A Bordeaux, les fissures de la vitrine Bolloré
Fin 2013 les petites sœurs des Autolib parisiennes, les BlueCub, ont été déployées à Bordeaux, avec le soutien des élus. Trois ans plus tard, quel est le bilan de «l’offre révolutionnaire» de l’industriel breton? Quels sont les effets sur la mobilité urbaine? Mobilettre a enquêté.
L’annonce de l’installation des BlueCub à Bordeaux avait été saluée de tous. Bien accueilli par le maire Alain Juppé, Vincent Bolloré avait pris soin de ménager le patron de la CUB, Vincent Feltesse. Tout le monde fut sur la photo… Seuls quelques connaisseurs s’interrogeaient déjà sur l’éventuelle concurrence avec l’offre d’autopartage existante, Autocool (rebaptisée Citiz). Mais coup de chance, les responsables de l’autopartage coopératif préféraient aborder positivement l’arrivée du géant: «La mise en place des BlueCub témoigne d’un mouvement général vers un changement de mentalité», expliquait alors Nicolas Guenro, directeur d’Autocool. Bolloré portait seul l’investissement pour ce projet, la collectivité n’avait qu’à mettre à disposition des espaces pour les stations. Un rêve d’élu: c’est pas cher, c’est électrique donc écolo, et ça peut rapporter gros en termes d’image!Oui mais voilà, Bordeaux n’est pas Paris. Quand il y a près 4000 véhicules à Paris, à Bordeaux, il n’y en a que 200. Trop peu pour pouvoir stationner facilement son véhicule, ou encore éviter la station vide. Quand il y a près de 1000 stations Autolib à Paris (3 fois plus que de stations de métros), elles sont 76 à Bordeaux. Un dispositif mal calibré, et aux effets sur l’écomobilité discutables. «Si le trajet en Bluecub remplace un trajet qui autrefois était réalisé en tramway ou à vélo, alors il y a là un vrai problème», renchérit Nicolas Guenro, devenu directeur de Citiz, et logiquement plus que circonspect sur l’offre Bolloré. A titre de comparaison, pour les voitures auto-partagées du réseau Citiz de Bordeaux la moyenne par location est proche des 70 kilomètres.
Le système des BlueCub est peu efficace, donc… et peu rentable. Quand Autolib est loin de l’équilibre à Paris avec en moyenne 4 locations quotidiennes, que penser des BlueCub annoncées à 1,7? Le groupe affichait comme objectif de rentabiliser son investissement de 20 millions d’euros (20 employés travaillent dans la filiale girondine) dès 2016, en parvenant à 4000 abonnés. Qu’en est-il vraiment aujourd’hui? Très peu de chiffres filtrent et la direction de BlueCub n’a pas répondu à nos sollicitations. Le groupe se contente de communiquer sur trois chiffres: 200 voitures, 6650 abonnés et 125000 locations. Un tableau apparemment flatteur qu’il faut décrypter. Ces abonnés sont-ils tous actifs? Combien d’abonnements gratuits ont-ils été distribués? Ces locations sont-elles toutes payantes? Combien ont été fournies gratuitement? Pour Guillaume Castevert, directeur adjoint de Citiz Bordeaux, «en comptant 6 € en moyenne par location (tarif 0,20 €/min qui est celui d’un abonnement annuel donné gratuitement) et une recette d’abonnement quasi-nulle, cela rapporterait environ 3750 € par an et par véhicule, ce qui est très en deçà du coût de revient de n’importe quelle voiture en autopartage. Il devient donc très compliqué de renouveler sa flotte, qui vieillit et se dégrade».
Plutôt que de communiquer sur ses chiffres, l’industriel préfère le marketing. Il vante les mérites de l’électrique et du free floating, en surfant sur le succès d’image de l’Autolib parisienne. Il joue la carte de la fidélisation, quitte à frôler le harcèlement, comme en témoigne Guillaume, un utilisateur bordelais. «BlueCub m’a inondé de SMS me proposant des trajets gratuits; en novembre ils m’ont offert l’abonnement annuel (99 €). J’ai accepté, et l’utilise de temps en temps. Mais chaque semaine, je reçois un SMS de BlueCub m’offrant 30 minutes d’utilisation pour trois trajets réalisés dans la semaine. On me pousse à la consommation!», raconte-t-il. Cette offensive commerciale génère probablement des «abonnés» supplémentaires. Mais pour quels usages réels, et à quel coût final?
