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La multimodalité, je l’adore!
Ça claque moins que «la bagnole, je l’adore», certes, mais ce serait plus utile. A vouloir faire peuple, le Président de la République est tombé dans la condescendance et roule à contresens.
Je ne vais pas vous détailler les itinéraires de ma vie mais ils m’ont conduit à me rendre cette semaine au Congrès des Régions de France à Saint-Malo, pour parler du ferroviaire, en… voiture. N’y voyez pas une nouvelle déclaration d’amour à la «bagnole», après celle d’Emmanuel Macron dimanche dernier; mes pratiques sont définitivement œcuméniques et multimodales ! «La multimodalité, je l’adore!» Mais j’avais presque envie de pousser le bouchon en faisant une halte sur le retour à Bagnoles-sur-Orne…
Sérieusement, un Président ne devrait pas utiliser un tel argot. A vouloir faire peuple, après le traumatisme Gilets jaunes, on tombe dans la condescendance.
Le triste héritier de Pompidou roule à contresens
Emmanuel Macron en est encore là, en 2023, à glorifier vulgairement la voiture quand il s’agit d’en réduire l’usage. On ne lui demande d’ailleurs pas non plus de la diaboliser – la plupart des enquêtes montrent que la contrainte morale est contreproductive – mais de favoriser des offres de mobilité multimodales et décarbonées en quantité et en qualité qui inciteront les Français à modifier leurs comportements, chacun selon sa situation.
En continuant à privilégier le mode et la possession plutôt que l’usage, le Président est le triste héritier de Pompidou et roule à contresens. Il va falloir des décennies pour désadapter la ville à la voiture, réparer les fractures urbanistiques dans les faubourgs et les banlieues, stopper la course aux infrastructures, afin de retrouver une meilleure qualité de vie et d’air.
Les Français sont de plus en plus nombreux à solliciter une meilleure offre de transport public et ferroviaire, à faire plus de vélo et de marche à pied, à réduire leurs déplacements automobiles, à composer leurs propres parcours multimodaux. Emmanuel Macron ne les écoute guère et se contente d’afficher depuis un an des RER métropolitains qui ne sont que des cache-misère. Pour l’instant, la politique malthusienne de son gouvernement sans majorité absolue est à côté de l’Histoire, puisqu’à une politique systémique de long terme on substitue des bricolages et de la com. «Arrêter ce flot de paroles et bosser!», ont appelé Carole Delga et Loïg Chesnais-Girard à Saint-Malo. Quatre ans, ça va être long. G. D.
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CONGRES DES REGIONS
A Saint-Malo, un dialogue sur le fil pour le fer
Les présidents de région et le ministre Clément Beaune se sont parlé. Un Pass Rail, pourquoi pas, mais la priorité est au choc d’offre. Ira-t-on jusqu’à une part d’autonomie fiscale ?
De gauche à droite mercredi à Saint-Malo, Xavier Bertrand, Marie-Guite Dufay, François Bonneau, Renaud Muselier, Carole Delga, Clément Beaune, Franck Leroy, Loïg Chesnais-Girard, Christelle Morançais, Laurent Wauquiez
Photo G. D.
Les présidentes et présidents de région sont des gens bien élevés – vu les ambitions nationales d’une bonne partie d’entre eux, c’est bien normal qu’ils fassent la part des choses publiquement. Pas question de braquer un ministre qui a la main sur les négociations des CPER (contrats de plan Etat-Région). Alors quand Carole Delga, présidente de Régions de France, s’est présentée devant la presse avec la plupart d’entre eux aux côtés de Clément Beaune, mercredi soir à Saint-Malo, à l’issue d’une réunion de presque deux heures, elle a minoré les divergences avec un pouvoir exécutif dont l’agenda ne coïncide pas vraiment avec le leur. On va vous raconter tout ça.
Clément Beaune voulait surtout parler Pass Rail après la sortie du Président de la République qui a repris sa propre initiative, sur HugoDécrypte le 5 septembre. Mais de la part des élus, il a d’abord entendu «offre et investissement, financement et qualité de service». «Nous travaillons à la nécessité absolue d’avoir des trains à l’heure», a insisté Carole Delga, inquiète de constater que la croissance de l’offre ne se heurte pas seulement à des questions financières : l’appareil de production, du réseau aux organisations, n’est pas adapté au choc d’offre. Les difficultés du REM de Strasbourg en sont un révélateur en temps réel : les 1000 trains envisagés ne sont pas du tout accessibles à court terme, il va aussi falloir un choc technique et culturel.
