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Le pire et l’insuffisant
Dimanche dernier, deux heures après les résultats du premier tour de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron, devant ses partisans: «Voulez-vous d’une France où la voiture électrique pour tous remplacera les coûteux pleins d’essence?»
Voilà donc, pour l’instant, la seule indication donnée par le candidat Macron sur la façon dont il conçoit l’avenir des mobilités: la voiture électrique pour tous. Elle confirme l’esquisse d’un projet d’aide au leasing délivrée très prudemment par Fabienne Keller lors du débat TDIE/Mobilettre, mais sans que le moindre programme transport officiel l’ait précisé ou validé, à ce jour.
On va tout de suite lever l’équivoque: heureusement que l’on ne vote pas uniquement en fonction des propositions relatives à son propre secteur d’activité professionnelle… Mais quand même, le refus persistant du pouvoir sortant d’envisager globalement l’enjeu des mobilités pose problème, sur la durée, pour les Français comme pour les professionnels que vous êtes.
Voyons, pourrait-on nous dire, il n’est plus l’heure d’ergoter, mais de sauver les meubles républicains!
Et le prix de l’essence parle tellement à une partie de nos concitoyens aux budgets fragiles qu’il ne faut pas s’émouvoir de tels slogans de campagne. Certes, mais à étudier attentivement les résultats du premier tour, on pourrait aussi considérer que les victimes d’une offre de transport public défaillante sanctionnent dans l’isoloir des décennies de sous-investissements dans le grand périurbain. Pourquoi, dans ces conditions, continuer à glorifier autant la voiture individuelle?
Prenons le Blayais et le Médoc, sur l’estuaire de la Gironde. On ne va pas prétendre faire ici une fine analyse socio-politique, mais les grandes difficultés d’accès au quotidien à la métropole bordelaise contribuent très certainement au vote majoritaire Le Pen dans ces territoires. Ne faudrait-il pas accélérer vraiment les RER métropolitains, avec des solutions de rabattement vers les gares, plutôt que d’en étaler sans fin les financements et les réalisations? De façon générale, les défaillances du service public de transport alimentent un certain nombre de votes de protestation, quels qu’ils soient.
Il faut absolument tenir la ligne de la cohésion sociale. Mais à n’en pas soigner vraiment les outils du quotidien, à se contenter de slogans trop vite balayés par l’orthodoxie gestionnaire, le pire politique pourrait bien arriver un jour. G. D.
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ANALYSE
TET: une convention très protectrice
Depuis l’annonce, juste avant la période de réserve électorale, du renouvellement de la convention entre l’Etat et la SNCF pour l’exploitation des Trains d’équilibre du territoire, promesse était faite de la rendre publique. Ne voyant rien venir, nous nous la sommes procurée. Sa lecture est instructive, et celle des annexes pourrait l’être encore davantage.
C‘est une lecture de 131 pages parfois un peu ingrate, mais elle recèle quelques pépites… et un zeste de frustration. Car faute d’avoir pu consulter les annexes, on ne sait pas encore tout des conditions qui vont régir jusqu’en 2031 les relations entre l’Etat et la SNCF pour l’exploitation des Trains d’équilibre du territoire, sachant qu’à partir du SA 2027 les lignes seront progressivement mises en concurrence – si le calendrier est respecté. Malgré tout, deux tendances se dégagent.
1. La défense de la SNCF
Après tout, c’est de bonne guerre, la SNCF attaquée sur son monopole se défend. C’est donc à l’autorité organisatrice de fixer certaines limites à une forme d’agressivité. On aurait pourtant pu gravir un échelon dans l’évaluation de l’état d’esprit de l’entreprise publique et écrire: «La SNCF a peur», au vu de plusieurs dispositions de la convention TET et des enjeux économiques (la crise pandémique a montré combien le transport conventionné était essentiel pour les comptes de la SNCF).
