SNCF: les clients sont de retour
Avant la grève c’était très bien, après la grève ça s’annonce pas mal du tout. Sur le terrain des activités voyageurs, tout semble se passer comme si le conflit SNCF du printemps n’avait été qu’une parenthèse – une parenthèse fort coûteuse, certes, chiffrée à 790 millions d’euros (lire ci-dessous), mais une parenthèse. Car selon nos informations, le premier trimestre 2018 s’est achevé sur une marge opérationnelle supérieure d’environ 100 millions d’euros au budget (lui-même déjà en forte hausse par rapport au premier trimestre 2017), et les projections sur le chiffre d’affaires du troisième trimestre, réalisées essentiellement à partir des réservations sur oui.sncf, montrent une tendance nettement supérieure au troisième trimestre 2017 (avec la poursuite de la montée en puissance de l’axe Atlantique).
La capacité de la SNCF à garantir la circulation des trains annoncés tout au long de la grève a rassuré les candidats au voyage
Une telle dynamique n’allait pas de soi. Comment les Français allaient-ils réagir aux événements du printemps, et aux incertitudes sur le trafic estival liées aux mots d’ordre de grève de la CGT? En fait ils n’ont pas boudé, confirmant leur attrait pour le transport ferroviaire longue distance, et ils ont répondu favorablement aux promotions déclenchées par la SNCF pour relancer la machine. La capacité de la SNCF à garantir la circulation des trains annoncés tout au long de la grève, de même que la très substantielle amélioration de l’info voyageur en temps réel, ont contribué à rassurer les candidats au voyage.
Malgré ces bonnes nouvelles pour l’entreprise, les 790 millions du coût de la grève (soit environ 20 millions d’euros par jour de grève) vont bel et bien absorber la totalité du résultat 2017. 240 millions proviennent des péages non perçus par SNCF Réseau, et 550 millions de la moindre performance de SNCF Mobilités (décompte fait des retenues sur salaires). A noter que 160 millions d’euros ont été dépensés pour financer des moyens de substitution (IDVroom, bus, etc), indemniser les voyageurs (Transilien et TER principalement) et augmenter le nombre des petits prix.
Il reste à évaluer dans les mois à venir la réaction des chargeurs. Parallèlement à quelques signaux positifs lancés par la ministre en faveur du fret ferroviaire et notamment du transport combiné, les efforts déployés à leur attention pendant le mouvement par le gestionnaire d’infrastructures et les opérateurs, afin de limiter l’impact des perturbations et trouver des solutions à leurs urgences, sont-ils de nature à les dissuader de partir sur la route ou de réduire leur part ferroviaire?
«Une nouvelle ambition ferroviaire» et un chef de projet
Dans ses annonces du printemps le gouvernement avait demandé à la SNCF de travailler à un nouveau projet d’entreprise pour la fin du mois de juillet, qui précise l’application des objectifs d’amélioration de la productivité et porte une vision des activités. En gros, comment redonner du sens à la réforme tout en trouvant les moyens de produire moins cher. Pas simple.
Un document de travail est sur la table des différentes entités du groupe (conseil de surveillance et conseils d’administration). Il n’est ni définitif ni public, ce qui illustre probablement l’embarras du gouvernement à relancer des débats voire des polémiques alors que les braises du conflit sont encore chaudes et sa propre situation politique des plus fragiles. Intitulé «Une nouvelle ambition ferroviaire», ce document est provisoire et amené à subir des retouches avant de servir de base à une consultation active des managers, les 3 et 4 octobre lors de leur séminaire annuel qui aura lieu au Stade de France – c’est moins exotique que la Normandie, les Center Parcs ou Rotterdam, mais vu l’année 2018, la frugalité s’imposait.
En attendant que l’actionnaire Etat et la SNCF se mettent d’accord sur un projet stratégique, un casting et un calendrier de communication publique, il faut bien préparer l’application de ladite réforme législative, et il ne reste finalement que quinze mois avant les nombreuses échéances du premier janvier 2020. C’est un tout nouveau chevalier de la Légion d’honneur (lors de la promotion du 14 juillet, lire ci-dessous), Alain Picard, qui devient PMO (Project Manager Officer) de SNCF 2020. Déjà nanti d’une vision transversale avec son rôle de DRH Groupe, il est chargé de préfigurer la nouvelle SNCF avec l’aide de quatre hommes: Laurent Trévisani, Mathias Emmerich, Alain Quinet et Benjamin Raigneau. Un travail de titan, qui porte son lot de décisions lourdes pour le quotidien des entités. Leurs réunions s’annoncent sympathiques.
