SNCF: quelques leçons de la crise avant d’en sortir
Suspense: lundi prochain 7 mai, le Premier ministre choisira-t-il d’engager avec les syndicats une sortie négociée et honorable du conflit de nature à apaiser les tensions pour la suite des événements, ou ira-t-il au bout d’une posture de fermeté dont il voudrait récolter bruyamment les fruits politiques? L’option la plus raisonnable consisterait à préciser un peu plus les intentions de l’Etat en matière de transfert de la dette et de trajectoire financière pour l’infrastructure, de manière à crédibiliser l’ambition du grand deal: cheminots, entreprise, Etat, à chacun ses efforts pour sortir d’une situation de crise qui handicape les voyageurs comme les collectivités et les acteurs économiques. Mais la stratégie politique est souvent surprenante…
En attendant, on peut d’ores et déjà tirer plusieurs leçons de ce long épisode de crise qui pourrait se prolonger de manière moins ouverte ou spectaculaire jusqu’au premier janvier 2020 si les protagonistes ne trouvent pas de terrain d’entente sur la construction d’un autre modèle ferroviaire.
1 Sous tension, la production SNCF ne s’est pas écroulée
Ce serait même presque le contraire: dans un contexte inédit de grèves successives, la production replanifiée quasiment chaque jour a été plutôt bien respectée, qu’il s’agisse des trains annoncés ou de l’info voyageurs . Une fois encore la loi ferroviaire est vérifiée: c’est sous tension que les résultats sont les meilleurs. Inutile de détendre les marches ou de prendre des marges.
Cette performance a une contrepartie: pas mal de cadres sur lesquels repose ce travail colossal (recalcul des horaires, réorganisation de la production et des plannings de travail etc) sont au bout du rouleau, au terme d’un premier mois de grève intermittente. Et si le mouvement se poursuivait, les problèmes de disponibilité du matériel qui commencent à se manifester ne feront que se multiplier du fait de l’indispensable respect des cycles de maintenance.
2 L’unité syndicale a tenu très longtemps
Les discussions en intersyndicale sont parfois difficiles entre des délégués que beaucoup de choses peuvent opposer, mais l’unité a tenu. Chaque syndicat sait que le premier qui sortira du peloton se prendra le vent de plein fouet, accusé par les autres d’avoir trahi la cause et gâché un mois de sacrifices. Surtout, la conscience que la SNCF est à un tournant majeur de son histoire a réduit les habituelles chicaneries. Cette solidarité de fait a sans doute été négligée par les stratèges gouvernementaux: les conducteurs, notamment, se sentent dépositaires d’une mission collective qu’ils assument d’autant mieux que leur rémunération leur permet de tenir plus longtemps que la plupart des agents d’exécution. Et le soutien, muet ou actif, d’une part non négligeable de l’encadrement a contribué à rendre la grève sinon populaire en interne, tout du moins légitime auprès de nombreux cheminots.
Mais se profile d’ores et déjà un nouveau défi aux représentants syndicaux: comment s’adapter à la future organisation du ferroviaire? Un autre dialogue social s’impose, de toute évidence, mais il ne sera pas aisé d’en trouver le chemin.
3 Le pouvoir exécutif est resté très consistant
Il est un homme dont tout le monde convient à dire qu’il tient la baraque de la réforme: Benoît Ribadeau-Dumas, directeur de cabinet du Premier ministre Edouard Philippe. Présent à toutes les réunions ou presque, en interministériel ou le samedi avec les dirigeants du groupe ferroviaire, il tient à associer tous les acteurs à des décisions parfois longues ou laborieuses. Une discipline de fer a permis d’éviter ces petites phrases publiques en provenance d’une administration, d’un ministre ou d’un proche du ministre…
Certes, et Mobilettre l’a narré, les tensions ont parfois été vives entre les conseillers de Matignon et Elisabeth Borne, ou avec des services de Bercy toujours aussi sûrs de leur force. Mais jusque-là le couple Elysée-Matignon s’est montré très complémentaire, malgré les prestations médiatiques d’Emmanuel Macron et Edouard Philippe parfois approximatives sur le fond et pas irréprochables sur la forme.
