Mobitelex 367 – 17 février 2022

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Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

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Le gendarme est stratège

En démocratie la louange est suspecte – et la critique aisée. Faut-il s’en désoler? Rassurez-vous, on ne va pas refaire le monde, encore moins le monde de la presse qui ne sait plus trop où elle va, entre puissance des communications, concurrence des réseaux sociaux et désintérêt des jeunes générations. On va juste dire, dans les quelques lignes qui suivent, beaucoup de bien d’une institution publique.

L’ART, Autorité de régulation des transports, mérite que Mobilettre lui tresse quelques lauriers, pour sa pertinence et son indépendance. Coup sur coup, en cette mi-février, son avis sur le contrat de performance Etat-SNCF Réseau puis son étude sur l’ouverture à la concurrence du ferroviaire voyageurs (dont nous avions révélé une version provisoire à l’automne, lire Mobizoom 88) remettent l’église au milieu du village – ou la mosquée ou le temple ou la synagogue, peu importe. La politique ferroviaire de l’Etat est bel et bien malthusienne, à rebours de la plupart de nos voisins, et les dispositifs d’ouverture à la concurrence incomplets, trop compliqués voire dissuasifs (lire ci-dessous).

La régulation n’est pas une addition de contrôles particuliers, elle oblige à une observation systémique.

L’Etat espérait probablement, en nommant lui-même son président et en serrant son budget, que le régulateur s’en tiendrait à un rôle de sous-traitance technico-juridique, ingrate et tatillonne. Il n’en est rien, non pas que l’ART ait outrepassé ses missions, mais, au contraire, parce qu’elle respecte à la lettre les textes qui encadrent son action. La régulation n’est pas une addition de contrôles particuliers, elle oblige à une observation systémique. Le gendarme est donc aussi un stratège.

Peut-être devra-t-il hausser le ton sur quelques manquements ou infractions? Jusqu’ici le souci de poser calmement et fermement son autorité a prévalu.

En août prochain le président de la République nommera le successeur de Bernard Roman, qui a su ajouter du style et de l’éloquence au travail des services. Faut-il se montrer inquiet d’un éventuel profil inadéquat qui fragiliserait l’institution? Dix ans après sa création dans quelques bureaux étroits du square Desaix, l’ART a très bien grandi malgré quelques vents contraires. La consistance de la mission et l’importance de la fonction obligeront son ou sa futur(e) président(e). G. D.

FERROVIAIRE

Comment sortir du malthusianisme?

«Il faut augmenter le nombre de trains!» A l’occasion de la présentation de l’étude sur l’ouverture à la concurrence des services voyageurs, le président de l’ART Bernard Roman a formulé plusieurs recommandations majeures en matière de tarification et de conditions d’accès aux infrastructures essentielles, et de dynamisation de l’ouverture à la concurrence. Tout en renouvelant ses critiques sur le contrat de performance Etat-SNCF Réseau: «C’est un contrat de contre-performance industrielle!», a-t-il lancé cette semaine en recevant Mobilettre, plus déterminé que jamais. Récit d’une rencontre.

Dans les nouveaux locaux du régulateur, Place des cinq martyrs du lycée Buffon, juste derrière la gare Montparnasse, le président nous réserve en introduction quelques punchlines. La première sur le contrat de performance Etat-SNCF Réseau, que l’exécutif a voulu placer au cœur du dispositif ferroviaire, et que les parlementaires ont fixé à dix ans. «C’est bien, il fallait donner une perspective. Mais la perspective, on la cherche encore». Le ton est donné.

«On ne doit rien à personne, enchaîne-t-il, on n’obéit à personne. Je considère que je terminerai mon parcours en servant le public. Je n’ai jamais reçu de coups de téléphone me demandant de faire ou de ne pas faire. Cela prouve que l’ART est indépendante et respectée. L’indépendance crédibilise tout le reste.»

A six mois de passer la main, au terme de son mandat, Bernard Roman ne lâche rien. Nommé par François Hollande à la tête de l’Arafer devenu depuis l’ART, il a tenu bon, au gré des nouvelles compétences attribuées et des dossiers difficiles, à mesure que la concurrence s’installait dans le ferroviaire et que l’Etat imposait sa drôle de loi de 2018. L’Autorité aurait pu succomber sous la tâche, les pressions et les complexités; en ce début d’année 2022, elle ne retient pas ses analyses et fait valoir l’expertise et les compétences de ses services ferroviaires, dirigés par Olivier Salesse.