Difficile d’établir l’impact sur les déplacements. La Blue Cub, un projet énergétique avant d’être un projet de mobilité?
Pour le milliardaire breton, l’enjeu est de taille: s’il est venu s’installer à Bordeaux, ça n’est pas seulement pour les charmes de la Garonne. C’est aussi et surtout pour faire de cette ville une de ses nombreuses vitrines destinées à vendre ses batteries à l’étranger. Ce que confirme Nicolas le Douarec, ex-Président de Buzzcar: «Pour Bolloré, une Bluecar est une batterie sur roues, ni plus ni moins». Nicolas Guenro partage ce point de vue: «La Bluecar de Bolloré est un projet énergétique, pas un projet de mobilité». Mais peu importe, car visiblement, la stratégie fonctionne: le groupe vient de remporter un appel d’offres (modeste) d’autopartage électrique à Los Angeles, seconde ville américaine à être séduite après Indianapolis… en plus de Paris, Lyon, Turin et Singapour.
A quoi sert donc la BlueCub de Bolloré? Quel est son objectif? C’est selon Nicolas Louvet, directeur du cabinet 6t, la seule vraie question que devraient se poser les collectivités avant d’ouvrir leurs portes. A Bordeaux, le tramway est désormais saturé aux hyperpointes sur certains tronçons. Les BlueCub pourraient-elles être déployées pour soulager le tramway, aux côtés du bus et des VLS ? Il n’en est rien. Contactée par Mobilettre, la Métropole se contente d’expliquer «qu’il y a seulement une convention entre Bordeaux Métropole et la société Bolloré, qui l’autorise à occuper une partie de l’espace public pour y implanter ses stations Bluecub». Pour l’approche intégrée, il faudra donc repasser. Pour l’évaluation du dispositif aussi. Personne n’est capable, à part peut-être les équipes de Bolloré, de connaître l’impact de cette offre sur les mobilités alternatives.
Pourtant, selon Nicolas Louvet, «cela serait une belle occasion de réfléchir à une véritable intégration au sein de l’offre de la métropole». C’est d’ailleurs le choix qu’a fait la ville de Grenoble, qui expérimente un dispositif d’autopartage innovant en free floating, aux côtés de Toyota – la collectivité finance totalement son évaluation. Une manière d’intégrer le processus dans une véritable réflexion multimodale. D’autres collectivités ont aussi joué l’alternative, en refusant tout simplement les avances du groupe Bolloré, à l’image de Strasbourg. Le maire de la capitale alsacienne, Roland Ries, a préféré privilégier l’acteur local et historique d’autopartage, la société coopérative Citiz, présente également à Bordeaux.
La force d’attraction du groupe Bolloré séduit de nombreux professionnels de la politique, pour lesquels l’effet d’annonce et d’image a tendance à l’emporter sur la consistance des projets. Ou comment le marketing territorial et l’appétit politique outrepassent l’intérêt réel d’un système de mobilité piloté par une autorité organisatrice de transports. Echec financier d’Autolib à Paris, échec de mobilité de BlueCub à Bordeaux: les solutions Bolloré posent problème. Il serait temps pour les élus de revenir à des considérations plus réalistes.
Cadencement: Philippe Richert écrit à la SNCF
Les présidents de SNCF Mobilités et SNCF Réseau viennent de recevoir chacun un courrier signé du président de Régions de France, envoyé à la suite des travaux du Comité des opérateurs du réseau, qui établissent le choix de SNCF Mobilités de s’opposer à la trame horaire systématique. Mobilettre avait révélé le 3 février dernier (lire Mobitelex 171) le contenu d’une lettre envoyée par Mathias Emmerich, directeur général délégué de SNCF Mobilités, à SNCF Réseau, qui suscite un certain émoi au sein du gestionnaire d’infrastructures puisqu’elle officialise sans précaution cette volonté de SNCF Mobilités de remettre en cause le cadencement – alors même qu’elle semble ne correspondre qu’aux intérêts de l’activité TGV.
Moins d’une semaine plus tard, Philippe Richert exprime son mécontentement auprès de Guillaume Pepy: «Une telle position de l’opérateur des trains régionaux, qui va à l’encontre des intérêts des autorités organisatrices, et sans même une information préalable, est inadmissible». Et le président de Régions de France de rappeler qu’«elle est en contradiction avec les objectifs régulièrement réaffirmés par vous-même en faveur des trains du quotidien après des années de politique tout-TGV».