Contrairement à ce qu’il se passait sous les gouvernements précédents, cette consistance de l’exécutif, qui a tenu la bride très courte aux parlementaires, a résisté aux pressions, jusqu’à surprendre des syndicats pourtant experts en matière de rapports de force.
4 Les Français l’ont joué à l’anglaise: stoïques
Que ne dit-on habituellement des Français, individualistes et râleurs. Depuis plus d’un mois, ils se sont très majoritairement montrés pragmatiques et patients, organisés et indulgents. Les cheminots avaient prévenu de ce qui les attendrait; les Français préfèrent logiquement une telle «prévenance» que l’incertitude des pannes et des annulations. Ils ont donc exploité à plein la disponibilité des nouveaux outils numériques et des solutions alternatives (covoiturage, cars Macron, télétravail etc). Pourtant, rien ne dit que cet état d’esprit persistera éternellement, d’autant que le tourisme et certaines activités économiques commencent à être sérieusement touchés.
5 Le débat public a influencé l’évolution de la réforme
Lucides sur les lacunes de l’exploitation ferroviaire depuis de nombreuses années, les Français ont plutôt soutenu l’idée de réforme, y compris avec l’introduction d’une dose de concurrence, mais ils restent en même temps très attachés à la SNCF qui est un puissant emblème de la communauté nationale, et à la permanence d’une structuration de l’espace hexagonal par le ferroviaire.
D’une certaine façon, le gouvernement est aujourd’hui placé devant ses responsabilités et prié d’obtenir des résultats. Il se trouve dans l’obligation de trouver un nouveau modèle économique au ferroviaire tout en mettant la pression sur la SNCF pour améliorer ses performances. Il va donc falloir que Bercy sorte enfin de sa surdité et comprenne que si rien ne se passe, les Français demanderont sûrement des comptes à Emmanuel Macron sur l’inefficacité d’une réforme aujourd’hui vantée comme historique.
Ten-T Days
En Slovénie, un peu de ciel bleu…
Pendant qu’à Paris la bataille sociale et politique faisait rage sur le devenir de la SNCF, à Ljubljana la semaine dernière, lors des Ten-T Days, cela fleurait bon l’avenir radieux du ferroviaire, évoqué par la députée Laurianne Rossi dans un tweet pour le mojns audacieux après le vote de la loi ferroviaire en première lecture. Et pas seulement parce qu’à l’est le printemps semblait un peu plus en avance que dans nos territoires encore frigorifiés. Loin du malthusianisme de Bercy et des enjeux politiques, on y a beaucoup parlé investissements, nouveaux projets et amélioration des infrastructures. On y a croisé des régions françaises en recherche de subventions, des établissements financiers qui cherchent à placer au mieux leurs nombreuses liquidités, des ex-nouveaux entrants qui misent toujours sur les leviers communautaires pour achever la transformation de leurs réseaux…
La modernisation de Paris-Lyon avec l’ERTMS de niveau 2, c’est un remède contre la priorité aux projets budgétivores qui plombent l’économie ferroviaire
On a aussi vu Elisabeth Borne et Patrick Jeantet réunis autour de la commissaire slovène Violetta Bulc pour célébrer le financement par l’Union européenne du déploiement de l’ERTMS 2 sur Paris-Lyon, prévu pour décembre 2023. Tous deux n’ont pas caché leur satisfaction: la modernisation de l’infrastructure existante, c’est bien un remède contre les nouveaux projets budgétivores qui ont plombé notre économie ferroviaire. Et la planification de long terme sévèrement surveillée et encadrée par Bruxelles, un antidote aux variations d’humeur des décideurs…
A y regarder de plus près, l’effort financier de l’Europe (117 millions d’euros) dont ils se sont tous deux félicités est on ne peut plus vertueux. D’abord il est très engageant: si en décembre 2023 l’ERTMS niveau 2 n’est pas opérationnel sur la ligne à grande vitesse la plus chargée d’Europe, il faudra rembourser… L’Europe a appris à se méfier des subventions mal utilisées. Ensuite il augmentera la capacité de la ligne (de 13 à 16 trains par heure) tout en déclenchant la modernisation des postes de signalisation, le renforcement de la puissance électrique et l’amélioration de l’infrastructure à Paris et à Lyon. Enfin c’est un vrai défi technique que les équipes de RFF puis SNCF Réseau préparent depuis huit ans: déployer un tel projet sans interrompre les circulations. L’obligation de réussite tient aussi à la suite: dès 2025 il faudra rénover l’infrastructure physique, et seul l’ERTMS niveau 2 permettra de limiter au minimum les répercussions sur l’exploitation.
