FRAUDE ET SECURITE
Les bugs d’application de la loi Savary
Deux ans après la promulgation de la loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs, dite «loi Savary», un rapport d’information de l’Assemblée nationale en propose un premier bilan. Le texte d’origine comportait deux volets: lutte contre le terrorisme et lutte contre la fraude. Lors du passage au Parlement, un troisième a été ajouté sur la lutte contre les violences faites aux femmes dans les transports.
Sur ce dernier point, le bilan est assez simple: il s’agissait surtout de recueillir des données. Autant dire qu’elles ne l’ont pas été… Mais sur les deux autres sujets, on découvre des situations plutôt ubuesques.
Et si le chauffeur de votre bus conduisait sans permis
- Comme le note le rapport, «l’une des dispositions de l’article 7 de la loi a pour objectif d’améliorer l’information des entreprises de transport en permettant aux employeurs d’avoir accès aux éléments relatifs au permis de conduire de ceux de leurs personnels qui sont amenés à conduire des véhicules». Elémentaire non? Mais jusqu’à l’adoption de la loi, les opérateurs n’en avaient pas la possibilité. Et depuis non plus d’ailleurs, car «les rapporteurs ont appris que cette mesure n’était pas entrée en application. Le fichier informatique nécessaire à sa mise en œuvre n’a pas été créé en raison, semble-t-il, de la vive opposition des syndicats (…). Sur les 17 000 conducteurs d’autobus ou d’autocars employés en France, 15 à 20 sont repérés chaque année, généralement à l’occasion d’un accident de la circulation, comme ayant perdu leur permis de conduire sans en avoir informé leur employeur.»
- Pour mieux lutter contre la fraude dans les transports, la loi Savary a durçi les mesures permettant de constater la «fraude d’habitude»: celle-ci est désormais constatée lorsqu’un individu a fait l’objet de cinq contraventions non transactionnelles (contre dix auparavant) dans un délai de douze mois. Il s’agissait de contrer le raisonnement du genre: «Comme je ne paye jamais, cela me coûtera toujours moins cher même si je me fais chopper une fois!» Dont acte. Avant la loi Savary, la SNCF enregistrait environ 2000 fraudes d’habitude par an. Sur l’année 2017, on est passé à 14 225. Efficace, pensez-vous. Erreur! Car les Parquets, assurant qu’ils n’en n’ont pas les moyens, ne traitent pas les dossiers. Au point que la RATP a quasiment cessé de poursuivre les fraudeurs d’habitude…
- Autre dispositif de la loi: la lutte contre les ventes à la sauvette. Les premiers mois, les deux opérateurs publics, SNCF et RATP ont appliqué la loi et dressé des procès verbaux. Mais leur zèle a vite été ralenti car il y a un hic: les transporteurs ont en effet l’obligation de conserver, jusqu’à la fin de la procédure, les objets saisis (à l’exception des denrées périssables). Devant l’accumulation des stocks, ils ont baissé le pied…
- Parfois la loi est inapplicable. Parfois elle est tout simplement inappliquée car il manque un décret. C’est le cas de l’une des mesures phares de la loi, l’article 18, qui a pour objet de rendre opérant le recouvrement des amendes. Comme la principale difficulté rencontrée est la fiabilisation des adresses des contrevenants («dans environ 50% des cas, les adresses sont erronées, périmées, voire carrément fantaisistes»), la loi prévoit la création d’une plate-forme d’échange permettant de «confronter l’adresse déclarée par le contrevenant pour la verbalisation avec celle qu’il a déclarée pour créer un compte bancaire ou percevoir les allocations familiales et qui est, très probablement, plus à jour. Toutefois, près de deux ans après la promulgation de la loi, le décret d’application de l’article 18, qui doit être signé par le ministre de l’Economie et des Finances, n’a toujours pas été publié.»
