L’INVITATION
Le Grand débat Transports,
le 17 mars prochain
Tous les candidats autorisés à se présenter à l’élection présidentielle sont invités à partager leurs intentions en matière de politiques de mobilité, au Pavillon Gabriel, à Paris, à partir de 14 heures. Inscription obligatoire, ci-dessous – des précisions seront données par mail à mesure de la mise au point des séquences avec les candidats.
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La semaine des évidences
Investir massivement et promouvoir un système ferroviaire ouvert et innovant!
Un Sommet ferroviaire européen pour commencer, le lundi, puis un colloque chaque jour (l’Afitf le mardi, les trains de nuit le mercredi et le fret ferroviaire le jeudi): cette dernière semaine de février eut une allure très ferroviaire. Beaucoup de choses furent dites (lire ci-dessous), et il faudra prendre le temps de les analyser avec un peu de recul, mais d’ores et déjà, à chaud, on peut considérer qu’une nouvelle dynamique ferroviaire est lancée à l’échelle européenne.
Une fois que l’on a dit ça, et que l’on s’est désolé de constater combien la France prend le risque insensé de rester à l’écart de ce mouvement au moment de basculer dans une décarbonation massive, tout reste à faire. Mais l’enthousiasme et la compétence des compagnies historiques, l’engagement des professionnels du fret et la passion des nouveaux promoteurs des trains de nuit esquissent les contours d’une emballante régénération ferroviaire, au-delà même des questions financières et techniques.
Cette effervescence permet hélas de mesurer encore mieux l’anachronisme de la situation française. Même la Commission dont l’effort de construction sur le (très) long terme génère son lot de lenteurs technocratiques semble un brin plus allante que nos pouvoirs publics, enfermés dans une stricte logique comptable, malthusienne, apathique, déconnectée des énergies territoriales et entrepreneuriales. Certes, il nous reste la verve, et comment reprocher à Clément Beaune d’en avoir une si éloquente, mais que pèse-t-elle au moment des arbitrages?
Jean-Pierre Farandou est donc contraint d’alimenter lui-même le lobbying public pro-ferroviaire quand ce serait à l’exécutif d’entendre et de traduire en actes la demande des élus, des experts, des chargeurs et des passagers. Et ces derniers ne sont même pas des pousse-au-crime! L’élu du Grand-Est David Valence, président du COI (Conseil d’orientation des infrastructures), dénonce lui-même à juste titre «le romantisme des projets» du pouvoir actuel, qui se fait au détriment des régénérations et entretiens du quotidien. De leur côté, les nouveaux aventuriers du rail comme Le Train et RailCoop piaffent de proposer des solutions nouvelles, malgré les barrières hérissées un peu partout.
A l’évidence dégagée cette semaine, qu’il faut engager de nouveaux investissements ferroviaires, s’en ajoute une deuxième: il est urgent d’aboutir à un nouveau système ferroviaire, ouvert et pluraliste. Qu’on en finisse une bonne fois pour toutes avec les lois ferroviaires par une ultime retouche, en désarrimant définitivement le gestionnaire d’infrastructures des activités d’exploitation, pour passer à l’animation d’un écosystème innovant, réactif et impatient, qui viendra challenger et stimuler les puissances référentielles de l’entreprise historique. A défaut, à se contenter d’un malthusianisme de repli tout juste agrémenté de quelques LGV cache-misère, tout le monde y perdra, dans le silence troublant des lentes agonies. G. D.
LE SOMMET
A Saint-Denis le monde ferroviaire européen veut croire en sa bonne étoile
La SNCF avait mis les petits plats dans les grands lundi 21 février pour les premières retrouvailles publiques post-pandémie de la communauté ferroviaire. Convié à Saint-Denis pour un sommet inédit animé par Gilles Dansart de Mobilettre, le «gratin» de l’Europe ferroviaire a émis une série de demandes et d’engagements à destination des ministres et de la Commissaire Valean, et débattu autour des questions d’innovation, d’attractivité et de financement. Même le distanciel était fluide, confortable et sans bugs.
