TRIBUNE
«Un autre Grand Paris est possible»
Par Nicolas Samsoen, maire de Massy
Il y a dix ans, le Gouvernement a voulu doter le Grand Paris d’une gouvernance ad hoc en créant la « Métropole du Grand Paris » (MGP) et de grandes structures intercommunales. L’intention était juste : le Grand Paris a besoin d’institutions adaptées à sa réalité métropolitaine. Et pourtant, l’échec est flagrant.
Depuis des décennies s’entend la même rengaine : « commune, département, région, il faut supprimer une couche » ; en Ile-de-France… on en a ajouté deux !
Il y a donc aujourd’hui cinq strates : commune, intercommunalité, département, MGP, région, voire six tant l’Etat est présent. Lorsque pour chaque grand sujet, il faut mettre d’accord six acteurs, le système se grippe inexorablement.
En sciences physiques pour « un système de corps ayant entre eux plus de liaisons qu’il peut en exister entre solides indéformables », on parle de système hyperstatique. « Hyper-statique » : pris au pied de la lettre, ce mot me semble bien décrire la réalité francilienne.
Alors j’en suis convaincu : un autre Grand Paris est possible ! Et redéfinir une gouvernance efficace est une question d’intérêt national et une question urgente avant que les nouvelles strates ne soient calcifiées.
Car on a commis une faute cardinale : on a défini une organisation sans dire pour quoi faire. Or, les enjeux sont immenses :
Le système de transports en commun francilien est à la fois d’une puissance remarquable et d’une grande fragilité. Et nous avons devant nous une immense impasse financière que nous devrons bien traiter collectivement, le débat ouvert à raison par la Région et l’Etat sur leur financement l’a clairement posé.
Alors que le mal logement est une réalité terriblement prégnante en Ile-de-France, on a empilé les « schémas »… et on a grippé la construction. Simultanément, les inégalités territoriales se creusent et les logiques de ségrégation portent en elles des tensions redoutables.
On n’a pas traité le rapport entre Paris et sa banlieue : aujourd’hui rien ne pousse à l’ombre de la ville lumière ! Pourquoi dans le match Paris-Londres, le PSG est-il si seul face à Chelsea, Arsenal, Tottenham… Pourquoi plus de 90% des restaurants étoilés franciliens sont-ils parisiens, faisant de la banlieue un désert gastronomique ? Pourquoi l’Etat concentre-t-il à ce point ses dépenses culturelles à l’intérieur du périphérique ?
L’hyperconcentration est la grande faiblesse de l’Ile-de-France ; en termes d’équité et même d’efficacité : aucune des grandes métropoles mondiales avec lesquelles Paris est en compétition n’est à ce point concentrée. L’organisation du Grand Paris à laquelle je crois doit donner à la banlieue la chance de se développer vraiment.
Il faut, je crois, repartir de la commune
La commune, c’est la « petite République dans la grande », c’est le lieu de la proximité et de la légitimité démocratique la plus forte. Et les communes franciliennes sont fortes. Hors de la très grande couronne où une structuration intercommunale intégrée est nécessaire, l’émiettement communal français avec ses 36 000 communes n’est pas une réalité francilienne ; dans la zone dense où vivent 90% des franciliens, les communes comptent en moyenne 25.000 habitants.
Bien sûr, les communes doivent coopérer entre elles. Depuis plus d’un siècle, elles ont su créer des syndicats intercommunaux pour l’eau, les déchets, l’énergie, avec des coopérations adaptées à chaque sujet. Mais en passant de coopérations intercommunales à la carte, fondées sur des besoins, à des intercommunalités institutionnelles aux périmètres artificiels en l’absence de ville-centre – car la seule ville-centre, c’est Paris ! – on a étouffé les communes. Il faut réinterroger l’intercommunalité « politique » en Ile-de-France et retrouver des coopérations techniques, plus souples et plus efficaces parce que librement consenties. C’est ce que suggère le récent manifeste de l’Association des Maires d’Ile-de-France.
Symétriquement, les sujets stratégiques, transports, aménagement du territoire, transition écologique, enseignement supérieur… doivent être traités à l’échelon le plus large. La question du périmètre est essentielle. Celui de la MGP est trop restreint : comment être un acteur stratégique sans prendre en compte les RER dont aucun ne s’arrête en petite couronne, Roissy, le château de Versailles, le pôle d’enseignement et de recherche de Saclay ou Eurodisney ?
La seule solution c’est de fusionner Région et MGP, pour créer une Métropole régionale ou une Région métropolitaine, qu’importe… Elle doit être l’interlocutrice privilégiée de l’État et l’outil d’attractivité de Paris dans sa compétition avec les métropoles mondiales.
Entre la Métropole régionale et les Communes, un – et un seul ! – échelon est nécessaire
Cet acteur, à mes yeux, c’est le Département. Réunissant chacun entre 1 et 1,5 millions d’habitants, les Départements franciliens ont la puissance nécessaire tout en restant des acteurs de proximité. Du haut de leurs 70 ans, ils sont des institutions, et l’identité départementale est inscrite dans l’imaginaire collectif. Le couple historique Département-Commune permet d’allier puissance et proximité. Et en lien avec la Région, les Départements doivent être les acteurs opérationnels qui mettent en œuvre les politiques élaborées au niveau métropolitain.
L’organisation actuelle des transports, sujet métropolitain par excellence, préfigure bien cette organisation. Ile-de-France Mobilités qui réunit déjà Région et Départements pour les transports en commun, doit devenir une véritable agence des mobilités, incluant la gestion de la route, dont la stratégie serait définie au niveau régional et mise en œuvre au niveau départemental.
Emerge alors une gouvernance radicalement simplifiée : des Communes libres dans leurs projets et libres de coopérer ; des Départements acteurs opérationnels puissants, en lien avec les Communes pour les projets concrets, en lien avec la Métropole régionale pour la stratégie ; une Métropole régionale concentrée sur les questions stratégiques et libérée des questions de proximité. J’insiste sur « radicalement » simplifiée car des « petits pas » n’aboutiraient qu’à complexifier encore le mille-feuille francilien
Pour être complète, cette simplification radicale nécessite de réfléchir au mode de scrutin, en rapprochant l’élection des conseils départementaux et de la métropole, en conciliant représentativité des maires, suffrage universel assurant la légitimité de la présidence de la métropole régionale et prise en compte de la spécificité de Paris.
Il faudra surtout parler argent
L’Ile-de-France, globalement, est riche et peut autofinancer son développement, ses transports et sa transition. Mais cela suppose un préalable incontournable : remettre à plat le système actuel, issu d’un empilement illisible de péréquations et d’un double dessaisissement des communes au profit des intercommunalités puis de la MGP. Pour le dire encore plus clairement, l’argent aujourd’hui capté par des intercommunalités artificielles et par la métropole, devrait pour partie retourner aux communes, pour partie revenir à la région métropolitaine pour des sujets vraiment métropolitains, à commencer par les transports.
Ces débats doivent avoir lieu. Nous disposons d’une occasion unique : des Communes à l’Etat, des Départements à la Région, aucun renouvellement démocratique n’est prévu avant 2026. Sachons utiliser cette parenthèse électorale pour définir ensemble une gouvernance durable et efficace du Grand Paris ; la France a tout à y gagner !