Ainsi, sur les conditions très restrictives fixées pour des audits qui seraient lancés par l’Autorité organisatrice (AO): les clauses visant à en garantir la confidentialité sont de nature à décourager tout candidat, les motifs de refus de communication d’informations apparaissent vagues voire illimités (article 9.1): «Si l’Exploitant estime que la divulgation à l’Entreprise chargée de l’audit d’une information relevant du savoir-faire ou du secret des affaires de SNCF Voyageurs serait susceptible de lui créer un préjudice, il peut refuser de communiquer cette information. L’Exploitant est notamment fondé à le faire dès lors qu’il établit que l’entreprise opère sur le marché du transport de voyageurs (raison sociale, actionnariat, lien capitalistique, composition des organes de direction…» Toute entreprise d’audit un peu compétente sur la question pourrait donc de fait se trouver empêchée de travailler! Va-t-on par conséquent aller chercher de grands cabinets généralistes qui n’y connaissent rien ou pas grand-chose? Ils sont moins gênants…
D’une manière générale, tout au long de la convention, la SNCF multiplie les dispositifs de mise à distance de l’Autorité organisatrice, qui jamais ne définit elle-même les prix ou ne peut analyser les coûts des offres communes avec TGV (art. 12). «L’Autorité Organisatrice délègue à l’Exploitant la charge de définir les offres commerciales et tarifaire et piloter leur mise en œuvre»: au nom de l’imbrication avec la politique commerciale de la grande vitesse et du secret des affaires, c’est bel et bien l’exploitant qui propose. Certes, un comité de suivi de la politique commerciale et tarifaire se réunit trois fois par an, mais qui a la main a le pain… On sent quand même que ça coince du côté de l’Etat, de n’avoir que si peu de visibilité. Un article est donc rajouté: «Afin de faciliter le suivi de la politique tarifaire et commerciale, l’Exploitant met en place des outils partagés permettant une lecture directe des informations essentielles à la bonne performance de l’offre commerciale et tarifaire (remplissage des trains, état des réservations, taux d’occupation des trains ayant circulé). La mise en place de ces outils devra être réalisée au plus tôt et si possible d’ici le 31 décembre 2022 sous réserve d’étude de faisabilité technique.» Cela en dit long sur le brouillard qui règne aujourd’hui…
On ne va pas reprendre un à un tous les articles, on y serait encore au moment où les Français se rendront aux urnes. Notons quand même que la distribution est une mission de l’exploitant (art. 10) qui «définit, seul, les éventuelles évolutions du système de distribution sur les plans fonctionnel et technique, procède aux développements des logiciels ainsi qu’à la modification des équipements existants qui lui paraissent nécessaires, et assure la formation de son personnel.» (art. 14.) Quelques scrupules? L’exploitant «tient toutefois régulièrement informée l’Autorité Organisatrice des évolutions envisagées…» Tout est dans le toutefois…
Finissons par deux dispositions qui nous semblent étonnantes:
– «Des accords tarifaires peuvent être conclus par l’Autorité Organisatrice avec d’autres autorités organisatrices en accord et sous validation de l’Exploitant, notamment dans le souci de préserver la bonne cohabitation des voyageurs non-TET à bord (emport, billets sans réservation), et sous réserve des modalités de contrôle et maitrise des flux de passagers non-TET.» (art. 12.3) Noir sur blanc: la SNCF «valide» les initiatives de l’Etat… On aurait pu habiller les choses: «Une convention fixe les conditions de répartition des revenus commerciaux et les compensations…»
– «Toute modification des règles juridiques et administratives, actes, normes et portées des décisions de justice applicables au 1er décembre 2021 et dont l’impact crée un déséquilibre financier au détriment d’une Partie et qui n’a pu être estimé à cette date, constituent des circonstances imprévisibles, au sens de la Convention.» (art. 42). A la théorie de l’imprévision définie par la jurisprudence administrative vient donc s’ajouter une clause spécifique d’imprévision des règles juridiques et administratives: pour le moins inédit et baroque, à notre humble avis…
2. Les largesses de l’Etat
Faute d’annexes, notamment l’annexe 14 sur les mécanismes d’intéressement, difficile d’évaluer avec précision les conditions financières de cette convention. Mais de manière générale, on a l’impression que la SNCF ne risque pas grand-chose, alors que l’Autorité organisatrice est très sollicitée.
La machine à devis va fonctionner à plein. Pour fournir des données actualisées ou supplémentaires sur les différents lots avant mise en concurrence (art. 7.1.1): un devis. Pour un nouveau service ou canal de commercialisation (art. 14.1): un devis. Pour un nouveau service à bord, s’il affecte la trajectoire financière: un devis. En cas de perturbations prévisibles, incluant «les éventuelles économies réalisées de par la non réalisation partielle de l’offre prévisionnelle ou théorique définitive, la perte potentielle de recettes et les charges et recettes liées aux éventuels transports de substitution» (Art. 20.2.2): un devis. A noter que la SNCF admet officiellement réaliser des économies en cas d’offre non réalisée… On va arrêter là l’anaphore, ce n’est plus trop à la mode depuis un certain débat de 2012.