Ils étaient tous là ou presque, lundi, pour célébrer la fin de l’Année européenne du Rail et le lancement de Europe’s Rail, et pour débattre autour d’un pledge qui mixait engagements et demandes à destination des autorités nationales et communautaires. C’est dans le cadre de la Présidence française de l’Union européenne que les 33 principaux acteurs ferroviaires européens, la Commission européenne, des ministres français et européens étaient réunis au siège de la SNCF à Saint-Denis, et à l’initiative de cette dernière. Une telle puissance de lobbying et d’organisation laissait admiratif et songeur un haut fonctionnaire français – que l’Etat n’eût osé ou pensé entreprendre une telle communion! Seuls absents, les ministres des Finances…
Si on laisse de côté le volet protocolaire de ce genre de grand messe (on saluera néanmoins la belle prestation de Clément Beaune), le thème de la rencontre: « Le rail vers un transport plus vert et plus innovant » aura permis d’aborder presque tous les sujets qui comptent pour le système ferroviaire (n’en déplaise à Karima Delli, arrivée tardivement mais qui voulait pourtant donner des leçons sur ce qu’elle n’avait pas entendu).
C’est bien une approche systémique qu’ont voulu retenir les participants
Jean-Pierre Farandou en tête, c’est bien une approche «systémique et cohérente» qu’ont voulu retenir les participants. Sans surprise toute l’importance a été donnée à la qualité du réseau: comme au premier jour de la création du monde, il y a eu le ciel et la terre, au premier jour de la création du chemin de fer, il y a eu le réseau physique, c’est-à-dire l’infrastructure. Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est le maintien de sa consistance, à laquelle il faut ajouter les systèmes modernes de signalisation et d’aiguillage. Car ce qui est en jeu à l’échelle de l’Europe c’est l’interopérabilité. Cela fait des années qu’on le dit, mais cela passe par des standards unifiés et un réseau, le RTE-T, sans chaînon manquant. La commissaire européenne aux Transports Adina Valean a eu raison d’insister sur l’intégration à ce RTE-T de certaines liaisons transfrontalières: Nice-Cuneo (ou Coni, selon que l’on parle italien ou français), la réouverture de Valenciennes-Mons et peut-être demain Colmar-Fribourg.
Pour que le réseau soit de qualité, il doit s’appuyer sur des solutions innovantes: maintenance prédictive, et, pour assurer tant la fiabilité des circulations que leur fluidité, équipement ERTMS et Commande centralisée du réseau. Numérisation et automatisation: des progrès qui ne sont pas seulement au service de la productivité, mais aussi du bien-être et de la sécurité des cheminots, comme l’a souligné le président de Rhénus Rail Sacha Honnert avec l’attelage automatique numérique pour le fret. La nouvelle attractivité du chemin de fer, qui ne passionne plus autant que naguère, tiendra aussi à la modernisation de ses tâches.
Bercy comprendra-t-il un jour qu’il y a des dépenses qui sont des coûts et d’autres des investissements?
Tout cela a un coût et les besoins des Etats ne sont pas les mêmes, en fonction de la densité de leur réseau ou de son équipement. Certes, la Commission européenne a de l’argent: elle est prête à mettre au pot 80 milliards d’euros d’ici à 2027. Mais les opérateurs demandent parfois plus, comme une baisse de la TVA pour les liaisons transfrontalières, ce qui, soit dit en passant, ferait aussi du bien aux trains de nuit (lire plus bas). Certains Etats prennent aussi leur part: ainsi en Allemagne où l’Etat fédéral investira avec les Länders 8,6 milliards d’euros par an pendant dix ans pour le seul maintien de l’infrastructure actuelle. Comme d’habitude la Suisse fait rêver avec 6,5 milliards de francs suisses pour 5000 kilomètres de réseau, à travers le Fonds d’infrastructure ferroviaire.
