Ferroviaire: la sortie de crise est difficile
Décidément ce printemps ferroviaire est de plus en plus inédit. A la cinquième séquence de grève depuis le début du mois d’avril, les signes de conciliation sont toujours des plus ténus. Au sortir de plus de trois heures de discussion, hier mardi, l’intersyndicale a accepté du bout des lèvres l’invitation du Premier ministre à les recevoir lui-même le 7 mai prochain. On sera à la veille de la huitième séquence de mobilisation…
La situation était tellement bloquée que le petit geste du Premier ministre est déjà interprété comme un changement de cap. En concluant sa lettre envoyée aux syndicats de la SNCF hier après-midi, peu avant leur réunion intersyndicale, par une invitation à venir le voir le 7 mai prochain à Matignon, Edouard Philippe a sans doute évité in extremis une radicalisation du mouvement de contestation. Mais sur le fond, point de lueur: deux pages de justification de la réforme et de la méthode employée, avec une insistance nouvelle sur l’amélioration de la productivité et de la performance financière de la SNCF, qui «conditionnent le niveau de ses investissements».
L’intervention directe du Premier ministre est apparue indispensable en ce début de semaine tant le dialogue est rompu entre les syndicalistes et la ministre Elisabeth Borne
Logiquement, quelques instants après la réception de cette lettre, les discussions ont été longues et difficiles entre les syndicats réunis au siège de Sud Rail. Ils ont sauvegardé leur unité: maintien de la grève «2 sur 5», refus réitéré de discuter avec Elisabeth Borne, et donc acceptation de la «petite ouverture» du Premier ministre. D’ici là, le rapport de forces continue, avec probablement de nouveaux modes d’action pour relancer la combativité des troupes troublées par la tournure des événements, et reprendre l’initiative vis-à-vis d’une opinion publique un peu désorientée.
L’intervention directe du Premier ministre, que le porte-parole Christophe Castaner avait dans un premier temps repoussée, est apparue indispensable en ce début de semaine tant le dialogue est rompu entre les syndicalistes et la ministre Elisabeth Borne. La double annonce de la filialisation de Fret SNCF et de la date de la fin du recrutement au statut (lire MobiAlerte) a achevé de détruire le peu de crédit que des semaines de réunions infécondes avaient déjà sérieusement entamé. Et comme de son côté Matignon, selon nos informations, reproche à la ministre un manque de discipline et des annonces mal orchestrées (elle n’a pas valorisé les efforts qu’elle avait pourtant le sentiment de consentir, notamment sur l’ouverture à la concurrence), il fallait bien renouer le dialogue autrement, au risque sinon de précipiter le conflit dans une dimension plus dangereuse.
Car la situation reste politiquement périlleuse. Certes, une bonne partie des Français ont su s’organiser pour ne pas trop subir les effets de la grève, et les milieux économiques traditionnellement à droite n’accablent pas pour l’instant le gouvernement qu’ils créditent de sa fermeté. Encore faudrait-il que l’activité touristique, agricole et industrielle ne soit pas davantage impactée que ce qu’elle est déjà, et qu’une perspective de retour à la normale se dégage.
Ce qui est encore loin d’être le cas: la plupart des problèmes restent intacts ou presque, du fait d’une élaboration législative très cahotique et de décisions peu consolidées. Prenons deux exemples.
- La convention collective de branche. Elisabeth Borne a compris qu’il s’agissait d’un point clé pour faire passer la fin du recrutement au statut. Elle a donc concocté un amendement à la loi d’habilitation qui permet au gouvernement d’intervenir dans la négociation. Mais Matignon et les Affaires sociales redoutent qu’une telle interférence dans le dialogue paritaire constitue à la fois un précédent et un élément de pression permanent sur le gouvernement. Du coup, pourquoi ne pas supprimer cette disposition lors du passage au Sénat? Oui, mais la remplacer par quoi? La promesse d’un décret à défaut d’accord entre les parties prenantes? Compliqué à écrire… Cet exemple montre à quel point faute de préparation méthodique et étayée, la réforme est tellement difficile à faire partager sinon accepter aux syndicats déconcertés. En demandant à l’UTP d’organiser une première réunion de négociation dès le début du mois de mai, le Premier ministre veut accélérer le mouvement pour aboutir au 1er janvier 2020. Mais les négociations paritaires obéissent à des règles et des calendriers peu compatibles avec l’impatience macronienne.