S’agissant des pénalités, le plafond semble assez bas (60000 euros, art. 24.1), comme pour les primes (60000 euros aussi, art. 24.2). Le risque commercial est partagé (art. 33.1), sans que l’on sache dans quelle proportion puisque c’est renvoyé en annexe. Le régime de répartition des pertes et excédents semble assez déséquilibré (art. 36): 50/50 pour les écarts de + ou – 3%, 75% AO/25% SNCF entre 3% et 7% (+ ou -). Au-delà de 7% (+ ou -), l’Etat (on ne dit plus l’AO…) assume au moins 75% des pertes.
La lecture des annexes pourrait permettre d’y voir plus clair en matière de bonus-malus, pénalités contractuelles et réfaction de charges (qui semble faible, à 3,76€/km). En revanche, d’ores et déjà, un CMPC (coût moyen pondéré du capital) pour le matériel roulant à 6,6%, cela interpelle!
Une contractualisation ambivalente
Sophistication de certains mécanismes et flou sur d’autres, encadrement strict de quelques prestations et laxisme sur certaines missions: la convention 2021-2031 n’est pas seulement la dernière de l’histoire, si le calendrier de la mise en concurrence est respecté, elle témoigne aussi des tensions qui continuent d’agiter le secteur ferroviaire, au moment du grand basculement dans une économie de la délégation. La SNCF se défend bec et ongles, quand l’Etat semble incapable d’imposer une culture de la transparence qui déboucherait vers de futurs contrats de bonne qualité. Sans même entrer dans le détail de la question du matériel roulant, qui concentre pas mal de difficultés, on comprend que l’appel d’offres Nantes-Lyon et Bordeaux-Nantes ait été infructueux: l’imbrication au sein de la SNCF semble encore très importante, et pas seulement en matière de comptabilité – d’ailleurs elle entend facturer aux autorités organisatrices régionales un coût de désimbrication.
Il va pourtant falloir accélérer, sauf à contrevenir au plus élémentaire respect des engagements publics. La concurrence dans les TET, on en parle depuis 2011 et une certaine Nathalie Kosciuzko-Morizet…
PUBLICATION
La SNCF à l’épreuve du XXIème siècle
Le titre du livre n’est guère accrocheur, et on l’évoque sans l’avoir fini, mais au vu de plusieurs chapitres, c’est un ouvrage sérieux, précis et documenté, qui permet de prendre un peu de recul par rapport à la succession de réformes et changements qui affectent le secteur ferroviaire depuis vingt ans, et de lire autrement cette convention TET d’entre-deux âges.
«La SNCF à l’épreuve du XXIè siècle» * est une somme de contributions d’universitaires, sociologues et économistes, qui essaient de donner un sens aux évolutions contemporaines. Ils s’appuient notamment sur l’association Ferinter, créée en 2013, qui se veut multidisciplinaire et d’envergure internationale. Il n’y a donc pas de thèse à proprement parler, mais il nous semble, après un premier parcours de l’ouvrage, que l’analyse du passage d’un service public ferroviaire vers des services ferroviaires (dans un cadre libéralisé) est un canevas de nature à mieux comprendre les mutations industrielles, les hésitations de l’Etat, les tensions internes à la SNCF et autres balbutiements de l’histoire. Une lecture instructive, sans jugement hâtif ni verdict empreint de nostalgie, malgré des analyses sans concession sur la filialisation et la sous-traitance: «Les transformations en cours ne signent pas fatalement l’arrêt de mort du service public ferroviaire, qui peut encore se réinventer», concluent les auteurs.
* Hervé Champin, Jean Finez, Alexandre Largier (dir). La SNCF à l’épreuve du XXIè siècle. Editions du croquant, 224 p., 20 €.
