Infrastructures: la voie étroite
d’une autre politique d’investissements
Le rapport du conseil d’orientation des infrastructures, présidé par Philippe Duron, s’inscrit très nettement dans le nouveau cadre défini par Elisabeth Borne: phasage quasi-systématique des grands projets, priorité aux travaux de désaturation, régénération et modernisation des réseaux, encouragement des mobilités actives. Mais encore faut-il que le gouvernement, dans ses arbitrages à venir, puis les parlementaires confirment une telle ambition. Entre la rigueur budgétaire du premier et les tentations de grandeur des seconds, ce n’est pas gagné.
La mise en scène était un brin surannée, ce jeudi matin dans la grande salle du ministère de l’Environnement. Elisabeth Borne au pupitre, sur scène, avec à ses côtés et derrière elle la quasi-totalité des membres et rapporteurs du conseil d’orientation des infrastructures (COI), qui sont sagement restés debout pendant une quinzaine de minutes. Sitôt son discours prononcé, la ministre s’est éclipsée, laissant Philippe Duron présenter son rapport et répondre aux questions.
Il en va ainsi désormais des communications gouvernementales: de la solennité et de la distance, une grande maîtrise de la prise de parole, aucune improvisation, surtout vis-à-vis de la presse. Une fois la ministre partie, plusieurs membres de la Commission se sont d’ailleurs égaillés: la séquence officielle était finie.
On ne retiendra donc essentiellement du discours d’Elisabeth Borne qu’un paragraphe, sur la suite des agapes: «Je recevrai la semaine prochaine l’ensemble des présidents de région, des grandes associations de collectivités, les représentants d’usagers et les ONG, pour recueillir leurs réactions sur ce rapport, leurs préférences quant aux différents scénarii, et leurs propositions», a précisé la ministre, qui a poursuivi: «Le gouvernement fera dans les prochaines semaines un choix clair sur le scénario retenu. Il constituera la base du volet loi de programmation et de financement des infrastructures du projet de loi d’orientation des mobilités, que je présenterai en avril au Conseil des ministres. Car ensuite, c’est bien le Parlement qui aura à en débattre.»
Vu la position de Bercy vent debout contre ces perspectives dépensières, il était bien difficile à la ministre de prendre quelque engagement public sur la suite
Voilà ce qu’on comprend: vu la position de Bercy vent debout contre ces perspectives dépensières et arc-boutée sur sa mission quasi-transcendantale de rétablissement des comptes publics, il était bien difficile à la ministre de prendre ce jeudi quelque engagement public que ce soit sur les scénarii d’investissements et les projets prioritaires (voir plus bas). Tout juste peut-elle se présenter devant les élus, les usagers et les associations avec un rapport sérieux et crédible, avant d’aller brûler quelques cierges pour espérer s’en sortir avec des arbitrages pas trop cata.
On est tout aussi circonspect devant le calendrier avancé par la ministre: au rythme auquel avance l’examen des articles du projet de loi LOM (loi d’orientation des mobilités, à laquelle devrait être rattaché le volet de programmation) en réunions interministérielles, il faudrait bien quelques semaines ou mois supplémentaires pour accoucher d’un texte validé et consolidé. Car l’Intérieur et la Cohésion des Territoires, notamment, ne manquent pas de défendre une certaine orthodoxie législative face aux textes présentés par le ministère des Transports, ce qui est somme toute assez logique. En d’autres termes, la batterie de conseillers et fonctionnaires organisés en mode projet «loi LOM» ne sont pas sortis de l’auberge.
On va faire sur la durée du cousu main en fonction des besoins réels et des bénéfices attendus
Reste une certitude: en matière de programmation, il y a désormais sur la table un document de travail de grande qualité, en ce sens que le rapport du COI esquisse enfin une logique de choix et de phasage des investissements. Mobilité 21 était face au tri impossible de la liste du Snit, à base des sacro-saints taux de rentabilité socio-économiques pourtant malmenés par les intérêts politiques (souvenons-nous du Poitiers-Limoges). Cinq ans après, le COI a pris la mesure de la situation budgétaire et de la philosophie défendue par la ministre, sinon par l’ensemble du gouvernement: on va faire sur la durée du cousu main en fonction des besoins réels et des bénéfices attendus, au lieu de concentrer les budgets sur quelques années et quelques grands projets.
