BILLET
Pas étonnant que l’Europe ne fasse plus rêver…
Le Parlement européen proposait d’offrir à chaque jeune Européen, lors de ses 18 ans, un billet Interrail gratuit. La Commission européenne, invoquant le coût de la mesure, a imaginé une solution totalement bureaucratique: elle préfère accorder à quelques milliers de jeunes (d’abord 5000 et peut-être 2000 ensuite) de 16 ans et plus, participant au programme de jumelage en ligne eTwinning, une subvention (de 350 à 530 euros) valable pour des titres de transport. Les voyages doivent être effectués entre août 2017 et septembre 2018 de préférence en groupe dans le cadre d’un voyage scolaire, ou éventuellement individuels. Ils peuvent se faire en train, en avion, en car et doivent être économes en CO2.
On est bien loin de l’idée du Parlement européen qui voulait permettre aux jeunes Européens d’apprendre à mieux se connaître mais avec un peu plus de liberté, d’imagination et d’enthousiasme. La Commission a raisonné comme si les jeunes étaient des plantations de betteraves ou des poulets d’élevage; elle leur accorde une subvention sous conditions! Elle rate une belle occasion de fêter l’anniversaire du Traité de Rome et les 30 ans du programme Erasmus. Le Parlement européen persiste et veut inscrire le billet Interrail au budget 2018; c’était pourtant le bon moment, cette année, de donner un coup de pouce à l’Europe des Peuples face à la montée de l’Europe des Nations…
Vélib 2: révolution en cours
Pour de nombreux observateurs l’affaire était pliée: le nouvel appel d’offres du VLS parisien ne pouvait échapper à la puissante alliance sur le papier JC Decaux-SNCF-RATP. Oui mais voilà, le challenger Smoove, avec Indigo et Mobivia, a déposé une offre crédible techniquement et agressive commercialement (lire Mobizoom 52). Même si personne ne s’autorise à confirmer la nouvelle officiellement, la commission d’appel d’offres du nouveau syndicat Vélib/Autolib aurait constaté l’avantage de la PME montpelliéraine. Le résultat définitif est annoncé pour la mi-avril au plus tard.
Chez JC Decaux, c’est la douche froide. Perdre le plus grand marché au monde de VLS, dans la ville qui a signé le début d’une expansion mondiale du système, reviendrait à se priver d’une vitrine sans égale. Preuve du désarroi, on n’hésite pas – jamais officiellement car JC Decaux ne communique pas ou presque pas – à diffuser l’idée que Smoove fait du dumping social, avec des salaires plus bas et des effectifs moindres. Les salariés ont exprimé leur inquiétude, en diffusant, lundi 27 mars, des tracts dans les paniers de nombreux Vélib. Côté SNCF et RATP, on dit être étonné du prix proposé par Smoove (même si le prix ne pèse «que» 40% de l’ensemble des critères d’évaluation).
Oser l’alternance sur Vélib, ce serait aussi reprendre la main sur une offre à fort potentiel, devenue identitaire d’une autre façon de vivre la ville
Et si JC Decaux avait aussi payé une forme de passivité dans l’exécution du contrat? En dix ans, mis à part le remplacement progressif de la mollette de réglage de la hauteur de la selle, une certaine amélioration des rotations des vélos et quelques ajustements de l’interface du site, l’offre est restée à peu près similaire aux origines. Les professionnels du transport public le savent bien, il est nécessaire d’enrichir en permanence les services proposés pour garder la confiance des autorités organisatrices et des usagers. JC Decaux découvrirait-il brutalement le monde impitoyable des DSP de mobilité? En écartant (logiquement) Keolis et RATP Dev de l’alliance avec JC Decaux, SNCF et RATP se sont sans doute privés de l’expertise de leurs deux filiales. Aurait-elle permis à JC Decaux de remonter la pente face à un adversaire motivé et imaginatif?
Anne Hidalgo doit être aujourd’hui partagée. Faire perdre JC Decaux, c’est flatter sa gauche qui a toujours été réservée envers le géant de l’affichage, dont la légendaire discrétion sur ses modèles économiques engendre un bon nombre de suspicions. Oser l’alternance, c’est aussi se sortir d’une dépendance à un industriel et, d’une certaine façon, reprendre la main sur une offre à fort potentiel, le Vélib, devenue identitaire d’une autre façon de vivre la ville. Mais la maire de Paris doit aussi résister à la pression de salariés inquiets, salariés dont elle partage d’ordinaire très volontiers les combats. Il lui reste quelques jours pour mettre en accord ses sentiments un tantinet contradictoires, dans le respect d’une procédure bien rodée.