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INFRASTRUCTURES
Recharge électrique : on n’a pas dépassé les 100000 bornes
Elles sont même loin d’être atteintes: 57 732, au 31 mars dernier. Alors, pourquoi la promesse des 100 000 bornes fin 2021 n’a pas été tenue? Quid de la prédominance écrasante en France de la recharge lente sur la décharge rapide? Pourquoi d’autres pays européens tirent-ils mieux que nous leur épingle de ce «jeu» complexe et évolutif?
«Le nombre de points de recharge ouverts au public a enfin évolué de façon importante en 2021. Preuve que l’objectif « 100 000 bornes » annoncé par le Gouvernement a relancé la dynamique des déploiements et mobilisé l’ensemble des acteurs de l’écosystème »: tout est dans le «enfin», de la part de Cécile Goubet, déléguée générale d’Avere-France (association nationale pour le développement de la mobilité électrique) à l’occasion d’une publication interne le 7 janvier dernier, et dans la valorisation de la dynamique.
Effectivement, le taux d’augmentation du nombre de recharges a crû de 53% en 2021, et 64% des aires de services autoroutières sont raccordées *, mais on est encore loin de l’objectif 100000 bornes au 31 décembre dernier, qui avait fait l’objet d’une annonce solennelle de la part du président de la République, le mardi 26 mai 2020, dans le cadre de la présentation du Plan de relance de la filière automobile. L’intention était louable; mais la tardivité du déclenchement de sa mise en œuvre compromet l’atteinte du but initial auto-proclamé, malgré une certaine accélération dans le rythme…
Soyons juste: il faut reconnaître que l’on partait de bien bas. 30 000 points de recharge fin mars 2020 selon les données d’Avere-France. Et cela malgré la mise en œuvre dès 2016 du dispositif Advenir, financé par les certificats d’économie d’énergie (CEE), au budget fortement abondé depuis, et piloté par l’Avere-France. 100 000 bornes – opérationnelles- fin 2021? « Cet objectif a eu le mérite de mettre les acteurs en ordre de marche », admet Matthieu Dischamps, directeur de Power Dot France, leader européen de la charge rapide chez les retailers. « Cependant, il s’agit d’un chiffre symbolique situé bien en-dessous de ce dont va avoir besoin le réseau français ».
«Sur l’ensemble des points de recharge français, il n’y en a que 4,7% en recharge rapide»
Observons les résultats de certains de nos amis européens. « En France, nous sommes environ à trois points de recharge tous les 100 kilomètres, l’Allemagne se trouve à 18 et le Portugal à 13 », constate Matthieu Dischamps, avec lequel nous avons échangé le 14 mars. C’est d’ailleurs en Lusitanie, marché pilote, que Power Dot a testé son modèle qui consiste à « équiper sans aucun coût d’investissement de la part de l’hébergeur des parkings de supermarchés, de centres commerciaux, de restaurants…» Plus largement, «sur l’ensemble des points de recharge français, il n’y en a que 4,7% en recharge rapide. C’est cela le drame de la France actuellement», déplore le directeur France de Power Dot, «l’Allemagne est à 16%, le Portugal à 17%», assène-t-il.
Avec un brin d’agacement, Cécile Goubert ne l’entend pas de la même oreille: « Les Allemands sont meilleurs ? Nous sommes quand même plutôt bons ! Nous avons mis en place toute une artillerie de mesures à la fois pour booster les ventes de véhicules électriques et déployer un réseau de bornes de recharge tout à fait à la hauteur de l’enjeu », souligne-t-elle. « Nous avons des obligations très fortes en matière d’équipement, notamment des axes autoroutiers ; des mécanismes d’incitation à l’égard des territoires afin qu’ils mettent en place des approches stratégiques de déploiement de bornes de recharge. Nous avons été le premier pays en Europe à introduire la question du droit à la prise **… »
Le 2 décembre 2020, l’Avere-France avait néanmoins révélé les résultats d’une étude nationale réalisée par Ipsos auprès d’utilisateurs de véhicules électriques et hybrides rechargeables. Dans cette enquête, une part significative des personnes sondées se disaient « pas du tout satisfaites ou plutôt pas satisfaites des bornes de recharge ouvertes au public existantes (voirie, parking privé accessible au public, etc…) en raison des pannes trop fréquentes ou du stationnement de véhicules thermiques sur des places dédiées à la recharge ».