Et la France dans tout cela ? «J’admire Jean-Pierre Farandou de faire ce qu’il fait avec ce qu’il a», a répondu Vincent Ducrot, patron des CFF. Il est vrai que quand on entend le vaillant soldat Marc Papinutti dire, pour la DGITM et donc pour le gouvernement, que l’on ne peut pas augmenter les taxes mais que sans atteindre les chiffres de l’Allemagne il y a quand même une multitude d’aides, on a envie de se cogner la tête à un heurtoir… Quand on se regarde on se désole, quand on se compare on se désole encore. Bercy comprendra-t-il un jour qu’il y a des dépenses qui sont des coûts et d’autres des investissements? Après cela le président de SNCF Réseau Luc Lallemand n’avait pas grand-chose à proposer sinon la logique implacable de sa feuille de route (assainir en vue d’un cash flow libre en 2024). Les PPP, il est en revenu, trop difficile de rémunérer l’actionnaire privé avec la faible rentabilité du secteur ferroviaire. Ne resterait qu’un grand emprunt obligataire…
Pourtant tous les participants l’ont souligné, l’urgence climatique impose le développement du ferroviaire et le report modal. On a donc parlé tant attractivité qu’inclusion (personnes à mobilité réduite, à agilité numérique réduite, territoires ruraux…). Mais comme la vertu ne se décrète pas, si le train veut attirer, il doit savoir faire rêver, être simple et lisible, ce qui conduit notamment à utiliser toute la palette du numérique en matière de billettique. Attention toutefois, à ne pas trop vouloir opposer les modes: pour le dernier kilomètre, on a besoin de la voiture, a souligné Thierry Mallet, PDG de Transdev, dont la présence à la tribune évitait de réduire le Sommet à une rencontre d’opérateurs historiques, et c’est aussi un élément de l’attractivité du train. Clément Beaune, avant lui, avait prévenu: « Quand un mode de transport est attaqué, il crée des anticorps qui freinent la transition ». Espérons que ce semestre de présidence française où seront examinés à la fois la révision du règlement RTE-T et le «paquet aviation» (taxe kérosène aux frontières, quotas gratuits ETS, carburants durables…) permettra des avancées équilibrées dans le souci de l’intérêt général, le nôtre et celui de la planète. A. B.
Des mots et des chiffres
« 11 milliards d’euros pour mettre le matériel ferroviaire à niveau ERTMS selon l’estimation de la Commission » (Robert Homolya, président directeur général de MAV, les chemins de fer hongrois).
« 80 milliards d’investissements de fonds européens jusqu’en 2027) (Adina Valean, commissaire européenne aux Transports)
« 8,6 milliards d’euros de fonds fédéraux par an en Allemagne pour maintenir l’infrastructure » (Richard Lutz, CEO de la DB)
« 40% des citoyens européens vivent à moins de 30 kilomètres d’une frontière » (Anna Deparnay-Grunenberg, députée européenne)
« 60% des émissions de gaz à effet de serre du secteur du transport sont le fait des trajets du quotidien effectués en voiture » (Thierry Mallet, PDG de Transdev).
« La mobilité propre zéro carbone est un bien public qui ne doit pas être régi seulement par des coûts de marché ». (Laurence Tubiana, CEO de European Climate Foundation)
« Il faut passer du concept de réseau interopérable à celui de réseau unique » (Carlo M Borghini, directeur exécutif de Europe’s Rail)
«Le nombre de postes d’aiguillage en Suisse? Quatre» (Vincent Ducrot, CEO des CFF, en comparaison avec les 2000 postes français)
«Le client a l’habitude du routier et du fluvial qui est plus transparent que le ferroviaire car il utilise beaucoup plus le digital» (Sacha Honnert, PDG de Rhénus Rail)
« Il faut avoir un système modulaire qui pourra évoluer en fonction des avancées technologiques » (Carlo M Borghini)
« La qualité de service? On fait avec les outils que l’on a. Tout part du réseau » (Jean-Pierre Farandou, PDG de la SNCF)
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LE COLLOQUE
Pour sortir les trains de nuit du rayon des souvenirs
La DGITM a réuni mercredi dernier à Paris un panel d’intervenants très varié venus de plusieurs pays pour évoquer la relance européenne des trains de nuit. Notre synthèse des débats.