Passons aux chiffres qui claquent. Entre 2010 et 2019, aussi bien en Italie qu’en Allemagne, en Suède et en Grande-Bretagne, le nombre de trains.km a progressé: + 19%, + 29%, +10%, +8%. En France? -1%. En passagers.km, c’est un peu mieux (+9%), mais bien inférieur à la moyenne européenne (+18%). «Le système est organisé pour que le moins de trains possible rapporte le plus d’argent possible, cingle Bernard Roman, c’est affligeant.»

Allons un peu plus loin avec le professeur Roman: «Colonne de gauche, évolution des revenus voyageurs entre 2011 et 2019, + 24% en Allemagne, -6% en France. Les conséquences sur la DB elle-même, colonne de droite: +40000 employés, + 6,5 milliards de chiffre d’affaires, +18,5 millions de voyageurs.km, alors même que la part de la concurrence est passée de 21% en 2011 à 34% en 2019.» L’inquiétude sociale et économique devant l’ouverture à la concurrence est balayée par les chiffres. En matière ferroviaire, c’est la croissance qui garantira la vertu du modèle, notamment par le pilotage de la saturation de l’usage de l’infrastructure.

En France le potentiel est bien là: le réseau hexagonal est l’un des moins circulés d’Europe! La plupart des 39 demandes d’exploitation des opérateurs alternatifs (et de SNCF Voyageurs pour les Ouigo à vitesse réduite) concernent d’ailleurs le réseau classique, et ces liaisons intervilles délaissées au profit des radiales par TGV. Encore faut-il que SNCF Réseau assure ses missions – on reviendra sur le contrat de performance. Mais le retard pris en matière de systèmes de signalisation et de modernisation des postes d’aiguillage est à lui seul inquiétant pour le long terme.

Quant au transport conventionné, Bernard Roman rappelle la dynamique en cours côté régions, et l’importance des décisions de l’ART concernant le calcul des emplois transférés et la transmission des données. Les arguties juridiques ont ralenti le processus, «mais il faut désormais que s’appliquent la jurisprudence dans toutes les régions.» La récente décision de la région Bourgogne-Franche-Comté est importante: elle ne renouvellera pas sa convention avec la SNCF avant l’échéance de 2024. Carole Delga trouvera-t-elle un motif d’intérêt public pour prolonger de dix ans en Occitanie, sans passer par la case concurrence?

On en vient naturellement aux recommandations du régulateur pour «créer les conditions d’une ouverture à la concurrence réussie». Elles sont au nombre de 39, réparties ainsi: 6 sur les conditions tarifaires, 8 sur les conditions opérationnelles, 7 sur la gouvernance, 11 relatives au transport conventionné et 7 sur les SLO (services librement organisés).

Nous retiendrons ici ce qui nous paraît le plus important au regard des enjeux de développement relatifs aux objectifs de décarbonation: la refonte des péages, arme principale pour sortir du malthusianisme. D’une certaine façon le régulateur propose un deal à SNCF Réseau sur l’augmentation des péages telle que proposée dans le contrat de performance (+3,6% par an). Pourquoi pas, mais à deux conditions: une objectivation du calcul du coût complet (en rapprochement avec les comptes), et une restructuration quasi révolutionnaire de la structuration des péages.

Sur ce dernier point, il faut distinguer SLO et transport conventionné (les TER), même si l’objectif est le même, à savoir encourager la progression de l’offre plutôt que le taux de remplissage.

Pour les services librement organisés, il s’agirait d’aboutir à une segmentation très fine pour s’adapter à la capacité contributive de chaque ligne – d’une certaine façon, tendre à une tarification à l’emport réel, qu’a priori SNCF Réseau ne souhaite guère, pour que l’accroissement de l’offre ne soit plus «punitive» à cause de la majoration des péages au train.km.

Pour le conventionné, le changement principal consisterait à rendre fixe la redevance de marché payée à SNCF Réseau par les régions, sur la base du coût complet affecté au transport conventionné (et non en fonction du nombre de trains/km), de façon à ce qu’un train supplémentaire ne paie que la redevance de circulation.

