Bon match nul à Marseille
Les associations de collectivités territoriales (Régions de France, ADF et AMF) ont attaqué fort mercredi soir en ouverture du Congrès des régions 2018, avec leur appel de Marseille pour les libertés locales, contre un Etat trop centralisateur. Le Premier ministre s’est défendu le lendemain, sans rien concéder sur la forme ni sur le fond. Mais comme en football, il est des matchs nuls où on ne s’ennuie pas. Notre récit, notre analyse
Pouvait-il en être autrement? Envoyé en urgence à Marseille pour répondre à une fronde inédite des élus territoriaux, un Premier ministre pouvait-il vraiment concéder quoi que ce soit, ou, pire, amadouer avec les habituelles ficelles de l’éloquence, sous peine d’affaiblir encore une majorité déjà passablement abîmée par les événements estivaux, et de mécontenter des administrations centrales (principalement Bercy) sur lesquelles il se repose tant? Bravache l’année précédente à Orléans devant les premiers mécontentements, Edouard Philippe n’a ni baissé pavillon ni contre-attaqué à Marseille, face à tant d’anciens amis politiques. Il a bétonné sa défense, tout en se montrant moins brillant et inspiré qu’en certaines occasions, voire même parfois hésitant dans son expression, ce qui est plus inhabituel. La fatigue, après dix-huit mois passés à Matignon, serait compréhensible.
Hervé Morin apostrophe le secrétaire d’Etat Olivier Dussopt d’un «mon pote» très provocateur
La situation elle-même est donc inédite: l’appel clair et percutant des élus contre l’Etat ressemble à une motion de défiance. Ce jeudi matin, dans l’auditorium du Palais Pharo plein à craquer, Hervé Morin président de Régions de France a remisé son discours écrit et s’est adressé sans excès de précautions oratoires au Premier ministre, alternant exemples et saillies. Il apostrophe même le secrétaire d’Etat Olivier Dussopt d’un «mon pote» très provocateur, sans précédent dans ce genre d’assemblée. Bref, le nouveau pouvoir, autoproclamé depuis le printemps 2017 décrispé et affranchi de certains formalismes désuets, est pris à son propre jeu: le style cash n’est plus son exclusivité.
Sur le fond que se passe-t-il? Le quatrième paragraphe de l’appel de Marseille est très parlant, nous le citons dans son intégralité: «Notre pays meurt à petits feux de son ultra-centralisation. Que l’on ne s’y trompe pas, nous sommes d’authentiques Républicains attachés à l’unité de notre pays, à ses institutions, mais nous ne pouvons plus accepter la prise de pouvoir et le mépris de plus en plus flagrant d’une technocratie, enfermée dans ses certitudes et coupée de nos territoires et de nos vies.» Plus d’une association locale opposée à une fermeture de ligne unilatérale signerait un tel manifeste…
Les territoires structurés par le suffrage universel sont des antidotes à deux maux extrêmes: d’un côté le Quartier général (Bercy), de l’autre le terrier. D’un côté le jacobinisme oppresseur, de l’autre le localisme sécessionniste
Ne soyons pas amnésiques: une palanquée d’élus ont longtemps joué de la victimisation pour ne pas avoir à prendre quelques décisions courageuses en matière de gestion budgétaire. Le Premier ministre l’a d’ailleurs rappelé: il était souvent opportun pour un élu de contester bruyamment la baisse des DGF (dotations générales de fonctionnement) plutôt que d’adapter le périmètre, les méthodes et les compétences de son administration. Mais en réalité on n’en est plus là: le malaise exprimé par les élus provient d’une très forte recentralisation qui les déstabilise.
D’une certaine façon, les territoires structurés par le suffrage universel sont des antidotes aux deux maux extrêmes qui menacent les démocraties contemporaines: d’un côté le Quartier général (Bercy), de l’autre le terrier. D’un côté le jacobinisme oppresseur, de l’autre le localisme sécessionniste. Un peu plus d’une année de pratique du gouvernement Macron a convaincu les élus territoriaux que si on ne leur faisait pas confiance, avec des transferts de moyens et de fiscalités à la hauteur de leurs missions, c’en serait fini d’une authentique République des territoires, et qu’ils n’allaient plus pouvoir résister aux tentations du repli et des micro-identités. Les promesses girondines du candidat Macron s’évanouissent devant les pleins pouvoirs donnés à Bercy.
La ministre techno saluée par des élus anti-techno
Dans le contexte tendu de la matinée au Palais Pharo, il y eut quand même des moments de détente quand Elisabeth Borne fut à trois reprises publiquement félicitée pour son sens du dialogue avec les régions. Quelle surprise! la ministre techno saluée par des élus anti-techno… Mais il n’est pas certain qu’elle apprécia la répétition de l’hommage. En politique c’est le binaire qui règne: on est avec ou on est contre. Pour Matignon, la question est donc simple: obéit-elle suffisamment à la ligne intransigeante de l’interministériel et de Bercy? On devrait le savoir assez vite quand seront inscrits publiquement, noir sur blanc, les arbitrages sur les investissements en infrastructures, avec les phasages précis et datés.
