La vacance de M. Hulot
Le courageux départ du ministre est plus important que son passage au gouvernement. Pourquoi il n’a pas pesé sur la question pourtant décisive des mobilités.
Qu’a-t-il fait pour les mobilités en un peu plus d’un an? Rien, ou presque. Mis à part une intervention fracassante à Bordeaux, lors de l’inauguration de la LGV Tours-Bordeaux, contre les élus férus de nouvelles infrastructures, une extrême discrétion et un commentaire mal à propos sur la SNCF en pleine grève des cheminots, Nicolas Hulot a pris soin de ne jamais, ou presque, empiéter sur les plates-bandes de sa ministre des Transports Elisabeth Borne. Cette dernière n’a pas voulu recourir à la puissance médiatique de son supérieur pour appuyer ses propres demandes. Elle croît essentiellement à la rationalité techno: pourquoi jouer les cartes risquées du jeu politique? Du coup, le ministre Hulot s’est privé d’un terrain de jeu, les transports, où il aurait pu trouver quelques puissants relais d’opinion, alors qu’il s’est lancé dans une bataille obscure, finalement perdue, contre les énergéticiens, chimistes et autres industriels de l’agriculture.
Nicolas Hulot n’était lui-même guère à l’aise avec les mobilités collectives et le ferroviaire en particulier, qu’il considère comme un mode complexe, très technique. Du coup, malgré des éléments de langage qui reprennent avec application depuis un an les antiennes écologiques, rien n’a vraiment changé sur le fond des sujets de mobilité: le paradigme gouvernemental reste bien en place. Une écoute attentive des élus locaux supplante la nécessité d’une programmation raisonnée des nouveaux projets, le slogan en faveur des transports du quotidien cache un soutien résolu à la route plutôt qu’aux modes alternatifs, le besoin de limitation des trafics de marchandises ne résiste pas à la recherche à tout prix de la croissance économique. La fin du soutien massif au diesel? Elle intervient au moment où les motorisations diesel deviennent plus propres que celles à essence. Le fret ferroviaire? A part des mots et quelques maigres aides… L’encouragement aux économies de proximité, pour réduire les transits? L’adoption d’un plan vélo digne de ce nom? Les mois de l’année 2018 s’égrainent sans que surgisse avec autorité une LOM pourtant censée porter une ambition historique.
Sur la forme de sa démission, Nicolas Hulot rentre dans l’Histoire. La disruption venue d’en haut se transforme en boomerang redoutable…
Le désormais ex-ministre d’Etat n’a pas réussi à s’imposer dans les arbitrages interministériels compliqués et tendus, qui privilégient toujours deux priorités: l’orthodoxie budgétaire et l’impact médiatico-politique. Depuis les sorties publiques de Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, toute décision audacieuse porte le spectre de l’écologie punitive. Il n’a pas réussi à contrer l’action de puissants lobbies. On peut certes s’attendre, dans les semaines et mois qui viennent, à quelques annonces symboles (comme le plan vélo), mais justement parce que l’intérêt politique commandera de faire perdre un peu la face au ministre démissionnaire. Après un été spectaculairement marqué par les conséquences du réchauffement climatique, qui n’a provoqué aucune réaction de l’exécutif, et avant un automne de rigueur budgétaire qui ne pourra signifier le début d’une vraie mutation écologique, que pouvait faire Nicolas Hulot sinon admettre une forme d’échec? Sa sortie ne s’inscrit certes pas dans les canons de la République et de ses serviteurs, mais elle confirme un homme de conviction qui ne sacrifie pas tout à la logique de responsabilité. Sur la forme, en victime non consentante d’un accident de chasse qui démissionne en direct, Nicolas Hulot rentre dans l’Histoire. La disruption venue d’en haut se transforme en boomerang redoutable…
Pour Emmanuel Macron, l’été n’est donc pas fini que l’automne est déjà chaud. On déplorait il y a tout juste un mois la faiblesse de l’armature idéologique du nouveau pouvoir, au regard des promesses politiques initiales de son candidat audacieux (lire Révélations). Ses ruptures formelles ne peuvent cacher durablement les conservatismes de son action. Nicolas Hulot est son premier soldat sacrifié, rincé par une verticalité impitoyable, débordé par les mécanismes intragouvernementaux, les orthodoxies budgétaires et les cynismes politiques. G. D.
Leçons de Gênes
L’effondrement du viaduc autoroutier italien, le 14 août dernier, peut-il aider à considérer autrement l’entretien de nos propres réseaux concédés et non concédés? Transparence, contrôle, financement: Mobilettre rappelle des constats très clairs établis ces dernières années. Ils sont sans concession.
