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Ils ont osé l’autophobie!
Vouloir moins d’automobiles, est-ce liberticide ? Les constructeurs ne reculent devant aucune instrumentalisation.
Il faut lire l’interview de Carlos Tavarès, PDG de Stellantis, dans le Parisien du 2 octobre. Il déclare, entre autres : «Pourquoi avons-nous autant de Français amoureux de leur automobile dans un pays fondamentalement autophobe? […] Nous allons créer un forum de la liberté de mouvement.»
La France autophobe et liberticide, il fallait oser, au regard de décennies d’aménagements routiers et de subventions en tous sens. Ou comment diaboliser tous ceux qui travaillent désormais à une autre place pour l’automobile, que ce soit pour des raisons urbanistiques, écologiques ou économiques. C’est une alliance inédite entre le grand capital et le populisme, qui fait tellement peur à l’Etat.
Pour ceux dont le lieu de travail est à moins d’un kilomètre de leur domicile, 42% utilisent leur voiture
Le grand plan à court terme en faveur de la sobriété énergétique, dévoilé hier jeudi par le gouvernement, escamote le problème de la mobilité automobile quotidienne en n’abordant que le covoiturage, vu comme la panacée (lire ci-dessous). On peut donc recommander fortement aux Français de se cailler les miches à 18°C mais ne leur conseiller qu’avec moultes précautions de réduire quelques déplacements inutiles, voire, quelle audace !, de prendre un peu moins leur voiture au profit de leurs jambes, du vélo et du transport public. Rappelons, par exemple, que pour ceux dont le lieu de travail est à moins d’un kilomètre de leur domicile, 42% utilisent leur voiture, et qu’un trajet en voiture sur quatre fait moins de trois kilomètres.
Un certain nombre de Français ont compris que des pratiques différentes (un moindre usage du véhicule individuel voire son abandon, pour les plus urbains) vont non seulement dans le sens de l’Histoire mais soulageront leur portefeuille. Les constructeurs automobiles, confrontés à cette tendance de fond qui limitera leurs marges déjà fragilisées par les moindres coûts de maintenance et la plus grande endurance des moteurs et véhicules électriques, exploitent donc sans scrupules le sentiment d’injustice ressenti par les vrais captifs de la voiture, et cristallisé par le mouvement des gilets jaunes.
La voiture est effectivement devenue l’emblème d’une colère sociale contre l’évolution de nombreux territoires, la disparition des services de proximité et le transfert des emplois vers les métropoles. Mais la situation des quelques millions de Français au budget modeste effectivement percuté par la hausse du prix de l’essence doit-elle bloquer toute politique de mobilité alternative? G. D.
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PLAN DE SOBRIETE
Vous aviez dit planification ?
Pas grand-chose de consistant pour la mobilité dans le plan de sobriété énergétique présenté par le gouvernement hier jeudi 6 octobre. Des recommandations générales ou pointillistes, et quelques pépites… Cela confine par moments au concours Lépine de la sobriété.
Chasse au gaspi saison 2, 43 ans après. Faute de planification d’envergure, promise pour la fin de l’année, il faudra se contenter pour quelques mois encore d’une liste à la Prévert des gestes sobres, que le gouvernement a présentés en grande pompe hier jeudi 6 octobre. Il y en a d’ailleurs pour tous et dans tous les sens: beaucoup de recommandations de bon sens ou générales, si besoin prudentes («lorsque cela est possible, le report de la voiture ou de l’avion vers le train sera recherché»), mais aussi des suggestions pointillistes voire ridicules qui ont échappé à la relecture. De temps en temps, à destination des professionnels, cela tangente avec la sobriété pour les Nuls. Allez! on ne résiste pas à trois exemples:
«Pour les stations de ski mesurer les hauteurs de neige afin d’adapter précisément la production au besoin»: que c’est dit élégamment… On traduit : en l’absence de neige, pensez bien à fermer les remontées mécaniques!
«S’assurer d’un entretien optimal des véhicules [de transport de marchandises]»: c’est bien connu, l’entretien minimal est privilégié par les opérateurs.
«Améliorer l’efficacité des ascenseurs et escaliers mécaniques»: on cherche vraiment l’économie d’énergie. Et si on recommandait la panne ?
Le pompon? La glorification d’un grand calculateur d’itinéraires, au service de l’écoconduite : «Google déploie, par exemple, de nouvelles fonctionnalités sur son application Maps, afin de proposer un choix d’itinéraires permettant d’économiser le carburant». Quiconque a expérimenté Google Maps dans la vraie vie sait que les parcours longue distance recommandés ne sont pas toujours les plus économes, ni en nombre de kilomètres ni en consommation de carburants eu égard aux vitesses de circulation sur autoroutes.
