L’EVENEMENT
Castex à la RATP, le débrief
Un ex-Premier ministre mis en piste par le Président de la République pour diriger une grande entreprise publique, c’est inédit. La méthode choisie aussi… Trois jours après notre révélation exclusive, notre analyse d’une opération acrobatique, devenue absurde au regard de l’avis de la HATVP.
C’est stupéfiant comme une grande partie des élites de notre pays acceptent sans broncher les faits du Prince ; comment le Prince peut flirter en toute tranquillité avec les limites du droit, recaser ses fidèles et ridiculiser ministres, hauts fonctionnaires et autres obligés. Le parachutage de Jean Castex à la RATP est «rafraichisssant» (sic), a commenté Dominique Seux mardi matin dans sa chronique quotidienne sur France Inter. Quelle mansuétude à l’égard de l’entre-soi. Il faudrait gérer le public avec les règles du privé, mais en conservant prébendes et passe-droits octroyés par le suffrage. Les vrais-faux libéraux sont en train d’achever notre République.
Attention! Mobilettre ne succombe pas à une sorte de présomption d’incompétence bien illégitime, et n’est pas en train de juger a priori l’aptitude d’un ancien Premier ministre à diriger la RATP – cette appréciation relève d’une autre histoire. En revanche, les conditions de son éventuelle nomination (il faut attendre le verdict des commissions parlementaires) alimentent nos légitimes questions.
Imposé d’en haut, comme au temps des rois, de De Gaulle ou de Mitterrand: c’est définitivement anachronique
Commençons par la méthode : elle est injustifiable. Quelques fidèles essaient de nous convaincre de la légitimité du Président à être intervenu directement dans le processus de nomination, car «il n’y avait pas de candidat-e-s au-dessus du lot.» A supposer que cela fût vrai – et à notre humble avis, vu leurs pedigrees respectifs ça ne l’est pas -, l’argument ne résiste pas au calendrier: la short list n’était pas définitive samedi dernier quand Emmanuel Macron a reçu Jean Castex, et les auditions n’étaient pas achevées. Les dirigeantes du cabinet Jouve & Associés sont tombées du VIIIè arrondissement quand elles se sont vues notifiée la brusque inanité de leurs efforts… Et que dire des auditionné-e-s qui l’ont appris pour la plupart par Mobilettre (lire MobiAlerte 98).
En réalité, l’Elysée a voulu intervenir juste avant qu’il ne soit vraiment trop tard, et de façon à ne risquer aucune déconvenue. Car Jean Castex aurait pu tout à fait candidater au même titre que tous les autres, cela aurait d’ailleurs correspondu à l’image qu’il veut véhiculer, en prenant le métro comme un quidam, d’un citoyen comme les autres. Là, c’est le contraire qui se passe : imposé d’en haut, comme au temps des rois, de De Gaulle ou de Mitterrand. C’est définitivement anachronique, au regard de l’époque et des engagements initiaux d’Emmanuel Macron. On en oublie les bonnes raisons qui ont pu conduire Emmanuel Macron et Elisabeth Borne à envisager un tel scénario : nommer un homme chevronné pour ramener la paix sociale à la RATP, au début d’un deuxième quinquennat compliqué et à deux ans des Jeux Olympiques. Quel gâchis!
Trois heures après notre scoop, Le Figaro le confirmait par l’avis favorable de la HATVP
C’est bien connu, quand un pouvoir se livre à de telles pratiques, mieux vaut qu’il ne tarde pas à plier le match, de manière à éviter les polémiques publiques. La HATVP (Haute autorité pour la transparence de la vie publique) a donc été priée de rendre un avis express, quand le commun des mortels fonctionnaires doit attendre plusieurs semaines. «Regardez, le gendarme de la transparence n’y voit pas d’obstacle !»: trois heures après notre scoop (merci à tous ceux de nos confrères qui ont sourcé la reprise de notre information), Le Figaro le confirmait par un avis favorable de la HATVP.