Dès le lendemain de la tragédie de Gênes, la question était posée: cela risque-t-il d’arriver aussi en France? On s’est tout à coup souvenu du rapport d’audit rendu public en juillet sur le réseau routier non concédé: un pont sur trois est à réparer. La ministre des Transports Elisabeth Borne s’est voulue rassurante en annonçant dans la foulée que l’effort pour l’entretien des ponts, qui était passé de 700 à 800 millions d’euros entre 2017 et 2018, serait poursuivi.
La question est assurément légitime. Mais on aurait tort d’en rester là car il y a bien d’autres leçons à tirer du dramatique événement de cet été. Ce qui vaut pour l’Italie peut aussi valoir pour nous. Et pour le coup en ce qui concerne le réseau concédé. On ne le dira jamais assez : lorsque l’Etat remplit mal ses missions, qu’il ait d’autres préoccupations ou qu’il n’en n’ait pas les moyens, le système lui échappe. Dans les relations public-privé, c’est le privé qui prend alors la main sans légitimité.
Des concessions de service public, pourquoi pas. Mais cela suppose transparence et contrôle
Le secret des affaires ne peut servir de prétexte à l’insuffisance des données transmises. Quant au contrôle, il suppose des moyens humains et techniques. En 2013, un rapport de la Cour des Comptes sur les relations entre l’Etat et les sociétés concessionnaires d’autoroutes se montrait sévère sur le suivi des obligations des concessionnaires: «La nature du contrat de concession, qui diffère de celle du marché public en ce qu’elle transfère au concessionnaire le risque, notamment le risque lié aux travaux et trafic, ne devrait pas empêcher l’administration d’obtenir la transmission de données sur le coût effectif des travaux compensés, sur lesquels les sociétés concessionnaires se sont engagées en contrepartie d’une augmentation des tarifs de péage.» La Cour des comptes faisait cette mise au point en particulier au vu de l’attitude de Cofiroute et de la SAPN. Voilà pour la transparence.
Il ne suffit pas de sauter comme un cabri sur sa chaise en criant « vive les nouvelles technologies ! »
Quant au contrôle, le suivi annuel des sociétés concessionnaires d’autoroutes se fait notamment à partir d’indicateurs de performance assortis de pénalités. Mais, déplorait la Cour, «l’évaluation des indicateurs repose quasiment exclusivement sur les sociétés concessionnaires » qui « procèdent elles-mêmes aux évaluations de leur indicateurs ». Heureusement, en ce qui concerne le patrimoine et l’état des ouvrages d’art (ponts et viaducs), les indicateurs font l’objet d’une contre-expertise par sondage, par les Centres d’études techniques de l’Equipement. Les contrôles prennent la forme de visites de chantier et d’audits assez réguliers pour les ouvrages d’art, essentiellement confiés à la section de Bron de la sous-direction chargé de la gestion du réseaux des autoroutes concédée au sein de la DGITM. Mais est-ce suffisant ? Il ne suffit pas de sauter comme un cabri sur sa chaise en criant « vive les nouvelles technologies! » Encore faut-il les utiliser. Il existe aujourd’hui des capteurs qui, installés sur les ponts et viaducs, permettraient de déceler en temps réel des vibrations anormales, par exemple, et de prendre les mesures qui s’imposent. Le viaduc de Millau en est équipé mais il fait figure d’exception. Les ouvrages les plus vulnérables sont beaucoup moins suivis, au cœur d’échangeurs surchargés par exemple. Leur plus stricte surveillance aurait un coût, certes, mais c’est celui de la sécurité.
Sur cette question essentielle du contrôle, qui détermine aussi l’éventuelle responsabilité juridique suite à un accident, la Cour poursuivait en relevant qu’« en dépit de constats défavorables figurant dans les audits, les dispositions contraignantes susceptibles d’être mises en œuvre à l’encontre des sociétés concessionnaires (mises en demeure, pénalités) ne sont qu’exceptionnellement utilisées, ce qui pourrait engager la responsabilité du concédant en cas d’accident. L’Etat n’a pas jugé non plus utile de subordonner l’ouverture des négociations relatives aux contrats de plan au respect par les concessionnaires de leurs obligations de base en matière d’entretien du réseau. »
Et le dernier rapport d’activité (2015) de la DGITM sur l’exécution et le contrôle des contrats de concession d’autoroutes et ouvrages d’art n’est pas fait pour nous rassurer: il a ainsi été constaté que des bruits étaient émis par certains viaducs durant l’été au passage des camions. Contre l’avis des concessionnaires, la DGITM a établi que « l’émission acoustique était bien symptomatique d’un endommagement requérant une réparation structurelle spécifique. » Mais l’histoire s’arrête là, on ne sait pas ce qui s’est passé après… Il faudra peut-être attendre le rapport 2016 !