L’ART attend le retour de SNCF Réseau. Quelque chose serait-il en train de bouger du côté de l’Etat? Après le Premier ministre Jean Castex qui évoquait une réforme des péages lors de la réouverture de la ligne Epinal Saint-Dié il y a quelques semaines, Jean-Baptiste Djebbari a admis hier devant les sénateurs qu’«on est au milieu du gué et qu’il fallait engager la suite». Cette suite ressemblerait-elle à un début de trajectoire de croissance? Rêvons un peu…

Et revenons logiquement au contrat de performance. «C’est un contrat de performance budgétaire, et de contre-performance industrielle!», assume Bernard Roman, qui a convié pour la première fois à une audition de l’ART la directrice du Budget et le patron de l’APE, qui ont répété qu’ils privilégiaient l’équilibre financier de Réseau après la reprise de 35 milliards de dettes. «Admettez-vous que l’on puisse investir pour économiser?», leur a demandé Bernard Roman, notamment au vu des impasses sur la CCR (commande centralisée du réseau ) et l’ERTMS.

Il y a plus grave: l’anticipation de l’état des lignes UIC 5 à 6 en 2030, eu égard aux budgets prévus dans le contrat. Leur indice de consistance passerait de 55 à 45, affirme Bernard Roman (100 c’est l’indice d’une ligne neuve, à 10 on fait pousser des choux-fleurs entre les voies).

Et s’il fallait poursuivre dans le scénario du pire, que se passera-t-il si les recettes prévues dans le contrat de performance (les dividendes en provenance de SNCF Voyageurs) n’arrivent pas? «SNCF Réseau devra ajuster ses recettes et dépenses», répond l’Etat.

L’arbitrage du GI est-il vraiment neutre si le contrat l’incite à favoriser l’opérateur historique? Si Trenitalia demande trois sillons supplémentaires sur Paris-Lyon, SNCF Réseau pourra-t-il de fait réduire l’offre de SNCF Voyageurs via Inoui, et donc amoindrir ses bénéfices dont une partie lui est destinée?

Proposition 15 de l’ART: «A défaut d’une séparation du groupe SNCF, revoir le fonctionnement du conseil d’administration de SNCF Réseau pour réduire toute influence de la part d’une autre entité du groupe SNCF». Où l’on en revient à l’indispensable indépendance du gestionnaire d’infrastructures, y compris en matière d’emprunts ou de maîtrise de son expertise juridique. «C’est la césure ultime», conclut Bernard Roman. Et c’est un spécialiste de l’indépendance qui le dit.


CADRE SOCIAL TERRITORIALISE

Les communes de la discorde

Un arrêté doit fixer l’étendue du cadre social territorialisé francilien, applicable à l’ouverture du marché des bus de la RATP. L’Etat aboutit à une liste de 100 communes, Ile-de-France Mobilités voudrait la limiter à 70 pour éviter des situations ingérables dans les dépôts. Nos explications.

C‘est à la fois simple et compliqué. Simple parce qu’il s’agit d’appliquer les dispositions de la LOM qui prévoyaient la mise en place en Ile-de-France d’un CST (cadre social territorialisé) spécifique aux conditions de travail des conducteurs de bus en zones urbaines très denses, c’est-à-dire là où circulent la majorité des bus RATP – tout le monde semble d’accord pour ne pas allumer un incendie social, y compris au vu de la forte mobilisation sur les salaires ce vendredi 18 février. Compliqué, parce qu’au bout de trois ans de travaux, concertations et calculs, l’accouchement est on ne peut plus laborieux.

L’enjeu n’est pas anodin. Les dépôts qui ressortiront du CST bénéficieront d’un régime particulier qui devrait éviter les désillusions pour les salariés de la RATP dans l’hypothèse d’une alternance d’opérateur, et donc d’un transfert de personnel. La grille de critères qui déterminent la sélection des communes concernées (de la densité de population à la consistance des réseaux et dessertes) est préparée depuis plusieurs années par la RATP, et n’est a priori pas source de polémique. Vitesse commerciale, trafic, ratio voyages/km, dessertes de soirée et le dimanche: la liste est longue. Problème: après avoir fixé les seuils et fait tourner le modèle, ça coince.

