/ / /
Entre-deux
Il y avait l’entre-deux tours de l’élection présidentielle, pendant lequel émergèrent timidement quelques sujets d’avenir, il y a le village d’Entre-Deux-Eaux, du côté de Saint-Dié-des-Vosges, et puis surtout l’entre-deux-mers, à boire jeune et frais, en ce printemps qui s’est fait attendre. Mais en ce moment, c’est un autre entre-deux qui nous intéresse, entre la présidentielle et les législatives – sept semaines un peu particulières.
Après la présidentielle, avant les législatives: solder le passé, préparer l’avenir.
La vie reprend. D’abord, le nettoyage des bureaux. Un rapport commandé il y a un an à la DGITM par le directeur de cabinet de Jean-Baptiste Djebbari, celui de Florence Castel sur les nouvelles mobilités, est sorti seulement lundi dernier – pour ne pas alimenter pendant la campagne électorale le procès des villes surdotées en moyens de déplacement? Il est intéressant et documenté, technique et précis; s’il pose un certain nombre de recommandations, les collectivités locales se trouvent de fait placées au cœur des enjeux: comment réguler et sécuriser sans entraver? Mobilettre y reviendra.
Il fallait aussi sortir l’arrêté sur le CST (cadre social territorialisé, lire ci-dessous) en Ile-de-France, quelques dispositions relatives à la branche ferroviaire… Ajoutons le jugement de la cour administrative d’appel de Paris, favorable au CDG Express, ce jeudi, une date probablement choisie pour ne pas donner d’arguments électoraux à certains écologistes.
Et puis il y a l’entre-deux politique: comment le Président de la République réélu prépare son quinquennat. D’évidence, il ne pourra compter sur une majorité uniforme comme en 2017, malgré la brutalité du scrutin majoritaire. Il lui faut donc travailler à élargir sa base En Marche/Modem vers les amis d’Edouard Philippe, des Républicains et des Socialistes, voire des Ecologistes. Du coup, on comprend l’adaptation sémantique d’Emmanuel Macron, cette semaine, par rapport à son discours de Marseille sur la priorité écologique: le prochain Premier ministre sera désormais attaché «à la question sociale, environnementale… et productive». Retour spectaculaire du «en même temps»…
Juste après cet entre-deux politique, il y aura à la fin du mois de juin le discours de politique générale du Premier ministre. Il est donc temps de remettre au cœur des débats l’avenir des services publics – mobilité, éducation, santé, justice, sécurité. Cela tombe bien, le salon européen de la mobilité (EuMO) aura lieu juste avant le premier tour des législatives, à Paris. G. D.
JUGEMENT
CDG Express: la route est dégagée
La cour d’appel administrative de Paris a pris son temps mais le gestionnaire d’infrastructures du CDG Express ne s’en plaindra pas: les juges ont validé ce jeudi 28 avril la poursuite du projet, en considérant que «le projet est justifié par une raison impérative d’intérêt public majeur, permettant de déroger aux dispositions du code de l’Environnement concernant la protection des espèces animales.» Pour rappel, c’est le tribunal administratif de Montreuil qui avait prononcé une annulation partielle de l’autorisation environnementale, en novembre 2020.
Plus aucune procédure judiciaire ne menace aujourd’hui les travaux qui avaient pu continuer grâce au sursis à exécution prononcé par la cour d’appel en mars 2021, en attente du jugement sur le fond. Le nouveau calendrier – le scénario B – décidé l’automne dernier est donc confirmé, avec une mise en service de la liaison dédiée Roissy-gare de l’Est prévue début 2027.
C’est un soulagement pour les promoteurs du projet, qui travaillent d’arrache-pied depuis des années afin de sortir un projet techniquement difficile, depuis la porte de La Chapelle à Roissy en passant par cet axe Nord si encombré et fragile. Et si l’on met de côté toute appréciation sur le projet CDG Express lui-même, c’est aussi une bonne nouvelle pour les usagers des RER B et D, d’un point de vue pragmatique: l’arrêt du projet ne laisserait place à aucune alternative satisfaisante, depuis que SNCF Réseau avait établi les délais et les coûts de désimbrication entre CDG Express et l’amélioration de l’infrastructure de l’axe Nord. Encore quelques années de souffrance, et cela devrait aller mieux, avec une infrastructure rénovée, une signalisation améliorée et des trains tout neufs… Si tout va bien.