Comme s’il fallait se contenter de l’adjectif favorable, comme s’il n’y avait pas des réserves substantielles dans ledit avis… On ne sait pas si Didier Migaud, le président de la HATVP, a été élève des Jésuites pour penser ainsi: «Je ne peux pas dire non frontalement au Président, mais je m’arrange pour rendre son hypothèse ineffective…» Toujours est-il que l’avis rendu recèle de telles conditions que leur application stricte (comment pourrait-il en être autrement si l’on respecte le droit ?) complique singulièrement l’exercice normal de la fonction de PDG de la RATP par Jean Castex. Jugez-en :
- des membres du Gouvernement en exercice qui l’étaient également lorsqu’il était Premier ministre ainsi que des membres de son cabinet qui occupent encore des fonctions publiques ; cette réserve vaut, pour chacune des personnes qu’elle vise, jusqu’à l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la cessation de la relation de travail entre Monsieur Castex et la personne concernée;
- des services qui étaient placés sous son autorité directe lorsqu’il était Premier ministre, jusqu’au 16 mai 2025.»
Bienvenue en absurdie… Comment imaginer que le PDG de la RATP ne puisse parler à ses trois principaux ministres de tutelle, Clément Beaune, Gabriel Attal et Bruno Le Maire, et a fortiori à Elisabeth Borne, et qu’en prévision des Jeux Olympiques tout échange avec Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, soit proscrit? Selon nos informations Jean Castex et l’Elysée bottent en touche et justifient déjà un dialogue unilatéral basé sur une lecture restrictive de la réserve sus-mentionnée : «Le ministre peut parler, mais Jean Castex restera silencieux… Le directeur de cabinet n’aura, lui, pas de restrictions.» Y a-t-il plus pathétique que l’absurdie?
Deux hypothèses sont sur la table: soit l’Elysée renonce à la candidature Castex et rentre dans le droit chemin – vu le caractère du locataire des lieux, on doute d’une soudaine humilité -, soit les parlementaires seront placés devant leurs propres responsabilités: nommer, ou pas, un PDG dont une partie majeure de l’action sera entravée par les réserves de la HATVP. Pourront-ils escamoter ce débat préalable ? Le CV et la personnalité du candidat Castex les en dissuaderont-ils?
Voilà où nous en sommes, en ce vendredi 21 octobre, de cet improglio créé par Emmanuel Macron et Elisabeth Borne. Un contexte juridique absurde, des candidats évincés brutalement, sans avoir été prévenus, et dont les noms commencent à sortir dans la presse au compte-gouttes, une entreprise RATP sidérée d’une telle situation, partagée entre la satisfaction d’hériter d’un puissant chef galonné et l’inquiétude devant son inexpérience en matière de management et de mass transit. L’urgence politique d’une paix sociale va-t-elle hypothéquer l’avenir de la RATP ? G. D.
INFRASTRUCTURES
En Maurienne, les camions de la discorde
Les travaux du Mont-Blanc détournent 3000 camions et voitures par jour vers la vallée de la Maurienne. Mais certains persistent à imaginer d’autres solutions que le Lyon-Turin…
1500 camions de plus par jour dans la cluse de Chambéry, la Combe de Savoie et la Maurienne et autant de véhicules légers pendant plusieurs mois chaque année en raison de la fermeture du tunnel du tunnel du Mont-Blanc pour travaux, ce n’est pas possible. Jusque-là on ne peut qu’être d’accord avec l’association «Vivre et Agir en Maurienne». Là où on ne suit plus, c’est que pour ce motif il faudrait relancer un report modal ferroviaire sur la ligne historique via le Mont-Cenis et tordre le cou au projet Lyon-Turin. S’y ajoute cette histoire d’eau selon laquelle le chantier assècherait les réserves hydrauliques de la Maurienne, et LFI et Jean-Luc Mélenchon s’emparent de l’affaire et vocifèrent contre la soi-disant « muraille de financement » à laquelle se heurterait le projet.
