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Le premier pas
La folle course de Bercy est stoppée. On attend la suite
Réjouissons-nous d’abord un peu, car ce n’est pas si courant : Bercy a perdu – les Transports et Clément Beaune ont gagné. A l’origine d’un bon paquet de réformes ferroviaires depuis vingt-cinq ans, le ministère de l’Economie n’a pu aller au bout de sa dernière en date, qui consistait d’une certaine façon à mourir guéri : plus de dette… et plus de réseau, au sens d’un vrai réseau national bâti sur une bonne dose de peréquations. Continuer dans la voie tracée par les comptables de la République, crispés sur le cash flow libre en 2024 et des comptabilités étanches, c’était se contenter à terme d’un réseau radial à grande vitesse et d’un mass transit dans les grandes métropoles. Le reste ? On bricole, et que les régions se débrouillent.
Un nouveau PDG, donc un nouveau départ pour SNCF Réseau ? Peut-être s’emporte-t-on un peu vite…
Alors, un nouveau PDG, donc un nouveau départ pour Réseau ? Peut-être s’emporte-t-on un peu vite… La prochaine nomination de Matthieu Chabanel en remplacement de Luc Lallemand ne signifie pas que les injonctions contradictoires de l’Etat vont cesser. La lecture du PLF 2023 n’est guère rassurante, même si les débats parlementaires ne font que commencer et peuvent réserver quelques bonnes surprises. Bercy n’est pas du genre à renoncer si facilement. Quoi qu’il en soit, le futur PDG, bientôt adoubé par l’ART, maîtrise l’écosystème politique français et sait arrondir les angles, à la différence de son prédécesseur qui évoluait dans la seule logique du respect de la lettre du contrat. C’est déjà une bonne chose : les entreprises et leurs salariés, les territoires et leurs élus sont des corps vivants qu’il faut respecter. Mais il en faudra bien plus pour redresser le rail français : de l’argent, bien sûr, mais aussi et surtout des choix clairs et stables. On ne décrète pas la priorité aux transports du quotidien pour succomber aussi vite aux sirènes de la LGV Côte d’azur; il faut entretenir, inlassablement, et développer là où il faut faire croître les capacités existantes.
Au risque de se répéter, la responsabilité des pouvoirs publics français est historique. Ne pas préparer dès maintenant notre réseau ferroviaire au grand défi de la décarbonation des transports des biens et des personnes, c’est faire prendre à la France un retard majeur dans la construction de la future Europe. Pourquoi aurions-nous raison contre tous nos voisins en croyant encore à la voiture miraculeuse?
Le problème, au début de ce quinquennat, tient à un choix stratégique éminemment discutable mais si peu contesté par les oppositions : subventionner chaque litre d’essence à 30 puis 18 centimes, compenser pour tous la hausse des prix de l’électricité. Des dizaines de milliards d’euros, que l’on ne retrouve pas en partie investissements dans le PLF 2023. Universités, transports, logement sacrifiés au profit des boucliers. Le chiffon rouge des gilets jaunes a bon dos. Protéger tout le monde, y compris des Français qui n’en ont pas besoin, c’est hypothéquer doublement l’avenir collectif : on emprunte au-delà du raisonnable, on tarit les investissements d’avenir.
Il a fallu que des milliers d’hectares brûlent cet été pour qu’enfin, après deux décennies de maltraitance, l’ONF (Office national des forêts) retrouve quelques moyens supplémentaires à l’occasion du PLF 2023. N’attendons pas un tel scénario pour le ferroviaire hexagonal, dont le modèle se rapproche d’ailleurs beaucoup plus de la sylviculture que de la céréale. G. D.
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BILAN
Catherine Guillouard, ombre et lumière
Faut-il retenir la profonde transformation de l’entreprise ou une ambiance de crise sociale ? Esquisse de bilan à chaud, après ses cinq années à la tête de la RATP.