On a tous – au moins tous ceux d’un certain âge – des souvenirs, parfois enjolivés, de voyages en trains de nuit où l’on se réveille sur le Grand Canal à Venise, où l’on s’endort aux lumières de la côte ligure, où l’on quitte la grisaille parisienne pour l’éblouissement de la neige au matin ; voire plus loin encore, vers l’Est, lorsque les annonces en gare changent de langue et que les temps et les lieux du voyage prennent leur exotique consistance. C’est sympa mais au-delà des souvenirs que l’on aimerait parfois ressusciter, il y a aussi des urgences climatiques qui pèsent en faveur d’un renouveau des trains de nuit.
C’est tout le mérite du colloque organisé mercredi dernier par le ministère des Transports – et animé par Gilles Dansart de Mobilettre -, dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, d’avoir démontré que la disparition du train de nuit n’est pas inéluctable. Faut-il lancer un projet « Phoenix » pour fédérer tous les acteurs qui croient en lui? En tout état de cause, il est désormais clair que si on ne fait pas circuler de trains de nuit, ce n’est ni un problème d’infrastructure, ni un problème d’argent, ni un problème de matériel roulant. Alors? Bien sûr, on caricature un peu (on y revient plus bas): cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de sujet d’infrastructure, de financement ou de matériel. C’est d’abord un problème de manque d’opérateurs, au pluriel. Un nouvel entrant qui veut faire du low cost, pourquoi pas, mais pour redonner sa chance au train de nuit, il faut qu’il y ait un effet réseau. Et c’est aussi un problème de manque de volonté politique. En ce sens, l’annonce du ministre des transports Jean-Baptiste Djebbari du prochain lancement d’un appel à manifestation d’intérêt sur une dizaine de lignes est une bonne nouvelle.
Luigi Stähli: «Le gestionnaire d’infrastructures est à même de trouver des solutions!»
Pour que le réseau existe on a aussi besoin de l’Europe. La encore, la journée de mercredi a ouvert des portes: Elzbieta Lukianuk, du cabinet d’Adina Valean, a rappelé que la Commission européenne a engagé une réflexion et une consultation publique sur une révision des lignes directrices du règlement OSP (Obligation de Service Public) qui permettrait un conventionnement de liaison internationales en train de nuit. Elle n’est pas non plus hostile à une TVA réduite pour les liaisons ferroviaires transfrontalières, ce qui aiderait évidemment les trains de nuit. Encore faut-il que tout cela ne tarde pas trop. Certes, il faut rester prudent et ne pas s’engager à la légère. Mais ce serait dommage que le malade meure guéri !
La question de l’infrastructure
Il est vrai que les trains de nuit posent un certain nombre de problèmes aux gestionnaires d’infrastructure : comme par définition ils roulent essentiellement la nuit, il faut trouver une compatibilité avec les plages travaux et leur accorder malgré tout des sillons robustes et prévisibles ; il faut aussi les insérer dans les pointes du matin aux gares d’arrivée. A écouter Isabelle Delon, la représentante du gestionnaire d‘infrastructure français, on a l’impression que l’on ne peut rien faire ou en tout cas pas grand-chose. Comment expliquer alors que nos voisins transalpins y arrivent, mais aussi l’Allemagne, l’Autriche et la Suède? Le secrétaire général de l’ART (Autorité de régulation des Transports), Jordan Cartier, a enfoncé le clou en affirmant que si Thello, l’opérateur italien, avait dû arrêter son service de train de nuit, c’était avant tout en raison de la mauvaise qualité des sillons. Le gestionnaire d’infrastructures français doit aussi bien améliorer le processus de répartition des capacités que la gestion opérationnelle des circulations.
Mais le coup de grâce est sans doute venu de Luigi Stähli, directeur consulting de SMA, qui a énuméré tout ce qu’il fallait traiter et tout ce que l’on pouvait faire. Ce qu’il faut traiter: la question du remisage des trains et de l’accès aux voies de maintenance ; le positionnement horaire avant l’arrivée du premier train ou du premier avion et le soir après le départ des derniers pour garantir l’attractivité. Et ce que l’on peut faire: utiliser les plateformes services et infrastructure pour intégrer en amont les trains de nuit dans la planification des sillons ; s’attaquer aux délais de planification trop contrastés entre les pays ; prévoir de la marge pour les trains de nuit ce qui permet de garantir leur passage malgré les travaux ; aborder le sujet tabou de l’utilisation des lignes à grande vitesse comme itinéraires de contournement ; prendre des engagements en matière de gestion de trafic. Conclusion: le GI est à même de trouver des solutions !