Pour le réseau non concédé, il n’est plus possible d’ignorer les impasses de financement.
Cela concerne principalement le réseau non concédé, même si l’approche de la fin des concessions (entre 2027 et 2032) supposera un effort supplémentaire pour les travaux de mise à niveau. Il est clair qu’il souffre d’un besoin de financement. La rétrogradation de la France par le Forum économique mondial, de la première place (2011) à la septième aujourd’hui pour son réseau routier, en est sans doute un des révélateurs.
«Les moyens consacrés au réseau routier national non concédé ont été insuffisants et l’état de ce patrimoine se détériore rapidement…, notamment en ce qui concerne les ouvrages d’art.»
Le comité d’orientation des infrastructures présidé par Philippe Duron avait été très clair dans son diagnostic: «Le réseau routier national, d’une longueur de 21 600 kilomètres (moins de 2% du réseau français) est structurant et accueille plus du tiers du trafic. La partie concédée de ce réseau (9000 kilomètres) est aujourd’hui dans un excellent état d’entretien et d’un très bon niveau d’exploitation. Dans la décennie passée, les moyens consacrés au réseau routier national non concédé ont en revanche été insuffisants et l’état de ce patrimoine, de qualité générale toutefois encore satisfaisante, se détériore rapidement et risque à moyen terme de connaître de très sérieuses difficultés, notamment en ce qui concerne les ouvrages d’art. (…) Pour garantir l’état de ce réseau essentiel à l’horizon 2027 et l’entretenir à un niveau adéquat sans en modifier les fonctionnalités et la capacité, les services du ministère de la Transition écologique et solidaire considèrent qu’il faudrait y consacrer de l’ordre d’un milliard d’euros pendant dix ans. Les audits indépendants réalisés montrent que cet ordre de grandeur peut être retenu. »
Le projet de loi de programmation des infrastructures en préparation devra répondre à la fois sur le montant des investissements et sur leur financement. Mais même si certains voient rouge dès que resurgit l’idée de ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à l’écotaxe, il faudra bien se poser à nouveau la question du financement par l’usager; et si on renonce de plus en plus à mettre les marchandises sur rail, il faudra en tirer les conséquences sur l’usure de l’infrastructure par des routiers européens dont on sait qu’ils sont loin de respecter les réglementations en matière de tonnages. Cela vaut particulièrement pour les pays de transit: la Suisse l’a résolu depuis 2001 avec la RPLP, l’Allemagne depuis 2005 avec la Lkw Maut. Cela vaut aussi pour les zones de transit comme l’était le viaduc de Gênes, qui à l’évidence n’était pas préparé à cet usage intensif, environ dix fois supérieur aux prévisions initiales lors de sa construction. Pays de transit elle aussi, la France ne peut plus se permettre d’attendre pour des motifs politiques ou d’attendre que Bruxelles décide pour elle, tout simplement parce qu’elle n’a plus les moyens financiers de ne rien décider si elle veut sauver son réseau routier.
Souvenons-nous de la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc en 1999: c’est elle qui a déclenché la reprise de tous les tunnels de France, à cause des victimes bien entendu, mais aussi parce que pendant dix ans des élus et des fonctionnaires ont connu des désagréments judiciaires. Même s’il a eu lieu hors de nos frontières, le drame de Gênes peut-il entraîner un effort comparable? Rien n’est moins sûr, tellement l’impact politique à court terme des grands engagements financiers semble l’emporter sur les nécessités obscures et ingrates des entretiens et rénovations courantes.
Pour l’Arafer, CDG Express est loin d’être sécurisé
Le régulateur a étudié avec soin les conditions de la participation de SNCF Réseau à CDG Express. Malgré plusieurs documents non transmis (dont le contrat de concession et le pacte d’actionnaires!), il ne peut que constater la logique de concession du projet et son exclusion de la règle d’or, tout en mettant le doigt avec précision sur de nombreuses incertitudes techniques et financières…
Saisie pour avis par le président de SNCF Réseau sur sa participation au projet de liaison ferroviaire entre Paris et l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle, l’Arafer met en évidence les nombreuses inconnues du projet. Elle n’était saisie que sur la participation financière de Réseau au projet mais en évoquant les risques de celui-ci, elle aborde également le volet technique. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle ne déborde pas d’enthousiasme.