Une séquence mobilité écourtée
Preuve de son importance grandissante dans les politiques régionales, la mobilité avait hérité du grand Auditorium pour trois tables rondes qui devaient faire le tour des questions du moment. Las! le match Morin/Philippe (lire ci-dessous) a réduit comme peau de chagrin les temps d’échanges. On retiendra malgré tout la consistance des élus (David Valence Grand Est, Philippe Tabarot Paca), et notamment la vison très claire de Carole Delga, présidente de l’Occitanie, de même que la maîtrise stratégique des opérateurs (Frank Lacroix TER SNCF, Richard Dujardin Transdev, Florence Rodet RATP Dev, Manfred Rudhart Arriva, Alain-Jean Berthelet Réunir, Olivier Binet Karos) et l’ambition de Patrick Jeantet (SNCF). Reste à s’appuyer sur une vraie intention politique pour financer et accélérer le développement des interfaces multimodales sans lesquelles le foisonnement des intentions et des innovations ne convaincra pas suffisamment les Français de moins utiliser la voiture individuelle. Dans son discours d’introduction, Elisabeth Borne a réitéré ses promesses de dynamisation via la future LOM. Mais dans la salle, nombreux étaient ceux qui se montraient circonspects à la lecture des 29 premiers articles transmis au Conseil d’Etat.
François de Rugy: première boulette
Le nouveau ministre de la Transition écologique et solidaire s’est prononcé dimanche dernier, sur BFM TV, en faveur d’une taxation des poids lourds, et tout particulièrement des poids lourds étrangers qui traversent notre pays. On le croyait fin politique et compétent sur la question, mais badaboum, sur la forme et surtout sur le fond, c’est tout le contraire de ce qu’il faudrait faire…
En semblant succomber comme Ségolène Royal à un certain nationalisme écologique (les camions étrangers n’ont qu’à payer!), François de Rugy tourne le dos à la construction de l’espace européen, défendu contre vents et marées populistes par Emmanuel Macron. En réduisant l’enjeu de la taxation à une question de financement, il en oublie les principaux bénéfices écologiques: favoriser les transports propres, réévaluer le coût du transport dans la fixation du prix des produits de façon à réduire les transits et les délocalisations. En outre, les débats en cours à Bruxelles semblent désormais privilégier des dispositifs mixtes utilisateurs/payeurs et pollueurs/payeurs, au détriment des vignettes, moins dynamiques.
En rouvrant le débat sur une disposition aussi sensible, avant tout arbitrage interministériel, dans un média dont la première des qualités n’est pas de favoriser la pédagogie des complexités, le nouveau ministre met aussi le gouvernement sous pression des routiers, qui craignent un renchérissement de leurs coûts sans pouvoir les répercuter sur leurs clients. D’ailleurs Bruno Le Maire n’a pas tardé à faire entendre une musique discordante. Bref, pour une première sortie sur les mobilités, c’était très réussi…
Italie: les FS transformés en «arche de Noé»?
Le souverainisme de la coalition gouvernementale italienne finira-t-il par mettre en péril les FS, les chemins de fer italiens ?
Avec un bénéfice de 542 millions d’euros en 2017, des investissements importants engagés en faveur du voyageur du quotidien pour renouveler le matériel, les FS semblaient à nouveau sur la bonne voie. Sauf que le gouvernement est en train de vouloir les transformer en «Arche de Noé», comme l’écrit éloquemment notre confrère La Repubblica.
Il y a d’abord le sujet Alitalia. La procédure de cession doit se terminer fin octobre et la compagnie nationale devrait rester un groupe public à 51%. Le nouvel administrateur délégué des FS Gianfranco Battisti l’a confirmé devant le Sénat: l’entreprise ferroviaire serait prête à entrer dans le capital (on parle de 30%) mais à condition de mettre un peu d’ordre, en particulier en supprimant les vols intérieurs là où la grande vitesse est présente.
Mais Alitalia, ce sont tout de même 104 millions d’euros de pertes pour le seul premier semestre 2018 et des investissements indispensables pour développer le secteur le plus rentable, le long courrier. On parle de sommes qui s’élèveraient entre 1,6 et 2 milliards. De quoi plomber rapidement les comptes les plus solides…
Là où cela se corse pour les FS, c’est que le vice-premier ministre Di Maio ayant promis (parce que c’est son fief électoral) de sauver Industria Italiana Autobus (IIA), les FS sont aussi présentées comme «la» solution. Pour IIA, déjà née de la faillite de Breda Menarini et Irisbus, les pertes de 2017 ne se montent qu’à 6 millions d’euros. Mais la situation juridique serait compliquée en cas d’intervention des FS, et surtout conduirait à des choix absurdes. Sous administration publique, IIA n’a pas fait sa mutation technologique et est incapable de produire des véhicules électriques. Ce dont précisément auraient besoin les FS: ainsi, elles exploitent deux réseaux de transports aux Pays-Bas (Qbuzz et Utrecht Mobility Services) où les collectivités demandent le passage à l’électrique. Les FS ne seraient pas en mesure de faire appel à IIA pour ce contrat, et il faudrait faire absorber le matériel obsolète par le marché intérieur italien…
Quels partenaires pour Alitalia?