AERIEN
Ryanair, des aides d’Etat à Montpellier?
Il y a un an Mobilettre avait consacré un Mobizoom à un rapport du CGEDD évoquant le coût des aéroports secondaires. Les Assises de l’aérien ont été une nouvelle fois l’occasion d’en parler autour de la thématique de l’accessibilité. Et jamais deux sans trois, la Commission européenne vient d’ouvrir une procédure d’enquête approfondie sur les conditions dont bénéficie Ryanair à Montpellier.
Apres avoir considéré que les aides accordées par les collectivités pour attirer ou soutenir des compagnies aériennes à Nîmes, Pau ou Angoulême constituaient des aides d’Etat, la Commission n’en a semble-t-il pas fini avec le cas français, n’en déplaise à la DGAC. Celle ci estime en effet que les aides accordées à certains aéroports de province et aux compagnies qui les desservent le sont dans le parfait respect des lignes directrices (les «guidelines») publiées par la dite Commission. A l’évidence, celle-ci en est moins sûre…
Derrière le contrat entre l’AFPTE et Ryanair, un financement régional pour s’assurer de son maintien dans la ville
L’aéroport de Montpellier, qui a accueilli 1,9 million de passagers l’an dernier, est notamment desservi par Ryanair. Les investigations de la Commission portent sur les aides que cette dernière aurait reçues de l’Association de promotion des flux touristiques et économiques, l’APFTE, depuis 2010. Celle-ci aurait rémunéré Ryanair pour faire la promotion de Montpellier et de la région environnante comme destination touristique sur son site web.
L’AFPTE étant une association presque exclusivement financée par des autorités publiques locales ou régionales, ces financements entrent dans le champ des aides d’Etat et peuvent donc être source de distorsion de concurrence. Les soupçons de la Commission viennent du fait que les termes du contrat de promotion seraient beaucoup trop avantageux et que pas un seul opérateur privé n’accepterait de rémunérer à ces conditions la promotion faite par Ryanair. Derrière ce contrat, il y aurait donc ni plus ni moins un financement régional pour s’assurer du maintien de Ryanair à Montpellier.
OEPN DATA
L’Etat à la rencontre des territoires
Créer un point d’accès national et répondre aux futures exigences des directives européennes en matière d’Open data»: la feuille de route paraissait simple lorsqu’a débuté la mission de beta.gouv.fr (l’incubateur de services numériques de l’Etat) sur les transports, mi-2017. L’équipe était la semaine dernière à Marseille pour «évangéliser» les collectivités territoriales avant la pause estivale. Mobilettre a essayé de suivre…
Marseille le 10 juillet, Toulouse quelques semaines avant, le tout après être passé par la Mecque de l’Open Data, Rennes, mais aussi Nancy et Lyon… Beta.gouv.fr, avec son projet d’Open data a compris que le terrain serait la clé du succès. Et ça tombe bien, puisque l’équipe transports est jeune, agile, et n’hésite pas à arpenter l’Hexagone en mode baskets, Macbook sous le coude et anglicismes à tout va. Ce job de terrain est loin d’être de la figuration. Il est même devenu essentiel pour comprendre comment fonctionnent les collectivités, écouter les techniciens et sensibiliser les autorités organisatrices de transports.
Car la feuille de route fixée par l’Etat est dense : travailler avec au moins trois régions pilotes (une seule a pour le moment répondu favorablement), engager 50 AOM pilotes (24 jouent aujourd’hui le jeu) et créer des services nouveaux dans 10 agglomérations (4 ont dit oui). Alors la jeune équipe «ne lâche rien», à la manière des joueurs de Deschamps, et enchaîne les déplacements. Elle prévoit déjà d’être à Poitiers le 2 octobre prochain. Rouen et Lille font aussi partie de la «ToDoList». Ce tour de France des collectivités commence-t-il à porter ses fruits? «Un premier cap a été franchi», selon Ishan Bhojwani, un des membres de l’équipe Beta.gouv.fr, puisque «le terrain a déjà permis de supprimer les inquiétudes des territoires, notamment sur les questions de licence pour les données transports dites théoriques».
Convaincre les producteurs d’applications est complexe. Expliquer aux collectivités l’intérêt de l’Open data tout autant.