Pour Patrick Jeantet, ce projet «symbolise le virage de SNCF Réseau vers un réseau haute performance, à très haut débit.» Cela sonne en fait aussi comme la concrétisation de l’objectif poursuivi par tous ses prédécesseurs, à savoir maximiser l’utilisation des grandes infrastructures pour assurer sur la durée les moyens d’une maintenance optimale. Si, en parallèle, on trouve le moyen d’assurer la régénération et l’exploitation des «petites lignes» à des coûts réduits, par l’adaptation des référentiels, des méthodes de maintenance et d’exploitation, alors on pourra rêver d’inverser la tendance au malthusianisme ferroviaire français. Le ciel bleu slovène était peut-être un brin grisant. Mais il est certain que le salut ferroviaire passera par un saut technologique.
Bernard Emsellem, la retraite et une surprise
Est-ce vraiment un hasard? Au moment où la SNCF s’apprête à tourner une page de sa longue histoire avec une réforme d’une ampleur considérable qui touchera aussi bien son environnement que ses fonctionnements les plus profonds, son dircom le plus capé prend officiellement sa retraite. Mercredi 25 avril, Bernard Emsellem a dignement et officiellement célébré son départ de l’entreprise pour laquelle il assurait encore ces dernières années quelques missions de confiance. Il ne restera pas inactif, puisqu’il nous a récemment confié prendre un nouveau plaisir à coucher sur le papier diverses leçons de sa longue expérience.
Au-delà des discours, y aurait-il eu un témoignage plus marquant du respect qu’il inspire que la surprise qui lui fut faite après les agapes apéritives? Bernard Emsellem s’est retrouvé à dîner en compagnie de Louis Gallois, Anne-Marie Idrac et Guillaume Pepy, ses présidents successifs. On n’en sait pas plus, donc on n’en dira pas davantage: la photo suffit largement.
Jean-Louis Borloo en faveur d’Etats généraux
de la mobilité en Ile-de-France
Au cœur du rapport de l’ancien ministre du Développement durable sur les banlieues et les quartiers, une petite double page consacrée aux enjeux de mobilité. On passe sur les recommandations générales qui si elles sont étayées par de justes constats («la mobilité passe par des transports collectifs mieux répartis sur les territoires des agglomérations») ne sont pas bien nouvelles: renforcer la desserte des quartiers prioritaires, renouveler le matériel roulant si nécessaire, agir sur le tarif, établissement par chaque agglomération d’un plan de transport individuel (sic) et de mobilité douce…
A la lecture du petit paragraphe sur les transports en Ile-de-France, on comprend que Borloo a compris que la crise couve
Plus intéressant, le paragraphe sur les transports en Ile-de-France. A sa lecture, on comprend que Borloo a compris que la crise couve: «Il faut changer de paradigme et mettre en place partout, dès maintenant, une stratégie renforcée permettant de répondre à l’urgence du maillage dans tous les quartiers de la banlieue parisienne, d’améliorer le fonctionnement du réseau et d’en dessiner un plus efficace encore à l’horizon 2025.»
Le problème, c’est que tout occupé à travailler de concert avec les élus franciliens qui célèbrent son soutien politique, il n’ose leur dire complètement et ouvertement les choses: il ne faut pas tout sacrifier au Grand Paris Express, mais mener en urgence la modernisation du réseau existant et la simplification du fonctionnement du RER (il va jusqu’à suggérer une co-entreprise RATP-SNCF). Sinon on dira dans vingt ans comme pour le ferroviaire aujourd’hui, que le réseau existant a été négligé au profit des nouvelles infrastructures très coûteuses.
Du coup, Jean-Louis Borloo ne peut que terminer son apostrophe de demi-vérité sur la proposition d’Etats généraux des transports en Ile-de-France, qui «doivent être organisés rapidement» – alors même qu’Anne Hidalgo et Valérie Pécresse sont en train de se perdre dans les débats sur la gratuité. «C’est raisonnablement nécessaire», conclut-il sobrement.