- La reprise de la dette. En affirmant dès juillet 2017 le principe de la reprise de la dette contre un nouveau pacte social, Emmanuel Macron s’est d’emblée placé dans une position difficile. D’abord parce que la dette est en majorité publique, ensuite parce qu’il n’est pas en mesure d’assumer un relèvement du déficit public équivalent à deux points de PIB supplémentaires. Deux mois après l’annonce de la réforme par le Premier ministre, on est donc toujours dans le brouillard sur la question, sauf sur l’échéance du 1er janvier 2020. On fait les comptes? D’un côté il y a l’ouverture à la concurrence, la fin du recrutement au statut, la modification du statut de l’entreprise, la filialisation du fret, et de l’autre… une promesse de désendettement sans précision. A ce niveau de déséquilibre ce n’est plus vraiment une négociation. Le grand deal de juillet 2017 a fait plouf.
Du coup, et la lettre du Premier ministre en atteste, on comprend que la performance industrielle de la SNCF revient logiquement au centre du jeu. Quel sera le projet d’entreprise qui en permettra l’amélioration? Quels en seront les managers? On comprend que le gouvernement n’entend pas relâcher la pression sur l’entreprise, sa direction et ses salariés, mais a-t-il bien évalué l’état d’esprit des cheminots et de leur encadrement après un tel printemps?
On prête à Charles Fiterman, ancien ministre communiste des Transports en 1981, devenu adhérent au parti socialiste qu’il quitta en décembre dernier, cette confidence privée prémonitoire du siècle dernier: «Je crois à l’avenir du ferroviaire en France, je suis moins sûr de celui de la SNCF.» La survie de cette grande maison se joue dès maintenant, et d’ici le 1er janvier 2020.
JMJ vs Gpy, le retour…
Leur inimitié était de notoriété publique, Guillaume Pepy à la tête de la puissante SNCF, Jean-Marc Janaillac sauveur du challenger Transdev. Il y a quatre ans ils s’étaient même échangés quelques amabilités par écrit, suite au gain des trains de banlieue de Boston par Keolis, au détriment de Transdev. Et puis le destin (et son ami François Hollande) ont envoyé JMJ à Air France… dont rêvait GPy. Fin de la rivalité publique?
Janaillac et Pepy, deux présidents à la tête d’entreprises en crise, mais si différents l’un l’autre. A chacun sa stratégie pour s’en sortir
L’actualité les rapproche soudainement. En difficulté face à l’intransigeance revendicative des pilotes qui veulent leur part du gâteau des bons résultats 2017 de la compagnie, Janaillac a dégainé courageusement l’arme du référendum: «Si je n’obtiens pas le soutien du personnel à mes propositions salariales, je démissionnerai». Il confie avoir pris seul cette décision – c’est-à-dire sans avoir consulté l’Etat. Un pari de manager libéré de certaines contraintes et désireux de sortir au plus vite d’une crise qui peut entamer très sérieusement le crédit de la compagnie.
Dans le même temps, son homologue est dans une position tout aussi délicate. Pepy détricote en 2018 une réforme de 2014 qu’il avait lui-même fortement inspirée… Un départ? «C’est au gouvernement et au président de la République d’en décider», avait-il lancé, bravache, en début d’année. «J’ai compris qu’on ne rend service à personne quand on démissionne sous la pression des événements», nous avait-il raconté il y a un an, à propos de sa tentation de rendre son tablier, un week-end du printemps 2016. Il insiste donc et ne lâche pas le gouvernail, malgré une crédibilité atteinte et l’usure du temps.
Le premier prend son risque, le deuxième s’accroche. JMJ est le maître à bord quand GPy subit en partie les événements. Mais deux points communs les rapprochent: leurs deux entreprises sont en grande difficulté, et ils jouent tous les deux leur avenir de président dans les semaines et les mois qui viennent.
INVITATION ABONNES
L’impact des nouvelles technologies sur la mobilité
Mobilettre * vous propose de participer à une matinée de débats organisée par Avenir Transports, le 24 mai prochain à l’Assemblée nationale. Comment, et à quelles conditions, les innovations digitales pourront améliorer le quotidien des passagers? Comment les opérateurs, les autorités organisatrices, les start up s’organisent-ils pour assurer la réussite et la performance des solutions de mobilité ?
Sous le parrainage d’Elisabeth Borne, ministre des Transports, ces débats rassembleront des élus (Dominique Riquet, Jean-Marc Zulesi, Michel Neugnot, Emmanuel Couet), des opérateurs (Frédéric Baverez – Keolis, Alexandre Viros – OUI SNCF, Audrey Detrie – Trainline, Xavier Aymonod – Transdev), des experts (Didier Brechemier – Roland Berger, Jean Coldefy – Atec ITS), et Laurent Probst, directeur général d’IDFM. Anne-Marie Idrac, ancienne ministre, haute responsable pour la stratégie nationale de développement des véhicules autonomes, sera le grand témoin de cette matinée.
