Grève SNCF: comment (s’) en sortir
Le gouvernement: se méfier des lendemains difficiles
Emmanuel Macron et Edouard Philippe seraient donc les vainqueurs. Ils ont réussi là où tant d’autres ont échoué: en réformant la SNCF, les voilà reconnus comme gouvernants fermes et courageux, légitimes pour la suite. Pour les plus idéologues, Alain Juppé est vengé, plus de vingt ans après…
Mais les plus avertis des conseillers ont conscience qu’il serait risqué de surjouer le triomphe, pour au moins trois raisons:
- A quel prix les gains symboliques (le statut des cheminots, l’organisation de la SNCF, l’ouverture à la concurrence) ont-ils été arrachés? Il va falloir regarder de près dans le texte final les conditions du transfert des personnels comme les détails du groupe ferroviaire remodelé, dans ce qui ressort de son unité sociale comme de sa cohérence opérationnelle, juridique et financière. L’improvisation législative aurait-elle laissé quelques traces? Certains ajustements ont eu lieu jusqu’au dernier moment (les amendements au Sénat peuvent être déposés jusqu’à ce lundi midi). Il ne faudra pas oublier non plus de suivre les négociations à l’UTP de la future convention collective, d’ores et déjà sous haute pression gouvernementale.
L’ingénierie des discussions parlementaires et sociales est apparue très défaillante. Les raisons en sont nombreuses…
- La méthode brouillonne de cette réforme SNCF n’est guère brevetable. Autant la fermeté et la ligne politique de Matignon sont restées cohérentes, autant l’ingénierie des discussions parlementaires et sociales est apparue très défaillante. La loi s’est quasiment construite à partir d’amendements, et il était fréquent que des interlocuteurs syndicaux soient davantage au point sur certaines questions techniques ou économiques que leurs interlocuteurs… Les raisons en sont nombreuses, avançons-en quelques-unes: hypercentralisation d’Elisabeth Borne, sous-effectif du cabinet Transports, affaiblissement et engorgement de la DGITM, intransigeances de Bercy, lourdeur de l’interministériel… Le verrouillage de la communication et la discipline gouvernementale ont évité les couacs spectaculaires, mais ni les parlementaires (y compris les députés et sénateurs LREM instamment priés d’obéir) ni les syndicalistes ne sont prêts à repartir sur de telles bases dans l’avenir.
- La suite des opérations est à hauts risques pour le quinquennat. Ballottée par la mise en place difficile de la loi de 2014, la SNCF repart pour dix-huit mois acrobatiques (lire ci-après). Et chacun sait que l’amélioration de la performance ferroviaire est surtout une question de persistance dans la durée des efforts industriels et managériaux. Les problèmes de réseau, de matériel roulant et de services ne vont pas disparaître comme par enchantement. A-t-on expliqué au Premier ministre que la «réunification» des gares ne prémunissait pas contre un nouveau Montparnasse? Un conseiller politique du président de la République s’enquerrait récemment du temps qu’il faudrait pour que soit visible par les Français le bienfait d’une décision budgétaire évaluée à quelques centaines de millions d’euros. La réponse ne fut pas de nature à lui redonner quelques couleurs.
Le gouvernement sait qu’il est loin d’en avoir fini avec la SNCF, et qu’il lui faudra peut-être, en fonction des circonstances, trouver un dérivatif à sa propre responsabilité. Interrogé sur l’avenir de Guillaume Pepy dans le Journal du Dimanche, hier 27 mai, le Premier ministre a fait le service minimum: «Un mouvement de cette ampleur a forcément des effets sur l’entreprise et ceux qui la dirigent. Mais je soutiens, par définition, les patrons des entreprises publiques, et Guillaume Pepy a ma confiance». On a connu soutien plus affirmé.
L’entreprise SNCF: se remettre en marche, mais autrement
Après deux mois d’un conflit aussi inédit que complexe, tous les sentiments se bousculent au sein de la SNCF, groupe géant et complexe. Le résultat du «vot-action» mené par les syndicats révèle un refus nettement majoritaire des cheminots d’une réforme vécue comme une agression multi-formes. «Et si on disait aux enseignants que demain ils perdront leur statut au profit d’une convention collective pas encore fixée, et que l’Educ’Nat serait transformée en établissements régionaux, comment réagiraient-ils?», se risque un syndicaliste. Il ne faut sous-estimer, dans les explications à la persistance de la grève, ni le traumatisme culturel de la représentation d’un autre monde, ni la résistance instinctive à l’économie de marché. Jusqu’à aujourd’hui, une majorité de cheminots entraient souvent à la SNCF à vingt ans pour n’en sortir qu’à la retraite, avec des progressions de rémunération essentiellement liées à l’ancienneté (et à l’évolution hiérarchique pour certains). La perspective d’une évolution de carrière moins linéaire, voire pour quelques centaines d’agents sa poursuite chez un concurrent du fait des transferts automatiques, apparaît très difficile à accepter.