On comprend pourquoi le duo de l’exécutif n’a guère retenu sa préconisation, pourtant énoncée de façon prudente: le Grand Paris Express reste un puissant paravent politique. Jusqu’à la prochaine crise?
A Mulhouse, le post paiement en grandeur réelle
En pleine grève des cheminots, le nouveau dispositif lancé par Mulhouse Alsace Agglomération (M2A) est passé presque inaperçu. Et pourtant, avec son «compte mobilité», la collectivité, aux côtés de son opérateur Transdev, réalise une première européenne et entre de plain-pied dans le Maas (Mobility As A Service).
L’idée de M2A était finalement simple : proposer via un compte unique, depuis son smartphone ou une carte, la possibilité de prendre le bus ou le tram (réseau Soléa), emprunter un vélo (VéloCité de JCDecaux ou vélos de Médiacycles), utiliser l’autopartage (Citiz) ou encore accéder à un parking (Citivia ou Indigo). Mais aussi et surtout, proposer un dispositif global de post-paiement: l’utilisateur est débité en fin de mois par prélèvement automatique, grâce à une facture unique. Une formule simple qui garantit le meilleur coût d’utilisation.
«Si les citoyens souhaitent consommer la mobilité comme ils consomment Internet, le téléphone ou encore la vidéo, donnons-leur la possibilité de le faire»
Mais pourquoi n’y avait-on pas pensé avant ? Parce que la coordination entre les différents acteurs, obligatoire pour lancer un tel projet, est souvent compliquée. Parce que bien souvent, ces projets courent après la technologie ou l’intégration d’un maximum d’intermodalité. A Mulhouse, c’est le pragmatisme qui semble l’avoir emporté. Au-delà de l’approche technique, il s’agit surtout de changer de paradigme: «Si les citoyens souhaitent consommer la mobilité comme ils consomment Internet, le téléphone ou encore la vidéo, donnons-leur la possibilité de le faire». Il s’agit concrètement de répondre à un besoin de multimodalité, dans un périmètre urbain: «Les citoyens peuvent utiliser le mode qu’ils veulent un jour, puis changer selon leur envie ou leur besoin le lendemain», explique Christophe Wolf, directeur du pôle mobilité et transports.
Les contributions de développement de la collectivité, de Cityway, de l’Etat et de la Caisse des Dépôts ont permis un investissement aux alentours de 600 000 euros. Pour la collectivité, le coût d’exploitation de ce dispositif est peu élevé (environ 150 000 € par an). Il est lié aux opérations bancaires (réduites, car une seule opération est générée, grâce au post-paiement), aux relations entre le «back office» et la maintenance. Un ETP (équivalent temps plein) a aussi été créé pour animer l’ensemble du dispositif et attirer les nouveaux utilisateurs. Les discussions sont en cours pour faire évoluer le modèle. La période de test permettra sûrement de préciser les choses et le retour d’expériences d’autres projets comme celui de Whim à Helsinki (géré par une start-up) sera un bon curseur pour Mulhouse.
La phase de test débute donc en ce moment, avec 50 utilisateurs, avant un lancement officiel prévu pour septembre. L’objectif est d’atteindre les 10 000 utilisateurs dès 2019. L’autorité organisatrice raisonne en deux temps : séduire d’abord ceux qui utilisent déjà les services de transports, puis essayer de convaincre de nouveaux utilisateurs. C’est donc un test pour tout le monde. Pour la collectivité, qui va tenter d’attirer de nouveaux publics, sans vraiment déployer d’offre nouvelle. Pour Transdev, qui peut tester en grandeur réelle une nouvelle manière de “vendre de la mobilité”. Peut-être aussi pour tous ceux qui vantent le MaaS comme le graal, sans vraiment avoir pu le tester jusqu’à présent. Car le désormais voyageur du quotidien évolue vite, et ne trouve plus toujours son compte dans les abonnements traditionnels à la semaine ou au mois.