L’accès à l’Assemblée nationale étant réglementé et le nombre de places limité, nous vous conseillons de vous inscrire au plus vite.
Pour tout renseignement complémentaire, contact@mobilettre.com
* L’animation des débats sera assurée par Gilles Dansart.
Aides d’Etat et concurrence, l’ère du soupçon
Comment le soutien de la France au ferroviaire pourrait vite se trouver sous la surveillance pointilleuse de Bruxelles, qui ne lâche pas d’un pouce les Etats et les compagnies aériennes.
La commissaire européenne à la Concurrence Margrethe Vestager vient de confirmer l’ouverture d’une enquête «approfondie» pour aide d’Etat concernant Alitalia. Dans le viseur de la Commission, le prêt relais de 900 millions d’euros concédé par le gouvernement italien à la Compagnie nationale le temps de lui trouver un acquéreur.
Selon les critères de Bruxelles, on peut se demander si la politique de soutien du gouvernement à Alstom ne constitue pas une aide d’Etat indirecte
Il s’agit en fait de deux prêts consécutifs : un premier de 600 millions accordé le 2 mai 2017 et qui devait être remboursé dans les six mois. Puis un second, en octobre, qui a allongé le délai de restitution au 30 septembre 2018 et porté le montant à 900 millions. La Commission veut vérifier qu’il s’agit véritablement d’un prêt et non d’une aide d’Etat déguisée. Les interrogations portent notamment sur son taux (en principe il doit être identique à ceux du marché), sa durée (théoriquement celle-ci ne doit pas excéder six mois, au-delà cela devient aide d’Etat) et son montant. Les soupçons de Bruxelles ont été renforcés par le fait que, d’après le gouvernement italien, seuls 800 des 900 millions auraient été dépensés, les 100 qui ne l’auraient pas été ayant été donnés en garantie à l’IATA. Le gouvernement italien a 20 jours pour apporter une première réponse mais chaque nouvelle question de la Commission ouvre un nouveau délai de 20 jours.
A ce jour, trois offres de reprise d’Alitalia (plus ou moins partielles) sont sur la table. Elles émanent de Lufthansa, Easyjet et Wizzair. Le choix aurait dû être fait avant le 30 avril mais l’absence de gouvernement repousse les échéances. Or, selon nos confrères de la presse italienne, à l’origine de la plainte devant la commission on trouve principalement Ryanair et… Lufthansa. La compagnie allemande espère-t-elle ainsi mettre la pression sur le gouvernement italien pour obtenir un meilleur prix de cession ? Après s’en être bien tiré avec le rachat d’Air Berlin (qui soit dit en passant avait aussi bénéficié d’un prêt relais du gouvernement allemand mais de courte durée), Lufthansa pousse fort dans la mêlée. Trop peut-être?
L’ouverture de cette enquête met en tout cas une nouvelle fois l’accent sur la nécessité d’un contrôle strict des aides d’Etat dans un secteur ouvert à la concurrence. Dans l’aérien, chacun sait que les compagnies du Golfe en jouent, mais Bruxelles n’a pas la main. En France, dans le ferroviaire, Fret SNCF a été le premier à se trouver dans le radar de la Commission. Demain ce sera le tour des voyageurs.
On pourrait même aller plus loin et se demander si la politique de soutien du gouvernement à Alstom ne constitue pas une aide d’Etat indirecte. L’achat de 15 rames TGV imposé à la SNCF en février 2017 par le gouvernement précédent a pour contrepartie une diminution de la CST (Contribution de Solidarité Territoriale) payée par l’entreprise pendant cinq ans. Et de fait, les comptes de SNCF Mobilités font apparaître en 2017, pour la première année, une baisse de la CST de 50 millions d’euros (40 contre 90 en 2016). Le «troc» annoncé il y a quelques semaines par Bruno Le Maire – l’achat de 100 nouvelles rames par la SNCF contre une baisse des péages – est d’un esprit un peu différent car même si Alstom en profite, l’ensemble du système ferroviaire aussi. En revanche, s’agissant de la baisse de la CST, les sommes, même si elles transitent par la SNCF, vont bien de la poche de l’Etat à celle du seul Alstom… Alors, aide d’Etat ?
Concurrence des lignes de bus en Ile-de-France: pourquoi le dossier est sensible
Optile et ses entreprises adhérentes viennent de déposer des recours au Tribunal administratif contre la décision d’IDFM de mettre en concurrence des lignes de bus franciliennes dès 2020, alors que la RATP ne sera soumise à des appels d’offres sur ses propres lignes qu’en 2024.