L’exemple pris par la ministre, celui de la résorption des nœuds ferroviaires de Bordeaux et Toulouse comme préalable à la suite, c’est-à-dire la LGV elle-même entre les deux capitales du sud-ouest, est très parlant: ce phasage devrait bénéficier à court terme aussi aux TER et aux Intercités, voire au fret. Il n’est pas simple à entendre par des élus qui aiment des annonces compactes et spectaculaires, mais c’est probablement une manière de désintoxiquer l’opinion de quelques rêves proclamés. On attend par ailleurs avec intérêt la réaction desdits élus régionaux, auxquels le gouvernement aimerait bien refiler les lignes UIC de 7 à 9…
La sanctuarisation des crédits d’entretien et de régénération est un préalable à l’émergence d’une industrie performante de la modernisation
Il a fallu un paquet d’années pour que soit prise en considération l’évidence de la détérioration des réseaux routiers, ferroviaires et fluviaux; la forme de sanctuarisation des crédits d’entretien et de régénération, quels que soient les scénarii établis par le COI, n’est pas spectaculaire mais assez indispensable (lire Mobizoom 66: le réseau fluvial souffre, lui aussi). Elle est un préalable à l’émergence d’une industrie performante de la modernisation, longtemps entravée par la priorité accordée aux nouveaux projets.
A l’intérieur de chacun des trois scénarii identifiés par le COI, dont on suppose qu’ils sont censés préparer a minima un choix médian, on trouve donc de tout: de l’entretien et de la régénération pour tous les modes (route, fer, fluvial), de l’encouragement aux nouvelles mobilités et aux transports en commun, des CPER, de l’accessibilité, de la sécurité, et des nouveaux projets. Ce sont les volumes respectifs qui varient, notamment pour ces derniers: en la matière, hors le scénario 3, on n’est pas loin du programme minimum.
Une telle ligne politique n’est pas simple à tenir, d’autant que le transfert du canal Seine-Nord à la Région Hauts-de-France constitue une exception inopportune: il n’est pas du tout certain que le projet aurait été bien considéré par le COI. Si, au moment des choix d’investissements, Bercy gagne à la cloche, alors le travail des élus et des experts n’aura servi qu’à un nouveau malthusianisme des investissements publics. Mais en attendant ce moment de vérité, la densité et l’ampleur des analyses du COI méritent d’ores et déjà considération.
Tout comme 214 pages d’un rapport aussi nourri, qui engage d’une certaine façon l’avenir d’un pays, méritent plus qu’un survol. Rendez-vous donc la semaine prochaine pour un Mobizoom spécial infrastructures.
Après Duron, Spinetta…
L’enchaînement est connu mais le calendrier reste secret. L’ancien PDG d’Air France doit rendre son rapport au Premier ministre dans les jours qui viennent, au plus tard d’ici la mi-février. On a compris que ce genre de rendez-vous est soigneusement préparé: pas ou peu de fuites dans la presse de façon à maîtriser au mieux la communication. Jean-Cyril Spinetta a bien respecté les consignes et éconduit les curieux: mis à part quelques dialogues avec ses visiteurs qui ont été évoqués ici ou là (lire Mobitelex 208), rien de bien solide ne transpire de ses intentions véritables.
En revanche, ses interlocuteurs ne se privent pas de le nourrir en analyses, suggestions et propositions. Parmi les seuls et les plus diserts à la transparence, les syndicats. Nous avons synthétisé la semaine dernière leurs positions sur la concurrence ferroviaire. Aujourd’hui, place aux propositions de l’Unsa sur le modèle économique du ferroviaire, qui nous sont apparues particulièrement dignes d’intérêt.
L’UNSA raisonne d’abord par segment de marché: Trains d’équilibre du territoire (TET), TGV, TER et Fret, avant de se pencher plus spécifiquement sur les péages d’infrastructure.
Pour les TET, l’UNSA propose d’utiliser le levier de la fiscalité des carburants pour couvrir les besoins de financement et sortir ainsi de l’obligation imposée au groupe SNCF via le conventionnement avec l’Etat. Pour les TGV, alors qu’un tiers des dessertes sont déficitaires, l’UNSA suggère que les décisions d’évolution soient prises à partir du coût incrémental et non du coût moyen comme c’est principalement le cas aujourd’hui.
Le coût incrémental correspond au coût encouru pour produire un produit A en sus du portefeuille de produits existants. Il se rapproche du coût marginal mais avec cette différence que le coût marginal concerne un même produit (en l’occurrence, ici, ce serait une même desserte) alors que le coût incrémental concerne tout le portefeuille (l’ensemble des dessertes).