Pourquoi? Outre les difficultés techniques, Bercy évoque des difficultés juridiques relatives à la nature de l’entité à laquelle il donne le doux nom de «concentrateur», à savoir l’entité chargée de faire l’interface entre les transporteurs et les administrations disposant des fichiers fiables. Comme la nature a horreur du vide et que les transporteurs en ont plus qu’assez de la fraude, ils se sont organisés: l’UTP, comme le ministère de l’Economie et des Finances l’a expliqué à la mission d’information, s’est «autosaisie» sur la possibilité de jouer ce rôle de concentrateur et a créé la plateforme VACS, solution que le ministère a l’amabilité de juger «pragmatique». Mais ce n’est pas pour autant qu’elle ne sera pas suspectée: la mission d’information note déjà que «la question du monopole de fait dont jouira la VACS mérite d’être posée, ainsi que celle de la durée de son contrat et de son éventuel renouvellement »… Même si Bercy accepte que l’initiative privée se substitue à l’action publique défaillante, la mise en production de la plate-forme de l’UTP reste tributaire de la publication du décret d’application par le ministre de l’Economie.
Dans l’attente de ce démarrage, la SNCF a fait un peu cavalier seul en utilisant les fichiers de sociétés privées qui font commerce de données personnelles, comme la société Cartégie, dans la cadre d’actions «ayant pour finalité la gestion des infractions à la police des chemins de fer».
Quand les Parquets ne traitent pas les dossiers de fraude d’habitude
Le problème des stocks sauve la vente à la sauvette
Recouvrement des amendes: quand un décret vous manque…
Quelle est la morale de ces histoires? Qu’il ne suffit pas de voter une loi pour régler les problèmes auxquels elle entendait s’attaquer. Alors que l’on parle déjà de défaire la loi sur la réforme ferroviaire de 2014 et que se prépare la loi LOM, il n’est pas inutile de le rappeler: inappliquée ou inapplicable, une bonne loi finira toujours en mauvaise loi.
FRAUDE AUX SUBVENTIONS PUBLIQUES
Car Postal dans la tourmente en Suisse
L’affaire fait grand bruit sur les bords du Lac Léman. La filiale de la Poste suisse, Car Postal Suisse SA, a pendant huit ans dissimulé des bénéfices dans ses comptes de manière à percevoir des subventions des collectivités pour lesquelles elle exploitait des lignes de bus dans les vallées alpines. Au total, ce sont environ 80 millions d’euros qui sont allés indûment dans les caisses de Car Postal, selon l’OFT, l’Office Fédéral des Transports qui a mené l’enquête à l’occasion de la transformation de La Poste en holding en 2016, et a donc mis à jour cette fraude massive.
Il est clairement établi que le système était bien huilé, puisque ce sont en huit ans, de 2007 à 2015, pas moins de 200000 écritures comptables qui ont permis d’affecter illégalement des recettes et des dépenses de façon à masquer des bénéfices et à dégager des déficits, et donc à toucher des subventions d’équilibre de la part des collectivités.
Jusqu’où ira cette affaire? Si la maison mère, La Poste suisse, a vite réagi en avouant ces pratiques, puis en décidant de rembourser les sommes en cause et en démettant de leurs fonctions le directeur Daniel Landolf et le responsable financier, la fraude organisée choque tellement les élus et l’opinion publique que les choses pourraient ne pas en rester là. Les attaques se concentrent désormais sur la patronne de La Poste, Susanne Ruoff, accusée de manque de vigilance; plusieurs médias helvètes évoquent aussi d’éventuelles suites au pénal.
La crédibilité de l’institution Car Postal semble bel et bien touchée, alors que pendant des années son modèle économique et sa stratégie commerciale avaient résisté aux critiques de plusieurs députés, notamment Guillaume Barazzone et Roger Nordman. Ainsi, dans un débat à la RTS, la radio télévision suisse, l’actuel président du parti socialiste suisse Christian Levrat a vertement critiqué la course aux profits de l’entreprise de même que la diversification des activités de Car Postal en France: «Le monde politique et la direction de la Poste doivent se pencher sérieusement une fois sur les aventures de Car Postal en France. Moi je considère que les engagements de Car Postal en France sont contraires aux objectifs stratégiques du Conseil fédéral, qu’ils ne dégagent pas de rentabilité, qu’il n’y a pas de transfert de technologie. Car Postal n’a rien à faire dans le marché du transport public en France.»