Il ne faut sous-estimer, dans les explications à la persistance de la grève, ni le traumatisme culturel de la représentation d’un autre monde, ni une résistance instinctive à l’économie de marché.
Pour nombre de cadres, même s’ils ont contribué à maintenir à flots une activité très perturbée par la grève «2 sur 5», le trophée politique cherché par le gouvernement ne valait pas tant de souffrances. «Il a fallu attendre huit semaines pour que l’Etat précise enfin sa part de l’effort, avec le transfert de la dette et un surplus d’investissements dans le réseau de 200 millions!», relève l’un d’entre eux. Au passage, on pourra quand même remarquer qu’en 2022, il restera encore près de 20 milliards de dettes à SNCF Réseau. Soit à quelques euros près, la même somme qu’en 1997 lors de la constitution de RFF. S’il y avait une justice politique additionnelle aux élections, il faudrait donc convoquer au tribunal de l’Histoire ferroviaire tous les gouvernements de 1997 à 2017…
Peuple cheminot déboussolé, cadres las des réformes: et la direction? Elle a manifestement perdu le soutien d’une bonne partie des syndicalistes, qui étaient jusque-là habitués à ce qu’elle fasse le tampon avec les exigences politiques ou financières de l’Etat. Rien de tel depuis le mois de février: l’intransigeance du pouvoir n’a laissé que peu d’espaces et d’autonomie à Guillaume Pepy. Une phrase de Catherine Guillouard, PDG de la RATP, hier matin sur France Inter, risque de tourner en boucle au sein de la SNCF: «Pour ouvrir à la concurrence la RATP n’a pas besoin de toucher au statut de ses agents.» Mais alors, pourquoi la SNCF n’a-t-elle pas été en mesure de mener en son sein les évolutions nécessaires, similaires à certains assouplissements du statut RATP? A qui la responsabilité? Politiques peu courageux, dirigeants peu audacieux, syndicats trop puissants ou trop radicaux?
Tenu en marge des négociations publiques par le gouvernement, Guillaume Pepy n’a donc pas ménagé ses efforts pour rester dans le jeu. Toujours aussi efficace dans ses prises de parole, il s’est multiplié au sein de l’entreprise pour que la production et le service ne s’effondrent pas. Encore une fois, il a été un président de crise exceptionnel: a-t-il a mouillé la chemise de peur qu’on ne la lui arrache?
Mais peut-il être le président de la énième et nouvelle transformation de la SNCF, jusqu’en janvier 2020? «Il a ma confiance», a juste dit le Premier ministre… (lire ci-dessus)
Les syndicats: se démarquer avant les élections professionnelles de l’automne
Il se joue beaucoup de choses en ce printemps pour les syndicats de la SNCF et pour les confédérations. Engagés collectivement dans un rapport de forces sans précédent avec le gouvernement, les quatre organisations représentatives rejointes par FO ne savent pas comment assumer leur identité sans en payer les pots cassés lors des élections professionnelles de l’automne. D’une certaine façon, seul Sud-Rail a pris des risques limités en assumant sa propre radicalité. Le bilan mitigé de la grève «2 sur 5» peut revenir à la CGT comme un boomerang. CFDT et Unsa hésitent à se désolidariser sous peine de subir le procès en trahison que ne manqueront pas de leur intenter leurs consœurs…
C’est d’autant plus vrai que la CFDT démarre son congrès le 4 juin à Rennes, et qu’il n’est jamais aisé dans une telle ambiance d’exhiber son social-réformisme, qui plus est face à un gouvernement droit dans ses bottes. Poussée à l’intransigeance par les ex-Fgaac et des responsables cheminots comme Didier Aubert, la Centrale de Laurent Berger va jouer le calendrier parlementaire pour justifier sa position: on reste dans la grève pour peser jusqu’au bout des discussions.