A l’endroit de Patrick Jeantet, le ton est tout autre: «Les régions réaffirment leur soutien au cadencement du réseau et à l’intérêt d’élaborer une trame horaire systématique». Ce soutien est encore plus clair, un peu plus loin: «Le rôle central de SNCF Réseau pour assurer une répartition équitable des sillons et coordonner les offres des différents transporteurs sera encore renforcé [lors de l’ouverture à la concurrence, NDLR.»
Les deux lettres sont adressées en copie à Alain Vidalies et Bernard Roman, président de l’Arafer. Pour l’instant, ni l’un ni l’autre n’ont réagi.
Jean-Sébastien Barrrault:
«Nous pouvons recourir à la bombe atomique»
En décembre dernier Mobilettre avait révélé l’avis du conseil d’Etat demandant une mise en concurrence le plus vite possible des réseaux de transport routier en Ile-de-France (lire Mobitelex 168). Mais la signature des CT3 (contrats de type 3) entre le Stif et les opérateurs d’Optile, suite au conseil d’administration du Stif du 26 janvier, repousse de fait la concurrence à l’après-2020. L’administrateur général d’Optile, Jean-Sébastien Barrault, se félicite de cette avancée mais garde l’objectif d’une mise en concurrence alignée sur la date fixée pour les réseaux de l’Epic RATP, c’est-à-dire 2024. Sinon…
Mobilettre. Les contrats CT3 sont signés ou en passe d’être signés, pour quatre ans. En 2020, les réseaux d’Optile seront donc en concurrence?
Jean-Sébastien Barrault. Nous nous réjouissons de la position du Stif qui s’est battu avec l’Etat et le préfet de région pour signer des contrats de quatre ans, que nous qualifions de neutres, c’est-à-dire sans aucune référence à ce qui se passera au terme de ces quatre ans. Autrement dit, sans aucune référence à une éventuelle mise en concurrence. Les entreprises d’Optile ne voulaient pas accepter la concurrence au travers de ces CT3. De ce point de vue-là, nous sommes satisfaits de la positon du Stif.
Mais la vraie question reste bien celle que vous avez posée: que se passera-t-il en 2020? Dans sa délibération du 26 janvier, le Stif a crée un groupe de travail avec l’Etat, pour travailler sur la mise en concurrence «loyale, transparente et non faussée» du transport routier de voyageurs en Ile-de-France. Nous souhaitons être associés à au moins une réunion de ce groupe de travail.
Que va-t-il en sortir?
Je n’en sais rien. Existe-t-il une possibilité qu’une mise en concurrence ait lieu répondant à ces conditions: «loyale, transparente et non faussée»? Personnellement j’en doute.
Pourquoi?
Il y a d’abord le problème de la RATP. Peut-on véritablement empêcher la RATP et sa filiale RATP Dev de répondre à des mises en concurrence en 2020, alors que l’Epic RATP garde son monopole jusqu’en 2024? Pour les entreprises d’Optile c’est une condition absolument essentielle.
Notre volonté c’est une mise en concurrence en 2024. C’est ce que prévoit la loi, et contrairement à ce que certains ont pu dire, l’avis du Conseil d’Etat n’a pas force de loi.
Vous jouez le jeu du groupe de travail. Mais si ses préconisations ne vous conviennent pas, qu’envisagez-vous?
Le recours juridique sur le plan national ne sera possible qu’à partir des premiers actes du Stif pour déclencher la concurrence. Un avis du Conseil d’Etat est inattaquable. Mais sur le plan européen, nous sommes sérieusement en droit de nous interroger sur la compatibilité de la loi ORTF avec le règlement OSP. C’est ce que nous appelons la bombe atomique, nous nous réservons de recourir à cette possibilité.
Avez-vous peur de l’arrivée de groupes étrangers?
Très sincèrement les entreprises n’ont pas peur de la mise en concurrence. J’ai lu qu’il était incroyable que des entreprises privées s’y opposent. Mais nous ne nous y opposons absolument pas! Nous nous étions préparés pour 2024, c’est la loi. C’est pourquoi l’avis du conseil d’Etat nous semble ubuesque. Nous savons que des groupes étrangers s’intéressent à l’Ile-de-France et se tiennent prêts pour des appels d’offres… en 2024, nous l’espérons.