ERTMS, le faux problème?
Dès que l’on parle d’infrastructure, on parle inévitablement ERTMS et coût de déploiement. Cela n’a pas manqué. Cela ne concerne pas spécifiquement les trains de nuit mais le sujet est toujours présent: entre la position dogmatique de la Commission qui soutient mordicus son plan de déploiement, avec un réseau équipé qui pour l’instant ressemble davantage à un gruyère qu’à un réseau, et la position peut-être trop raisonnable de l’ART qui plaide pour des STM (Specific Transmission Modules) qui permettent de dialoguer sur les trajets les moins circulés mais qui font coexister les anciens systèmes, on risque de passer à côté de quelque chose. D’autant que lorsqu’il sera entièrement déployé ERTMS sera déjà obsolète et que, comme l’a relevé Luigi Stähli (et comme, en toute modestie, Mobilettre l’a déjà écrit), on a tendance à rétablir le paramétrage des services classiques.
Ce quelque chose qui permet de faire un saut technologique générationnel, ce pourrait être le système italien qui propose une gestion satellitaire (puisque l’on a Galileo, autant s’en servir), fait l’économie des balises au sol et est déployable sur tout type de ligne. Nous, à Mobilettre, on croit assez au système ERSAT. On l’avait d’ailleurs expliqué à nos lecteurs dès 2018. Il a été expérimenté en réel dans le Piémont. Mais quand on entend la présidente de RFI Anna Masutti dire que cela a été présenté à l’ERA et dans le cadre de Shift to Rail (le programme de recherche européen) et que c’est resté sans réponse, on ne peut que rester perplexe et désolé.
La question du financement
S’agissant de la France, le directeur des services de transport de la DGITM Alexis Vuillemin, a d’emblée donné le ton en rappelant les conclusions de la très complète étude du ministère que Bercy avait bien essayé de faire tomber aux oubliettes: le bilan économique du développement d’un réseau de trains de nuit n’est pas fondamentalement modifié par rapport à la couverture du déficit d’aujourd’hui avec 2 à 3 lignes. Autrement dit, on peut avoir « une offre de service multipliée par 10 pour un coût marginal nul », et encore est-ce a minima car il y a une dynamique qui peut permettre de parvenir à un équilibre économique. Et si on veut bien intégrer les externalités, alors là, on explose le bilan!
A partir de là on peut ouvrir le débat sur le modèle économique du train de nuit : conventionné comme avec l’opérateur historique autrichien ou librement organisé pour l’opérateur privé Regiojet. On peut aussi faire du mixte, comme l’a expliqué la présidente de RFI, le gestionnaire d’infrastructure italien, Anna Masutti : en Italie, on trouve les deux. Du conventionnement pour les ICN et du service librement organisé pour les Euronight. Sur les trajets internationaux, se pose la question de l’harmonisation des solutions, d’où l’intérêt d’une évolution de la Commission pour sortir du cadre national du règlement OSP.
La question du Matériel
Si le train de nuit a quasiment disparu, c’est aussi parce que le matériel roulant était arrivé en fin de vie et qu’aucun opérateur ne voulait investir dans du matériel neuf. Matériel obsolète, pas d’attractivité ; pas d’attractivité, pas de marché ; pas de marché, pas d’offre ; pas d’offre et pas d’investissement. Le cercle vicieux.
Des raisons d’espérer, on les trouve avec les commandes des ÖBB pour du matériel Siemens qui donne envie de rouler la nuit. Mais, il y a des délais et des coûts. Existe-t-il d’autres solutions ? Même si Karen Letten de Steer Group a recensé en Europe 1500 voitures, elle admet ne pas savoir dans quel état elles sont. Par chance, on peut sérier les problèmes: comme l’explique Vincent Pouyet, directeur général France d’Alpha Trains, le train de nuit fonctionne avec des rames tractées. Or les locomotives interopérables on les a ; il y a un marché de loueurs et un marché de l’occasion. Il en va différemment des voitures (on rappellera que les voitures Corail amiantées ne sont ni cessibles ni louables, quand bien même la SNCF l’accepterait). Pour lui, il faut donc « réamorcer la pompe sur les voitures » qui sont des objets relativement « souples ».