Pas de commentaire du côté de Car Postal France, qui renvoie vers le service de presse de sa maison mère, La Poste suisse.
RAPPORT SPINETTA
La méthode Macron-Philippe
à l’épreuve des cheminots
Le maître des horloges se veut aussi maître de la communication. Avant la remise du rapport Spinetta ce jeudi 15 février, censé proposer à l’Etat une vraie stratégie ferroviaire, le gouvernement d’Edouard Philippe applique sa méthode basée sur un constat simple: une réforme mal annoncée est forcément mal engagée. Du coup, on soigne particulièrement la mise en scène pour réussir la «séquence». Décryptage.
Lundi dernier, 12 février, rue d’Alsace le long de la gare de l’Est, les médias audiovisuels et quelques journalistes de presse écrite généraliste étaient priés d’assister au premier show cheminot d’Edouard Philippe. Quinze cheminots «représentatifs des métiers et des filières» venaient d’échanger pendant un peu moins de deux heures avec le Premier ministre, avant de prendre la tangente tout aussi discrètement qu’ils avaient été conviés à cette réunion par leur employeur SNCF, le vendredi précédent. En sortant, le chef du gouvernement s’est félicité de l’entrevue: «Avant de prendre connaissance de ce rapport, il me semble intéressant de pouvoir évoquer avec les agents la façon dont ils voient à la fois la force du transport ferroviaire, les défis auquel il est confronté et les menaces peut-être qui pèsent sur lui». «Je n’étais pas là pour donner des pistes», a-t-il précisé.
A trois jours de la remise d’un rapport qu’il a lui-même commandé, Edouard Philippe se préoccupe donc de l’état d’esprit des cheminots, devant les caméras et les micros. Aucune proposition de fond, juste ce message, celui du dialogue. On a compris: il s’agit de dire, à l’opinion publique que l’on va plonger quelques jours plus tard dans le chaudron ferroviaire, mais aussi à l’ensemble des cheminots, que le gouvernement a écouté la base. Les syndicats ont été pris de court – à l’exception de l’Unsa qui s’est vite rendue sur les lieux pour s’immiscer dans la mise en scène.
Après cette entrée en scène, le deuxième ingrédient de la préparation: une maîtrise parfaite du suspense. Quelques éléments distillés avec parcimonie sur le statut des cheminots ou les formes juridiques du groupe SNCF, mais pas de fuites de versions intermédiaires du rapport qui auraient pu mettre le feu aux poudres ou concentrer le débat médiatique sur des aspects particuliers. Le gouvernement fait régner l’ordre dans ses rangs.
Tout est prêt pour la dernière étape, la remise officielle du rapport ce jeudi, dont le scénario est gardé secret le plus longtemps possible.
Ce processus correspond à une forme de restauration de l’autorité de l’Etat, qui murmure moins à l’oreille des journalistes comme à celle des syndicalistes. Reçues ces deux derniers jours par Jean-Cyril Spinetta, les quatre grandes centrales syndicales de la SNCF sont d’ailleurs ressorties encore plus perplexes qu’à leur arrivée: l’ancien PDG d’Air France a pris soin d’évoquer des tas d’hypothèses, sans en garantir aucune. Mais cette maîtrise de l’exécutif a ses contreparties: syndicats contournés, parlementaires éloignés, médias instrumentalisés ne goûtent guère ce que certains appellent déjà une confiscation du débat citoyen. On est passé en moins d’un an de l’indécision et de la concertation stérile à des réformes à marche forcée. D’un excès à un autre?
On ne va donc spéculer ni sur les raisons de l’engagement personnel du Premier ministre ni sur la teneur du rapport Spinetta, dont on sait simplement que la première version, fidèle à l’esprit d’indépendance revendiqué par son auteur, a été remaniée. Mais une chose est sûre: avec une telle mise en scène, l’attente est devenue majeure.