Elle laisse tout sur la table de son successeur, du coup l’inventaire n’est guère difficile. Il nourrira les jugements les plus divers, des plus violents («aujourd’hui la RATP c’est Bagdad») aux plus admiratifs («elle a sauvé in extremis la RATP de la noyade»). Mobilettre n’a guère une âme de Salomon au moment du jugement, et puis de toute manière ce roi a prononcé suffisamment d’âneries pour ne pas s‘en réclamer. Mais malgré tout, il nous semble qu’au terme de ses cinq années passées à la tête de la RATP, il est logique que Catherine Guillouard suscite tant d’avis opposés, parce que la transformation était sa feuille de route… et parce que c’est elle.
Catherine Guillouard a rattrapé le temps perdu depuis 2008 mais a négligé de s’attarder sur l’accompagnement et le récit à tenir
Néophyte à de telles altitudes managériales à son arrivée quai de la Râpée, Catherine Guillouard n’a pas tardé à imposer un style détonnant dans le monde assez policé des dirigeants d’entreprises. Naturel et décontracté pour les uns, pas assez conventionnel pour les autres, il était assurément volubile et volontaire en toutes circonstances. Très convaincue par sa trajectoire d’adaptation à la nouvelle donne concurrentielle, très déterminée à chambouler l’organisation de l’entreprise, elle supportait aussi difficilement les résistances internes, jusqu’à incendier des cadres dirigeants en Comex, qui du coup avaient tendance à ne plus moufter. Laurence Batlle est l’une qui ne s’en est pas laissée compter, mais elle a fini par jeter l’éponge. La cheffe a toujours raison.
On insiste sur cette partie formelle car elle nous semble expliquer en partie le fort contraste du bilan sur le fond : une vraie et profonde transformation de l’entreprise, ce que n’avait pas voulu faire sa prédécesseure aujourd’hui Première ministre Elisabeth Borne, pétrie de peur au moment des grands changements, et en même temps une crise d’identité d’une bonne partie des personnels, tourneboulés par la valse des références organisationnelles. Fonceuse, Catherine Guillouard a rattrapé le temps perdu depuis 2008 mais a négligé de s’attarder sur l’accompagnement et le récit à tenir à tous les collaborateurs. Il ne suffit pas de proclamer le danger de tout perdre à ne rien changer, de l’écrire dans des lettres ou de l’afficher dans les dépôts; l’avenir projeté ne se résume pas à des slogans markétés et à des reportings abscons. La tâche est très difficile, a fortiori dans une entreprise aussi concentrée sur son identité et sa culture que la RATP ; elle est inaccessible à la plupart des cabinets de conseil et relève de l’engagement personnel des dirigeants sur le terrain, y compris la première d’entre eux.
Catherine Guillouard est allée très loin dans la cohérence idéologique de son dispositif
Cette pédagogie de proximité est d’autant plus indispensable que la transformation d’une entreprise très verticalisée en business units avec la mise en place de centres de services partagés modifie profondément les rôles de chacun, notamment ceux des managers, plus responsabilisés. Catherine Guillouard est allée très loin dans la cohérence idéologique de son dispositif, jusqu’à déplafonner l’augmentation de rémunération desdits managers, qu’un accord limitait à 15% sur cinq ans, à augmenter fortement l’intéressement et à multiplier les subdélégations.
Puisque la concurrence risque d’affecter le chiffre d’affaires de l’Epic, les filiales (RATP Dev et Solutions Ville, notamment) sont appelées à jouer le rôle de relais de croissance – malgré la réticence d’une autorité organisatrice pour le coup bien peu libérale envers une entreprise historique appelée à se normaliser sur la durée. En tout état de cause, les premières réussites de Solutions Ville (notamment la fibre haut débit du Grand Paris Express) semblent donner tort à pas mal de sceptiques à l’égard d’une telle diversification.