Les trains de nuit fonctionnent avec des rales tractées. Et les locomotives, on les a déjà
Les constructeurs se disent prêts à fournir: Siemens, bien sûr, CAF aussi, qui a déjà l’expérience du Caledonian Sleeper, même si Alain Picard souligne qu’il faut une certaine quantité pour standardiser et générer des économies d’échelle (il évoque un minimum de 150 à 200 voitures). Quant à Alstom, son directeur commercial Jérôme Wallut assure que « les équipes y travaillent déjà pour le marché européen ». Mais il explique par ailleurs qu’il voit essentiellement le train de nuit comme une alternative aux bus et au low cost aérien. De fait lorsque l’on compare le Tren Maya en service au Mexique par rapport au produit créé par Siemens pour les ÖBB, on se dit que, très clairement, ils ne se positionnent pas sur le même marché. Certes, c’est à l’opérateur d’écrire l’appel d’offres, mais donner sa chance au train de nuit c’est lui rendre son attractivité et surtout, c’est au client à arbitrer sur le prix du service qu’il est prêt à payer.
Les opérateurs, justement, parlons-en. Le président de SNCF Voyageurs, Christophe Fanichet, a beau assurer que son objectif c’est de faire rouler des trains pour faire rentrer des recettes voyageurs et que « la SNCF ne poursuit aucune mission punitive d’enlever des trains à qui que ce soit », on voit bien que ce n’est pas l’enthousiasme. Il suffit de l’entendre rappeler que les trains de nuit ce sont 300 000 voyages par an contre 500 000 par jour pour les trains longue distance. Côté ÖBB, on voit ce qu’ils font, même si Kurt Bauer a l’honnêteté de dire qu’il faut tenir compte du contexte, notamment géographique: Vienne est loin des lignes à grande vitesse. Les nouveaux entrants peuvent être tentés mais pour un « petit » opérateur, à plus forte raison pour une start up même si elle ne demande qu’à y aller en conventionné ou en librement organisé, le ticket d’entrée sur le marché est cher et le financement peut effectivement être un sujet. Les banques publiques et privées doivent faire leur mue et accélérer la mise au point de modèles de maîtrise des risques pour le matériel roulant, après s’être concentrées depuis de nombreuses années sur l’infrastructure.
On voit bien qu’il faudra sans doute un coup de pouce financier même pour faire bouger les opérateurs historiques. Les Etats peuvent prendre leur part mais on attend aussi de l’Europe qu’elle adapte les procédures de conventionnement au marché international, qu’elle accepte une éventuelle aide au démarrage, voire qu’elle réduise le taux de TVA. Décarboner, c’est aussi cela. Mais là, nous n’avons pas d’inquiétude: on sait que l’on peut compter sur Karima Delli ! A. B.
RESULTATS 2021
Le groupe SNCF s’en sort bien
Plusieurs bonnes performances qui compensent l’impact Covid sur la grande vitesse, quelques interrogations et l’effet Ermewa.
Le bilan général du groupe est presque inespéré, après presque deux années de pandémie et plusieurs mois de restrictions de liberté qui ont fait chuter les activités de façon inédite: 34,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires (+15% par rapport à 2020), 4,3 milliards de marge opérationnelle (soit 12% du chiffre d’affaires, c’est mieux que les 6% de 2020 mais moins bien que les 16% de 2019) et un résultat net récurrent tout juste négatif à 185 millions d’euros.