Pour y remédier, l’Avere-France avait alors identifié plusieurs pistes d’amélioration : la maintenance rapide des bornes de recharge, leur interopérabilité, l’information sur leur disponibilité, la possibilité de paiement à l’acte, la mise en place de sanctions pour les véhicules thermiques stationnant sur des places destinées à la recharge, l’information simple sur les tarifs…
La recharge rapide coûte 6 à 7 fois plus chère en coût d’installation
« On ne préfère pas la recharge rapide à la recharge lente, nous disons simplement que nous privilégions une recharge adaptée au temps de passage du client. En France, nous avons une chance, si je puis dire, c’est que notre réseau est sous-développé », constate de façon très pragmatique Matthieu Dischamps. « Nous ne sommes pas condamnés à rester avec ce réseau à recharge lente et disposons donc d’une énorme marge à combler ». Cela dit, explique-t-il, la recharge rapide est 6 à 7 fois plus chère en coût d’installation. Quelles sont donc, de ce fait, ses demandes aux décideurs?
« Actuellement, tout le monde est logé à la même enseigne alors que chacun a ses caractéristiques et ses usages propres. Nous voudrions que les législateurs fassent évoluer les contraintes ou les objectifs d’équipements imposés aux propriétaires fonciers vers des contraintes de puissance avec prise en compte du temps de passage ». Autrement dit? « Si l’on est dans un supermarché, la clientèle passe 30/40 minutes sur site et l’idée est d’installer de la recharge rapide. Inversement, si l’on a affaire à des bureaux ou des logements, la recharge lente fait sens. Il conviendrait de se montrer plus souple et de prendre en compte les typologies des espaces afin qu’ils puissent s’équiper en fonction du temps de passage de leurs clients ». Éloge de la simplicité et de la fluidité, en somme.
« Ce qui sera essentiel pour le prochain mandat, c’est d’avoir à l’esprit l’enjeu de l’indépendance énergétique qui se trouve en fait au cœur des mobilités », conclut pour sa part Cécile Goubert, très optimiste et consensuelle. « Il faut aller encore plus loin en termes de déploiement et de capacités d’accès aux infrastructures de recharge ouvertes au public privé, tout en poursuivant l’accélération de l’électrification du transport routier et de la logistique urbaine».
La part de marché des véhicules électriques et hybrides rechargeables a tutoyé les 17% en février 2022, selon l’Avere-France. 40% des acquisitions de véhicules neufs sont électriques ou hybrides en ce début 2022. Il serait temps de dépasser au plus vite les 100000 bornes.
* En février 2021, deux textes réglementaires ont rendu obligatoire pour les sociétés concessionnaires d’équiper l’ensemble des 440 aires de service sur autoroutes et voies rapides en points de recharge d’ici au 31 décembre 2022.
**Le droit à la prise permet à tout propriétaire ou locataire d’installer à ses frais une borne de recharge sur sa place de parking, qu’elle soit couverte ou extérieure, en suivant des démarches administratives précises.
La Saemes donne l’exemple de la décarbonation
Directrice générale de la Saemes depuis un an, la SEM parisienne qui exploite 70 parkings en Ile-de-France pour 50 millions d’euros de chiffre d’affaires, Ghislaine Geffroy ne cache pas sa satisfaction d’avoir mis en service la semaine dernière avec son partenaire TotalEnergies 500 bornes de recharge au parking Madeleine-Tronchet, soit la plus importante capacité d’un parking dans l’Hexagone. «Nous serons à 1000 bornes sur l’ensemble de nos ouvrages en fin d’année», promet-elle.
Bras armé de la Ville de Paris, son actionnaire majoritaire à 50,06% (Effia est à 33,27%), la Saemes se doit d’être exemplaire en matière de décarbonation. «C’est même plus ambitieux, revendique Ghislaine Geffroy, nous devons être exemplaires dans l’anticipation des évolutions et des comportements, en quelque sorte en sous-sol nous sommes facilitateurs des politiques de mobilité de surface.» La rentabilité n’étant pas l’indicateur dominant de la performance de l’entreprise, expérimentations et changements de rythme servent le dessein stratégique: fournir des solutions nouvelles aux citadins, quels qu’ils soient, résidents, salariés, touristes…
Du coup, dans les parkings, l’équipement en recharges électriques n’est pas le seul objectif. Les parkings souterrains doivent ménager aussi:
– des places de stationnement sécurisé pour les vélos, électriques ou pas, avec une offre de services associés et complémentaires. «Cela va d’une mise à disposition gratuite de petits services: gonflage et nécessaire de petit entretien, casier pour casque et recharge, jusqu’à la réparation et à la location de vélos», explique la directrice générale. 1000 places sont actuellement aménagées, banalisées ou en espaces fermés.
