pas de stratégie à long terme permettant de préparer le groupe public à la concurrence et de mieux répondre aux besoins de ses clients».
Tout y est… On croirait du Mobilettre. Et même la lecture des annexes est édifiante pour conforter l’analyse de la Cour: le président du conseil de surveillance de SNCF n’avait pas d’observations à formuler sur ce rapport.
COLLOQUES
Concurrence ferroviaire: oui mais comment?
Le premier des deux colloques de ce mois de janvier sur la concurrence dans le ferroviaire s’est tenu vendredi 20 janvier à Lyon, à l’initiative du Laet (laboratoire d’aménagement et d’économie des transports). Des débats francs et dynamiques ont permis à chaque acteur (régulateur, syndicats réformistes, élus, opérateur historique, opérateur alternatif…) de préciser leurs positions, à la lumière de quelques éclairages et expertises. Pour tous s’est imposée l’évidence de la concurrence, parce que le quatrième ferroviaire la consacre ou pour la nécessité de réduire les coûts et d’améliorer les services.
Mais les discussions font déjà apparaître des divergences sur le chemin à emprunter. Quel calendrier? Des expérimentation ou pas? Quelles conditions d’application (sociales, juridiques, organisationnelles)?
L’occasion est donc belle d’aller plus loin, ce mardi 31 janvier à Strasbourg, lors du colloque organisé par l’UTP et l’UITP avec l’appui de Transdev et de Gares & Connexions. Les participants sont invités à dresser un état des lieux de la préparation des acteurs: accès aux facilités essentielles, conditions de mise à disposition du matériel, définition des cahiers des charges et des lots…
Mobilettre reviendra sur les enseignements de ces deux colloques.
Ambiance, ambiance en Toscane…
Depuis le recours déposé par le consortium italien Mobit au Conseil d’Etat contre la décision du tribunal administratif de Toscane relatif à l’appel d’offres sur le transport public sur route de la région (Mobitelex 168 du 21 décembre 2016), le moins que l’on puisse dire est que la sérénité ne règne pas à Florence. Le président d’Autolinee Toscane (groupe RATP) Bruno Lombardi vient de rendre publique une lettre ouverte incendiaire adressée à son concurrent et détracteur, le président de Mobit, Andrea Zavanella.
Il y répond aux arguments et déclarations de celui-ci depuis son recours au Conseil d’Etat. D’abord, le fait que la RATP n’aurait pas d’expérience en matière d’appels d’offres puisque depuis 1948 elle se voit accorder directement tous les marchés à Paris. Faux, rétorque Bruno Lombardi, dans les cinq dernières années le groupe a participé à une centaine d’appels d’offres dans une quinzaine de pays, et il est le cinquième opérateur au monde en matière de transport public.
Faux également, le fait que la RATP aurait dû être exclue de l’appel en raison tant des règles européennes que de la législation italienne. Fausse, l’affirmation selon laquelle Mobit serait le mieux à même d’apporter le service demandé. Et Bruno Lombardi de lister les points faibles de son concurrent, depuis le défaut de ponctualité et les services annulés, en passant par les deux bus mis sous séquestre parce que n’étant pas aux normes, jusqu’aux cinq grèves de l’année 2016. Faux le fait que le plan financier de Mobit était sans défaut et aurait dû justifier que le tribunal administratif le requalifie comme vainqueur de l’appel d’offres: l’offre de Mobit excède de dix ans la durée de la concession prévue… Fausse enfin, l’affirmation selon laquelle Mobit procéderait à de moindres réductions de personnel qu’Autolinee Toscane.
Bref, Bruno Lombardi est vraiment excédé par les multiples déclarations du président de Mobit qui ne se contente pas d’avoir saisi le Conseil d’Etat mais poursuit la polémique. La semaine dernière déjà, la région de Toscane s’en était émue, estimant que si le Conseil d’Etat acceptait d’examiner le moyen selon lequel la RATP ne serait pas légitime à concourir (ce que demande Mobit), il faudrait attendre au moins 18 mois pour la réadjudication de l’appel d’offres. Et pendant ce temps, ce sont les usagers qui trinquent….C’est sans doute aussi cette perspective de voir s’allonger les délais, avec les conséquences financières qui vont avec, qui explique l’énervement de Bruno Lombardi.
A Londres, Sadiq Khan souhaite gérer
les transports ferroviaires de banlieue
Sadiq Khan, le maire travailliste de Londres, n’a visiblement pas observé de trêve des confiseurs. A deux jours du réveillon du Nouvel an, il a publiquement fustigé la qualité de service des transports gérés directement par le Gouvernement: «The Government is failing commuters with a terrible service, constant delays and cancellations while fares are increasing every year». Avant de publier en ligne, une semaine après, un ensemble de propositions: «My pledge to suburban rail commuters». Il propose de reprendre la compétence sur les lignes ferroviaires suburbaines (suburban rail services), dès la fin des contrats en cours avec le gouvernement. Par cette disposition, il assure pouvoir améliorer la qualité de service, augmenter les fréquences, mais aussi, tout comme pour TfL, geler les tarifs.
Plus qu’une simple guerre politique avec le conservateur Chris Grayling, nommé secrétaire d’Etat aux Transports par Theresa May, le nouveau maire semble défendre ses convictions pour de meilleurs transports collectifs. Depuis son élection, il a tenu bon sur sa promesse «phare», à savoir le gel du prix des transports de TfL et ce malgré quelques chahuts lors de ses premiers mois d’exercice. Il l’a publiquement confirmé le 18 novembre dernier (élargissant ce «gel» aux Pay as you go, DLR, Emirates Airline et Rail services mais aussi les Santander Cycles). Et déjà, il en profitait pour demander au gouvernement d’en faire autant, notamment sur les trains suburbains dont il assure la gestion: «The Mayor calls on the Government to follow his lead and freeze fares on London’s suburban rail services». Les relations entre le maire et le gouvernement s’annoncent tendues pour les quatre prochaines années.
MOUVEMENTS
Patrice Saint-Blancard, fidèle conseiller aux affaires ferroviaires d’Alain Vidalies pendant deux ans et demi, devient directeur des transports et mobilités durables à la région Centre, à compter du 1er février.
A noter que le délégué général de la Codatu est bien Julien Allaire, et non Julien Codatu comme nous l’avons écrit (lire Mobitelex 169). Un dur mois de janvier a grippé la mécanique de Mobilettre…
RAIL 2020
Patrick Jeantet, le discours de la réforme
Face aux adhérents de la Fnaut et abonnés de Mobilettre, le 24 janvier dernier, le PDG de SNCF Réseau Patrick Jeantet a expliqué et détaillé sa politique de modernisation de l’infrastructure ferroviaire. Il a notamment expliqué que la baisse des investissements de renouvellement prévus dans le contrat de performance, à partir du maximum de 2,897 milliards d’euros en 2020 jusqu’à 2,672 milliards en 2026, correspond aux gains de productivité que SNCF devra réaliser.
Prochaine séance de Rail 2020 avec Elisabeth Borne, jeudi 2 février à 8h30. Il reste quelques places. Inscriptions impératives sur contact@mobilettre.com.
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