Les syndicats demandent un protocole d’accord, pour que les promesses de Matignon ne soient pas des promesses de maquignon…
Pour l’Unsa, qui se verrait bien dans les mois qui viennent jouer le rôle du syndicat pivot de toute grande négociation sociale, la sortie du conflit est tentante, d’autant que pas mal d’amendements ont été obtenus grâce à elle. Mais sa base ne semble pas encore prête: on ne sort pas si facilement de deux mois d’unité syndicale sur le terrain et de fermeté revendicative sur les principes. Il y en outre un certain paradoxe de la part du gouvernement à demander à la CFDT et à l’Unsa d’être des partenaires reconnaissants, alors même qu’il les a toisés de haut pendant des semaines…
Surtout, l’ensemble des syndicats souhaitent que soit couchées sur le papier les annonces du Premier ministre sur les questions financières, dont certaines sont encore floues, notamment sur les gains de productivité. En quelque sorte, que les promesses de Matignon ne soient pas des promesses de maquignon. La mise au point d’une sorte de protocole d’accord, dont le principe n’a pas été repoussé par le Premier ministre, nécessiterait forcément quelques efforts… qui mèneraient jusqu’au terme de la discussion parlementaire.
Il apparaît donc que pour le gouvernement, la direction de la SNCF et les syndicats réformistes, l’hypothèse d’une fin de conflit progressive jusqu’à la mi-juin arrangerait tout le monde. Les conducteurs et contrôleurs, qui tiennent pour l’instant le conflit à bout de bras, subiront-ils eux aussi, loin des appareils, l’usure du combat?
Ouverture à la concurrence: comment
se débarrasser des bonnes vieilles habitudes…
Le groupe FS est sous le coup d’une enquête de l’Autorité de la concurrence et du marché pour avoir faussé les règles d’attribution du contrat de transport régional de la Vénétie pour la période 2018-2032. La plainte émane d’Arriva (groupe DB). Pour faire simple, la holding serait purement et simplement intervenue pour mettre dans la corbeille de la mariée un programme d’électrification et de travaux mené par RFI, le gestionnaire d’infrastructure, et la fourniture de matériel roulant «en échange» d’une prolongation du contrat avec Trenitalia jusqu’en 2023.
La région Vénétie avait publié en février 2014 un premier avis annonçant son intention de procéder à un appel d’offres ouvert à l’issue de son contrat avec Trenitalia qui courait de janvier 2009 jusqu’en décembre 2014. Compte tenu des délais trop courts, la région avait d’abord envisagé de prolonger le contrat jusqu’en 2020 et c’est après le forcing des FS que le contrat a finalement été prolongé jusqu’en… 2023. Le groupe FS n’aurait donc pas respecté la séparation qui doit prévaloir entre le GI et l’opérateur, et de surcroît la holding aurait négocié elle-même le contrat de l’opérateur dans le but d’échapper à un appel d’offres.
Le dossier d’Arriva est notamment fondé sur diverses déclarations publiques des autorités régionales. Certes, les parties peuvent encore présenter leurs observations, mais en lisant les considérants de l’Autorité de la concurrence on voit bien qu’elle prend l’affaire très au sérieux et qu’il y a de fortes suspicions d’abus de position dominante et d’atteinte à l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Fin de l’instruction le 30 mai 2019.
Colloque Avenir Transports
200 personnes à l’Assemblée nationale pour parler nouvelles technologies et mobilité
C‘est un peu comme si les parlementaires avaient hâte de passer à la suite… En consacrant jeudi 24 mai à l’Assemblée nationale un colloque public à l’impact des nouvelles technologies sur les mobilités (préparé avec Mobilettre et animé par Gilles Dansart), les nouveaux présidents d’Avenir Transports Valérie Lacroute et Benoît Simian ont mis de côté le temps d’une matinée la crise ferroviaire pour réfléchir à la révolution des offres et des usages, et à ses conséquences sur la gouvernance. Une initiative bien accueillie par les élus, opérateurs et industriels qui doivent travailler ensemble sous peine de laisser la main aux plates-formes. Nos impressions à chaud.
Mobility as a Business?