Libérale convaincue, Catherine Guillouard n’a pourtant pas oublié de défendre bec et ongles en coulisses, auprès de l’Etat principalement, des conditions particulières relatives à l’ouverture des marchés. Ses concurrents et son AO de référence s’en offusquent encore. Ombre et lumière là aussi… Mais la plupart des personnels ne sont pas prêts aujourd’hui à lui en faire grâce: ils retiennent surtout qu’elle a affirmé jusqu’au bout sa stratégie d’adaptation, y compris sur l’accord social au sein du département Bus, ce qui a entraîné un fort mouvement d’absentéisme (lire ci-dessous).
Les salariés de la RATP, comme dans toute entreprise, ont aussi besoin qu’on leur parle de leurs métiers, de projets, d’innovations. Après la phase «réorganisationnelle», logiquement déstabilisante, et quasiment achevée avec la prochaine entité dédiée aux réseaux ferrés, place à la valorisation des équipes et des services? Celle ou celui qui succédera à Catherine Guillouard serait bien avisé-e de savoir parler au quotidien transport et mobilité.
Sa dernière lettre à Valérie Pécresse
Elle est datée du 29 septembre, à quelques heures de la fin officielle de son mandat, mais elle n’est en rien une lettre de bienséance. Les deux pages adressées par Catherine Guillouard à Valérie Pécresse sonnent autant comme un dernier service rendu à ses équipes blessées par les remontrances publiques de mardi dernier (celles de la SNCF ont depuis longtemps appris à s’en détacher…) qu’elles prennent date et lancent un avertissement quasi-public : ça ne va pas bien se passer, la concurrence en 2025…
Si la future ex-PDG commence par expliquer l’ampleur de l’offre non réalisée (25% en septembre sur le réseau de bus !), aussi bien par un absentéisme généralisé que par des fraudes (500 arrêts de travail frauduleux à ce jour) et l’impossibilité de recourir à l’interim dans le cadre de l’Epic, elle tient surtout à «réitérer les alertes» au sujet de la transition des réseaux de bus à partir du 1er janvier 2025. «A ce jour il nous apparaît que les systèmes d’information indispensables au réseau [NDLR aujourd’hui propriété de la RATP] ne pourront matériellement pas être scindés et exploités par les opérateurs dans les délais impartis», précise-t-elle. Explication : l’autorité organisatrice anticipant qu’elle ne pourra pas piloter elle-même à temps pour 2025 des systèmes d’aide à l’exploitation, à la régulation et à l’information voyageur accessibles à tous, elle vient de demander à la RATP d’envisager une nouvelle prestation, non prévue par la loi, pour assurer la transition. Mais cette dernière n’a pas envie de le faire, et le fait savoir : «La RATP doit impérativement et prioritairement se focaliser sur la réalisation de sa mission d’opérateur de transport et sur ses réponses aux futurs appels d’offres».
Le message de la missive est clair : puisque tu me mets en cause publiquement, sans que je puisse me défendre, je n’entends pas compenser tes propres problèmes d’autorité organisatrice. Ambiance…
DERNIERE HEURE
Marseille choisit ses projets et débloque les financements de l’Etat
Tout arrive… A ceux qui prédisaient que le GIP (Groupement d’intérêt public) présidé par Martine Vassal n’arriverait pas à sélectionner des projets transports, préalable fixé par l’Etat pour le déblocage de ses subsides, les élus Marseillais et les représentants des entreprises et des usagers viennent d’opposer une spectaculaire délibération. Quinze projets prioritaires (plus de 2 milliards d’euros) ont en effet été identifiés qui vont pouvoir bénéficier de 256 millions d’euros versés par l’Etat au titre de Marseille en Grand, annoncé par Emmanuel Macron en septembre 2021. Si l’on ajoute les participations du conseil départemental, du conseil régional et de l’Europe, il ne restera plus à la charge de la Métropole «que» 1,3 milliard, soit 65% du total.
