Notre-Dame-des-Landes: quatre leçons
L’épilogue de l’aéroport du Grand Ouest, s’il révèle la puissance des mobilisations écologiques, constitue surtout un nouveau signe d’affaiblissement de la maîtrise d’ouvrage publique.
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Le mérite d’une décision
On ne va pas accabler un gouvernement qui prend enfin une décision, après des années de tergiversations. Car au tribunal de l’histoire du défunt projet NDDL, le quinquennat de François Hollande serait en vedette. Mais il reste au gouvernement Philippe à réussir la suite, c’est-à-dire ses propres promesses: la retour à la normale sur la ZAD et l’amélioration des dessertes de l’ouest, notamment par le ferroviaire. Tiens! le TGV retrouve quelques vertus…
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L’aveu des lacunes de conception
Le projet de Notre-Dame-des-Landes est devenu anachronique car ses promoteurs ne l’ont pas adapté à l’évolution de son contexte, à commencer par l’exigence environnementale croissante. Ainsi, des hectares de parking pour voitures sont une aberration contemporaine. Nous persistons à penser que le véhicule individuel ne doit plus constituer le principal moyen d’acheminement des passagers de l’aérien, sinon le bilan carbone déjà pas bien brillant devient franchement dramatique. Donc un aéroport mal desservi car mal positionné, c’est le symbole d’une anomalie. Et il peut fédérer tranquillement toutes les oppositions.
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L’absence d’un portage efficace
Quand on considère la réalisation effective des grands projets de ces vingt dernières années (citons les LGV Est, Tours-Bordeaux et Le Mans-Rennes, l’autoroute Bordeaux-Pau, les grands projets de transports urbains en Ile-de-France, à Lyon, Bordeaux, etc), à chaque fois le portage politique fut clair et efficace. A Notre-Dame-des-Landes, il fut tardif et insuffisant malgré l’implication courageuse de Jacques Auxiette notamment. Les supporters du Lyon-Turin devraient s’inquiéter: qui pour prendre la relève de l’emblématique Louis Besson? Wauquiez s’en fout, Collomb regarde vers Paris, les députés sont si prudents. A l’inverse, le canal Seine-Nord pourrait s’en sortir malgré ses lacunes car Xavier Bertrand s’engage clairement et semble fédérer tous ses supporters…
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L’échec d’une méthode
La lourdeur des procédures de concertation, de consultation publique et de validation est un frein manifeste à l’adaptation des projets publics. L’accumulation des obligations de toutes natures réduit l’agilité et l’intelligence nécessaires. Il faut d’abord être dans les clous juridiques d’une débauche administrative avant de penser à tout le reste, y compris l’acceptabilité sociale. Le précédent de l’écotaxe n’a pas servi de leçon: puisque tout avait été validé, pourquoi a-t-on échoué?
Désormais les majorités doivent être elles aussi bruyantes pour l’emporter. Quoi qu’on en pense, le formalisme républicain ne suffit plus à imposer les projets. Les maires des grandes villes l’ont compris depuis longtemps, qui cherchent en permanence à ajouter aux délibérations de leurs instances des campagnes de soutien plus populaires.
Grand Paris Express: trois évidences
Les dérives du Grand Paris Express, justement dénoncées par la Cour des Comptes, sont dues principalement à la mégalomanie politique et à l’excessive soumission de quelques serviteurs de l’Etat débordés à des consignes irréalistes et coûteuses.
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Les mensonges
La liste des mensonges peut s’égrener tel un chapelet. «Tout sera fini en 2020!» (le 30 septembre 2010, au Palais des Congrès) «Le prolongement de la ligne 14 au Nord sera prêt en 2017» (prévisions initiales de la RATP, sous pression de l’Etat) «La ligne 15 Sud sera opérationnelle en 2019» (prévisions initiales de la SGP, sous pression de l’Etat). Et on en passe…
Le pompon: les promesses du dossier de candidature aux JO de 2024. Tableau 50c, «infrastructures de transport prévues», page 57. On y lit: «Prolongement ouest RER E en 2022, ligne 15 en 2022, ligne 16 en 2023, ligne 17 en 2024». Sic.
Tony Estanguet, président du comité d’organisation des JO 2024, s’offusque aujourd’hui des «retards» du Grand Paris Express. Trois hypothèses: soit il a gobé de bonne foi les mensonges d’Etat, soit il y croit encore, soit il continue à jouer le jeu du mensonge permanent. Dans les trois cas, ce n’est pas très glorieux.
