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Retour en politique
Après trois années sous la férule d’Elisabeth Borne, l’administration des Transports hérite d’un tandem à coloration nettement plus politique, au sens premier du terme. Barbara Pompili et Jean-Baptiste Djebbari n’ont pas la prétention de tout savoir, mais ils «sentent», chacun à sa manière, les coups et les situations.
La présidente de la Commission du développement durable de l’Assemblée nationale a appris à naviguer au mieux entre convictions écologiques sincères et contingences de tous ordres. Elle n’aura guère de marges de manœuvres avec un président de la République dont les engagements écologiques épousent les nécessités du moment. L’ancien pilote d’aviation, lui, appartient au premier cercle macronien; il occupe le terrain médiatique, ne lambine pas… et n’a pas oublié d’être stratège. En juillet dernier, dans la cour de Roquelaure, lors de la passation de pouvoir entre François de Rugy et Elisabeth Borne, il nous confiait être prêt pour un poste, les Transports, qu’on ne lui avait alors pas accordé. En septembre, c’était fait…
Moins d’un an plus tard, le voilà vraiment aux manettes d’un secteur qui n’est pas la première spécialité de Barbara Pompili. Sa confirmation sonne bel et bien comme une victoire sur sa précédente ministre de tutelle dont il ne pouvait partager les méthodes, les conceptions et de nombreux arbitrages. Il lui faut maintenant ajouter à son arc quelques cordes plus techniques, y compris pour redonner une dynamique et de l’ambition à une DGITM lessivée par les injonctions incessantes. Même si le legs bornien est piégeux (lire ci-dessous).
La crise économique fait émerger dans tout le secteur des transports des risques majeurs. Les deux ministres démineront probablement beaucoup, tout en semant les graines d’une nouvelle mobilité décarbonée. Il leur faudra impérativement rester en place jusqu’en 2022 pour prétendre à un bilan substantiel.
Car souvenons-nous: au bout d’un an seulement Hulot en avait marre, et de Rugy succombait aux homards. A son tour Borne largue les amarres…
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BILAN
Elisabeth Borne, le travail ne suffit pas
Au moment de dresser des bilans politiques, c’est comme pour une estimation immobilière, il faut prendre garde à ne pas surévaluer la façade. Les cuisines et les coulisses, ça compte aussi, n’en déplaise aux artistes de la communication politique. Et ça tombe bien, c’est justement ce que réclamait Elisabeth Borne ce matin même, lors de sa passation de pouvoir, «ne pas se contenter de tribunes et de coups d’éclats». Mais on ne va pas tout à fait la suivre dans son autopanégyrique…
Elisabeth Borne restera dans l’Histoire des transports comme la ministre de deux grandes lois: la réforme ferroviaire et la LOM. Que valent-elles?
La première est un chef d’œuvre paradoxal. Justifiée au nom de la concurrence, mais mise en œuvre au service de la SNCF réintégrée; vantée pour sa remise en ordre de l’économie ferroviaire, mais enlisée dans les atermoiements des contrats de performance, les complexités d’organisation et les décrets non publiés. Gribouille à la manœuvre.
La LOM amorce indubitablement un changement de paradigme au service d’une autre mobilité. Mais que d’ambitions proclamées pour un résultat confus, éparpillé et largement inabouti – il suffit de constater le chantier des décrets manquants et des lacunes de financement. Qu’en retiennent les Français pour l’instant? Le vélo… C’est bien, c’est peu.
Elisabeth Borne a perdu beaucoup trop d’arbitrages en trois ans. On ne peut lui reprocher ni son engagement ni son obstination. Mais le travail ne suffit pas. Son manque d’empathie et de sens politique sont très vite devenus des handicaps majeurs qui l’ont empêché d’incarner depuis un an la transition écologique – c’est Gilles Le Gendre qui le dit. Son départ du ministère, ce mardi 7 juillet, est probablement le plus rapide de l’histoire de la République; entre les marches du perron et sa montée dans la voiture qui l’attendait boulevard Saint-Germain, une vingtaine de secondes sans un arrêt, sous de polis applaudissements des fonctionnaires présents. Un peu de respect, beaucoup de soulagement.
Une sortie sans éclat pour un bail tourmenté. Sans le concours des circonstances de juin 2017, Elisabeth Borne n’aurait jamais été ministre – son Graal était la direction d’entreprise. Sa proximité avec Alexis Kohler et son absence d’états d’âme au service du macronisme lui garantissent probablement son maintien au gouvernement, à un poste sensible et exposé (Travail, Emploi et Insertion), malgré des inaptitudes répétées en matière de pédagogie politique. Elle poursuit son étrange itinéraire.