Pourtant, si SNCF Réseau espérait un avis remettant en cause sa participation, il en aura été pour ses frais. L’Arafer ne peut que constater que le législateur a entendu exclure cet engagement financier de la règle d’or sur la maîtrise de sa dette (malgré un trou juridique dû la loi pour un Pacte ferroviaire, qui n’envisage les dispositions sur la règle d’or qu’après 2020). Mais le régulateur rappelle néanmoins que si la règle d’or ne s’applique pas à la participation de SNCF Réseau au financement de la société concessionnaire, cette exemption est conditionnée au fait que « le produit des redevances liées à la section nouvelle assurant la liaison avec la gare de l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle vise à couvrir, conjointement avec les autres ressources de la société et notamment celles résultant de la répartition du produit de tarification sur l’ensemble de la ligne ferroviaire (…), les dépenses de toute nature supportées par la société pour l’exercice de l’ensemble des missions qui lui sont confiées par la concession de travaux, ainsi que l’amortissement et la juste rémunération des capitaux qu’elle a investis. »
L’Arafer ne se prive pas de souligner les «blancs» du dossier
Et dans la foulée, l’Arafer ne se prive pas de souligner les «blancs» du dossier : notamment «que le projet d’investissement dont elle est saisie n’est pas, à la date du présent avis, entièrement stabilisé, ce qui fait obstacle à une appréciation exhaustive de l’ensemble des risques encourus par SNCF Réseau. En particulier, le contrat de concession destiné à lier l’Etat et la société concessionnaire à qui sera confiée la conception, le financement, la réalisation ou l’aménagement de l’infrastructure et l’exploitation ainsi que la maintenance, comprenant l’entretien et le renouvellement de l’infrastructure du concessionnaire, n’a pu être transmis à l’Autorité que dans une version provisoire susceptible d’évolutions. En outre, les sous-contrats par lesquels la société concessionnaire confiera à différentes entités, dont SNCF Réseau, la maîtrise d’ouvrage d’un certain nombre de travaux, n’ont pu être soumis à l’Autorité. Ces éléments tendent à accroître les incertitudes quant aux risques réellement supportés par SNCF Réseau.»
L’Arafer passe également en revue certains risques techniques qui pourraient entraîner des surcoûts pour Réseau, tant dans la phase de construction que d’exploitation : les plages travaux de signalisation sur la partie existante du parcours et sur les raccordements seront limitées à un week-end par an, sans solution de repli autre que le report d’un an. Le choix du matériel roulant sera opéré par le futur exploitant à une date postérieure à la signature du contrat de concession de travaux, ce qui crée des risques de sous-performance du matériel retenu et d’incompatibilité avec l’infrastructure. La ligne nouvelle entre le débranchement de Mitry et la gare Aéroport Charles-de-Gaulle 2 TGV utilisera une structure-cadre présente sous la piste 2 dont la conformité aux exigences de sécurité feu-fumée n’est pas assurée et dont la mise aux normes peut s’avérer complexe et coûteuse. Une partie de la caténaire entre Gare du Nord et Mitry ne sera renouvelée qu’après la mise en service de CDG Express, ce qui aura un impact important sur l’exploitation. Quant à la robustesse d’exploitation des services empruntant la ligne à horizon de mise en service, l’Arafer note que seules quatre hypothèses ont été testées et par les seules équipes de SNCF Transilien (et non par l’équipe projet directement).
Autant dire qu’en matière de risques, SNCF Réseau est pour le moins dans le flou. Concession imposée, on le sait. En droit privé, cela s’appelle un contrat léonin et il est entaché de nullité. Mais là, c’est entre l’Etat et une partie de lui-même, Réseau, donc tout est possible. Mais il ne faudra pas venir pleurer si la dette de Réseau enfle, c’est en gros ce que dit l’Arafer dans cet avis.
Excellente rentrée à tous!
Difficile d’y échapper! En cette rentrée de septembre les vélos en free floating envahissent Paris et plusieurs villes de France. Leur développement met en évidence aussi bien la croissance de la demande de mobilités douces que le retard à l’allumage des politiques publiques en matière d’infrastructures, de réglementation et de soutien économique. Le ministre identitaire d’une nouvelle écologie urbaine s’en est allé, il va falloir pédaler (et ramer) pour lui trouver une relève crédible…
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