Ces 15 projets (prolongement du T3, BHNS B4, pôles multimodaux de Saint-Antoine, Saint-André et Frais-Vallon etc) ont pour but prioritaire de désenclaver les quartiers Nord, en accord avec Benoît Payan le maire de Marseille. Ils sont la première étape d’un plan Mobilité plus large de la Métropole qui atteint 7 milliards d’euros. Le début d’une reconstruction territoriale et écologique?
BILLET
Bretons incohérents?
La mobilisation d’hier pour la journée de grève dans les transports a été relativement modérée à la SNCF : 17% pour l’ensemble du Groupe Public Ferroviaire (GPF), une moyenne de 15,9% pour Voyages, de 16% pour Transilien et de 21,6% pour TER… sauf en Bretagne où le taux explose à 30,1% ! Qu’arrive-t-il aux Bretons ? Se préparent-ils à nous refaire le coup des «bonnets rouges» avec l’écotaxe?
Comme les cheminots des autres régions, ils subissent les réorganisations de leur entreprise et les malaises qu’ils peuvent engendrer. Mais qu’y a-t-il de plus dans ce coup de sang breton ? Une sortie de Covid long, exacerbé par leur « finistèritude » ? Un sentiment d’abandon de la pointe bretonne après la décision d’Air France d’arrêter la liaison Paris-Brest, quelques bruissements de Landernau sur l’avenir de la desserte Quimper-Rennes ? Un peu de tout sans doute à lire le programme de la rencontre régionale sur les mobilités organisée la semaine prochaine par le parti communiste : « Au vu de l’explosion des prix des carburants, de la crise énergétique actuelle et climatique qui a frappé la Bretagne dès cet été, des difficultés d’accès au logement, aux transports et au travail », il semblerait que « le droit et l’accès à la mobilité en Bretagne » soient menacés. Pas plus qu’ailleurs sans doute, même si une étude économique annonçant l’arrivée de 400 000 non-Bretons dans la région, à l’horizon… 2040, alimente les inquiétudes sur les difficultés de logement.
Il va falloir choisir entre une région fortifiée et forte de son entre-soi et une région ouverte et dynamique avec les services qui vont avec. Ces 30% sont-ils le signe de cette contradiction que les Bretons n’arrivent pas à surmonter? A. B.
CONCURRENCE
L’été agité des opérateurs
Globalement, cet été, sur le front des appels d’offres hexagonaux Keolis avait beaucoup à perdre… et a finalement beaucoup gagné. Non seulement à Valenciennes et à Perpignan *, mais aussi à Bordeaux, où le référé de Transdev a été rejeté par le Tribunal administratif de la ville, sur chacun des quatre points soulevés par l’opérateur perdant. Notamment, à propos de l’avis du comité de suivi du 9 mai 2022, qui est au centre des débats puisque, selon nos sources, il se serait conclu par un vote favorable à Transdev – finalement infirmé plus tard par le bureau de Bordeaux Métropole. Pour le juge, aucun procès-verbal écrit n’établit de matérialisation définitive de l’analyse des offres à laquelle le président de Bordeaux Métropole se serait soustrait. En définitive, écrivent les juges, «le président de Bordeaux Métropole, seul habilité à apprécier les offres, n’était en tout état de cause pas tenu de s’approprier les travaux du comité de suivi pour apprécier laquelle des offres présentait le meilleur avantage économique global pour l’autorité concédante.» Soulagement temporaire pour Keolis ? Transdev aurait décidé de poursuivre désormais sur le fond.
Cet été victorieux s’est même fini en apothéose symbolique pour Keolis il y a quelques jours puisque la desserte du Mont-Saint-Michel lui a échu. Une façon d’oublier la défaite de Laval, face à RATP Dev qui n’a pas lésiné sur les investissements (4,390 millions d’euros sur la durée du contrat contre… 720000 euros à Keolis), et la délicate anticipation de l’alottissement lyonnais (lire Mobitelex 386).