CONTRAT DE PERFORMANCE ETAT-SNCF RESEAU
Et à la fin c’est le train qui trinque…
Logiquement l’Arafer a rendu un avis très sévère jeudi 30 mars sur le contrat de performance qui doit lier pour dix ans l’Etat et SNCF Réseau. Un temps tenté de ne pas rendre d’avis, ce qui aurait tout simplement bloqué la signature du contrat, le régulateur s’est finalement résolu à dire tout le mal qu’il pensait de la copie proposée. Deux ans pour ça, a commenté en substance son président Bernard Roman. Deux ans pour ne pas se prononcer sur la consistance à terme du réseau, deux ans pour limiter ses engagements financiers et laisser dans le flou les critères de performance et de productivité, accoucher d’une trajectoire financière irréaliste et d’une tarification insoutenable.
Encore une fois le TGV électrise le débat public quand c’est toute la France ferroviaire qui tremble: que restera-t-il des TER et du fret dans vingt ans?
Malgré cet avis négatif, tout est en ordre pour un double vote aux conseils d’administration de SNCF Réseau le 18 mars et de surveillance de l’Epic de tête le 19 novembre, en vue d’une signature ministérielle par Alain Vidalies le 20 avril. Selon nos informations cette date envisagée il y a dix jours par l’Etat est toujours d’actualité. Renoncer à signer serait pire qu’une signature sous les critiques – le quinquennat a connu suffisamment de renoncements. Car malgré tout, ce contrat de performance prévu par la loi de 2014 et promis par Alain Vidalies existe désormais, c’est une première: il permet, malgré ses lacunes, à SNCF Réseau de planifier des travaux, de donner de la visibilité à ses fournisseurs et prestataires qui en ont besoin pour investir dans des matériels et des compétences.
Le débat ouvert par l’Arafer sur les défauts d’engagement de l’Etat et de SNCF Réseau est légitime de par la mission que la loi assigne au régulateur. Mais paradoxe de l’histoire, alors même que l’objectif du régulateur consiste à consolider l’équation économique du réseau, l’expression publique s’est vite focalisée sur un point: l’avenir du TGV! Les masques sont tombés, la semaine dernière: SNCF Mobilités a demandé une baisse de 35% du prix des péages TGV. En plein débat sur des engagements publics à dix ans, l’Epic Mobilités d’un système dit intégré la joue effrontément perso. La France veut-elle sauver son TGV ou l’offre ferroviaire?
Du coup, par magie, on «oublie» les trois faiblesses historiques et structurelles du ferroviaire français:
L’Etat, pour faire travailler Alstom mais aussi par démagogie, a laissé la SNCF s’engager sur la voie quasi exclusive d’une politique de volume de la grande vitesse, avant de remonter le prix des péages pour éviter la déconfiture financière et parer à la dégradation du réseau. Résultat: le désamour entre les Français et la SNCF, qui a répondu au problème des péages non pas par l’augmentation conjointe de sa performance et de sa productivité, mais par l’augmentation spectaculaire des prix du TGV et le sous-investissement dans les trains du quotidien. L’Etat, paralysé par le risque social, n’a guère pesé, c’est un euphémisme, en faveur de changements radicaux d’organisation et d’une réforme du statut. Les efforts réalisés par les managers de la SNCF sont annihilés par des dérives mécaniques, hors contrôle. Et l’inflation ferroviaire, concept à tout jamais surprenant, n’est aujourd’hui que le paravent de la déproductivité persistante de la SNCF.
La crise ferroviaire est donc toujours là, plus que jamais, dans le constat déprimant de ces actions désordonnées. L’Arafer pointe les insuffisances du contrat de performance, SNCF Réseau veut avancer sur la planification et la visibilité, Bercy bloque tout engagement financier d’envergure, y compris en matière de désendettement – et tous les acteurs doutent de la capacité du système à se réformer en profondeur.
Tout le monde a raison, mais personne ne peut prendre la seule décision d’avenir qui est du ressort de l’Etat stratège: définir une vision du réseau à dix ans, partagée par les régions, de façon à garantir des financements d’entretien et de régénération suffisants et accueillir des opérateurs en concurrence. Un ferroviaire ambitieux ne peut exister sans un gestionnaire d’infrastructures fort et protégé des vicissitudes politiques.