Un colloque d’Avenir Transports le 24 mai
C‘est précisément sur ce sujet de l’apport des nouvelles technologies à la mobilité qu’une matinée de débats * est organisée à l’Assemblée nationale, à l’initiative des coprésidents d’Avenir Transports Valérie Lacroute et Benoit Simian. Les deux députés expliquent leurs intentions à Mobilettre, qui animera les échanges.
Mobilettre. Qu’est-ce qui vous a incité à réunir opérateurs, élus et industriels pour parler technologies et mobilité ?
Benoit Simian. Nous sommes à un moment déterminant dans l’évolution des offres et des pratiques de mobilité. Les solutions de transport et de gestion des parcours se multiplient, et chaque jour l’actualité nous démontre que nous devenons, chacun à sa place, les acteurs d’une transformation importante et durable. C’est un mouvement de fond. Le numérique permet aujourd’hui à bon nombre d’usagers de se construire des solutions originales, sur mesure, qui n’existaient pas il y a quelques années. Mais il ne faut pas se satisfaire du foisonnement: il faut accompagner le mouvement, contribuer à son organisation en matière d’information, de billettique et de tarification.
Mobilettre. C’est-à-dire? Que craignez-vous?
Valérie Lacroute. Si l’usager consomme de la mobilité différemment, s’il est de plus en plus en mesure de construire son propre parcours indépendamment des opérateurs, il doit aussi faire face à un foisonnement de nouvelles solutions parfois anarchique qui pourrait fragmenter l’offre transport, et complexifier son parcours alors que la fluidité est le meilleur atout de la mobilité collective. Les opérateurs sont particulièrement préoccupés de ces questions. Qu’est-ce que l’innovation aujourd’hui? Comment encourager la co-construction, l’intégration ? Des initiatives émergent ou sont en cours d’expérimentation. C’est tout cela que nous allons partager lors du colloque du 24 mai.
Mobilettre. Justement, quelle est la position des acteurs publics?
Valérie Lacroute. Il faut que tout le monde se mette d’accord pour que ne s’installe pas une jungle. La multiplication des initiatives ne doit pas se faire au détriment des usagers. C’est la mission des acteurs publics de garantir une offre de mobilité efficace et équitable.
Benoit Simian. La future LOM (loi d’orientation des mobilités) a pour mission d’offrir un cadre adapté à ces évolutions, tout en restant suffisamment souple. Elle va ouvrir un espace de travail entre opérateurs, collectivités locales, associations d’usagers et industriels, auxquels nous allons donner la parole lors de notre colloque.
* Le 24 mai à l’Assemblée nationale de 9h à 12h30. Inscriptions et informations
Assises de l’aérien
Comment parler accessibilité des aéroports
sans parler de CDG Express…
Les Assises de l’aérien lancées le 20 mars dernier poursuivent leur chemin dans une assez grande discrétion. Le 27 avril était organisé dans ce cadre un colloque sur «les nouveaux enjeux de l’intermodalité». L’aéroport de Lyon Saint-Exupéry avait été choisi comme lieu des débats, parce qu’«exemple intéressant pour étudier les problématiques de concurrence, de complémentarité modale et d’accessibilité », mais le colloque ambitionnait « aussi de porter les débats au niveau national ». On aurait bien voulu, car on est resté très régional sans aborder pour autant au fond la problématique des aéroports régionaux à l’exception d’une étude du LET que l’on a feint de ne pas entendre. Parce que dire: «Ce n’est pas un aéroport qui fait une région» ou encore, «l’apport au développement des aéroports a été largement surévalué», ce n’est pas politiquement correct!
On aurait surtout aimé que, bien qu’à Lyon, on aborde LE sujet: CDG Express
Alors oui, on a dit des choses intéressantes notamment sur le rôle des «cars Macron» dans l’accessibilité des aéroports et la complémentarité modale: alors que Rhône Express démarre de Part-Dieu, permettre aux cars Macron de faire un arrêt à Perrache avant de desservir Saint-Exupéry est une bonne idée même si cela oblige à déroger à la règle des 100 kilomètres. Pourquoi ne pas les autoriser à bénéficier des mêmes facilités de circulation que le co-voiturage ? On se demande pourquoi à Toulouse, la future ligne de métro s’arrêtera à 500 mètres de l’aéroport. On n’est pas tout à fait sûr que le nouveau terminal 1B de Lyon soit si bien desservi que cela par Rhône Express. Mais on aurait surtout aimé que, bien qu’à Lyon, on aborde LE sujet.