Tout le monde est d’accord pour protéger les machinistes RATP, mais l’obsession de l’Etat à suivre une méthodologie rationnelle indiscutable aboutit à quelques aberrations dans la détermination du CST

En effet, l’Etat et la RATP aboutissent à 100 communes, dont plusieurs posent problème puisqu’elles génèreraient des effets de bord sur Optile. Impossible pour IDFM d’envisager des dépôts «mixtes», avec des salariés au CST et d’autres à la convention interurbaine. Pour matérialiser le problème, Créteil figurerait dans le CST, commune où il y a à la fois des lignes RATP et des lignes Transdev «Optile». A l’inverse, Argenteuil n’y serait pas, au contraire de la charmante Bougival… Et, cerise sur le gâteau, entre 800 et 1000 machinistes RATP échapperaient à ce CST ainsi défini! Une petite bombe sociale lâchée chez IDFM…

Situation ubuesque: tout le monde est d’accord pour protéger les machinistes RATP, mais l’obsession de l’Etat à suivre une méthodologie rationnelle indiscutable aboutit à quelques aberrations dans la détermination du CST. Par conséquent, selon nos informations IDFM avancerait deux propositions: ajouter à une liste de 70 communes qui ne posent pas de problème une liste de dépôts «protégés» par le CST, ou bien garantir que lors des appels d’offres concernant les dépôts RATP, elle imposerait le CST aux opérateurs candidats.

Ce jeudi matin le conseil d’administration d’IDFM a voté un vœu rappelant que «ce nouveau cadre social ne doit en aucun cas engendrer une mixité de régimes sociaux dans un même lieu de travail (dépôt), ni affecter les entreprises des réseaux Optile». Le cabinet du ministre Djebbari a engagé une ultime consultation des syndicats sur la question (trois réunions ont déjà eu lieu, deux autres ce jeudi après-midi).

Parallèlement, au cours de son conseil d’administration de ce jeudi 17 février, IDFM a voté un rapport sur les modes de gestion qui ouvre la mise en concurrence des 12 réseaux bus RATP et des lignes T12, T13 et L18, à la fureur des élus communistes d’IDFM. L’ouverture à la concurrence n’est pas un long fleuve tranquille, mais suit son cours.

Lacroix-Savac, première victoire

La persévérance a payé. Après avoir essuyé plusieurs revers, le groupe Lacroix-Savac vient de remporter le lot 14 Ouest, en Sud-Essonne, qui s’étend principalement sur Etampes et Dourdan. Cinquante lignes, trois lignes Express, 3 TAD, 126 bus, 174 conducteurs: c’est un lot relativement consistant, qui résulte d’un redécoupage du lot 24 initial (le lot 24 Est est allé à Keolis, d’un cheveu), et d’une recomposition de lignes exploitées par plusieurs opérateurs (cars Dunois, Albatros, Keolis-Meyer etc). Transdev et Keolis remportent les quatre autres lots attribués ce jeudi.

Au fur et à mesure des appels d’offres, les équipes Lacroix-Savac ont haussé leur niveau de jeu pour pouvoir concurrencer les trois grosses écuries (Transdev, Keolis, RATP Dev – Cap IDF). C’est une bonne nouvelle pour l’autorité organisatrice, qui redoutait de se voir constituer de fait une sorte de «cartel». C’est peut-être aussi une conséquence indirecte des changements intervenus suite au mouvement social des conducteurs de Transdev l’automne dernier.

La «variable» sociale est désormais surveillée de plus près par IDFM, qui veut éviter remous et problèmes de qualité de service. Il se murmure même que la pratique des sous-traitants non déclarés, qui embaucheraient des conducteurs transférés, pourrait toucher à sa fin…

STADE DE FRANCE

Indochine, un vrai bourbier

Notre confrère Emeline Cazi du Monde a sorti l’affaire mardi dernier: l’Etat est intervenu pour ne pas décaler au vendredi 20 mai le concert d’Indochine au Stade de France, prévu le samedi 21 mai, ce qui oblige à annuler les travaux caténaires du RER B.

Interrogé, Jean-Baptiste Djebbari n’a pas faibli: oui, il a répondu favorablement à la demande d’Indochine de maintenir son concert le samedi, en demandant au PDG de SNCF Réseau de reporter les travaux. «Ils seront reprogrammés avec d’autres travaux sans surcoût», précise-t-il à nos confrères du Parisien.