Optile est une organisation professionnelle qui regroupe des opérateurs aux intérêts parfois divergents, ne serait-ce que du fait de leurs actionnaires. Avez-vous maintenu l’unanimité?
Cette position sur la concurrence est plus difficile à tenir pour certains opérateurs que pour d’autres, mais je dois saluer l’unité du bureau d’Optile, qui a parlé d’une seule voix sur ce sujet.
Le Stif a d’ores et déjà engagé le travail de préparation de la concurrence, qui mènera à la détermination des lots, la cession d’un certain nombre de dépôts, des conditions juridiques précises… Comment abordez-vous cette nouvelle phase?
Le dialogue avec le Stif a été permanent. Laurent Probst a compris notre position de bon sens: aucun accord n’avait été donné sur une anticipation de la concurrence – le Stif lui-même d’ailleurs n’était pas prêt. Quant à la suite, nous avons des idées, mais le dialogue avec le Stif n’a pas encore commencé.
Valérie Pécresse, lors du congrès de la FNTV en octobre 2016, a insisté sur le plan bus, la création de nouvelles offres sur le réseau autoroutier, mais aussi l’évolution progressive des motorisations. L’effort est considérable. Finalement, la concurrence repoussée à plus tard, ça arrangerait tout le monde?
C’est notre sentiment, en tout cas: ne travaillons pas de manière précipitée sur la concurrence. Les investissements des entreprises, déjà consentis et à venir, sont importants. Une mise en concurrence anticipée pourrait valoir des recours et des recherches de responsabilités parce que les entreprises se sont basées sur une activité planifiée jusqu’en 2024.
Quand la Commission soulage la Région Ile-de-France
et les opérateurs…
Une bonne nouvelle peut en cacher une autre. Confortés par la signature de CT3 qui repoussent l’échéance de la concurrence, les opérateurs d’Optile viennent d’apprendre que la Commission européenne approuve les aides qui leur avaient été octroyées par la Région Ile-de-France à partir de 1994. L’enquête faisait suite à une plainte des Cars Suzanne, qui considéraient que la Région, par ses aides à l’acquisition de matériel roulant puis ses compensations de service public, subventionnait de fait des activités hors contrat. «Il n’y a pas d’avantage indû aux bénéficiaires», a conclu la Commission. Ouf! respirent la Région et les opérateurs, puisque l’on estime à environ 200 millions d’euros les montants en cause.
A partir de 2006, le Stif avait revu le dispositif, notamment en surveillant le taux de réemploi du matériel roulant. Après une telle conclusion d’enquête de la Commission, il est donc probable que l’affaire s’arrêtera là.
Le Stif prépare sa réorganisation
C’est le cabinet Ernst & Young qui accompagne le Stif dans la mise au point puis la mise en place d’une nouvelle organisation interne. L’objectif du directeur général Laurent Probst est d’aboutir à la fin de ce semestre. Deux priorités paraissent dominer: plus de transversalité dans le travail des divisions, et quelques rationalisations.
L’animation du dispositif actuel, conçu il y a dix ans, tenait beaucoup à l’énergie et à l’expérience de Sophie Mougard qui sollicitait à sa main l’expertise de ses collaborateurs. Le nouveau positionnement du Stif depuis l’arrivée de Valérie Pécresse, placé délibérément au service des élus, accapare le directeur général, qui cherche donc à améliorer les dialogues en interne. Par ailleurs, il lui semble nécessaire de renforcer certaines compétences (en ferroviaire par exemple), et de mieux armer l’autorité organisatrice sur des dossiers d’avenir très difficiles (la billettique, la tarification et les appels d’offres, notamment) – ce qui implique peut-être quelques modifications de périmètres dans les services.
Patrick Vieu échoue à Albi
Ancien directeur des services de transport à la DGITM et conseiller de François Hollande de 2012 à juin 2014, Patrick Vieu avait décidé de se lancer dans la politique après son départ de l’Elysée. Devenu secrétaire fédéral du parti socialiste à Albi, il concourait à la candidature pour les législatives dans la 1ère circonscription du Tarn. Le vote a eu lieu début décembre, et s’est soldé par une nette défaite: 56 voix contre 106 voix à Patrice Bédier, conseiller municipal d’Albi. Patrick Vieu a annoncé dans la foulée sa démission de son poste départemental.