AMENAGEMENT
Gare du Nord: le préfet signe, la Ville de Paris dégaine
«Le gouvernement vient de s’inventer un Notre-Dame-des-Landes en plein Paris»: on a connu Emmanuel Grégoire, le premier adjoint d’Anne Hidalgo, plus mesuré dans ses propos. En réagissant ainsi à la signature in extremis lundi 6 juillet par le préfet Cadot du permis de construire du chantier de la gare du Nord (lire Mobitelex 303), il affiche une radicalité assez particulière, pour ne pas dire amnésique.
Alexandra Cordebard, maire du 10è arrondissement de Paris: «Notre mobilisation continue contre ce projet démesuré»
En juillet 2018, la maire du 10è arrondissement Alexandra Cordebard tweetait: «La #gare du Nord se prépare pour sa métamorphose. Elle sera + accueillante + verte + sûre et mieux intégrée à son quartier. Bonnes nouvelles pour #Paris et #Paris 10». Aujourd’hui, deux ans après presque jour pour jour, nouveau tweet de cette maire confortablement réélue: «En délivrant le permis de construire pour le projet #GareDuNord, l’Etat va à l’encontre des besoins des habitants comme des usagers des transports et méprise le choix des électeurs franciliens. Notre mobilisation continue contre ce projet démesuré.»
Avant cette légère contorsion intellectuelle, les négociations avaient pourtant redoublé ces derniers mois entre Gares & Connexions, Ceetrus et la mairie de Paris, pour trouver une solution acceptable, notamment en ne séparant plus les flux départs/arrivées pour les transports du quotidien (Transilien en premier lieu). Mais le modèle économique (Ceetrus met 600 millions d’euros sur la table) a une contrepartie très exigeante: pas touche au centre commercial susceptible de générer des recettes confortables. C’est le gros point qui fâche les élus. On en revient donc au problème initial: pourquoi les collectivités publiques (Etat et Ville de Paris) ne financent pas davantage de tels projets pour qu’ils soient davantage «citoyens»?
Manifestement, la victoire électorale et la conférence citoyenne pour le climat ont convaincu les édiles parisiens de mener la guérilla: La Ville prendra « tous les chemins politiques et juridiques pour faire obstacle à ce projet », s’exclame Emmanuel Grégoire. Voilà donc un premier dossier de choix aux mains de Barbara Pompili et Jean Castex. La spirale des recours voire des mobilisations contre la nouvelle gare du Nord compliquera les travaux dont le début est programmé dès juillet. Après l’officialisation du report de la mise en service des premiers tronçons des lignes 16 et 17 au-delà de l’été 2024, du fait des conséquences de la crise sanitaire, c’est un nouvel accroc au calendrier de préparation des JO.
SNCF
Le piège doré des subventions fret
Des subventions pour aider des trafics qui peinent à trouver leur rentabilité, Fret SNCF en rêve, d’autant que le rêve semble à portée de main si l’alliance 4F est entendue, au moins partiellement. Mais voilà, toute médaille a son revers. Les subventions aussi: si Fret SNCF obtient des subventions pour le wagon isolé ou pour les autoroutes ferroviaires, lui sera-t-il encore possible de répondre à des appels d’offre pour des trains entiers, 60% de son activité et la seule rentable? Ce sont les mêmes personnels, les mêmes locotracteurs qui seraient subventionnés pour une activité et permettraient d’offrir des prix attractifs pour les trains entiers. On ne voit pas les concurrents rester sans réaction. La réponse est donc non. On se souvient que lors de l’ouverture du fret à la concurrence, sur une plainte d’ECR, Fret avait été rappelé à l’ordre et mis à l’amende en 2012 par l’Autorité de la concurrence, entre autres pour « pratiquer sur certains trafics des prix d’éviction ».
Frédéric Delorme avait sans doute ce risque en tête dans sa nouvelle organisation de TFMM (lire Mobitelex 303): en isolant Fret SNCF et VIIA SNCF (les autoroutes ferroviaires), il isole les activités « subventionnables » et permet à Captain France (ex VFLI) de jouer dans le marché concurrentiel sans craindre les accusations de distorsion de concurrence. C’était la seule réponse possible mais cela signifie probablement l’attrition pour l’historique Fret SNCF et la montée en puissance des filiales. La fin d’un monde…