Plus sérieusement, en matière de mobilité on voit émerger une nouvelle mesure à destination des entreprises, en complément des plans de mobilité à construire et des forfaits mobilité à proposer aux salariés : «La voie aérienne, exclusivement par ligne régulière, ne devra être utilisée que lorsque le temps de trajet par voie ferroviaire est supérieur à 4 heures pour un aller ou 6 heures aller-retour dans une même journée.» Tiens, au détour d’un paragraphe, assiste-t-on à la fois à un début d’interdiction des jets privés et à un nouveau contingentement du trafic aérien domestique en deçà des quatre heures? Pas vraiment: cette disposition fait partie des quinze actions de sobriété que «les organisations patronales et syndicales et l’ensemble des fédérations, s’engagent à proposer à l’ensemble des entreprises, y compris industrielles.» Rien de bien contraignant. Rappelons que le dispositif d’interdiction des vols aériens de moins de 2h30 quand existe une solution ferroviaire, n’est toujours pas blindé juridiquement deux ans après sa proclamation politique…
Les ministères et les boîtes de conseil ont bien travaillé pour recenser ces dizaines de préconisations. L’étape de la planification sera plus compliquée, car elle induira la notion d’investissements pérennes. C’est notamment le cas pour les offres de transport: va-t-on vraiment construire les fondements d’une mobilité partagée et décarbonée ?
Covoiturage, la nouvelle solution miraculeuse…
On a échappé in extremis au ridicule : une prime de 100 euros pour toute nouvelle inscription à une offre de covoiturage. Le ministre des Transports Clément Beaune, s’il considère que la réduction de l’autosolisme est une priorité pour réduire la circulation automobile, a compris que le covoiturage nécessitait bien davantage qu’un généreux billet pour se développer, notamment à l’échelon local. C’est donc dans les prochaines semaines qu’un plan d’ensemble devrait être annoncé – une «aide renforcée» (sic) sera mise en place au 1er janvier.
C’est tellement plus simple de faire joujou avec des primes et des ristournes que de construire des politiques de mobilité de long terme
Pour vraiment doper le covoiturage de proximité (et l’autopartage, à ne pas oublier), qu’il soit organisé par des opérateurs comme Blablacar ou sans intermédiaire professionnel (grâce à des boucles digitales créées par des usagers réguliers), l’usage de voies réservées et la création d’infrastructures de rencontres constituent des avantages considérés comme majeurs par les usagers de l’automobile. Mais la France est très en retard sur ces deux plans, si l’on excepte les aires de covoiturage créées par les collectivités locales, à proximité des péages d’autoroute ou des grands hubs.
Il était donc patent qu’une simple prime à l’inscription ne sera pas miraculeuse et n’échapperait probablement pas à l’effet d’aubaine. Quant à des dispositifs plus sophistiqués, de type fiscal, ils conduiraient probablement à des usines à gaz pour éviter les fraudes à grande échelle. Quoi qu’il en soit, ces encouragements, à rapprocher des primes à la casse ou à la conversion et des avantages fiscaux pour usage professionnel, sont privilégiés par Bercy qui les considère comme provisoires.
Disons-le de façon moins consensuelle : c’est tellement plus simple de faire joujou avec des primes et des ristournes que de construire des politiques de mobilité de long terme, avec des acteurs publics tous alignés : Etat, régions, intercommunalités. Le résultat de ces atermoiements à répétition et d’initiatives désordonnées depuis des décennies, ce sont des parts modales du transport public, du ferroviaire et du vélo bien plus faibles en France que chez nombre de nos voisins. Fermez la portière.
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PUBLICATION
Absentéisme, démissions : pourquoi ?
«Redonner du sens au travail – une aspiration révolutionnaire» *: une socio-économiste et un économiste et statisticien passent en revue les causes profondes du désamour au travail d’une partie des salariés contemporains. Instructif
On n’en finit plus de chercher les causes des pénuries de conducteurs de bus et de camions. A longueur de conférences de presse et de colloques, chacun y va de ses explications : ras-le-bol des horaires difficiles, faiblesse des salaires, lassitude post-Covid, jalousie par rapport aux télétravailleurs, manque de reconnaissance sociale… Mais au-delà de cette catégorie professionnelle, c’est une bonne partie des entreprises qui semblent touchées par une modification du rapport de leurs salariés au travail, quel que soit leur niveau de responsabilité, et qui peut aller jusqu’à la démission. Aux Etats-Unis, 4 à 5 millions de salariés démissionnent chaque mois depuis le printemps 2021…
Thoams Coutrot et Coralie Perez passent en revue le phénomène et surtout l’ensemble des causes qui peuvent l’expliquent : management par le chiffre, tâches anti-écologiques, perte de sens. L’inventaire est édifiant : des procédures et des contrôles qui se généralisent, des reportings qui alimentent la gouvernance par les nombres, le tourbillon de changements qui bousculent les repères professionnels, les dégâts de l’externalisation à outrance etc. Il résulte du pilotage quasi-exclusif par les chiffres une intensification et une fragmentation du travail qui provoquent «une spirale descendante d’engagement et de confiance.»