Car depuis dix ans, la plupart des responsables du dossier avancent des délais et des budgets totalement irréalistes. Philippe Yvin a fini par admettre à Mobilettre en avril 2015 que la ligne 15 Sud serait prête fin 2022, et non pas en 2020. Avant cela, et après, que de consignes, venues de Matignon notamment, relayées bien servilement. Pourtant, les gestionnaires d’infrastructures SNCF Réseau et RATP, de même que les grandes AO (le Stif, le Sytral) ont appris à jouer davantage la transparence sur leurs grands chantiers, souvent contre la pression des élus. Qui s’en plaint? Mais pour les responsables gouvernementaux, le temps long de l’infrastructure est souvent une insulte à leur obsession électorale.
Dernier mensonge que le rapport de la Cour des comptes vient enfin de relever, l’idée selon laquelle le financement du Grand Paris Express était indolore pour la collectivité au motif qu’il ne sollicitait pas le budget de l’Etat. A faire hurler tous les économistes sérieux. Plus c’est gros mieux ça passe?
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Les inconséquences
Admettons donc que l’urgence des enjeux de mobilité ait commandé de tout faire le plus vite possible. Il aurait alors fallu transformer la SGP en machine de guerre: lui accorder dès le début des effectifs suffisants en maîtrise d’ouvrage, la doter de dirigeants aguerris à de tels défis plutôt que des personnalités au profil politique, s’assurer d’un contrôle rigoureux des marchés publics, consolider le conseil de surveillance etc. Rien de tout cela n’a été fait. Le rapport de la Cour des comptes peut donc mettre le doigt là où cela fait mal: une gouvernance défaillante, des compétences insuffisantes.
Pendant ce temps-là, au sein du conseil de surveillance de la SGP, Bercy attendait son heure pour reprendre la main, les administrateurs d’Etat laissaient faire, les élus surveillaient mollement… Et le directoire avançait tranquillement dans le mur, sans klaxonner.
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Les dégâts
- La facture du Grand Paris Express explose, bien au-delà des surcoûts plus ou moins attendus. On passe de 23 à 35 milliards (si l’on enlève les 3,5 milliards extérieurs au projet initia), soit plus de 50% de dépassement… (lire ci-dessous: pourquoi le Grand Paris Express a dérapé). Avec ce chef d’œuvre de Philippe Yvin en octobre dernier, quelques jours après la révélation par Mobilettre de l’évaluation à 35 milliards d’euros: «On ne peut savoir les vrais coûts qu’à la fin des travaux«.
- Il semble de plus en évident que la collectivité publique ne pourra pas à la fois promettre aux Franciliens la réalisation in extenso du Grand Paris Express et la modernisation rapide de l’infrastructure existante (notamment les RER et les lignes ferroviaires de banlieue)
- Les défauts de compétence du maître d’ouvrage se répercuteront probablement sur la qualité des espaces et des gares (au nombre de 68), qui seront pourtant des ingrédients essentiels de l’attractivité du nouveau réseau et de ses bénéfices socio-économiques (lire aussi ci-dessous).
Le gouvernement s’apprête à livrer des arbitrages en forme de compromis et d’équilibrisme financier. Doit-il aller plus loin et rouvrir le dossier de l’aménagement de l’Ile-de-France? Après tout, il a tiré la conséquence d’années de tergiversations à Notre-Dame-des-Landes, il peut arrêter aussi la machine infernale du Grand Paris Express à 0,5% du PIB, avant qu’elle n’emporte les finances publiques et condamne la modernisation des infrastructures existantes…
Pourquoi le Grand Paris Express a dérapé…
… et pourquoi cela pourrait être bien pire demain. Un spécialiste des marchés décrypte la situation pour Mobilettre
Les travaux souterrains en Ile-de-France sont en surchauffe avérée et grave
«Les prix des offres du BTP en Ile-de-France pour les grands travaux souterrains, en 2017, sont environ 20% à 30% plus chères qu’en 2013/2014», nous explique un spécialiste des marchés de travaux. Pour lui, il ne s’agit pas d’un cartel entre entreprises de BTP mais de la conséquence d’une tension extrême du marché des compétences dans le domaine des travaux souterrains. «Sur les chantiers de paroi moulée on voit des grutiers novices à bord de leurs machines allemandes rutilantes, Bauer ou Liebherr, recourir au manuel d’instruction pour les conduire, raconte-t-il. Les erreurs de chantiers se multiplient, les pertes de rendement apparaissent, et donc les coûts et les délais dérapent dans les comptes et les plannings des entreprises». Conséquence, ces dernières incluent des provisions pour risques substantiels, aux prix normaux s’ajoutent des provisions (logiques) pour pénalités de retard, pour pertes de rendement et pour incidents de chantiers.