Alors grâce à qui, cette embellie de 2021? N’en déplaise aux compilateurs dociles des propagandes gouvernementales, sur les 4,1 milliards d’euros accordés à Réseau au titre du plan de relance, seul 1,6 milliard a été versé jusqu’ici (ce sera 1,7 milliard en 2022). On ne peut donc pas vraiment dire que c’est le gouvernement qui a sauvé la SNCF, comparativement aux aides accordées à d’autres industriels publics (Air France, EDF, Renault). Les autorités organisatrices, avec l’Etat en soutien, ont en revanche largement compensé les pertes de recettes trafic des TER et de Transilien, dont les chiffres d’affaires progressent respectivement de 6% et 3% – une région TER aurait même réalisé un bénéfice avant impôt de 30 millions d’euros. Difficile de quantifier précisément la contribution du transport conventionné à ces bons résultats car on ne dispose pas à cette heure des détails des comptes de SNCF Voyageurs. Mais il est certain que la baisse de profitabilité tient beaucoup aux baisses d’activité sur la longue distance: sur ce critère «l’impact de la crise est concentré à 80% sur la grande vitesse», avoue la SNCF. Malgré un beau dynamisme depuis la fin du printemps 2021 et le lancement de la nouvelle gamme tarifaire, et une recherche effrénée du meilleur taux de remplissage, le comportement erratique du virus a coûté cher au TGV – et aux filiales Eurostar et Thalys.
Les bonnes nouvelles comptables qui sont du ressort de la SNCF sont les suivantes:
– le produit de la cession d’Ermewa qui permet au résultat net d’être positif à 890 millions d’euros,
– l’effet des plans de performance qui ont permis de réduire le niveau des dépenses (un impact de 1,9 milliard sur le cash flow sur cette année 2021),
– la très bonne performance de Geodis qui taquine presque SNCF Voyageurs (un chiffre d’affaires de 10,9 milliards d’euros en progression de 28% et une MOP en progression de 200 millions d’euros),
– le résultat de Rail Logistics Europe (RLE) dans son ensemble et de SNCF Fret en particulier. C’est un petit exploité réalisé par Frédéric Delorme et ses équipes de finir l’année 2021 en cash flow positif – l’assainissement des années Sylvie Charles n’y est pas pour rien non plus.
Et puisque l’on évoque l’actuelle directrice de Transilien, manifestement sa rigueur de gestion produit aussi quelques effets sur les comptes 2021 de l’activité voyageurs en Ile-de-France, essentielle pour l’équilibre de la SA Voyageurs.
Il faudra attendre le 9 mars et la publication officielle de ses comptes détaillés pour savoir ce qu’il en fut de Keolis en 2021. La faible progression du chiffre d’affaires par rapport à celui de 2020 (+3%) révèle certes la perte du contrat du Pays-de-Galles, mais le chiffre d’affaires 2021 est loin d’être revenu au niveau de celui de 2019 (6,3 milliards contre 6,6 milliards), alors même qu’une bonne partie des pertes de recettes commerciales ont été compensées par les autorités organisatrices. L’entreprise se consolera-t-elle en retrouvant les chemins de la profitabilité? Réponse dans deux semaines.
Laurent Trévisani, directeur financier de la SNCF, peut se montrer optimiste pour 2022 du fait de la poursuite des investissements à haut niveau, de la réduction de l’endettement (qui passera à 26 milliards en 2022 grâce à la deuxième tranche de désendettement de SNCF Réseau, 10 milliards d’euros, versée le 1er janvier dernier), et du fort rebond du deuxième semestre (chiffre d’affaires +16%, résultat net récurrent + 600 millions d’euros, cash flow libre positif). Si cela pouvait convaincre l’Etat d’oser une politique de croissance de l’offre ferroviaire domestique…
LES DEBATS TDIE / MOBILETTRE
Quelles politiques publiques pour décarboner les mobilités ?
Deuxième série d’échanges à l’occasion des 20 ans de TDIE et des 11 ans de Mobilettre: comment réorienter les programmes de développement des offres pour correspondre aux nouveaux objectifs européens?
Le débat
Avec Bruno Gazeau, président de la FNAUT, Anne-Marie Idrac, Présidente de France logistique et Haute représentante pour le développement du véhicule autonome, Laurent Probst, Directeur général d’Île-de-France mobilités, Pierre-Alain Roche, Président de la section Transports du CGEDD.
Le commentaire
Michel Savy, Président du Conseil scientifique de TDIE, Professeur émérite à l’École d’urbanisme de Paris et à l’Ecole des Ponts, répond à Gilles Dansart, Mobilettre.
La semaine prochaine: «Politiques de transport sous pressions: bilan et perspectives à l’horizon de la neutralité carbone»