Concurrence dans les TER:
Pays-de-Loire et Grand Est aussi
C’est l’un des sujets majeurs du rapport Spinetta: la mise en œuvre effective de la concurrence dans les TER. Avant même que l’Etat précise ses intentions, les Régions s’y préparent, et certaines même assez activement. Nous avons révélé le 15 janvier dernier (lire Mobitelex 206) que la région Aura (Auvergne Rhône-Alpes) avait dans cette perspective fléché deux lignes (Saint-Gervais Vallorcine et l’Ouest lyonnais). Mais qu’en est-il dans deux autres régions qui viennent de signer leurs conventions, à savoir Pays-de-la-Loire et Grand Est?
En fait, on ne trouve nulle trace d’identification de lignes promises à la concurrence comme en Aura. Et pour cause: la SNCF s’y refuse au motif que cela fragiliserait leur exploitation (en Aura, les deux lignes citées sont séparées de fait du RFN). Par conséquent, on ne signale dans les conventions de Pays-de-la-Loire et du Grand Est que des évaluations en millions de trains/kilomètres, pour ce qui est appelé assez bizarrement d’ailleurs des «tickets ou coupons détachables». «La recherche d’un lot pertinent sera ciblée pour un volume de 3 millions de Tkm annuels», est-il écrit dans la convention Grand Est, «il sera recherché un lot pertinent pouvant aller jusqu’à un volume d’offre commerciale à détacher de 1,5 millions de Tkm», pour celle de Pays-de-la-Loire.
Dans les deux conventions, une même prudence est ainsi exprimée: «Ce périmètre ne portera pas atteinte aux conditions d’exercice du service sur le reste du réseau exploité par SNCF Mobilités ni à l’équilibre financier de la convention». Idem pour l’engagement à propos de la fourniture des données en amont: «Elle ne portera pas atteinte au secret industriel et commercial de l’exploitant dans le respect des dispositions du Code des relations entre le public et l’administration.» Ce genre de précautions très larges laisse pour le moins circonspect quant à leur consistance. Alors inspirons-nous gentiment d’Audiard, dans les Tontons flingueurs: «C’est curieux chez les juristes ce besoin de faire des phrases…»
Après ces mises en place formelles et tactiques, il va donc bien falloir passer aux travaux pratiques, mais «pas avant le service annuel 2021». A noter par ailleurs, que dans la convention Grand Est figure aussi l’hypothèse de reprise par un nouvel exploitant de petites lignes «dont l’exploitation a été suspendue avant l’entrée en vigueur de ladite convention.» [nous reviendrons prochainement sur la définition et le destin de ces petites lignes dans le viseur des pouvoirs publics].
Sandrine Chinzi passe à la DGITM
Belle promotion pour la directrice territoriale de SNCF Réseau en Bretagne Pays-de-la-Loire, Sandrine Chinzi, nommée le 8 février dernier directrice des infrastructures de transport à la DGITM. Elle est remplacée pour l’instant par son adjoint Philippe Vandwalle.
Grand Paris Express: qu’il est dur d’atterrir…
Les réunions se succèdent mais la tension ne retombe pas. Soucieux d’aboutir à un calendrier un peu plus réaliste de la réalisation du Grand Paris Express, le gouvernement multiplie les échanges avec les élus. Le 6 février dernier, raconte notre confrère Challenges, c’est l’hypothèse de bus pour desservir les sites du Bourget pendant les JO de 2024 qui a fait bondir plusieurs élus, notamment de Seine-Saint-Denis, réunis au ministère des Transports. Lesquels n’ont semble-t-il pas encore compris que cela faisait des années qu’on leur mentait sur les délais, en faisant croire aux miracles de la construction.
Jusqu’où ira le gouvernement dans sa volonté de remettre à plat ce Grand Paris Express à la dérive? Maintenant qu’il a autorisé les signatures de marchés sur les prolongements nord et sud de la 14, la 15 Sud et le tronçon commun 16-17, peut-il passer à une nouvelle étape qui consisterait à revoir les conditions de réalisation du schéma d’ensemble? L’opportunité de l’étude de parcours en aérien et de tracés moins coûteux commence à faire son chemin, y compris auprès de parlementaires conscients de l’impasse budgétaire du GPE actuel à long terme. Mobilettre y reviendra prochainement.
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