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Décalage
La réforme ferroviaire, en adaptant les structures juridiques du groupe public ferroviaire et en leur donnant le statut de SA, avait pour ambition de les faire passer à l’âge adulte. Autrement dit d’en faire des entreprises comme les autres, responsables, dont les décisions stratégiques sont prises par les dirigeants eux-mêmes.
La SNCF brûle, les ministres regardent leurs tableurs
Pourtant, rien de tout cela en ce début d’année. On se croirait revenu à la belle époque de l’ORTF et de la communication gouvernementale. Le ministère des Transports a commenté lui-même vendredi dernier les résultats de l’entreprise dans un communiqué de presse, et surtout donné des injonctions à son nouveau président: « Le Président-Directeur Général du Groupe SNCF sera attentif aux conséquences de la grève interprofessionnelle débutée le 5 décembre, qui a entrainé une perte d’exploitation de 614 millions à fin 2019. » Et l’avertissement devient encore plus précis: « Il s’est engagé à prendre toutes les mesures nécessaires pour respecter les engagements du Nouveau Pacte Ferroviaire, notamment le retour à l’équilibre du Groupe dès 2022, en contrepartie de l’effort consenti par l’Etat pour reprendre 35 milliards d’euros de dette. Le secrétariat d’Etat chargé des Transports a demandé au président de la SNCF de préciser les impacts de la grève, activité par activité, et de préparer un plan actualisé de retour à l’équilibre, complété d’une série de propositions pour relancer la dynamique du transport ferroviaire de passagers et de marchandises. » Osée, la relance en pleine crise du Coronavirus! Tends la main, la règle n’est pas loin et la «maîtresse» a fait école…
Comme si tout ceci ne suffisait pas, lors d’une récente audition au Sénat pour évoquer les « petites lignes » ferroviaires, le même secrétaire d’Etat aux Transports ne s’embarrasse pas de précautions pour expliquer comment les comptes de la SNCF pourront absorber les 1000 kilomètres de lignes que l’Etat a décidé de maintenir dans le périmètre de SNCF Réseau et les surcoûts de la sortie du glyphosate. L’entreprise procèdera à des cessions et l’Etat lui tiendra la main: « Vous savez que la SNCF détient un certain nombre d’actifs, et il y aura une revue de ces actifs qui pourra tout à fait se faire en lien avec la direction. » Bien vu: c’est vraiment le moment de vendre!
Tout ceci pourrait n’être qu’un triste jeu de rôles – le ministère des Transports serait-il vexé que seuls des représentants de Bercy siègent désormais aux conseils d’administration de SNCF et SNCF Réseau? Mais ces numéros de ministres sont surtout d’un décalage pathétique. Déjà plombée par les effets d’une réforme des retraites qui n’est pas de son fait, la SNCF doit désormais faire face aux effets de la crise du Coronavirus: chute des échanges commerciaux (Geodis) et des voyages hexagonaux (SNCF Voyageurs). Une situation diablement compliquée. Qu’à cela ne tienne: les ministres rappellent sans état d’âme leur feuille de route. La SNCF brûle, le gouvernement regarde ses tableurs.
Une rigidité d’autant plus surprenante que plusieurs autres secteurs d’activité, dans la foulée des autocaristes qui ont déjà tiré la sonnette d’alarme, devraient prochainement solliciter l’Etat pour les soutenir face aux difficultés.
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ANALYSE
Blablacar veut capitaliser
Comment poursuivre et amplifier le mouvement favorable au covoiturage et aux bus longue distance, consécutif aux grèves de cet hiver? Nicolas Brusson, directeur général de Blablacar, a quelques idées qu’il a confiées à Mobilettre.
1) Inciter au covoiturage courte distance
«La LOM peut donner le coup de sifflet du vrai démarrage d’une offre de covoiturage sur la courte distance», espère Nicolas Brusson. Encore faut-il que les décrets d’application encouragent à une conception dynamique de la prime de 400 euros, plutôt qu’à un cadeau déguisé aux salariés. Autrement dit, les éléments de preuve demandés pourraient encourager la pratique d’un covoiturage courte distance qui n’aurait aucun mal à en fournir.
Deuxième solution, le principe d’un subventionnement par les autorités organisatrices régionales, notamment en Ile-de-France où IDFM a clairement montré la voie. Le mouvement de grève dans les transports publics y a fait décoller le covoiturage. Reste que sur l’ensemble du territoire, les chiffres, même dopés par cette circonstance, sont embryonnaires: Blablalines affiche environ entre 10000 et 20000 trajets par jour, contre 1000 en novembre.
2) Renforcer l’offre sur des destinations non capacitaires, y compris par l’intermodalité
La première force de Blablacar consiste à offrir des places sur des destinations «atypiques», non ou mal desservies de bout en bout par les transports collectifs (train ou car): un Le Mans – Quiberon, par exemple. En multipliant les points de rendez-vous (200000 aujourd’hui), la licorne française a cherché un maillage le plus fin possible qui rende son offre plus attractive que ses concurrents – 80% de son activité longue distance se fait sur ce type de destinations.