Quelques associations ne proposent d’autre solution que du bricolage
Un peu comme en leur temps les bonnets rouges s’étaient laissés manipuler par les grands groupes pour se révolter contre l’écotaxe et avaient laissé ainsi passer la chance de la Bretagne de développer une économie de transformation plutôt que d’exporter des produits bruts, quelques associations comme «Vivre et Agir en Maurienne», à juste titre consternées par cette dégradation des vallées, ne proposent d’autre solution que du bricolage.
La ligne historique est en effet déjà saturée et serait incapable d’absorber les tonnages prévus : 340 trains et 46 millions de tonnes transportables par le tunnel de base. Ce serait comme déverser un tonneau dans un entonnoir! Certes, c’est à échéance 2035, mais raison de plus pour cesser de perdre du temps. Cet impératif est bien perçu par les quelque 200 élus de Maurienne et Savoie et les syndicats qui ont signé une tribune transpartisane en soutien au projet Lyon-Turin; ils manifesteront samedi à Montmélian.
Où en est-on aujourd’hui de l’avancement politique du projet sur les accès, puisque c’est bien de cela dont il s’agit ? Le ministre des Transports Clément Beaune se dit plutôt favorable au projet de fret grand gabarit qui coûte certes un peu plus cher mais marque une ambition pour l’avenir (lire Mobitelex 376). Il a mandaté le préfet de région pour faire un tour de table financier d’ici la fin de l’année, ce qui n’avait pas été fait jusqu’ici. Les parties prenantes avaient seulement pris un engagement de principe. De quels montants parle-t-on ? Sur un total de 18 milliards d’euros à trouver pour les accès, l’Europe est prête à en financer 50%. Resteraient donc 9 milliards à partager entre l’Etat et les collectivités territoriales ce qui, sur une durée de 25 ans, ne ressemble pas à une muraille de financement. D’autant que les fonds ne seront pas appelés en même temps comme pour tout grand projet. Restera en revanche à choisir un phasage qui organise les priorités, le plus logique étant de commencer par le contournement est et le nœud lyonnais. Cela sera le rôle du COI, le Comité d’orientation des infrastructures – d’ici la fin de l’année aussi. Le respect de cette échéance est essentiel, d’abord parce que Bruxelles entend être rassurée sur les intentions françaises, mais aussi parce que la DUP (Déclaration d’Intérêt Publique) tombe en 2028 et que le Conseil d’Etat n’acceptera de la prolonger que s’il y a déjà quelques résultats tangibles. Et parce que vivre en Maurienne, c’est le Lyon-Turin le plus rapidement possible…
SOCIAL
Mobilisation moyenne dans les transports
Ce n’est pas un échec, mais ça n’a pas marché: l’appréciation aurait pu être portée par le Président Macron. Le mouvement de grève du mardi 18 octobre n’a en effet pas entièrement répondu aux attentes de la CGT qui voulait y voir un relais franc et massif des grèves dans les raffineries, pour demander des hausses de pouvoir d’achat et contester le recours aux réquisitions. Dans les transports, la mobilisation est restée globalement modeste, et n’a pas occasionné de perturbations importantes. A la SNCF, le chiffre global du GPF (groupe public ferroviaire) n’atteint pas 20% (19,6% exactement, soit «seulement» 2,5% de plus que le 29 septembre dernier).