Concurrence: les Régions accélèrent
Présidées par Michel Neugnot, président de la Commission transport et mobilité, des auditions des principaux opérateurs ferroviaires en Europe seront organisées à partir du 6 avril prochain par Régions de France. Objectif principal: «Identifier l’ensemble des sujets à traiter en amont et lors de l’élaboration des appels d’offres». A ce stade, il n’est plus explicitement fait mention d’une loi d’expérimentation. Les élus ont-ils entendu le représentant d’Emmanuel Macron, Arnaud Leroy, parler à ce propos d’«un bal de faux-cul» lors du Grand débat Transport organisé par Mobilettre et TDIE, le 22 mars, ou Dominique Bussereau souhaiter un passage direct aux appels d’offres?
Cette initiative préfigure-t-elle une accélération du calendrier de la mise en concurrence après l’élection présidentielle? En régions, plusieurs vice-présidents initialement peu enclins à sortir du monopole SNCF regardent les budgets TER avec effroi et espèrent sauver la patrie ferroviaire avec des baisses de coût consécutives à des mises en concurrence.
RESULTATS
Transdev, la nécessité d’une clarification stratégique
C’est entendu, pour la deuxième année consécutive Transdev confirme son redressement:
Mais Thierry Mallet, PDG depuis septembre dernier, ne peut s’en satisfaire: ces performances sont durement acquises, au prix d’une grande rigueur de gestion sous l’autorité de Marcos Garcia, et les concurrences sur le front des nouvelles mobilités (cars Macron, VTC, TAD etc) annulent les efforts réalisées dans les activités régulées. Il est donc urgent de mieux définir les contours à venir de l’offre de services du groupe.
Que faire? D’abord réaffirmer un choix: celui de la croissance rentable. «Je privilégierai toujours la rentabilité à la croissance», a clamé Thierry Mallet, qui n’ira pas à la course aux armements sur le marché des SLO (services librement organisés, autrement dit les cars Macron). Ensuite formaliser une identité: ce sera la mobilité PACE, pour personnalisée, autonome, connectée, électrique. Yann Leriche, à la tête d’une business unit, est chargé de donner de la consistance industrielle au slogan. Pour l’actionnaire majoritaire, la Caisse des Dépôts, dont le directeur général Pierre-René Lemas présentait aussi ses résultats cette semaine, l’axe prioritaire de différenciation semble clair: il présente sa filiale Transdev comme le numéro 1 des bus électriques en Europe, grâce à Connexxion aux Pays-Bas (lire Mobitelex 177).
Qu’est-ce qui pourrait inciter une entreprise comme Renault-Nissan, ou un énergéticien, à investir du capital dans Transdev plutôt qu’à signer des partenariats d’innovation?
Ce travail sur une identité industrielle et commerciale plus affirmée va de pair avec la recherche d’un ou plusieurs actionnaires d’ici la fin 2018 au plus tard, a minima pour solder la participation de Veolia Environnement, déjà ramenée à 30% en décembre dernier. L’idéal pour Thierry Mallet: convaincre un actionnaire financier et un actionnaire industriel, pour des investissements de long terme. Problème: sur quelles bases de développement? Qu’est-ce qui pourrait inciter une entreprise comme Renault-Nissan, ou un énergéticien, à investir du capital dans Transdev plutôt qu’à signer des partenariats d’innovation? Où l’on retrouve l’impératif de faire des choix clairs susceptibles de correspondre aux évolutions des pratiques de mobilité individuelle et collective. On exploite les recherches des labs pour amorcer des solutions opérationnelles, avec au plus vite les business qui vont avec.
Mais les plus grandes stratégies ont aussi besoin de quelques coups de pouce bien plus terre-à-terre. Transdev s’est concentré depuis quatre ans sur son redressement, a privilégié le défensif et la rationalisation de ses contrats et activités; l’entreprise aurait bien besoin maintenant d’une victoire mobilisatrice, qui signerait le début d’un nouveau cycle de développement. On ne s’en cache pas au siège: si Transdev gagnait Lille, ce serait la fête au village. Et le ferment d’une nouvelle confiance dont les équipes ont bien besoin pour les futures batailles de la mobilité.