SOCIAL
CST: l’arrêté est paru
Il en a fallu du temps, pour que sorte ce fameux arrêté qui fixe la liste des communes dans lesquelles s’appliquera le CST (cadre social territorialisé), lors de l’ouverture à la concurrence des lignes de bus RATP… Juste après le deuxième tour de l’élection présidentielle, pour ne pas alimenter la contestation sociale? Au vu de l’option choisie (100 communes, d’Alfortville à Vitry-sur-Seine), les machinistes RATP ne pourraient guère s’émouvoir – même si cette option unique des communes exclut environ 800 d’entre eux du CST.
En réalité, malgré les critiques de l’autorité organisatrice IDFM, l’Etat n’a rien changé à une méthodologie complexe, pour ne pas dire compliquée (lire Mobitelex 367), qui aboutit à cette longue liste (IDFM proposait 70 communes) et repousse l’hypothèse de dépôts RATP «protégés» – c’est-à-dire où s’appliqueraient les dispositions du CST. Du coup, le risque d’avoir quelques dépôts «mixtes» et des effets de bord sur Optile (avec la convention collective FNTV) est bien réel.
Comment se passera la coexistence de lignes CST et de lignes Optile sur un même territoire ?
Quelle situation! Tout le monde est d’accord pour ne pas allumer d’incendie social avec les machinistes RATP (la direction de l’entreprise, l’autorité organisatrice, l’Etat), mais la solution choisie fragilise la configuration générale de l’Ile-de-France. Comment se passera la coexistence de lignes CST et de lignes Optile sur un même territoire (par exemple la 391 vers Pont-de-Sèvres et les lignes 40, 42 et 45 exploitées par Keolis)? Le risque de «contagion» n’est pas à exclure, qui remettrait en cause l’équilibre économique général de la mobilité par cars en Ile-de-France… et réduirait à néant le concept même de CST qui, rappelons-le, entend tenir compte de conditions d’exploitation et de travail particulières.
Le gouvernement a choisi de traiter cet épineux problème par un article additionnel, l’article 2 du même arrêté du 26 avril, ainsi rédigé: ledit décret «n’est pas applicable aux services réguliers de transport routier de voyageurs mentionnés au 1° du I de l’article L. 1241-1 du code des transports, dont l’exécution est directement assurée, à la date de publication du présent arrêté, par d’autres exploitants que l’établissement public à caractère industriel et commercial de la Régie autonome des transports parisiens.» En clair, le CST ne pourra s’appliquer dans les entreprises d’Optile même si ces dernières exploitent dans des communes CST. Sans être définitif dans notre évaluation, nous ne sommes guère certains qu’une telle disposition soit solide juridiquement. Les salariés ne seraient pas tous égaux devant la loi selon qu’ils sont RATP ou Optile?
La priorité du gouvernement semble avoir été claire: éviter toute occasion d’alimenter le mécontentement social qui agite la RATP en ce printemps 2022, notamment autour du rapprochement des organisations du travail entre la RATP et du CST. Peu importe si l’autorité organisatrice se retrouve face à une équation compliquée? Selon nos informations, IDFM avait proposé de reporter la publication de l’arrêté, pour en améliorer les dispositions, pourquoi pas avec un tiers de confiance. L’Etat est finalement allé au bout de sa logique et de son (long) travail technocratique.
INFRASTRUCTURES
TGV Intersecteurs, le désolant imbroglio
Où l’on reparle de l’Arlésienne, le barreau Massy-Valenton, indispensable pour accroître l’offre et la performance des TGV dits intersecteurs, qui relient des villes de province entre elles sans passer par les gares parisiennes, et qui sont encore obligés de partager les mêmes voies que le RER C au sud de Paris, et donc de circuler à 30 km/h. Pour SNCF Réseau, c’est, après l’ERTMS Paris-Lyon, le deuxième investissement le plus rentable. Après l’achèvement de la réalisation de la partie Est du barreau, à l’automne dernier, il reste à trouver une somme assez ridicule, 30 à 40 millions d’euros, pour boucler le financement de la partie ouest, forcément réévalué vu les dérapages du calendrier. Le bout du long tunnel est proche!
Et bien figurez-vous que ça coince encore, selon nos informations… Malgré les bénéfices attendus (alternative crédible à l’avion et à la voiture sur plusieurs origines-destinations province-province, changements évités à Paris, fiabilisation des exploitations), tout le monde se renvoie la balle. L’Etat, qui serait le mieux à même de jouer son rôle dans cette affaire, ne veut pas rallonger et sollicite les régions – il consent tout juste à préfinancer en 2023 pour ne pas retarder l’opération. Les régions? Si deux d’entre elles y seraient prêtes (Pays-de-la-Loire et Ile-de-France), les autres, notamment la Bretagne, échaudées par l’évolution des dessertes TGV, demandent des engagements de trafic à SNCF Voyageurs… qui s’y refuse, au nom de la baisse de la fréquentation des voyageurs d’affaires. C’est ce qui s’appelle tourner en rond, y compris au sein du même groupe ferroviaire.