Il suffit de circuler à proximité des chantiers, l’Europe entière travaille aujourd’hui sur les chantiers du GPE. La main d’œuvre compétente vient de Belgique, d’Italie, de Suisse. De leur côté la plupart des grands groupes européens (les Italiens Salini et Impresa-Pizzarotti, le Suisse Implenia, le Belge Besix, des Hollandais) s’intéressent aux appels d’offres.
«Les prix ne seront soutenables que lorsque le rythme des travaux redeviendra industriellement raisonnable au regard des compétences disponibles en matière de travaux souterrains (tunnels et gares)», poursuit notre expert. A savoir probablement 25 à 30 ans.
Les élus considèrent avec entêtement que l’intendance suivra, qu’une fois l’argent débloqué tout doit rouler normalement. C’est faux: même avec beaucoup d’argent, les délais annoncés ne seront pas tenus. Conclusion: il faut soit revoir le calendrier, soit revoir la consistance même d’un projet démesuré
La conception des lignes et des gares est pharaonique
Le projet du Grand Paris Express a été dimensionné pour refléter la grandeur du donneur d’ordre, à savoir le président de la République. Depuis le début du projet, les tracés choisis ont fait fi de la plupart des contextes topologiques, urbains et géologiques, ce qui conduit à des gares à des profondeurs absurdes, donc très chères. «Rien n’a été trop beau, explique notre spécialiste, les gares et trains ont été largement dimensionnés en largeur, en longueur et en hauteur». Et parce qu’il fallait plaire aux élus, on leur a promis des bâtiments qui soient des lieux d’expression de l’identité territoriale et de l’architecture contemporaine. Du coup, pas de standardisation ni d’industrialisation des constructions….
Les coûts d’une intermodalité réussie sont encore très sous-estimés
Conséquence des conceptions architecturales qui ont accaparé les décideurs, l’accent n’est guère mis pour l’instant sur ce qui devrait pourtant constituer l’obsession des maîtres d’ouvrage: la qualité des intermodalités. «Les coûts en la matière ne sont pas pleinement comptabilisés, alors que les correspondances avec les RER et les lignes ferroviaires, les rabattements bus, les vélos et trottinettes, les offres automobiles seront des éléments essentiels d’attractivité et de performance.» Si sur l’autel d’une nouvelle rigueur budgétaire, on sacrifie l’intermodalité du Grand Paris Express, alors on aura construit une infrastructure déconnectée des besoins de déplacement de proximité, soit exactement le contraire de la nouvelle doxa de la ministre.
EN BREF
SNCF: Robin c’est fini, voilà H00 et Info First
Lors d’une convention réunie en début de semaine, le programme Robin (robustesse et information voyageur) né cet été des déboires de Montparnasse a été rebaptisé. Pour la partie robustesse, il s’appellera H00, pour bien signifier le nouvel impératif de faire partir les trains à la seconde. Pour l’information voyageur, ce sera info First (Fiabiliser l’Information pour la rendre Réactive et Sur mesure pour Tous les clients). C’est un tantinet longuet… Mais ça donne l’ampleur du chantier de transformation.
H00 changera de pilotage dans les semaines qui viennent, puisque Guillaume Marbach va diriger SNCF Réseau en Ile-de-France, et Nathalie Juston seconder Benjamin Raigneau à la tête des RH.
Elisabeth Borne n’a pas signé le décret sur les VAE
C’est un détail qui révèle la tension persistante entre le ministère des Transports et Bercy sur certains dossiers. Le 30 décembre dernier, Elisabeth Borne n’a pas signé le décret précisant les conditions d’octroi du nouveau système de prime à l’acquisition de VAE (vélos à assistance électrique), alors qu’elle y était naturellement invitée. Comme nous l’écrivions le 24 novembre (Mobitelex 200), Bercy a bel et bien imaginé un dispositif dont la complexité allait décourager tous les utilisateurs. Et la ministre, qui soutient publiquement le vélo, s’est retrouvée en porte-à-faux. D’où cette non-signature.
Thierry Mallet intègre le comité exécutif du Medef
Thierry Mallet hésitait lors de son arrivée à la tête de Transdev, à l’automne 2016, à briguer la présidence de l’UTP. Non seulement il a succombé aux charmes et délices de la branche professionnelle des transports, mais le voilà aussi maintenant à la tête du GITL, le groupement interprofessionnel du transport et de la logistique, qui regroupe l’UTP, la FNTV, la FNLV, l’Unim, TLF, la FNTR et la Fnam. Il remplacera le 3 avril prochain Claude Blot (TLF) et siégera donc au comité exécutif du Medef, où il pourra donc mieux représenter le transport de voyageurs qu’il ne le fut jusqu’à maintenant. Laurent Mazille, directeur des relations institutionnelles de Transdev, a également été nommé secrétaire général du GITL.