Le ministre a entendu : «Notre mission est commune : construire une offre attractive.»
Le ministre, tout aussi poli et lucide politiquement, a compris qu’il ne lui fallait pas passer en force : «Le choc d’offre est essentiel. Il faut envisager les financements dans la durée. Notre mission est commune : construire une offre attractive.» La perspective d’Assises des mobilités ferroviaires, évoquées par Carole Delga, n’a pourtant pas été reprise le lendemain par la Première ministre Elisabeth Borne, qui n’a strictement rien dit pendant que son chef, plus au sud, ouvrait à Ajaccio la porte à l’autonomie de la Corse.
L’Histoire s’accélérerait-elle ? Et si la solution à la crise de l’offre passait par une nouvelle dose… d’autonomie des régions, en l’occurrence fiscale ? Pourquoi pas une part de Versement Mobilité ? «Je n’ai jamais demandé à bénéficier d’une part de VM au détriment des collectivités urbaines», a tout de suite précisé Carole Delga, pour éteindre toute guerre entre collectivités. Surtout, le contexte politique, avec un pouvoir exécutif sans majorité absolue, rend improbable tout big bang fiscal. A moins que la porte ouverte en Corse chamboule tout ?
Et le Pass Rail ? En privé les élus régionaux sont un brin goguenards : «Si l’Etat veut financer un Pass interrégional, pas de problème pour nous, mais ce sont surtout les Intercités qui vont être bousculés par un choc des tarifications !» Publiquement, la porte n’est pas fermée… «à condition que l’Ile-de-France soit intégrée», ont clamé toutes les régions, notamment les limitrophes. Valérie Pécresse, tout juste tirée d’affaire sur ses ressources d’exploitation (lire ci-dessous) ayant jugé «radicalement impossible un Pass Rail à 49 euros», l’affaire s’annonce compliquée.
Faut-il passer à 59 euros, voire davantage, au regard de la prochaine adaptation du tarif en Allemagne ? Limiter le dispositif voulu par le Président et le ministre pour l’été prochain à une offre Jeune ? Cette dernière option semble la plus probable, même si le casse-tête comptable et financier est en vue. «Si les Intercités sont intégrés au Pass, alors l’opérateur SNCF demandera une compensation», se délecte un conseiller transport – selon nos informations, la DGITM autorité organisatrice des Intercités n’aurait guère apprécié d’être mise devant le fait accompli d’un Pass Rail TER/Intercités. On a aussi relevé la précision du président de la région Bretagne, Loïg Chesnais-Girard : certaines dessertes terminales du TGV sont intégrées à la tarification TER. Il va falloir tout mettre à plat… en quelques mois ?
On résume les lignes rouges : ne pas déstabiliser le modèle économique d’Ile-de-France Mobilités, ne pas créer l’été prochain un afflux de voyageurs alors que l’offre disponible ne serait pas suffisante (en Allemagne l’offre trains régionaux + trains classique longue distance est quatre fois supérieure à l’offre hexagonale), ne pas inverser l’ordre des priorités (l’offre avant la tarification), ne pas perturber le fragile équilibre Intercités : on parierait en cette fin septembre que le Pass Rail 2024 ne sera pas la révolution espérée par le Président et son ministre, mais ressemblera à une offre attractive pour les jeunes.
En Ile-de-France, un accord consensuel pour l’avenir
Tout le monde accepte de contribuer à l’effort de sécurisation des finances d’Ile-de-France Mobilités. Mais un dossier chaud en cache un autre : place aux JO…
Valérie Pécresse n’était pas à Saint-Malo mais elle a fait des envieux. En signant mardi dernier avec Clément Beaune un protocole d’accord sur le financement pérenne d’Ile-de-France Mobilités, elle s’épargne très probablement de nouvelles polémiques sur la part usager du Pass Navigo. Même son opposition communiste, pourtant prompte à agiter les pires spectres, est apparue un peu désarçonnée par la sortie de crise.
Car la réussite du dispositif, comme Mobilettre l’avait annoncé vendredi dernier en exclusivité (lire Mobitelex 426) est fondée sur un principe simple : tout le monde est appelé à contribuer. Les entreprises avec une hausse du Versement Mobilité, les touristes avec une hausse de la taxe de séjour, la Société du Grand Paris avec une baisse de sa ponction, les collectivités avec une hausse de leur contribution à «inflation + 2%», et les usagers avec une hausse du Pass Navigo limitée à l’inflation. Même la Ville de Paris, pourtant peu encline à l’effort commun, a accepté le deal, au demeurant assez insensible pour ses finances – 20 millions d’euros en plus par an, c’est bien moins douloureux qu’un plaquage de Grégory Alldritt.