Plus loin dans la «roadmap», il reste tout autant de travail. D’un côté, les objectifs européens (et la norme qui porte le doux nom de Netex) sont en ligne de mire. De l’autre, le travail avec les fournisseurs d’applications a d’ores et déjà commencé. Sept réutilisateurs collaborent déjà avec Beta.gouv.fr pour déployer leurs services, dont deux belles prises : Kisio et Mappy. Néanmoins, Moovit, Google Maps ou Apple Plans ne sont pas encore intégrés dans le dispositif, malgré des discussions en cours. Ishan Bhojwani reste confiant: «Google France est plutôt favorable à la démarche. C’est plutôt du côté du siège (aux Etats-Unis) que cela coince pour le moment, notamment sur des aspects juridiques (la licence ODBL)». Dans tous les cas, le géant californien souhaite intégrer le maximum de villes en France, sans avoir à contractualiser en direct avec elles, «car cela est beaucoup trop chronophage. Une chance pour le projet».
Convaincre les producteurs d’applications est complexe. Expliquer aux collectivités l’intérêt de l’Open data tout autant. Mais le plus difficile pour l’équipe de Beta.gouv.fr sera de casser les silos, de résoudre les problèmes de circuits de validation entre exploitants, AOT, services informatiques, marketing… Bref, changer la culture chez les producteurs de données, sur le long terme. Elle y réfléchit déjà et pourrait bientôt proposer un module permettant d’afficher les bons et mauvais élèves sur sa plate-forme nationale. Une sorte de compétition entre collectivités qui aurait un réel intérêt pour le public…
French Mobility, un bon coup d’Etat?
French Mobility, ça sonne bien et l’autocollant distribué à quelques start-up commence à se diffuser un peu partout dans les territoires, sans que grand monde ne sache pourtant ce que cela signifie. Derrière cette communication bien huilée, qu’en est-il vraiment du dispositif annoncé par la ministre Elisabeth Borne lors des Assises de la Mobilité fin 2017 et présenté au salon Gart-UTP en juin dernier?
French Mobility est «une démarche collective animée par le ministère des transports pour accélérer l’innovation dans les mobilités». Pour faire simple, l’Etat (avec un portage DGITM) via cette démarche souhaite créer de l’émulation entre acteurs de la mobilité et territoires, pour «libérer l’innovation». Il a interrogé les participants lors des Assises de la mobilité puis concocté un plan d’actions autour de sept mesures phares, parmi lesquelles la création d’un «facilitateur» au sein du ministère, la mise en place de formations et de MasterClass, le soutien en termes d’ingénierie auprès des territoires (notamment via des AMI, appels à manifestation d’intérêt, de l’Ademe, dont le premier a été lancé en janvier dernier). Les démarches qui entreront dans le cadre de ce plan d’actions participeront du label French Mobility.
Certains souhaitent y voir un espoir, notamment quelques start-up qui ont été associées dispositif. Elles y voient des aspects très positifs, dont le premier, maintenir la «dynamique» lancée durant les Assises. Elles y voient aussi une volonté de l’Etat de sortir de sa vision technique et pyramidale, puisque l’objectif est que la démarche soit portée par tous les acteurs. Enfin, elles saluent le contenu et le plan d’actions proposés. D’autres restent très interrogatifs. Les sept mesures proposées par French Mobility ont beau être très pertinentes – défenseurs et détracteurs du projet s’entendent sur ce point-, c’est pour l’application et la concrétisation que le doute subsiste. On évoque un fonctionnement peu clair et des objectifs épars, on commence à craindre l’efficacité de certains lobbyings… Ce ne serait pas mieux en ce qui concerne la gouvernance et le financement, où tout reste à inventer. Enfin, on voit dans ce dispositif une redondance voire une concurrence avec d’autres initiatives existantes (ATEC, Fabrique des mobilités…).
L’Etat porte une vraie intention, tente une méthode nouvelle et propose des idées louables. Le contexte, entre Assises de la Mobilité et la future loi sur les mobilités, s’y prête plutôt bien. Néanmoins, le risque d’un nouveau dispositif qui ferait encore une fois «psschiiitt» reste grand.
Billettique: le pragmatisme breton, l’exemple?