Fin de l’histoire? Circulez le samedi, il n’y a plus rien à voir? Le ministre a fait le job: une communication offensive – j’assume le choix fait en faveur de dizaines de milliers de spectateurs -, un démenti sur les conséquences financières (nous affirmons pourtant que l’annulation des travaux sur les caténaires occasionnera quelques surcoûts).

Le public d’Indochine valait bien, lui, une exception, certes pas trois nuits par semaine, mais une seule…

Mais s’est-on demandé pourquoi un traitement de faveur avait été réservé à Indochine? Suite à la mission confiée à Philippe Yvin pour résoudre les conflits de programmation du Stade de France, de nombreux concerts et événements sportifs ont été annulés ou déplacés, y compris au vendredi précédent, et même quand les artistes ou le public en étaient fort marris. Venir de province un vendredi, ce n’est pas la même chose qu’un samedi de congé. Mais le public d’Indochine valait bien, lui, une exception, certes pas trois nuits par semaine, mais une seule…

Son leader, Nicola Sirkis, a soutenu publiquement à plusieurs reprises le pouvoir macronien. En juin 2018, il s’élève – à juste titre – contre d’odieux commentaires sur une photo du couple présidentiel avec des artistes de la scène électro. Au printemps 2021, il fustige «les gens de la culture qui gueulent contre le gouvernement, comme si c’était eux qui avaient inventé le virus.» Quelques semaines plus tard, il donne un concert-test à l’Accor Arena, pour évaluer en conditions réelles de spectacle le sur-risque de contamination.

A l’aune de cette proximité, on comprend mieux pourquoi l’«insistant» lobbying d’Indochine, de son propre aveu, «auprès des plus hautes autorités de l’Etat depuis décembre», a finalement payé. L’histoire est si bien connue: la loi générale vaut bien quelques entorses au nom de la proximité et de l’entre-soi.

La décision de l’Etat est inégalitaire car c’est un traitement de faveur injustifié, au regard des autres manifestations qui n’ont pas eu l’heur d’être ainsi prises en considération. Elle révèle la persistance de la prise en compte d’intérêts particuliers, fussent-ils de nature culturelle, au détriment de l’intérêt collectif des 1,2 million de voyageurs quotidiens de l’axe Nord. Et elle ne respecte pas le travail ingrat d’équipes d’ingénierie et de travaux auxquelles il est demandé sans scrupules, pendant des années, de sacrifier nombre de nuits et de week-ends.

A quelques semaines de l’élection présidentielle, on reste perplexe devant une telle initiative du gouvernement. Inconscience? Sentiment d’hyperpuissance? Assurément, étant donné l’absence de gêne des protagonistes et la mansuétude générale des élus et de l’opinion, une preuve supplémentaire de l’affaiblissement de la loi générale face à certains intérêts particuliers. G. D.

CONGRES DE la FUB

Le vélo a besoin d’un troisième souffle

Le Congrès annuel de la FUB (Fédération des usagers de la bicyclette) s’est tenu la semaine dernière à Tours. Un congrès sans schisme, mais marqué par la recherche d’alliés. Après la griserie des années de croissance et la réémergence d’une industrie française du cycle, un meilleur dialogue avec les autres mobilités, dont la marche à pied et le transport public, apparaît nécessaire à la poursuite du développement du vélo en ville.

«C’est très business, comme congrès, non ? » Sur le stand de la librairie tourangelle Le livre, au congrès de la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB), l’employée n’en revient pas. Parmi les 680 participants à la grand-messe du vélo réunis cette année à Tours, on compte moins de militants aux cheveux longs partisans de la décroissance que de cadres apprêtés, décidés à rentabiliser leur investissement. Dans le hall du palais des congrès, les sociétés exposantes alignent leurs vélos à assistance électrique tandis que, parmi les sponsors, figure la banque LCL, représentée par son numéro 2 Jean Ghedira, ancien directeur des Intercités à la SNCF et ancien directeur exécutif de Keolis.

Avec la forte hausse de la fréquentation des pistes et itinéraires cyclables en 2020, tout plaide pour «l’économie du vélo», titre du rapport parlementaire que le député macroniste Guillaume Gouffier-Cha vient de remettre aux ministres des transports et de l’industrie. On notera, et ce n’est pas anodin, qu’Agnès Pannier-Runacher a réagi sur Twitter en soulignant la nécessité de «faire du vélo un des piliers des transports du quotidien , alors que Jean-Baptiste Djebbari n’a fait aucune mention du rapport.