Un bon accord, donc, qui sécurise le budget d’exploitation d’IDFM pour les prochaines années, alors que vont se multiplier les ouvertures et les prolongements de lignes. C’est la réussite d’une stratégie de négociation audacieuse : Valérie Pécresse n’a pas hésité à jouer sur la corde sensible des Jeux Olympiques. Mardi dernier, c’était aussi en conseil d’administration d’IDFM le vote des renforts d’offres l’été prochain, sans lesquels les opérateurs RATP et SNCF ne pouvaient déclencher les grandes opérations en interne. Il fallait un accord.
Après une année de bataille sur les ressources financières, consécutive à la crise ouverte du Pass Navigo en automne dernier, on va désormais basculer dans un autre suspense, lié aux négociations sociales pour les services pendant les JO. Jean Castex a unilatéralement ouvert la boîte à primes en accordant cet été 100 euros à chaque salarié de la RATP sollicité pour les quelques dessertes du Stade de France pendant la Coupe du Monde de rugby, au-delà des dispositifs existants depuis 25 ans. IDFM et Transilien en ont eu le souffle coupé. Avec une telle entrée généreuse en mêlée, les JO vont coûter cher…
DOCUMENT
TGV : envoyés à la casse avant trente ans !
Mobilettre a récupéré le tableau complet du parc TGV avec l’indication précieuse qui nous manquait : l’âge des rames radiées, rame par rame. Ci-dessus, l’une des pages consacrées aux rames TGV Atlantique. Le numéro de la rame en première colloque, puis le numéro de motrice, la date de mise en service et la date de radiation.
Comme nous l’avions déjà signalé de manière générale, à partir du milieu des années 2010 la SNCF radie de nombreuses rames bien en-dessous des trente ans de circulation. Voici des éléments plus précis. Pour les TGV Réseau, on a trouvé une rame radiée à 22 ans (n° 546), deux à 23 ans (534 et 539) et une à 24 ans! Pour les TGV Atlantique, on a décompté 10 rames en-dessous de 27 ans, douze à 27 ans, presqu’une trentaine à 28 ans.
Une telle politique pose problème. Les TGV étaient construits pour durer jusqu’à 40 ans. On peut admettre que le nombre kilomètres parcourus, s’il est supérieur aux prévisions, modifie la donne. De là à radier à 25 ans, il y a un pas que les gardiens du temple des finances publiques ont franchi allègrement et qui ne nous apparaît pas en ligne avec, disons-le ainsi, la rigueur habituellement affichée à Bercy en matière de gestion des actifs publics.
Surtout, on frémit à l’idée que la purge aurait continué si le conseil d’administration de SNCF Voyageurs n’avait pas stoppé les radiations des TGV A en juin 2019 (45 rames épargnées). Vu l’extrême tension sur l’offre depuis la sortie de la pandémie, la trajectoire de production aurait été encore plus intenable. On rappelle que le rythme de livraison des TGV M est seulement de une par mois à partir de 2025, si tout va bien.
Le programme Botox coûtera quelques centaines de millions d’euros pour prolonger au-delà de 40 ans certaines rames. A comparer au coût des radiations anticipées que nous venons d’évoquer.
«On ne pouvait pas savoir que la reprise serait si forte», nous dit-on. On pense surtout que les comptables ont profité de l’occasion pour nettoyer les comptes de la SNCF, au mépris d’élémentaires prudences stratégiques. Les rebonds post-crises sont en effet de plus en plus rapides. La preuve, Air France a su s’y préparer; pas l’Etat ni la SNCF.
COLLOQUE
Décarboner les transports, à Paris le 16 octobre
Alors que plusieurs gouvernements européens semblent hésitants sur leurs engagements écologiques, le secteur de la mobilité poursuit sa mobilisation en faveur de la décarbonation. Dix jours après le Forum Décarbonation organisé le 5 octobre par la SNCF et la FIF (Fédération des industries ferroviaires), auquel nous vous avons convié (lire Mobitelex 426), un nouveau colloque aura lieu le 16 octobre, cette fois-ci à l’initiative de Vinci avec La Fabrique de la Cité et l’Ecole des Ponts.