Comment s’explique cette mobilisation très moyenne, et même très faible dans l’encadrement (4,4%)? Le mélange des causes n’est jamais très prisé par les salariés. Un seul mot d’ordre mobilisateur, c’est toujours plus efficace qu’une accumulation de revendications qui leur fait craindre une forme d’instrumentalisation politique – dimanche dernier les Insoumis appelaient à manifester dans la rue, la proximité des deux dates n’a pas forcément été un encouragement à la grève. En outre, un tel conflit un peu improvisé est apparu aventureux eu égard les augmentations obtenues en juillet dernier, avant la NAO de fin d’année, voire au service des syndicats les plus radicaux, à quelques semaines des élections professionnelles…
Cela dit, à regarder les statistiques dans le détail, les structures du groupe SNCF et les régions ne sont pas toutes logées à la même enseigne. SNCF Réseau dépasse les 20% de grévistes, avec les quarts sud-ouest et sud-est à presque 30%, tandis que les TER atteignent 23,6% (avec deux records pour Centre-Val-de-Loire et la région Sud à 29%). Ces chiffres confirment à la fois la passe très difficile du gestionnaire d’infrastructures, dont Matthieu Chabanel est officiellement le nouveau PDG depuis mercredi, et la crise latente dans plusieurs régions TER: pénurie de conducteurs, manque de rames, pression de la demande…
A la RATP, sans surprise le mot d’ordre a été peu suivi, hormis sur les RER et les bus. Une majorité de salariés semblent s’être réservés pour des mobilisations à venir, mieux planifiées, davantage «maison». Il faut savoir préparer une grève…
Le bon reportage du Monde
Nos confrères de la presse généraliste commencent à regarder de plus près le quotidien des usagers du transport public. Enfin! Il n’y a pas que les automobilistes à subir des retards et des embouteillages, des centaines de milliers de Français souffrent quotidiennement de rames saturées, de retards et d’annulations inopinées. Cela vaut bien quelques enquêtes… et que Mobilettre y fasse référence. Les pouvoirs publics seront-ils incités à changer leurs priorités?
Coup sur coup, lundi dernier, chacun dans son style, Libération en Ile-de-France et Le Monde en Hauts-de-France ont plongé dans la complexité du transport public et ferroviaire. Luc Bronner a passé des heures et des petits matins dans les trains du Nord et de la Picardie pour écouter usagers et cheminots, élus et dirigeants de la SNCF. C’est instructif et bien mené. Dans les deux cas on comprend un peu mieux un système à bout de souffle, où le jeu à trois entre l’Etat, qui continue à dicter sa loi économique par les subventions, la région, qui n’a pas encore assez de leviers à sa disposition, et la SNCF, qui ne s’en sort pas, ne fonctionne plus. Au grand dam des usagers.
. . .
DEBATS
La croissance du transport combiné change la donne
Ce n’est plus une question de prix… L’un des constats que l’on pouvait tirer à l’issue des débats de la Journée nationale du transport combiné, jeudi 20 octobre à Paris, a stupéfié plus d’un participant. Subitement, après des années consacrées à regretter l’insuffisante compétitivité du fret ferroviaire par rapport à la route, voilà que le prix n’apparaît plus prioritaire à la croissance du transport combiné! Les difficultés de la route (pénurie de chauffeurs, hausse du coût du gasoil) s’ajoutent à la préoccupation écologique qui s’impose aux chargeurs. Résultat, la part modale du fret ferroviaire est remontée à 10,7% en 2021 (à peu près comme en 2017), et le transport combiné a crû de 12% en 2021 en nombre d’UTI transportées, et même de 16% pour le rail/route!
Mais si l’on ne parle plus de prix, de quoi parle-t-on? Certes, du gestionnaire d’infrastructures qui peine toujours à délivrer une qualité de service suffisante et cafouille encore dans les plages-travaux, et d’un ministre qui n’a pas envoyé de message. Mais de façon très marquante, l’heure est surtout à la recherche d’exemplarités: Thomas Courtois, responsable Transport et logistique de Lesieur, qui témoigne de son bonheur à faire du rail/route, Matthias Védrines (Transports Alainé) qui piaffe de faire encore mieux que ses 20% de combiné dans sa division internationale. Et à côté de ces exemples, des solutions: les CEE, le programme Remove de l’Ademe, la nouvelle politique de terminaux de SNCF Réseau, pas opposé à faciliter l’investissement privé dans les opérations d’entretien et de renouvellement via des conventions d’occupations au-delà de cinq ans. Une petite révolution…
Pour autant le président du GNTC Ivan Stempezynski n’oublie pas de formuler un certain nombre de demandes aux pouvoirs publics, invités à concrétiser sans tarder les 72 mesures de la stratégie nationale de fret ferroviaire. Mais en faisant résolument le pari d’un accompagnement de la croissance de l’offre au service du report modal, les professionnels du transport combiné entendent bien tourner la page des années de disette. L’appétit vient en avançant.