L’Unsa s’étonne: «Comment l’Etat, multi-actionnaire, pourrait-il être aussi AO attribuant des franchises?»
L’UNSA récuse par ailleurs – dans la perspective de l’open access – la pertinence de la création de franchises telles qu’elles figurent dans la proposition de loi Nègre-Maurey: «Comment l’Etat français, actionnaire majoritaire des quatre entreprises françaises qui ont des compétences en transport ferroviaire (SNCF Mobilités, Keolis, Transdev, Ratp Dev) et de deux entreprises européennes ayant l’expérience de la grande vitesse, Eurostar et THI Factory-Thalys, pourrait-il être aussi AO attribuant les franchises?»
S’agissant de TER, l’UNSA est favorable au remplacement de la Dotation Globale de Fonctionnement par une fraction de TVA et la mise en place d’un Versement Transport Interstitiel. Elle estime également qu’il conviendrait de mieux utiliser le levier tarifaire. Pour elle, il y a une marge de manœuvre entre les 25% de couverture des charges apportés par les abonnés et les 75% des occasionnels. Sa proposition: « Une ligne à forte fréquentation domicile-travail assurée par une offre cadencée ferait davantage appel à la contribution financière des usagers par rapport à une ligne secondaire. »
Enfin, s’agissant du fret, l’UNSA pointe du doigt la mauvaise qualité des sillons fret, mais force est de reconnaître qu’elle n’a pas véritablement de solution à proposer…
Sur le modèle économique du réseau, l’UNSA pose un préalable qui rejoint la position de la CGT: « L’UNSA ferroviaire sera attentive à ce que la reprise de la dette ne soit pas l’occasion de poser de nouvelles contraintes sur le corps social cheminot. En effet, la dette n’est pas celle des cheminots mais la conséquence des décisions de l’Etat. » Selon elle, le coût du réseau ne devrait pas être couvert par les seules redevances (péages) versées par les opérateurs mais devrait s’y ajouter une « ressource complémentaire, fléchée et pérenne », prélevée « sur la fiscalité des transports carbonés. »
Pour le TGV, l’UNSA propose une structure de péages à trois niveaux:
- une redevance couvrant le coût variable (obligation européenne),
- une redevance permettant de couvrir le coût complet de l’infrastructure afin de donner un vrai signal prix sur le coût de celui-ci
- une redevance de péréquation (via le réseau) qui permet d’adapter le niveau de péage de chaque marché à sa rentabilité et viser un niveau de marge uniforme quel que soit le marché. « Cette redevance permettrait d’introduire une notion de bénéfice raisonnable: un opérateur aurait la même marge quel que soit le marché desservi. Les marchés les plus rentables payant cette redevance, et les marchés peu rentables verraient leurs péages (issus des deux premières redevances) diminuer. »
S’agissant des TER, l’UNSA considère que le péage doit se limiter à un binôme strict, afin d’inciter au développement de l’offre: une redevance couvrant le coût marginal et une redevance d’accès fixe.
Enfin, l’UNSA souhaite que la loi d’orientation sur les mobilités soit l’occasion de s’interroger sur le rôle et le fonctionnement de l’Arafer ainsi que sur son périmètre de compétences…
L’épilogue est proche: jusqu’où ira Jean-Cyril Spinetta dans son approche? La ministre Elisabeth Borne n’a de cesse de rappeler à ses interlocuteurs que le modèle économique du ferroviaire n’est plus soutenable. Il est donc temps de trouver des solutions originales, en phase avec la demande exprimée par les Français d’un transport ferroviaire structurant et performant.
Nouveaux objectifs, nouvelle équipe
pour Voyages SNCF
Pas mal de choses ont changé sur l’activité voyageurs longue distance de la SNCF en un an. D’abord la conjoncture, qui a porté le surcroît de fréquentation des trains en 2017. Ensuite l’approche tarifaire, avec la nouvelle multiplication des prix d’appels et le développement des Ouigo. Et pour finir l’impératif absolu d’améliorer la régularité des circulations: les crises de l’année passée ont aussi porté le focus sur les désorganisations de la production. On rappelle que l’infrastructure ferroviaire n’est responsable que d’environ 17% des irrégularités.
Du coup, il semble bien que la patronne de Voyages SNCF Rachel Picard doive s’intéresser de plus près à ce qui ressort directement de sa responsabilité, à savoir la production des trains et leur ponctualité au départ, préoccupation par ailleurs prise en charge par le programme H00. Bon, on n’a pas encore tout à fait compris comment tout cela va s’articuler, y compris avec la direction industrielle, d’autant que les deux responsables de H00 Guillaume Marbach et Nathalie Juston voguent vers de nouvelles aventures (respectivement à Réseau Ile-de-France et à la DRH). Mais comme en 2017 s’est confirmée une détérioration de la régularité des TGV, il est temps de traiter industriellement les causes, comme il faut améliorer urgemment l’information voyageurs.