Côté Transdev, c’est plutôt un été à oublier, d’autant qu’au rayon des défaites il voit le moyen/petit réseau de Grasse (10 millions d’euros annuels, 70 véhicules, 83 salariés) lui échapper au profit de Moventia. Un petit BHNS est même en projet, de quoi donner un joli… parfum à la deuxième belle victoire hexagonale de l’Espagnol, qui semble satisfaire depuis trois ans les élus de l’agglo de Montbéliard, auprès desquels les élus de Grasse se sont renseignés.
Consolation pour Transdev en Ile-de-France ? Le gain de la DSP 7… mais perte de la DSP 13 lors du CA d’IDFM de juillet : l’heure d’un bilan presque complet de l’ouverture des marchés d’Optile sonnera après les dernières adjudications de l’année par IDFM.
*A Perpignan les élus Rassemblement National (RN), majoritaires à la Ville mais minoritaires à l’agglo, se sont singularisés par une annonce savoureuse avant le vote en faveur de Keolis contre le sortant Vectalia : «Pour des raisons de transparence nous demandons le vote à bulletins secrets». Ils n’ont pas été déçus : défaite 34 contre 50.
Grande vitesse espagnole : et de trois opérateurs !
Alors que la concurrence sur la grande vitesse peine à s’installer en France, l’Espagne met les bouchées doubles, ou plutôt triples… Le troisième opérateur à se lancer sur le réseau à grande vitesse outre-Pyrénées a ouvert les ventes de billets pour un démarrage de service le 25 novembre prochain, en commençant par desservir Madrid, Saragosse et Barcelone.
Iryo, tel est le nom de ce nouvel opérateur, est issu d’une alliance entre les chemins de fer italiens, Trenitalia, et la compagnie aérienne espagnole Air Nostrum. Le matériel est l’ETR 1000 développé par Alstom et Hitachi Rail et qui circule en Italie sous le nom de Frecciarossa. A la différence de l’autre nouvel entrant, le français Ouigo, qui s’est positionné sur le marché low cost, Iryo a choisi le haut de gamme et notamment le haut niveau de service : quatre classes seront proposées et une offre de restauration gastronomique est l’un des principaux éléments d’attractivité. Côté prix, sur Madrid Barcelone par exemple, on retrouve des niveaux similaires à ceux de l’opérateur historique Renfe. Rien à voir donc avec les petits prix de Ouigo. Reste à savoir d’ailleurs dans quelle mesure ce dernier pourra les maintenir, fragilisé par la hausse du coût de l’énergie. Auquel cas, il pourrait perdre son principal avantage concurrentiel.
En décembre, Iryo a prévu de lancer la desserte Madrid-Cuenca-Valence puis en juin prochain Alicante-Madrid, et ne cache pas ses ambitions hors d’Espagne, notamment au Portugal ou en France.
Rappelons que la libéralisation à l’espagnole du réseau à grande vitesse avait suivi un processus spécifique : 30 % du réseau en attribution annuelle et les 70% restant avec des accords cadre de 10 ans répartis en trois lots, A, B, C. Le lot A, le « gros lot », soit 60% des 70%, était revenu à l’opérateur historique, le lot B (30% des 70%) à Iryo et le dernier lot (10% de 70%) à Ouigo.
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INDUSTRIE
Maintenance prédictive : le handicap de la parcellisation
Premier retour sur le salon Innotrans, via des innovations digitales qui préviennent la panne et l’incident
Lors de son audition au Sénat, le président de la SNCF Jean-Pierre Farandou avait regretté le retard français dans le digital (lire Mobitelex 385). Il visait d’abord l’équipement ERTMS du réseau et l’automatisation des postes d’aiguillage, la fameuse CCR (Commande Centralisée du Réseau). Mais le digital dans le ferroviaire c’est aussi tout le volet de la maintenance prédictive pour le matériel roulant et pour l’infrastructure, notamment pour la voie. Cela contribue à la sécurité, à la régularité et constitue une source d’économie: prévenir la panne ou l’incident avant qu’ils ne surviennent.