Puisse la nouvelle priorité écologique et la réforme des gouvernances publiques offrir une solution rapide à ce genre de problèmes… G. D.
. . .
RESEAU FERROVIAIRE
Ce que révèlent six mois de surveillance de 50 trains de fret
Lancée à l’automne par la direction fret de SNCF Réseau, l’opération 50 trains/6 sites vient de faire l’objet d’un premier bilan avec la communauté fret du Coopere, le comité des opérateurs réseau, qui réunissait entreprises ferroviaires, opérateurs de transport combiné, représentants de la DGITM et de l’ART.
Les 5O trains long cours et les 6 sites (Dourges, Woippy, Perpignan, Avignon, Valenton-Sucy, Vénissieux) ont été choisis avec les opérateurs. En moyenne, leur ponctualité arrivée était de 30 points inférieure à celle des 1000 trains fret qui circulent quotidiennement. Les suivre, c’était donc non seulement établir des statistiques et un diagnostic sur les causes d’irrégularité, mais aussi entamer un travail curatif, un peu à la manière de H00 pour les voyageurs, mais sans les considérables moyens mis en œuvre à l’époque par Guillaume Pepy et ses équipes, suite aux épisodes de Montparnasse.
Il s’agit de travailler en commun pour trouver les causes des départs contrariés
Première leçon, qui peut paraître évidente aux non-initiés du ferroviaire: un train est d’autant plus ponctuel à l’arrivée qu’il part à l’heure. Mais là où il y a quelques années SNCF Réseau semblait faire la leçon aux opérateurs, cette fois-ci la méthode a changé: il s’agit de travailler en commun pour trouver les causes de ces départs contrariés. Et elles ne sont pas toutes imputables aux chargeurs et opérateurs, loin de là! En voici quelques-unes: difficulté d’inscription en voie principale, insuffisante qualité des échanges sur site entre EF et EIC, composition ralentie des trains de 850 mètres, heure tardive de remise des cargaisons par les chargeurs à l’EF, HLR (heure limite de remise) dépassée… Tout se passe comme si culturellement, l’addition de petits écarts à la norme n’était pas suffisamment perçue comme hautement problématique pour le départ à l’heure, et donc pour la performance finale.
Comment y remédier? «La mesure systématique et la communication des résultats de la veille à tous les acteurs est un premier acte efficace qui motive beaucoup», explique Julien Vincent, qui aligne les chiffres de progression sur les six mois, d’octobre à mars: sur les six sites étudiés, la ponctualité origine s’est améliorée de 16%, la ponctualité destination de 15% à 5 minutes et 12% à 30 minutes (même tendance sur les 50 trains). «Cette démarche partenariale est essentielle pour continuer à améliorer les choses», insiste Paul Mazataud, directeur du fret au sein du GI, qui annonce la deuxième étape de l’opération: continuer à améliorer les performances au départ (un train sur deux n’est pas à l’heure au départ), ajouter quatre sites (Bettembourg, Lille, Miramas et Vierzon), travailler à l’analyse des trains malades.
En matière de conception des sillons, la bonne nouvelle c’est que SIPH semble produire une meilleure qualité
Car cette étude en temps réel a aussi fait ressortir, au-delà des problèmes de ponctualité au départ, des problèmes récurrents tout au long du parcours pour ces 19 trains dits malades: partitions opérationnelles plus longues que prévues dans l’horaire initial, conceptions opérationnelles défaillantes, problème de relève de conducteurs etc. En matière de conception des sillons, la bonne nouvelle c’est que SIPH semble produire une meilleure qualité, même si plusieurs problèmes surgissent au fil des circulations: description insuffisamment fine de l’infra, par exemple pour la vitesse de passage des aiguilles, ou arrivée simultanée de plusieurs convois alors que le terminal ne le permet pas. Dans les deux cas, quelques minutes perdues peuvent sortir le train de son sillon, et les ennuis commencent…
Autre bonne nouvelle, même si aucune statistique n’est disponible: les impacts travaux et les défaillances de l’infra de circulation ne seraient pas majeures au regard des autres causes identifiés. En revanche, quand cela arrive, le retard est souvent consistant.
Avec cette opération qui se poursuit, SNCF Réseau entend optimiser les capacités existantes et contrarier une sorte de fatalité culturelle du retard qui touche trop de trains, trop de sites. Il serait souhaitable que cette stratégie soit complétée par quelques investissements publics destinés à encourager des acteurs certes motivés, mais conscients que la vétusté et les problèmes de capacité de certains terminaux, comme la persistance de situations de saturation, constituent des freins considérables au développement d’un fret ferroviaire vertueux.