Guillaume Gouffier-Cha, député (LREM) du Val-de-Marne espère, d’ici 2050, «100 000 emplois directs»

Après avoir insisté, ces dernières années, sur les atouts en termes d’environnement et de santé, le lobby vélo (la FUB ne renie pas ce terme), mise sur la réindustrialisation, le retour « en France » des usines d’assemblage et de la fabrication des composants. Dès lors, sur les visages rayonnants des congressistes, on pouvait lire l’enthousiasme des pionniers, bien décidés à transformer à la fois la mobilité, l’urbanisme, la société et l’économie. Guillaume Gouffier-Cha espère, d’ici 2050, « 100000 emplois directs », tout en rappelant qu’une conversion au vélo permettrait notamment de réduire les dépenses de santé.

Sans vouloir doucher cette ardeur, on a le droit de reconnaître que 100000 emplois, même si on y ajoute les impacts indirects, ne vont pas bouleverser l’économie française. Quoi qu’il en soit, comme le disent à l’unisson le député et la FUB, cela implique de faire massivement progresser la pratique quotidienne du vélo. Le « baromètre des villes cyclables », une enquête dotée de 277000 réponses, montre que le potentiel est là. 64% des répondants considèrent que «les conditions pour l’usage du vélo sont mauvaises» et que cela limite leur entrain.

Certes, la situation s’améliore, disent les mêmes répondants. Par rapport à 2019, la notation de la plupart des villes progresse légèrement. On notera une exception singulière, Paris, qui ne figure plus dans le « top 10 » des grandes villes les mieux aménagées. Les usagers de la capitale, marquée par une densité extrême des déplacements, attendent sans doute autre chose que l’instrumentalisation des aménagements réalisés à la hâte au printemps 2020 en arguments de campagne présidentielle.

Boris Ravignon, maire (LR) de Charleville-Mézières: «Rares sont les villes industrielles qui sont bien notées»

Au-delà, les enseignements géographiques traduisent une fracture entre les grandes métropoles embourgeoisées, les villes alpines dynamiques et les littoraux convertis au tourisme saisonnier, d’une part, et les villes moyennes de l’intérieur ou du Midi, de l’autre. « Rares sont les villes industrielles qui sont bien notées », constatait, dans les couloirs du congrès, Boris Ravignon, maire (LR) de Charleville-Mézières, gratifiée, dans sa catégorie, de la meilleure progression depuis 2019. L’élu est d’autant plus fier qu’il a organisé, et gagné, en novembre 2021, un référendum sur un « schéma des mobilités » qui limite la place et la vitesse de la voiture.

Ce décalage entre une « France désirable », accueillant le vélo, et une « France réfractaire » qui lui est hostile a été salué à sa manière par Marie-Cécile Tardieu, directrice générale de Business France: « Le vélo permet aux villes de proposer davantage de qualité de vie, d’attirer les talents et de vendre la France à l’international ».

La transformation cyclable se limiterait donc aux cadres apprêtés ? Au moment où les partisans des « convois de la liberté » entendent manifester en voiture jusqu’au cœur des villes, l’analyse proposée il y a quelques mois par Fabien Bagnon, vice-président écologiste de la métropole de Lyon, paraît prémonitoire: «La dépendance à la voiture est une bombe sociale. Les gilets jaunes, c’était l’apéritif. Maintenir les concitoyens pauvres dans un état de dépendance automobile en laissant croire que l’Etat va prendre toutes les conséquences à sa charge, c’est explosif ».

Congrès après congrès, la détermination du mouvement pro-vélo s’exprime de manière de plus en plus remarquable. Mais, pour proposer à la fois une mobilité plus sobre et un resserrement des distances, ce mouvement doit désormais se trouver des alliés. Face à l’émergence du vélo, le monde des transports publics, pratiquement absent à Tours, semble encore réticent à saisir les enjeux, craignant une concurrence qu’il ne peut s’empêcher, au fond, de juger déloyale. L’embryonnaire mouvement qui défend la cause des piétons craint de se faire marcher sur les pieds, au sens propre comme au sens figuré. Au passage, c’est de cet enjeu, le respect des piétons, que dépendra sans doute la pleine acceptation du vélo dans les villes.