Le nerf de la guerre, c’est une fois de plus la data, les données
On a voulu profiter d’Innotrans pour voir où en étaient les autres dans ce domaine et on n’a pas été déçus… Des stands à foison. Des innovations en tous sens. Normal puisque la devise de cet Innotrans 2022 était « Le futur de la mobilité ». Quelle leçon en tirer ? Le nerf de la guerre, c’est une fois de plus la data, les données. Connaître l’état de son patrimoine en temps réel mais aussi son historique pour prévoir son évolution. Et le connaître en plusieurs dimensions : avec son environnement géographique et géologique et notamment le sous-sol sur lequel repose l’infrastructure. C’est cette connaissance en 3D que développe par exemple un industriel comme Plasser & Theurer. De la connaissance, on peut ensuite passer, grâce à la modélisation, à l’interprétation et à la « prédiction » et à mettre en place une meilleure organisation de maintenance.
Certains opérateurs ferroviaires sont déjà allés assez loin dans le processus : c’est notamment le cas des chemins de fer autrichiens, les ÖBB, qui ont depuis plusieurs années un contrat avec Thales dans ce domaine.
Le point faible de la digitalisation et de l’utilisation de l’intelligence artificielle pour développer la maintenance prédictive dans le ferroviaire nous semble aujourd’hui l’éparpillement des innovations. C’est pourquoi on a bien aimé l’initiative de DRS (Digital Railway Solutions) Alliance, lancée en octobre 2021 avec 15 industriels développant des services hautement innovants dans l’objectif de proposer du digital « de bout en bout ». Parmi les quinze partenaires on trouve sans surprise Plasser&Theurer, mais aussi 3BInfra ou tmc, spécialiste du matériel roulant, ou Obermeyer Infrastruktur, essentiellement des Autrichiens et des Allemands. Bien sûr, cela aide si l’opérateur historique est engagé dans la digitalisation mais pour le coup, l’Europe qui se mêle parfois un peu de tout, n’aurait-elle pas là à jouer un rôle d’intégrateur ou tout au moins d’incitateur à l’intégration ?
HOMMAGE
Georges Dobias, l’anticipation et le souci du détail
Ils sont nombreux à avoir bien parlé de Georges Dobias, mercredi dernier à la Tour Séquoia de La Défense, où se tenait un colloque organisé par l’IESF (Ingénieurs et scientifiques de France) en sa mémoire – il est décédé en juin de l’année dernière. On retiendra à chaud les mots de Pierre Messulam : c’est aussi, au-delà de ses qualités intrinsèques d’ingénieur X-Ponts, parce qu’il avait compris l’importance du détail et de l’anticipation que Georges Dobias garde une place à part dans l’histoire des transports français et franciliens. Entre autres directeur de l’Inrets et vice-président du STP, l’ancêtre du Stif et d’IDFM, il a largement contribué à emporter la décision politique sur le réseau des RER, notamment la ligne A et son tunnel central. Où en serait-on aujourd’hui s’il n’avait pas «surdimensionné les quais du RER A ?» Et Pierre Messulam, désormais retraité de la SNCF, de relever benoîtement que Georges Dobias, attentif aux flux, n’aurait sans doute pas laissé passer quelques agencements d’espaces dans certaines gares du Grand Paris Express (Sandrine Gourlet de la SGP n’a pas bronché), comme Laurent Probst a rappelé le coût de l’adaptation de la gare de Val-de-Fontenay, dont les quais du RER E et les accès vers le RER A sont trop petits : 200 millions d’euros (y compris quelques rénovations complémentaires de la gare).
Un cahier spécial intégré au magazine Transports Infrastructures Mobilité de notre confrère Michel Hagège sera prochainement consacré à ce colloque-hommage.