«LE» sujet ? Eh bien oui, c’est CDG Express puisque l’on parle d’accessibilité. Et puis, il ne faut pas se voiler la face, la concurrence ne se joue pas entre aéroports de province, pas même entre Saint-Exupéry et les aéroports parisiens, mais bien entre Roissy et Schiphol, Heathrow et Francfort, voire Dubaï. On finirait même par se demander si ce n’est pas pour éviter de parler de CDG Express que l’on est allé à Lyon…
Oui, on aurait aimé que l’on parlât de CDG Express, pas seulement en termes techniques ou de financement, mais du point de vue du client. Il faut d’ailleurs rendre justice au colloque, tous les participants sont tombés d’accord pour dire qu’il fallait d’abord se préoccuper des clients des aéroports. Mais encore faut-il en tirer les conséquences.
Regardons CDG Express de ce point de vue : personne ne conteste la nécessité d’une desserte efficace Paris-Roissy. Mais pas n’importe comment. Et n’importe comment, c’est tout d’abord ne pas desservir le futur terminal 4 qui sera mis en service dans le même horizon de temps (2024). A ce stade du projet, CDG Express ne devrait desservir que CDG2, les connexions vers les autres terminaux se faisant par des trains automatiques. Ce qui signifie rupture de charge pour les passagers.
Le ministère de l’Intérieur ne serait pas favorable à l’enregistrement des bagages gare de l’Est pour des raisons de sécurité. Il devrait aller à Hong-Kong, Vienne, Genève…
Lors de la décision de construire la ligne 1 du métro parisien pour l’Exposition universelle de 1900, on aurait décidé de ne pas faire le crochet par la Gare de Lyon mais de privilégier la ligne droite entre Bastille et Reuilly-Diderot, vous auriez trouvé cela absurde ? Nous aussi. Mais c’est justement ce qui est en train de passer avec CDG4… Et la perspective d’une desserte par la future ligne 17 du Grand Paris Express n’y change rien. Entre un métro et une navette ferroviaire d’aéroport, ce n’est pas le même service client.
Parlons justement du service au client et de ses bagages. Car qui dit rupture de charge, dit bagages. Sauf à prévoir un enregistrement des bagages au départ, c’est-à-dire Gare de l’Est. Pour l’instant ce n’est pas gagné, le ministère de l’intérieur ne serait pas chaud pour des raisons de sécurité. Il n’empêche que les Suisses, qui ne sont pourtant pas des irresponsables ou des inconscients, ont mis en place dans bon nombre de gares un pré-enregistrement des bagages pour l’aéroport de Genève. D’ailleurs Air France l’avait bien compris en mettant en place il y a 18 ans le produit AIRetRAIL sur la liaison CDG-Bruxelles puis CDG-Strasbourg. Les avantages : achetées sous forme de blocs-sièges, les capacités SNCF sont gérées comme des cabines d’avion et les TGV concernés se voient assigner des numéros de vol, les clients sont regroupés dans des voitures attitrées, ils sont protégés lors de leur correspondance à CDG en cas d’irrégularité du train ou de l’avion et surtout, depuis 2013 pour Strasbourg et 2015 pour Bruxelles, Air France propose l’enregistrement de bout en bout des bagages de soute du train vers l’avion. Et si l’on veut parler compétitivité internationale, il faut rappeler que parmi les villes disposant d’une liaison express avec leur principal aéroport, six proposent l’enregistrement des bagages en gare de départ : Kuala Lumpur, Hong Kong, Seoul, Vienne, Zurich et Genève dont nous avons parlé et qui fait même encore mieux.
Alors, puisque le choix du futur exploitant n’est pas fait, il n’est pas trop tard pour compléter le projet CDG Express puisque l’appel d’offres est muet sur les deux points dont nous venons de parler: desserte de CDG4 et enregistrement des bagages gare de l’Est. Mais CDG Express, c’est aussi parler de son modèle économique et de sa pertinence à long terme, d’ADP, de sa gouvernance et plus globalement des coûts d’exploitation du transport aérien. Mobilettre y reviendra tout au long de ces Assises…
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