– des places de stationnement pour les 2-Roues. La tarification du stationnement en surface rendra de fait attractif le coût mensuel en ouvrage (5€).
Pour l’instant, si la croissance de la demande de stationnement alternatif aux véhicules thermiques est forte (mais inégale selon les quartiers), il n’y a pas de saturation et l’attractivité des services est une priorité: paiement de la recharge en carte bancaire, fluidité des abonnements, accompagnement par les agents du parking, etc. «Les métiers changent; nos salariés connaissent très bien leur clientèle et sont à même de nous aider à cerner leurs nouveaux besoins», s’enthousiasme Ghislaine Geffroy. Les évolutions peuvent aller très vite: le temps n’est peut-être pas éloigné où il faudra imaginer des incitations à la rotation rapide des véhicules en recharge au niveau -1.
PUBLICATION
André Broto, ça roule toujours
«Il faut écouter André Broto!», nous avait conseillé Pierre Coppey il y a trois ans, à l’ancien siège de Vinci à Rueil. On peut désormais aussi le lire… Désormais retraité, après avoir fini sa carrière comme directeur de la stratégie de Vinci Autoroutes, André Broto vient de publier un plaidoyer * très étayé et engagé en faveur de la route et d’une autre politique de mobilité.
Il faut reconnaître que si l’écrit ne transmet pas la gouaille méditerranéenne de l’auteur, il perpétue son expression aussi limpide que précise: André Broto argumente et décortique, jusqu’à convaincre par des formules qui font mouche. «Nos gouvernants ont vu les routes pleines, ils n’ont pas vu les voitures vides, avec un taux d’occupation d’environ 1,6 personne. […] Au lieu de promouvoir une politique alternative à la voiture individuelle, ils ont promu une politique hostile à la route. Contresens qui explique l’échec cuisant de cette tentative de transfert modal. Routes pleines, certes, mais voitures de plus en plus vides et toujours aussi polluantes.»
Ces périurbains qui ne bénéficient pas des offres de centre-ville et galèrent sur des infrastructures saturées
André Broto a pris son parti: le quotidien des «oubliés de la République», ces périurbains qui ne bénéficient pas des offres de centre-ville et galèrent sur des infrastructures saturées. A qui la faute? A la gouvernance des transports, aux décideurs qui ont cru au mirage du report modal plutôt qu’à une efficace intermodalité. Certes, et on ne lui donne pas tort: comment se fait-il que vingt ans ou presque après la station de Briis-sous-Forges sur l’A10, il y ait toujours aussi peu de rabattements par car sur des hubs ferroviaires? Cette incapacité à dupliquer les bonnes pratiques, de la part de l’Etat notamment, est à opposer aux solutions de proximité, souples et quasi-immédiates, qui fleurissent sur le territoire, comme ces aires de covoiturage près des échangeurs autoroutiers.
André Broto connaît très bien toutes les arcanes de la gouvernance et des systèmes de mobilité. Logiquement, en défenseur de la route, il ne s’attarde pas sur ses externalités négatives; il convoque même pour la défendre Jean-Pierre Orfeuil qui écrit que «l’automobile est devenue l’objet emblématique qui cristallise la lancinante repentance de notre société par rapport à son propre développement et son inquiétude pour le futur». On aurait juste envie de le challenger un peu – au-delà de sa défense mécanique de l’économie de la route, concessions autoroutières y compris. De quoi relèvent la fascination pour la conduite seul au volant, l’augmentation tendancielle des mobilités automobiles (avant l’émergence du télétravail) et les inefficacités récurrentes des politiques d’urbanisme à réduire les mobilités subies? André Broto dénonce à juste titre le «solutionnisme technologique». Mais le double échec en matière de sobriété des déplacements et de développement de l’intermodalité, c’est aussi le triomphe de l’individu et d’un libéralisme échevelé. Et si les oubliés de la République finissaient par s’en détourner?
* André Broto, Les Oubliés de la République – Quand la route reconnecte le territoire. Ed. Eyrolles, 252 p., 20 €.
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