Il est de bon ton aujourd’hui de parler des nouvelles mobilités. Mais pour en dire quoi? Chaque jour ou presque de jeunes pousses créent de nouvelles applications. Pour quoi faire? En quoi les nouvelles technologies révolutionnent-elles la mobilité? Non seulement les déplacements, les usages, infrastructures comprises, mais aussi les relations entre les citoyens et les territoires, l’urbanisme, bref «le vivre ensemble». Et tout cela sans oublier qu’en France comme en Europe, seul un tiers des usagers est «agile» avec les nouvelles technologies.
Faire dialoguer les opérateurs historiques avec les nouveaux venus du «tout-numérique»
La matinée de jeudi a permis de toucher du doigt les offres de mobilité de demain, qu’il s’agisse du compte mobilité de Mulhouse, du forfait mobilité de Finlande ou du «calculateur multimodal, prédictif et intelligent» que prépare Ile-de-France Mobilités. De découvrir des services qui permettent d’«alléger le voyage», comme l’a résumé un des intervenants, y compris financièrement avec les comparateurs, ce qui est déjà le cas dans l’aérien. De faire dialoguer les opérateurs historiques qui sont obligés de mettre les bouchées doubles pour résister à la concurrence avec les nouveaux venus du «tout-numérique». Mais les débats ont aussi obligé, en revisitant la question de la gouvernance, à se positionner de manière quasiment éthique, ou du moins responsable par rapport à cette mobilité 3.0.
La brillante intervention d’Anne-Marie Idrac, au-delà de la seule question du véhicule autonome, a formalisé des réflexions qui s’étaient exprimées de manière plus diffuses au cours des débats. Il apparaît clairement que les nouvelles technologies, qui arrivent dans un contexte de plus grande concurrence, imposeront un minimum de règlementation ou de normalisation. Mobility as a Service? Sans doute. Mais aussi «Mobility as a Business», comme l’a souligné l’ancienne ministre des Transports. Ce qui n’a rien de choquant à condition de savoir à qui profite le business, au contribuable ou au possesseur des données.
Pour que chacun puisse y trouver son compte, il faut un meneur de jeu. A part en Ile-de-France où la Région apparaît légitime comme «grand intégrateur», ailleurs les communautés d’agglo semblent la meilleure maille pour coordonner et arbitrer. Parce qu’elles peuvent créer le lien qui manque entre les périphéries et les centres urbains, et parce qu’elles semblent moins enclines que d’autres collectivités à se laisser dicter leur loi par leur opérateur, fût-il historique. Mais aussi parce qu’elles peuvent faire asseoir autour d’une même table des opérateurs concurrents qui ont besoin pour se développer de l’espace qu’elles gèrent.
Seul regret de cette matinée : on aurait aimé repartir avec quelques informations plus précises sur la LOM, dont on sait qu’elle traitera de ces questions de gouvernance et de soutien aux nouvelles technologies. Mais ce sera sans doute pour une autre fois…
Anne Barlet
Aux Etats-Unis, 500 millions de dollars
pour une trottinette nouvelle génération…
Vélo, scooter ou voiture en libre service, avec ou sans station… Une fois que l’on maîtrise la technologie de géolocalisation, peu importe l’offre que l’on déploie. Avec l’exposition récente de ces nouvelles offres, on se disait que les habitants des métropoles avaient désormais tout à disposition.
Mais c’était sans compter sur la grande nouveauté qui débarque de la côte ouest des Etats Unis, et comme presque toujours de San Francisco. Désormais, la mode y est à la trottinette! On n’y avait pas pensé, et pourtant, dans la recherche de la simplicité et de la robustesse, la trottinette se pose là. Equipée d’un moteur électrique, elle devient très rapide. Truffée de technologie (géolocalisation, système de déverrouillage par QR-Code…) elle fait figure d’objet ultime pour l’urbain pressé.
Comme toujours les quelques start-up qui se partagent ce marché ultra jeune montent vite en puissance. Elles s’appellent pour le moment, LimeBike, Spin et Bird. Comme souvent, les penseurs viennent des Etats-Unis (Bird a été lancé en septembre dernier à Santa Monica par Travis VanderZanden, ancien cadre de Lyft) et les objets de Chine! Comme d’habitude, les levées de fonds mirobolantes s’enchainent (500 millions de dollars annoncés dernièrement pour Lime).
Mais si l’objet semble plaire à de très nombreux citadins, il irrite déjà les collectivités américaines, qui ne goûtent que très peu à ces nouveaux objets roulant à 25 km/h sur les trottoirs et stationnant n’importe où. Que diront les nôtres?
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