En revanche, on peut remarquer que des acteurs d’une autre mobilité, qu’il s’agisse des promoteurs de l’autopartage, du train de nuit, des RER métropolitains ou des initiatives ferroviaires comme Railcoop, partagent la même vision de la mobilité que les militants pro-vélo. Voilà de quoi démultiplier un fructueux «business», celui de l’alternative à l’autosolisme.


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LES DEBATS TDIE/MOBILETTRE

Investissement, financement, tarification : de la loi de programmation à une véritable stratégie d’investissement pour la décarbonation

TDIE et Mobilettre viennent de fêter chacun leur anniversaire: 20 ans pour le think tank de référence sur les politiques publiques de mobilité, 11 ans pour notre média digital. Fêter, au demeurant, est un grand mot, vu le contexte sanitaire qui a dissuadé de remplir les salles comme les coupes de champagne.

Ils ont pourtant voulu marquer le coup et ont choisi de vous proposer une série de débats identitaires – sans aucune référence malvenue – de leurs engagements éditoriaux respectifs, autour de la décarbonation qui focalise d’ores et déjà les investissements et les énergies. Vous pouvez visionner ci-dessous le premier de ces débats, consacré aux questions de financement, accompagné d’un commentaire de l’avisé Michel Savy, président du conseil scientifique de TDIE. Ce n’est pas le sujet le plus glamour, mais à notre humble avis, de très nombreux débats se sont autrement enlisés dans les mécanismes et les procédures compliquées. Que ces premiers intervenants (Thierry Dallard, Jacques Gounon, Diane Strauss, Philippe Duron et Louis Nègre) soient donc remerciés de leurs efforts de pédagogie. G. D.

La semaine prochaine: «Quelles politiques publiques pour assurer la décarbonation des mobilités ?»
S’agissant du Grand débat transports de la présidentielle du 17 mars après-midi, vous recevrez prochainement une invitation accompagnée des horaires, en cours de discussion avec les candidats.

Le débat

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Le commentaire avec Michel Savy

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EUROPE

France-Espagne: la compétition plutôt que la coopération

Elipsos, c’est fini. Qui s’en souvient? Société de droit espagnol créée il y a vingt ans à 50/50 par la Renfe et la SNCF pour exploiter les trains de nuit entre les deux pays, elle avait survécu à la fin des Trenhotel fin 2013 en gérant à partir du SA 2014 la commercialisation des trains à grande vitesse (TGV Paris-Barcelone et Toulouse-Barcelone, AVE Lyon-Barcelone et Marseille-Madrid).

Mais elle ne survivra pas à la crise Covid (les trafics 2020 se sont effondrés de 72% par rapport à ceux de 2019), à la concurrence persistante des low cost aériens, des cars et de la voiture, et surtout à la nouvelle compétition entre les deux entreprises, sur le marché domestique espagnol – la SNCF a lancé des Ouigo Espana sur Madrid-Barcelone – , et peut-être demain en France – la Renfe ne cache pas ses ambitions dans l’hexagone. A la fin de l’année, la coopération dans Elipsos prendra fin.

Concrètement, la SNCF n’envisage de garder en matière de relations transfrontalières que Paris-Barcelone, considérant que les autres lignes n’ont pas rencontré leur public. La Renfe ne s’est pas encore prononcée sur ses propres intentions.

Cette crise des dessertes France-Espagne pose le problème de la pertinence du réseau à grande vitesse entre les deux pays. La faible attractivité des offres est-elle définitive, ou s’améliorera-t-elle quand le tronçon manquant Montpellier-Perpignan sera achevé (dans de très nombreuses années…) et permettra une réduction des temps de parcours? D’autres opérateurs pourraient-ils se risquer, sur d’autres bases? L’échec des liaisons de province à province (Toulouse-Barcelone, Lyon-Barcelone) n’encourage pas à l’optimisme.

Ce divorce franco-espagnol, c’est aussi une certaine ironie de l’histoire pour les deux entreprises publiques nationales: la fin du principe de coopération est précipitée par la progression des mécanismes de compétition commerciale. La SA SNCF Voyageurs ne fait plus de sentiment. Au nord de l’Europe, on coopère vu le niveau des péages; au sud, on se fait la guerre parce que c’est moins cher.

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