RATP Dev, les (gros) enjeux de 2017
Nous avions titré à propos des résultats et perspectives de Keolis, il y a deux semaines: «Vivement demain?» On pourrait titrer de la même manière cette semaine pour RATP Dev, tellement les deux entreprises ont connu des fortunes (et infortunes) similaires en 2016, et nourrissent quelques espoirs partagés en 2017.
Même si RATP Dev n’a pas divulgué le détail de ses résultats, on sait que le chiffre d’affaires a stagné en 2016 (autour de 1,1 milliard d’euros). Comme Keolis (à 5 milliards). RATP Dev s’est emparé de Vannes, Keolis a arraché Bayonne à Transdev. RATP Dev fut certes toute seule à perdre de l’argent sur son activité de Sightseeing (pour cause de repli de la fréquentation consécutif aux attentats), et à avoir cédé un gros contrat (Manchester) au bénéfice de… Keolis, qui se trouve aujourd’hui lui-même en grande difficulté à Lille.
Le gain de la Toscane (400 millions d’euros de chiffre d’affaires par an) est entravé par les recours judiciaires de son rival malheureux Mobit. Pour Keolis, c’est Hyderabad qui ne dégage toujours pas de chiffre d’affaires, à cause des complexités de la gouvernance indienne. A Doha et Ryiad, les deux entreprises attendent avec espoir de bonnes nouvelles, susceptibles d’apporter plusieurs centaines de millions d’euros par an. A Caen (réseau urbain) et à Montréal (métro automatique), elles se disputent durement.
L’année 2017 sera donc importante pour RATP Dev qui pourra évaluer sa capacité à répondre avec compétence et agressivité à des appels d’offres compliqués. Outre ceux déjà cités, elle devra défendre ses positions à Casablanca (face à Transdev), en France à Charleville et Epernay ou en Ile-de-France sur les marchés de sa filiale Flexcité, perturbée par la concurrence de… Keolis.
En Ile-de-France, l’Epic RATP moins rémunéré
mais très sollicité
Comme prévu la diminution des contributions du Stif, dans le cadre du nouveau contrat 2016-2020, aboutit à une baisse du chiffre d’affaires de l’Epic RATP, à 4,654 milliards d’euros en 2016, due également à une baisse des recettes clients liée au Navigo à tarif unique. Logiquement le résultat net retombe à 171 millions, par rapport au record de 437 millions de l’année 2015, qui avait troublé l’autorité organisatrice.
L’accumulation de travaux est la principale caractéristique de l’activité de l’Epic pour les années à venir: prolongements de lignes de métro (lignes 4, 11, 12 et 14) et de tramway (T3, T1, T7), automatisation de la ligne 4, poursuite du renouvellement de l’infrastructure de la ligne A, rénovation de stations et gares… Les problèmes rencontrés sur le prolongement de la ligne 14 porte de Clichy, avec de très importantes fuites d’eau, sont une forme d’avertissement pour la Société du Grand Paris engagée dans des travaux pharaoniques: construire des infrastructures souterraines en zone dense n’est pas une sinécure.
Les impératifs de qualité de service restent malgré tout prioritaires. Quelques exemples de lacunes persistantes: trop de dispositifs d’information en temps réel indisponibles ou défaillants, un RER A toujours en souffrance, des lignes de bus prises au piège des embouteillages, des écarts spectaculaires de niveaux de propreté… La lutte contre la fraude, avec l’aide du Navigo à tarif unique et grâce à la mobilisation accrue des équipes de terrain, donne de premiers résultats encourageants: de 3% à 2,2%, dans le métro et le RER, de 13% à 10,4 dans les réseaux de surface.
NOMINATIONS
Un nouveau directeur financier pour SNCF Réseau
Patrick Jeantet continue le nouvellement de son équipe de direction. Après les départs de sa dircom Priscille Garcin, de retour à l’Epic de tête, et de sa DRH Bénédicte Tilloy, c’est sa directrice financière Odile Fagot qui laisse la place à un nouvel arrivant de l’extérieur: Hugues de Nicolay, jusqu’à aujourd’hui vice-président finances de Nokia, a effectué toute sa carrière au sein du groupe Alcatel-Lucent.
Michel Quidort président de la fédération européenne des voyageurs
Ancien de Veolia Transport et Transdev, Michel Quidort est depuis longtemps un grand spécialiste des questions européennes. Membre du bureau national de la Fnaut depuis son départ en retraite, il a été élu le 17 mars dernier président de la Fédération européenne des Voyageurs (EFV), créée en 2002, qui regroupe 40 associations représentatives.
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