Auparavant, tout le monde voulait sa «carte unique». Désormais, c’est le concept de Maas (Mobility As A Service) qui fait rêver les élus. Mais derrière ces dispositifs qui aboutissent souvent à des usines à gaz, on devine l’opportunité pour certains industriels et constructeurs de continuer à remplir leurs carnets de commande. Face à cela, certains irréductibles semblent encore résister: c’est le cas des Bretons. Les décideurs ont décidé de pousser un dispositif simple et mutualisé, jusqu’à en faire une norme au niveau national. Une sorte de pragmatisme régional au service d’une efficacité nationale ?
Du transport aux services urbains
Quand la carte Korrigo a été déployée en 2006, personne ne pensait qu’elle aurait autant de succès, car finalement il ne s’agit que d’un simple support, certes multimodal, mais doté de peu d’intelligence embarquée. Et pourtant, dix ans après, près de 700 000 cartes étaient en circulation dans la région, en faisant un outil essentiel pour se déplacer dans de nombreuses villes bretonnes. Forts de ce succès et pour fêter les dix ans du projet, les décideurs, Rennes Métropole en tête, ont franchi une nouvelle étape, en rendant cette carte multi-services. L’idée ? Ajouter aux transports urbains les vélos en libre service, l’autopartage, mais aussi la piscine, les restaurants universitaires, la bibliothèque… et bien plus.
De la carte à la norme
Au-delà de la volonté politique, ce qui a permis cette évolution vers le multi-services, c’est la promulgation de l’application qui équipe les cartes KorriGo nouvelle génération au rang de norme (AMC, pour Application Multiservices Citoyenne). Pourquoi une norme? «Pour pouvoir, grâce à la mutualisation, échapper aux constructeurs qui se nourrissent de chaque territoire pour proposer des développements spécifiques», explique Noel Philippe, conseiller spécial à la Direction générale des services de Rennes Métropole. Mais aussi «afin de partager et mettre à disposition l’innovation bretonne au plus grand nombre, y compris des collectivités avec peu de moyens». Surtout, parce que cette norme est un descriptif technique. Par conséquent, «elle permet de copier et de déployer le dispositif ailleurs, avec n’importe quel constructeur, mais de manière très rapide, sans développement spécifique/supplémentaire».
De la Bretagne à l’Hexagone…
Maintenant que la norme multi-services a permis à Korrigo de séduire la Bretagne, plusieurs collectivités ont décidé de l’adopter : Bordeaux Métropole, le Grand Lyon, Le Grand Poitiers, la région Normandie, la Métropole Européenne de Lille, le Grand Avignon, l’Eurométropole de Strasbourg. Même Île-de-France Mobilités aurait annoncé son intégration pour septembre 2018. Ce pragmatisme l’emportera-t-il face aux promesses du Maas ? La réponse de Noel Philippe est toute trouvée : «L’intelligence que nous avons développée pour notre carte, nous pouvons la mettre sur un téléphone. Des utilisateurs qui passeront de la carte au téléphone, nous en aurons. Mais dans l’autre sens, rien n’est moins sûr». La carte magnétique aurait donc encore une longue vie devant elle, surtout si elle est multi-services.
A L’HONNEUR
Dans la traditionnelle promotion civile du 14 juillet de l’ordre de la Légion d’honneur (celle de Pâques est supprimée), on trouve en plus d’Alain Picard nouveau PMO de SNCF 2020 (lire ci-dessus), une ancienne ministre du Développement durable et des Transports, Nathalie Kosciusko-Morizet, désormais installée à New York et embauchée par Cap Gemini, la nouvelle PDG de la RATP depuis à peine un an, Catherine Guillouard, qui va donc y rester, mais aussi Michel Bouvard, ancien député de la Savoie qui fut président de la commission de surveillance de la Caisse des Dépôts et des Consignations de 2007 à 2012, en pleine fusion Transdev-Veolia Transports.
Précision. Nous avons à tort expédié à la retraite Christian Dubost, suite à son départ de la direction du Développement durable de la SNCF que nous annoncions dans Mobitelex 224. Il lui reste en réalité plusieurs belles années de travail devant lui. Qu’il reçoive toutes nos excuses. Nous devrions, quant à nous, bientôt partir en vacances.
RENDEZ-VOUS
Jeudi 15 novembre 2018 de 9h00 à 17h00
Mairie de Levallois
OFP et fret ferroviaire – Journée de rencontres et d’échanges
Le fret ferroviaire et les OFP: des atouts majeurs pour un développement territorial durable!
Renseignements sur journee-ofp.org
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