Si les FS sont appelées à devenir le principal partenaire industriel d’Alitalia, le gouvernement est à la recherche d’autres financements, notamment étrangers. Après le déplacement en Chine du sous-secrétaire d’Etat au développement économique, l’hypothèse chinoise (Air China ou China Eastern) revient en force: l’intérêt des Chinois s’expliquerait par la possibilité pour eux de faire de l’Italie un hub vers la Méditerranée ou l’Afrique.
L’hypothèse Boeing avait aussi été évoquée : il ne s’agirait pas d’une entrée au capital, mais plutôt d’un accord pour le renouvellement de la flotte long courrier dont Alitalia a besoin. Boeing a un avantage compétitif par rapport à Airbus: 15% des 787 sont construits ou assemblés en Italie. Même à 230 ou 280 millions de dollars pièce, les Boeing « made in Italy » ont de l’attrait surtout si le constructeur est prêt à faire un effort sur les conditions des contrats de leasing.
Grand Paris Express: la SGP
sur la voie de la transparence!
Comme c’est bizarre, les habituels relais de la propagande de la Société du Grand Paris n’en ont pas fait leurs gros titres. Pourtant, l’interview qu’a donnée Thierry Dallard mardi dernier à nos confrères du Parisien est à marquer d’une pierre blanche. Fini les mensonges, «la règle absolue sera celle de la transparence», promet le nouveau président du directoire: «Personne ne peut garantir les délais» (NDLR confirmés en février dernier par le gouvernement). Et il enfonce le clou: «A un moment ou à un autre, il faut dire la vérité.»
Les dates communiquées jusqu’à maintenant étaient sciemment irréalistes pour servir les ambitions des gouvernants et ne pas braquer les élus locaux
Habile, Thierry Dallard commence à édicter les principes avant de donner un peu plus tard sa propre évaluation des calendriers, «dans les six mois», notamment pour les lignes sensibles qui sont officiellement prévues pour les Jeux Olympiques. C’est une manière de préparer le terrain à un atterrissage indispensable pour ne pas placer le Grand Paris Express sous la pression continue des polémiques publiques et politiques.
Ce revirement de la SGP est d’autant plus courageux et nécessaire que le gouvernement actuel n’avait pas voulu en février dernier acter la dérive probable des calendriers. Thierry Dallard rappelle donc une évidence: oui, les travaux en sous-sol sont pleins d’aléas (la RATP est bien placée pour le savoir à Aubervilliers, où elle vient d’annoncer un report de la mise en service de deux ans). Il ne peut exprimer la deuxième évidence, que nous formulons aussi simplement que possible: «Oui, les dates communiquées jusqu’à maintenant étaient sciemment irréalistes pour servir les ambitions des gouvernants et ne pas braquer les élus locaux».
En assumant publiquement sans trop de dommages ni cris d’orfraie sa nouvelle philosophie de transparence des délais, Thierry Dallard affirme sa responsabilité de façon assez spectaculaire. Il lui reste désormais à délivrer sa première évaluation des calendriers, au printemps prochain, et à rendre aussi transparent que possible l’autre dossier sensible du GPE, celui des coûts. Appelée par le député Gilles Carrez à mieux piloter le GPE par les coûts, la SGP modifie actuellement ses process de suivi et de contrôle.
Fileo: IDFM met en demeure Keolis
Moins d’un an après avoir renouvelé à Keolis pour six ans la DSP de son service de transport à la demande dit Fileo, qui dessert la plate-forme de Roissy, Ile-de-France Mobilités hausse le ton, suite aux «nombreux dysfonctionnements qui perturbent encore les déplacements des usagers». Dans une lettre adressée au directeur général adjoint de Keolis, le directeur général d’IDFM Laurent Probst met en demeure Keolis de «rétablir sous deux mois un fonctionnement opérationnel du service.» La mise en place du TAD zonal, le 7 juin dernier, est manifestement très laborieuse.
«Je n’hésiterai pas à actionner tous les leviers contractuels nécessaires», assène Laurent Probst, qui insiste deux paragraphes plus loin avec une phrase lourde de menaces: «En amont de la mise en concurrence des réseaux de grande couronne, il vous appartient de démontrer la capacité de Keolis à opérer en Ile-de-France des réseaux à forts enjeux.»
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