Mais au cas où aucun conducteur n’a déclaré un tel trajet, l’idée est soit de proposer à un conducteur de couper son voyage (Issy-les-Moulineaux – Quiberon comporterait une halte au Mans pour récupérer un passager), soit de proposer un train + Blablacar, par exemple Le Mans – Auray en TGV et Auray – Quiberon en voiture. Cette dernière planification, multimodale et dynamique, est assez compliquée à concrétiser avec les outils digitaux, mais constitue pour toutes les plates-formes un vrai défi.
3) Maintenir la disponibilité des conducteurs
La très bonne nouvelle du conflit hivernal, pour Blablacar, tient au recrutement de nouveaux conducteurs, car c’est leur relative pénurie qui constituerait un frein potentiel au développement de l’activité. Il semble que ces nouveaux convertis aient gardé l’habitude de déclarer leurs voyages bien après la fin du conflit, séduits par le gain réalisé et/ou l’expérience conviviale. On comprend mieux pourquoi la SNCF rame un peu pour retrouver ses flux de voyageurs. En 2019, si l’on additionne les fréquentations des cars et du covoiturage longue distance, on atteint 22 à 24 millions de passagers – contre plus de 100 millions pour la grande vitesse ferroviaire.
ETUDE
Mobilité: les citadins feraient bien autrement
Dix chiffres très instructifs au milieu de la deuxième édition de l’Observatoire Obsoco- Chronos *. Sur cinq modes de déplacements, ils mesurent la différence entre l’usage actuel et l’usage idéal. Chaque personne interrogée a d’abord signalé son ou ses modes de transport principaux du moment, avant de désigner son ou ses modes idéaux.
Tout se passe comme si la possession d’un véhicule était de moins en moins prisée
Si la voiture individuelle est désignée à 65% comme mode de transport principal, elle chute à 41% comme mode idéal. Un désamour qui va à l’encontre de bien des représentations actuelles dans les campagnes électorales, mais qu’il faut moduler avec la progression du covoiturage, jugé «idéal» par 12% des Français (alors qu’il n’est un mode principal que pour 3%). Tout se passe comme si la possession d’un véhicule était de moins en moins prisée, du fait des contraintes qui vont avec (budget d’acquisition et de parking, entretien, répression de l’alcoolémie etc).
Logiquement, les modes doux ou actifs sont plébiscités: 56% pour la marche à pied, 30% pour le vélo, quand ils ne sont respectivement désignés modes principaux que par 26% et 7% des personnes interrogées. Ces chiffres confirment l’évolution d’une autre représentation de la vie au quotidien, notamment dans les villes où se concentre 75% de la population.
Dernier chiffre très instructif: les transports collectifs récoltent les fruits d’une amélioration de leurs performances sur la durée, puisqu’ils sont jugés à 33% comme modes idéaux (19% comme mode principal). Qu’un Français sur trois mette quasiment le train, métro, le tram ou le bus au niveau de la voiture (rappel: à 41%), ce n’était pas gagné. Autrement dit, à rebours des représentations légèrement régressives que véhiculent certains slogans électoraux, les citadins voire les ruraux aimeraient bien se déplacer autrement. Pas forcément au travers d’une transformation immédiate et radicale, mais à travers le recours de plus en plus fréquent à d’autres solutions que l’automobile individuelle.
* Mobilettre reviendra la semaine prochaine plus longuement sur les enseignements de cet Observatoire Obsoco-Chronos des usages et représentations des territoires, qui s’appuie sur une enquête en ligne conduite du 13 au 29 novembre 2019, auprès d’un échantillon de 4000 personnes représentatif de la population française âgée de 18 à 70 ans.
ECONOMIE
Aéroports secondaires: au tour de Béziers
L’équilibre économique des aéroports secondaires est de plus en plus mis en question. Après le rapport de la Cour des Comptes qui faisait un focus sur les aéroports bretons et notamment celui de Quimper (lire Mobitelex 285), c’est maintenant la Commission européenne qui ouvre une enquête approfondie sur des mesures en faveur de l’aéroport biterrois et des accords conclus avec Ryanair. Les ingénieurs en concluront que c’est la mauvaise courbe de Bézier-s…
La Commission a ouvert cette enquête afin de déterminer si les aides au fonctionnement octroyées à l’aéroport de Béziers (250 000 passagers) et les accords de services aéroportuaires et de commercialisation conclus entre Ryanair et les exploitants de l’aéroport de Béziers (le Syndicat mixte « Pôle aéroportuaire Béziers Cap d’Agde Hérault-Occitanie ») étaient conformes aux règles de l’Union européenne en matière d’aides d’Etat. Après une information préliminaire, la Commission est passée au stade 2, l’enquête approfondie: vis-à-vis des exploitants de l’aéroport, après avoir constaté que « les aides au fonctionnement octroyées par plusieurs pouvoirs publics régionaux et locaux aux exploitants de l’aéroport étaient imputables à l’Etat, impliquaient des ressources d’Etat et procuraient aux exploitants un avantage indu et sélectif susceptible d’affecter la concurrence et les échanges entre les Etats membres.» Et vis-à-vis de Ryanair, car certains accords de commercialisation et de services aéroportuaires conclus avec les exploitants pourraient « procurer à Ryanair un avantage économique indu sur ses concurrents et constituer une aide incompatible avec le marché intérieur en faveur de la compagnie aérienne ».