Stationnement nocturne en gare : la tarification ne peut être fondée sur les coûts évités
Nous avons déjà évoqué les interrogations que posait la nouvelle prestation de stationnement de nuit en gare de voyageurs que SNCF Réseau entend mettre en place (lire Mobitelex 363 et Mobitelex 371). L’Autorité de régulation des Transports (ART) après avoir dit à l’occasion de son avis sur le volet non tarifaire du DRR (Document de référence du Réseau) que Réseau devrait classer cette prestation régulée soit dans les prestations minimales relatives à l’accès et à l’utilisation de l’infrastructure ferroviaire soit dans celles relatives à l’accès et à l’utilisation des installations de service le répète à l’occasion de son dernier avis sur les terminaux de marchandises, les voies de services et certaines installations de service.
SNCF Réseau n’ayant toujours pas qualifié juridiquement cette nouvelle prestation, l’ART souligne qu’au cas où Réseau opterait pour les installations de service, le gestionnaire d’infrastructure a passé son tour, et que l’avis conforme qu’elle doit donner pour que la prestation soit exécutoire devrait attendre la publication d’une nouvelle version du DRR. Cela, c’est pour la procédure et l’entrée en vigueur.
Encore plus intéressant, ce rappel de principe du régulateur: « Quelle que soit sa qualification juridique, sa tarification ne saurait être fondée sur les coûts évités par les clients comme actuellement expliqué par SNCF Réseau. En effet, l’établissement du tarif d’une prestation régulée ne peut reposer sur le fondement des économies qui seront réalisées du point de vue des entreprises ferroviaires mais doit correspondre au coût supporté par l’exploitant pour la fourniture de la prestation ». Ainsi que Mobilettre l’avait écrit, SNCF Réseau justifiait ce tarif de 89 euros de garage nocturne par nuit et par voie par l’économie que réaliserait l’opérateur ferroviaire en évitant des coûts liés aux mouvements techniques de rames pour les faire stationner sur des sites de voies de garage.
Et pour finir, comme l’ART est toujours très scrupuleuse face à d’éventuelles pratiques discriminatoires entre l’opérateur historique et les nouveaux entrants, elle met les points sur les i: « En tout état de cause, dans la mesure où la prestation de remisage était, dans les faits, déjà fournie à SNCF Voyageurs à titre gratuit, l’absence de tarif validé ne saurait s’opposer à ce que cette prestation soit fournie dans les mêmes conditions à toute entreprise ferroviaire ou candidat autorisé qui en ferait la demande ».
. . .
Exposition
«Les vies qu’on mène», des images qui nous emmènent
Dans le tumulte de la campagne électorale, c’est une exposition photo qui nous avait échappé. Il est encore temps de vous y rendre *, comme nous le fîmes cette semaine: vous y rencontrerez des hommes, des femmes, des lieux, des destins, qui racontent mieux la France que bien des discours.
Mais d’abord, quelques mots sur l’intention de Forum Vies Mobiles, le think tank sur les mobilités arrimé à la SNCF, qui poursuit sous la direction de Christophe Gay et Sylvie Landriève un travail d’identification des parcours de mobilité, au-delà des modes et des agrégations. Ce souci d’une expertise fidèle à la réalité les a incités à proposer sur deux ans à seize photographes (et un invité de Magnum), pilotés par l’agence Tendance Floue, de partir à la rencontre des modes de vie des Français, au-delà des typologies habituelles. En pleins bouleversements de nos vies collectives (les Gilets jaunes, la pandémie), ils ont rapporté des clichés tour à tour percutants, inattendus, émouvants, rendant compte de parcours de vie que des accrocs à la catégorisation socio-économique qualifieraient de particuliers, voire marginaux. Ils sont tout simplement des Français, à la vie très influencée par les questions de mobilité, et répartis en quatre ensembles: s’adapter et se réinventer, un nouveau départ, prendre soin, suivre sa passion. Une judicieuse scénographie donne du rythme à une déambulation quasi-immersive, pendant laquelle il nous prit souvent l’envie de ranger le stylo pour se laisser emmener par les images. En voici quelques-unes. Mobilettre donnera des aperçus supplémentaires de l’exposition dans ses prochains numéros.
* Ces vies qu’on mène, Exposition du 1er mars au 19 mai 2022 à la Cité internationale des Arts, Paris 4è. Entrée libre du mardi au vendredi de 14h à 19h, les samedi et dimanche de 10h à 19h, en nocturne le 5 mai, fermé les jours fériées.