«Nous devons repenser la logique système», nous explique Rachel Picard, «et questionner sans relâche les éléments de la production (matériel, réseau, exploitation) pour progresser, faire différemment, libérer certains freins, reposer des questions». On comprend à l’entendre qu’il y a urgence de reprendre les choses en grand et en méthode. Faute de robustesse, le seul pilotage par l’offre continuera de faire des dégâts sur l’image de l’entreprise.
Hasard du calendrier, le prochain départ du directeur des Intercités pour SNCF Réseau déclenche un petit remue-ménage managérial. L’occasion de renforcer cette logique de l’amélioration du système de production?
La directrice de la production de SNCF Voyages, Delphine Couzi, va justement prendre justement en mains l’activité Intercités. Très bien dynamisés par Jean Ghedira et ses équipes qui ont su capter une clientèle de la longue distance moins pressée et économe de ses deniers, en liaison avec l’Etat autorité organisatrice trop content de l’aubaine, les Intercités souffrent sur de multiples lignes d’une irrégularité chronique. La situation est d’autant plus paradoxale que les clients ne boudent pas, loin de là! Sur la transversale sud Marseille-Bordeaux, la croissance de la fréquentation approche les 20% en 2017! La vétusté du matériel ou les pannes infras n’expliquent pas tout: là aussi le système doit être réinterrogé.
On pouvait s’attendre à ce que Delphine Couzi soit remplacée elle-même à Voyages SNCF par un cador de la production. Il n’en est rien, et la nomination d’un pur cadre SI, Pierre Matuchet, jusque-là directeur marketing et systèmes d’information, surprend pas mal dans les étages de SNCF. «Il va arriver en questionnant le système», assume Rachel Picard, qui va l’envoyer en stage accéléré sur le terrain de la production. La nomination d’un cadre supérieur est souvent une alchimie complexe entre qualité du profil, adaptation des compétences et confiance du N+1: en l’occurrence, ce dernier critère semble avoir largement dominé.
PIerre Matuchet sera remplacé par Jérôme Laffon, jusque-là chargé du commercial, du marketing et des services sur le TGV Atlantique. Enfin, comme Jérôme Leborgne succédera à Jean-Marc Longequeue comme directeur délégué de Fret SNCF, c’est Tanguy Cotte-Martinon qui prendra la responsabilité de l’axe Nord.
Julien Matabon quitte Ile-de-France Mobilités
Ex-pilier du cabinet de Frédéric Cuvillier devenu secrétaire général du Stif en 2014 en remplacement de Véronique Hamayon partie diriger le cabinet du ministre, Julien Matabon avait poursuivi sa tâche malgré le départ de Sophie Mougard en 2016. Il avait même été promu directeur général adjoint suite à la réorganisation d’Ile-de-France Mobilités l’été dernier, menée par Laurent Probst. Son départ est donc un peu inattendu. Il rejoint la DGITM, qui a bien besoin de renforts de qualité pour affronter les réformes voulues par le gouvernement. Il sera d’ailleurs vite au cœur de l’actualité, puisqu’il sera dès le 1er mars prochain sous-directeur chargé des transports collectifs et ferroviaires.
RENCONTRES FNAUT/MOBILETTRE
Serge Clemente, PDG d’Indigo
Le mercredi 14 février prochain, de 8h30 à 10heures à Paris, la Fnaut et Mobilettre poursuivent leur cycle de rencontres 2017-2018 consacré aux nouvelles mobilités. Après Jean-Baptiste Schmider, passionnant directeur général de Citiz reçu en décembre dernier, c’est au tour de Serge Clemente, PDG d’Indigo, de confier sa vision des futures mobilités urbaines et sa stratégie d’acteur majeur du stationnement et de défricheur des activités de free floating avec Indigo Weel.
Les sujets d’actualité et de prospective, sur fond de future loi LOM, ne manquent pas: la dépénalisation du stationnement (on devrait découvrir quelques chiffres signifiants sur l’activité à Paris notamment), l’intégration des mobilités actives, l’accueil des futurs véhicules connectés et autonomes…
Pour réserver votre place, merci d’envoyer un mail à contact@mobilettre.com
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