Comme le rappelle la Commission, « les aéroports publics régionaux peuvent proposer des conditions attrayantes aux compagnies aériennes afin de stimuler leur trafic. Cependant, ces conditions ne doivent en principe pas aller au-delà de ce qu’un exploitant aéroportuaire guidé par la recherche d’un profit serait prêt à offrir dans les mêmes circonstances (principe de l’investisseur en économie de marché) », faute de quoi elles constitueraient des aides d’Etat et seraient examinées comme telles. Au cours des années précédentes la Commission a déjà eu l’occasion de déclarer illégales de telles aides accordées, en France, aux aéroports de Montpellier, Nîmes, Pau et Angoulême.
ITALIE
RATP Dev prendra les routes toscanes en juin
L’annonce du conseil régional d’un transfert définitif des activités de transport routier à Autolinee Toscane semble l’épilogue d’une intense bataille juridique de sept ans menée par l’exploitant sortant.
Après l’avoir annoncé aux parties, l’adjoint aux transports et aux infrastructures de la Région Toscane Vincenzo Ceccarelli vient de l’officialiser: à l’unanimité, le bureau du conseil régional a voté une délibération transférant au 1er juin prochain à Autolinee Toscane la gestion des transports publics locaux sur route de la région. Le contrat de service devrait être signé à brève échéance et courra du 1er juin 2020 au 31 mai 2031. Après sept ans de rebondissements et de contentieux, la filiale italienne du groupe RATP Dev tient enfin sa vitrine, même si elle aurait sans doute préféré un contexte différent et en espérant que Mobit – le mauvais perdant – comprendra enfin que la partie est définitivement perdue pour eux.
Vincenzo Ceccarelli a également précisé que le nouveau gestionnaire (AT) serait dans l’obligation de conserver le personnel des exploitants précédents aux conditions économiques en vigueur au moment du transfert. Le conseil régional a par ailleurs acté une réévaluation du contrat qu’elle avait engagée déjà depuis novembre pour tenir compte des modifications intervenues depuis le lancement de l’appel d’offres, en octobre 2013, notamment la mise en service des deux lignes de tram à Florence, l’augmentation du nombre de kilomètres circulés, les modifications tarifaires ou l’évolution des charges de personnel. Le programme de renouvellement de bus prévu dans l’appel d’offres est également réévalué.
Les élections régionales en Toscane ayant lieu le 31 mai prochain, la majorité PD (Parti démocrate-Centre gauche) a, à l’évidence, tenu à verrouiller ce dossier qu’elle porte depuis toutes ces années, d’autant qu’elle reste favorite malgré un contexte politique général très bouleversé en Italie. Rappelons que le contrat de concession est d’une durée de onze ans et devrait générer un chiffre d’affaires de 400 millions d’euros par an. La Région Toscane en attend un réseau plus intégré puisque l’on passe de 14 gestionnaires à un seul (l’Autorité de régulation de la concurrence et du marché s’est d’ailleurs prononcée sur le fait que l’appel d’offre en lot unique ne constituait pas une entrave à la concurrence, compte tenu notamment de l’ampleur des investissements à réaliser), plus efficace, grâce à une tarification homogène et au renouvellement du matériel.
Un glissement de terrain provoque le déraillement du TGV Strasbourg-Paris
Photo: DR
C’est la photo la plus parlante que nous ayons récupérée, prise peu après le déraillement du TGV Strasbourg-Paris de 7h19 hier jeudi 5 mars, près de Saverne. L’affaissement subit d’un grand volume de terre a obstrué la voie peu avant le passage du TGV dont la motrice et quatre voitures n’ont pu rester sur les rails. La rame ne s’est pas couchée notamment grâce à l’activation du freinage d’urgence par le conducteur, qui a gardé son sang-froid avant de subir un enfoncement du thorax (il fut évacué par hélicoptère; son pronostic vital n’est pas engagé).
Les enquêtes respectives de la gendarmerie, de la SNCF et du BEA-TT devraient établir plus finement les causes exactes de cet affaissement du talus. Si les fréquentes et fortes précipitations en sont directement à l’origine, il est possible que des recommandations soient faites pour augmenter la surveillance des ouvrages en terre.
Rendez-vous
Une table ronde le 30 mars
L’IGD organise le 30 mars prochain à 11h, à la Maison de l’Amérique latine, une séance de deux heures d’échanges sur les mobilités du quotidien, introduite et animée par Gilles Dansart (Mobilettre).
Charles-Eric Lemaignen (AdCF) et Claude Faucher (UTP) résumeront dans un premier temps les constats en compagnie d’un dirigeant d’Ipsos, avant que les membres du groupe de travail de l’IGD confrontent leurs propositions aux différents acteurs des politiques territoriales, autour de trois thèmes (voirie, nouvelles technologies, zones rurales/zones denses).
Hubert du Mesnil, président de l’IGD, clôturera cette matinée.
Inscriptions obligatoires contacts@fondation-igd.org