Ce livre est une analyse instructive, bien menée, plus large que la désormais célèbre dénonciation par David Graeber des «bullshit jobs». Elle débouche sur quelques pistes rédemptrices à l’égard desquelles on se montre plus réservé : on préfère la sociologie du constat à celle de la préconisation.
* Redonner du sens au travail, Thomas Coutrot et Coralie Perez, ed. Seuil, La République des idées, 156 p., 13,50 €.
NOUVEAUX OPERATEURS
Kevin Speed réclame des contrats cadres de longue durée avec SNCF Réseau
Le conseil d’orientation de l’opérateur ferroviaire à grande vitesse imaginé par Laurent Fourtune avance sur sa stratégie industrielle et demande au gouvernement et à SNCF Réseau de s’engager sur une disponibilité de capacité à trente ans – le temps d’amortissement des trains. Nos explications.
Mobilettre a déjà évoqué Kevin Speed et son ambition : proposer une desserte grande vitesse omnibus à haute intensité sur les LGV radiales. Son créateur Laurent Fourtune est désormais accompagné de Jihane Mahmoudi, spécialiste de la transformation digitale et du montage de projets complexes, et Claire Bonniol, spécialiste du marketing des services et de l’expérience. Soutenus par un advisory board pourvu de belles compétences et solides expériences, ils confirment aujourd’hui leur engagement à renouveler le modèle du transport ferroviaire interurbain par la mise au point d’une stratégie industrielle différenciante, qui nécessite un engagement des gestionnaires d’infrastructures.
L’absence d’interopérabilité des trains à grande vitesse à l’échelle européenne interdit tout financement en leasing
Le protocole d’exclusivité signé «avec un constructeur français majeur» définit les caractéristiques d’un train à 300 km/h, avec accélérations et freinages électriques rapides, à un seul niveau avec 14 portes par face, de manière à obtenir des rotations en gare les plus rapides possible. Bon, le nom de l’industriel n’est pas cité, mais on ne voit pas comment il ne pourrait pas commencer par A et se finir par M…
Problème relevé par Kevin Speed : l’absence d’interopérabilité de ces trains à l’échelle européenne interdit tout financement en leasing. Du coup, il devient impératif de rassurer les investisseurs en garantissant une disponibilité de capacités d’infrastructures sur trente ans, à savoir la durée d’amortissement des rames – quand elles ne sont pas mises au rebut prématurément par l’opérateur historique pour éviter la naissance d’un marché de l’occasion. Avantage principal de tels accords cadres de longue durée : des péages ferroviaires supplémentaires pour SNCF Réseau (estimés pour le seul Kevin Speed à 200 millions d’euros par an), et de façon plus générale pour l’Etat (et le régulateur), un encouragement à la croissance de l’offre et à la baisse des prix.
Comme tous les nouveaux opérateurs en cours de développement, Kevin Speed cherche à convaincre ses investisseurs de la solidité de son modèle, mais aussi à réduire la part de risques. Certes, ses études de marché valident le parti-pris innovant d’exploitation et de relation-client, mais on comprend aussi que les vicissitudes de la politique ferroviaire hexagonale l’incitent à obtenir des garanties de long terme sur la disponibilité et la capacité des infrastructures. L’Etat est-il prêt à s’engager sur une telle perspective?
Notre colloque de Bordeaux, organisé avec Le Train, tombe pile à l’heure…
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Le Programme
Colloque Le Train / Mobilettre, le 17 novembre à Bordeaux
Les nouveaux aventuriers du rail au rendez-vous de la transition écologique
Le Train et Mobilettre organisent une journée d’échanges à Bordeaux, le 17 novembre prochain, consacrée à l’arrivée des nouveaux opérateurs ferroviaires sur le réseau hexagonal. Elle aura lieu aux Chantiers de la Garonne, 21 parc des activités des Queyries, Port Bastide, 33100 Bordeaux (carte).
Accueil et café à partir de 9h15
Mot d’accueil Alain Gétraud (LE TRAIN) et Gilles Dansart (Mobilettre)
Introduction à 10 heures
Alain Rousset, Président de la Région Nouvelle-Aquitaine
Animation: Gilles Savary et Gilles Dansart
Grands témoins: Yves Crozet et Jacques Rapoport
1
10h30 Quelle place pour de nouveaux services ferroviaires en France?