Rappelons d’abord le problème: alors que les lignes de bus de la RATP ne seront ouvertes à la concurrence qu’en 2024, l’autorité organisatrice IDFM (Ile-de-France Mobilités) se prépare à ouvrir en 2020 un certain nombre de lots exploités par d’autres entreprises: Transdev, Keolis, Lacroix et Savac… et RATP Dev. Elle obéit en cela à un arbitrage du Conseil d’Etat, suite à une lettre envoyée par l’ancien préfet de région Jean-François Carenco qui avait sommé le Stif d’une mise en concurrence la plus rapide possible.
Pour Jean-Sébastien Barrault (Optile) comme pour Thierry Mallet (Transdev), Jean-Pierre Farandou (Keolis) et Laurence Batlle (RATP Dev), une telle distorsion de calendrier est inacceptable. Donc il faudrait tout aligner sur 2024, voire 2025 après les Jeux Olympiques.
Pour IDFM, il en va tout autrement: l’AO doit appliquer la loi. A défaut, cela pourrait d’ailleurs ressortir du pénal. Donc ses services préparent le paramétrage des lots, l’identification des actifs (notamment les ateliers) etc.
Et le gouvernement? Depuis deux ans, il reste spectateur attentif de cet imbroglio juridique né de l’interprétation de la loi de 2009. Mais ce silence s’explique aussi par un léger embarras méthodologique voire idéologique: il installe la concurrence au plus vite dans le ferroviaire pour améliorer le service et faire baisser les prix, mais il tolère que la RATP garde son monopole jusqu’en 2024 alors qu’il constate que ses concurrents vont devoir se livrer bataille dès 2020… Tout en ayant certainement conscience qu’IDFM pourrait trouver de nouvelles et précieuses ressources financières de la mise en concurrence des lignes RATP. L’énoncé des grands principes se heurte si souvent au réel.
Les cyclistes au secours des trains!
En pleine crise ferroviaire, la FUB (Fédération des Usagers de la Bicyclette) souhaiterait avoir son mot à dire. Curieux, non? Que viendrait faire une association pro vélo dans ce psychodrame public? C’est pourtant simple: l’association propose son aide «pour remplir les trains»! C’est le message que son président, Olivier Schneider, égraine depuis quelques semaines. Cela mérite quelques explications.
En présence des institutionnels, la FUB a compris qu’il fallait des arguments chocs, des messages simples et des chiffres pour séduire. Après avoir défrayé la chronique avec ses plus de 100 000 réponses récoltées lors du baromètre cyclable, elle mise désormais sur le chiffre de 200 000 places de stationnement nécessaires pour les vélos dans les gares ! Selon elle, une réponse concrète qui permettrait enfin aux «vélotafeurs» de profiter du duo vélo+train, duo qu’elle considère comme «la combinaison gagnante» à bien des titres.
17 millions de Hollandais, 440000 places de vélos dans les gares. 67 millions de Français, 31000 places…
Alors quitte à brandir des chiffres, la FUB n’hésite pas à comparer la France aux pays nordiques. Aux Pays-Bas (17 millions d’habitants), 444 000 places sont proposées pour les vélos dans les gares et près de 40% des clients du train y arrivent en pédalant. Au Danemark (5,6 millions d’habitants), ce sont 100 000 places qui sont proposées, et 27% des clients de la DSB arrivent en vélo en gare. La France et ses 67 millions d’habitants ne compte pour le moment que 31 000 places (dont plus d’un quart en Ile-de-France) dans les gares et seulement 4,3% des clients SNCF y arrivent en pédalant.
Les 200 000 places affichées par la FUB (chiffre issu d’une étude réalisée par l’ADEME et Indigo) semblent donc représenter une ambition mesurée, mais difficile à concrétiser. Parce que rattraper le retard aura un coût, évalué à 200 millions d’euros. Il représente la moitié du budget fléché par le rapport du COI (comité d’orientation des investissements) pour l’ensemble des mobilités piétonnes et cyclistes jusqu’à 2022. La FUB en est consciente et propose une solution permettant de limiter la casse : financer le déploiement par un dispositif d’Etat, à savoir les certificats d’économie d’énergie (CEE). C’est un des principaux instruments de la politique de maîtrise de la demande énergétique qui repose sur une obligation d’économies d’énergie imposée par les pouvoirs publics. Ce dispositif permettrait à la maîtrise d’ouvrage, à savoir Gares & Connexions, d’autofinancer le déploiement des places.
Malgré un bon accueil des pouvoirs publics, les décisions se font attendre. Le chat se mordrait-il la queue ? Si Gares & Connexions attend l’Etat, qui l’Etat attend-il de son côté ? Nul ne le sait. Mais un peu de bonne volonté permettrait sûrement de faire avancer l’intermodalité, les mobilités alternatives… et la fréquentation des trains.
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