Edouard Philippe, son ambition pour le ferroviaire
Le Premier ministre a remis les pendules à l’heure, dix jours après un rapport Spinetta techno et provocateur. Le gouvernement est clairement à la manœuvre. Le salut du ferroviaire passera par des engagements réciproques de l’Etat et de la SNCF. De l’extinction du statut à la consolidation des crédits de rénovation en passant par une nouvelle gouvernance, l’analyse à chaud de Mobilettre.
Déjà oublié, le rapport Spinetta. A peine dix jours après qu’il lui fut remis à Matignon, le Premier ministre propose une réforme du ferroviaire bien plus ambitieuse et globale que ne laissaient croire de premières esquisses très technos (lire Mobizoom 67). Au-delà de l’extinction progressive du statut et du recours aux ordonnances qui vont concentrer les oppositions (lire ci-dessous), le principe d’un engagement parallèle de l’Etat et de l’entreprise SNCF vient interrompre le jeu stérile qui consistait depuis tant d’années à ce que l’un et l’autre se renvoient la patate chaude des responsabilités et des décisions difficiles.
La SNCF devra élaborer un vaste plan stratégique d’ici le mois de juin, pour répondre à l’exigence d’amélioration de ses performances et de diminution de ses coûts
Tout part du constat posé ce lundi 26 février : «La situation est alarmante, pour ne pas dire intenable», la faute à l’Etat «qui n’a pas fait les investissements nécessaires» et à la SNCF qui a «ses propres responsabilités». Du coup, l’Etat prend les siennes, par exemple en affectant 3,6 milliards d’euros par an sur dix ans à la rénovation du réseau (ce qui engage Bercy à cesser ses manœuvres de retardement), en subordonne quelques autres à des résultats tangibles (un désendettement d’ici la fin du quinquennat si la SNCF a amélioré ses performances), et exige de l’entreprise nationale un plan stratégique d’ampleur d’ici la fin du mois de juin.
La liste des sujets posés par le Premier ministre pour ce plan stratégique est éloquente : «Coûts, polyvalence, organisation, métiers, productivité industrielle, dialogue social, intégration de toutes les mobilités». Guillaume Pepy confirmait quelques heures après l’annonce du Premier ministre qu’il avait bien compris le message, lors d’un tchat interne : «Cette modernisation sociale et managériale ne nous fait pas peur.» Certes, mais elle constitue un sérieux défi pour une entreprise qui avait plutôt pour habitude jusqu’ici de mettre la pression sur sa tutelle que d’engager les réformes profondes de ses process.
Deuxième rupture d’importance, le choix d’un système plus intégré «à l’allemande». Moins de quatre ans après la réforme de 2014, voilà l’annonce d’une réforme de la réforme. Si l’équité du gestionnaire d’infrastructures doit être garantie, l’inefficacité du système actuel est attribuée en partie à l’organisation en trois Epic, «trop rigide, trop fragmentée», qui ne génère pas assez d’efficacité et manque de souplesse. L’hypothèse du passage en société nationale à capitaux publics incessibles est confirmée – parmi les avantages évalués par Guillaume Pepy lui-même, la perspective d’échapper aux injonctions contradictoires de l’Etat. En revanche, le sort de Gares & Connexions et de la Suge n’est pas tranché, contrairement aux recommandations de Jean-Cyril Spinetta qui les transférait à SNCF Réseau.
«Le gouvernement ne suivra pas les recommandations du rapport Spinetta sur les petites lignes». La colère des territoires est désamorcée
L’ex-PDG d’Air France se voit d’ailleurs nettement désavoué sur un autre sujet majeur qui avait enflammé les territoires et les syndicats : les petites lignes. «Le gouvernement ne suivra pas ses recommandations», a tranché le Premier ministre, qui s’est montré cinglant : «On ne décide pas la fermeture de 9000 kilomètres depuis Paris.» Du coup, les organisations syndicales se voient privées d’alliés précieux, ces élus locaux qui entendent défendre l’avenir de leurs territoires. Mais il restera encore à passer de la non-fermeture à une revitalisation, ce qui sera aussi l’affaire des collectivités qui vont devoir jouer serré sur les conditions du transfert.
Les syndicats n’ont donc plus désormais que deux chiffons rouges comme emblèmes de mobilisation : le principe de l’extinction progressive du statut cheminot, à une date qui devra être fixée après concertation, et le recours aux ordonnances, rendu possible par le vote d’une loi d’habilitation. Sur le statut, le Premier ministre a lâché un peu de lest : la négociation de branche devra accorder des contreparties en échange des contraintes du métier de cheminot. Mais sur les ordonnances, le message est on ne peut plus clair : soit les concertations aboutissent en quelques semaines, soit «certains sujets s’enlisent», et alors on y mettra bien plus que les aspects techniques liés à l’ouverture à la concurrence.
Enfin, comme si le gouvernement avait soudain compris que les Assises de la mobilité durable n’auraient pas dû exclure le ferroviaire structurant des discussions, un débat d’ampleur est promis sur l’amélioration du service public ferroviaire : «Correspondances TER-TGV, information voyageurs, fluidité des trajets, fret ferroviaire…» C’est un geste en direction des usagers et des élus locaux même si on peut le trouver tardif.
Edouard Philippe a repris la main dans un dossier ferroviaire plutôt mal parti, en lui donnant une dimension politique et stratégique que le premier semestre avait escamoté au profit des seules litanies stériles : «ça coûte trop cher», «priorité aux voyageurs du quotidien». L’habileté de l’exécutif consiste à tenir sur deux marqueurs politiques forts, susceptibles de déplaire aux syndicats mais de plaire à une bonne partie de l’opinion (la fin du statut et l’arrivée de la concurrence), tout en donnant aux syndicats quelques raisons de se réjouir (le renforcement du groupe intégré, la préservation du réseau, la perspective d’un désendettement).
Le flambeau des concertations express est désormais transmis à la ministre Elisabeth Borne, que l’on a sentie désireuse en ce lundi d’adoucir son image auprès des cheminots, abîmée lors de sa convocation des deux présidents Pepy et Jeantet début janvier. Elle est placée au pied du mur : réussir en trois mois la transformation vertueuse vantée par son chef, avec un programme intense de réunions et débats. Quant à la direction de la SNCF, elle se met dès demain en ordre de marche avec une réunion de son conseil de surveillance et de son directoire, avant la mise en place d’une task force avec les OS. Les mois qui viennent seront sportifs.