Panorama et témoignages des expériences et des développements en cours. Qu’en pensent les collectivités territoriales et l’Europe? Vers une complémentarité des offres nouvelles, au bénéfice du voyageur?
- Avec Kristian Schmidt, Directeur des transports terrestres à la DG Move,
- Régions de France *
- Alix Lecadre, Directrice des offres et des métiers ferroviaires de Transdev
- Yann Leriche, Directeur général de Getlink
- Adrien Aumont, Cofondateur de Midnight Trains
- Alain Gétraud, Cofondateur et Directeur général LE TRAIN
Conclusion de la matinée par Jacques Rapoport.
12h30 Cocktail déjeunatoire
2
14 heures Les conditions essentielles au développement de nouveaux trafics voyageurs en France
Les projets en cours, les attentes matérielles et financières de porteurs de projets innovants, la présentation et l’analyse des conditions indispensables des lancements et des développements pérennes.
- SNCF Réseau *
- Hervé Le Caignec, Directeur général de Lisea
- Alexandra Debaisieux, Directrice générale déléguée de Railcoop
- Florence Rousse, Vice-présidente de l’ART
- La DGITM *
- Laurent Cebulski, Directeur général de l’EPSF
- Laurent Troger, Conseiller stratégique international dans la mobilité
* Noms des représentants à venir
Conclusion de l’après-midi par Yves Crozet.
16h Clôture
Inscription au Colloque de Bordeaux
Colloque Le Train / Mobilettre, le 17 novembre à partir de 9h30
BILLET
Millas, tragique évidence
Le procureur a requis cinq ans de prison dont quatre avec sursis à l’encontre de la conductrice du car scolaire qui avait percuté un TER, le 14 décembre 2017, faisant six morts parmi les enfants et 17 blessés dont huit grièvement. L’audience a confirmé les investigations : nulle fatalité, nulle défaillance technique, c’est une terrible erreur humaine dont l’évidence a rendu tragique le déni de la conductrice.
Procès douloureux et exemplaire, certes. Mais il faut aussi se souvenir de la façon dont les télévisions d’information en continu avaient traité le drame. Sur BFM TV, une incrédulité des présentateurs non pas devant un pronostic d’explication (c’était à l’enquête de déterminer les causes), mais au simple énoncé de l’hypothèse d’un franchissement interdit, au vu des statistiques générales des accidents sur passages à niveau.
Il fallait une défaillance technique et ferroviaire pour ne pas désespérer les millions de Français, en direct, renvoyés à la plus dramatique fragilité humaine. Cinq ans plus tard, tout le monde a oublié cette absence de prudence initiale. G. D.
SYNDICATS
Le mercato de l’Unsa
La mobilité des syndicalistes est assez rare pour être soulignée: l’Unsa – Transport et ferroviaire – vient d’enregistrer le deuxième transfuge d’un responsable de la CFDT. Rémi Aufrère-Privel avait rejoint l’Unsa ferroviaire avant l’été, après sa démission le 11 mai du bureau fédéral de la FGTE-CFDT. En cette rentrée de septembre, c’est au tour d’Alfred Rouaux, ex-secrétaire fédéral de la FGTE, de rejoindre l’Unsa Transports en tant que coordinateur international. Crise à la CFDT, nouvelle attractivité de l’Unsa?
AGENDA
La journée Fret ferroviaire du futur et OFP aura lieu le 23 novembre à Paris
«Comment passer d’une vision à dix ans à l’action d’aujourd’hui et de demain?» Comme ils nous y ont habitués, Jacques Chauvineau et André Thinières inscrivent très bien le programme de leur colloque annuel dans les problématiques du moment: surtout ne pas se contenter de projections généreuses, et bien au contraire aboutir à des réalisations concrètes, porteuses de solutions rapides pour des opérateurs de fret en mal de capacités et de ponctualité.
Les duettistes précisent leurs intentions: «Quatre ans après la LOM, seize mois après le plan 4F, quinze mois après la loi Climat et résilience, quatorze mois après la publication de la Stratégie nationale de développement du fret ferroviaire… et malheureusement huit mois après la signature d’un contrat Etat-SNCF Réseau qui ne tient aucun compte des orientations stratégiques décidées préalablement, comment en sortir par le haut?»
Les inscriptions sont ouvertes: http://www.journee-ofp.org/ Les débats animés par Emilie Soulez et Gilles Dansart (Mobilettre) auront lieu à l’Espace Saint-Martin, 199 bis rue Saint-Martin à Paris.