Mobitelex 455 – 28 juin 2024

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Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

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En suspension 

Même s’il y a ce dimanche un premier tour des élections législatives qui influera sur les dynamiques de report de voix, la France est d’ores et déjà suspendue à la composition de la future Assemblée nationale au soir du 7 juillet. Majorité absolue pour le RN ou pas ? Malgré une campagne très courte, les lacunes et la dangerosité du programme du parti d’extrême-droite, et son impréparation à gouverner, sont apparues au grand jour.

«Il n’y a qu’eux qu’on n’a pas essayé», se défendent les nouveaux convertis d’une offre politique opportuniste et masquée. Mais avez-vous essayé de boire de l’alcool à bruler ? Mieux vaut éviter.

De façon assez pathétique les sortants ont voulu rappeler cette semaine qu’il ne fallait pas oublier tout ce qui se fait de bien dans notre République. C’est indubitable, et l’accumulation des mises en service qui vont changer la vie des gens au quotidien en atteste (lire ci-dessous). Mais l’expression du suffrage universel ne ressort pas d’une science exacte. En l’occurrence, elle se nourrit d’une accumulation de critiques, frustrations et déceptions qui n’ont reçu que des réponses insuffisantes, ou partielles, sur la forme et sur le fond, depuis trop longtemps. L’accroissement spectaculaire des inégalités et la projection indécente des richesses par la bulle du spectacle permanent attisent les ressentiments.

L’hypothèse d’un gouvernement «technique», qui gèrerait les affaires courantes, pourrait donner le temps aux partis politiques de construire des coalitions solides et cohérentes, aptes à gouverner. En tout état de cause l’affaiblissement, puis la disparition complète du «nuage macroniste», en seront des accélérateurs.

Tout sera alors permis. Comme le chante une interprète à succès du moment, «il fait toujours beau au-dessus des nuages». Mais il serait quand même préférable de s’épargner une tempête. La symphonie des éclairs est rarement fantastique. G. D.

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DERNIERE HEURE

Transdev gagne les trams de Melbourne

Au terme d’un très long suspense, l’Etat de Victoria a annoncé ce vendredi (il faisait nuit en France) qu’il avait décidé de confier au consortium Transdev/John Holland l’exploitation du réseau de trams de Melbourne pour neuf ans, et pour 6,8 milliards de dollars.

Les Yarra Trams, c’est le plus gros réseau de trams au monde : 500 trams, 1 600 arrêts, 24 lignes, 250 kilomètres de voies doubles… et 147 millions de voyageurs par an. C’est donc à la fois un enjeu financier considérable, un défi industriel et managérial, une vitrine exceptionnelle.

Transdev réussit donc son retour, vingt ans après avoir été écarté au profit de… Keolis, le sortant, qu’il a donc battu au terme d’un long suspense. Les rumeurs allaient bon train depuis quelques semaines mais l’autorité organisatrice n’a pas dévié de son scénario d’attribution officielle, avec des candidats convoqués le jour J, qui apprennent en dix minutes qu’ils ont gagné ou perdu.

Pour Thierry Mallet, PDG de Transdev, son directeur des activités internationales Antoine Colas et leurs équipes, c’est une victoire majeure qui valide une stratégie de développement prioritaire à l’international et récompense une méthode de réponse aux appels d’offres XXL.

Il faudra prendre le temps d’analyser les offres pour comprendre ce qui a fait la différence entre trois consortiums très compétents. Mais d’ores et déjà, c’est pour Keolis un échec significatif, en Australie dont il avait fait une terre de conquête majeure depuis vingt ans. Ce pays passe pour l’un des plus matures en termes de concurrence des exploitations de transport urbain. L’attribution du jour à Transdev confirme que l’examen des offres exclut bien davantage qu’en France les dimensions quasi affectives liées à l’investissement de l’exploitant sortant.


METROPOLES

Les SERM, labellisation express

Patrice Vergriete a tenu, avant de quitter le ministère des Transports, à labelliser 15 projets de Services Express Régionaux Métropolitains (SERM) cette semaine, et une dizaine la semaine prochaine. Pour le financement, on en est encore aux travaux préparatoires et aux hypothèses.

Bordeaux, Chambéry, Clermont-Ferrand, Grenoble, Lille, Lyon, Montpellier, Mulhouse, Nantes, Rouen, Saint-Etienne, Strasbourg, Toulouse et Tours : voici les quinze métropoles dont les projets de SERM sont désormais labellisés par l’Etat. Dix autres * devraient suivre la prochaine, entre les deux tours.

Cette labellisation de groupe est due au calendrier politique – Patrice Vergriete aurait probablement souhaité se rendre dans chaque ville annoncer la bonne nouvelle. Mais voilà, le grand chef ayant décidé de dissoudre, les ministres ont été contraints de choisir : ne plus rien faire ou laisser une petite trace. Le bientôt éphémère ministre des Transports, qui avait réservé sa première grande opération publique au colloque du Gart et de Bordeaux Métropole sur les SERM, le 13 mars dans la capitale girondine, tenait beaucoup à ces projets, pour lesquels il avait reçu tant d’élus locaux. Il a donc demandé à son administration d’accélérer l’examen des dossiers, et de vérifier la complétude de la première phase : périmètre du SERM, signature de tous les acteurs locaux, élaboration de la conception d’ensemble, esquisse de financement.

Une sorte de mode dégradé du concept natif de SERM, devenu de fait une pompe à financement

Cette première liste, et encore davantage la deuxième, confirme la conception désormais extensive de la notion de SERM, telle que définie initialement par le Président de la République. Si certaines villes sont des métropoles légitimes à structurer une croissance d’offre conséquente autour d’une armature de mode lourd (Bordeaux, Lille, Lyon etc), d’autres ressortent d’une catégorie plus modeste, à savoir le développement de l’offre bus, améliorée et cadencée. Une sorte de mode dégradé du concept natif de SERM, devenu de fait une pompe à financement pour des agglomérations convaincues que l’amélioration de leurs systèmes de mobilité est un impératif économique et social.

Le financement, justement, où en est-on ? La loi du 27 décembre 2023 prévoyait une conférence de financement avant le 30 juin : elle ne s’est pas tenue, et ce n’est pas, pour le coup, à cause de la dissolution. Il semble que le ministre Vergriete ait souhaité la reporter à l’automne, le temps de labelliser (CQFD) et de préparer le terrain. Selon nos informations, une mission commune IGEDD/IGF est en cours de constitution pour expertiser la question.

Du point de vue des investissements, il y aurait divergence au sein du ministère des Transports entre les tenants d’une sorte de Société de Projet nationale, sur le modèle de la SGP, abondée par des taxes affectées, et les partisans du recours à l’outil CPER. Dans la première hypothèse, on voit d’ici la difficulté à constituer les assiettes fiscales : les bureaux de Clermont-Ferrand n’ont pas la même attractivité contributive que ceux de l’Ile-de-France. Et à Bordeaux, on fait payer les communes à la fois pour GPSO et pour le SERM ? En tout état de cause, la mission d’évaluation ne sera pas superflue pour remettre de l’ordre dans l’auberge espagnole qu’est un peu devenue la maison SERM.

S’agissant des ressources de fonctionnement, le conflit est d’ores et déjà bien ouvert avec Bercy, qui ne veut pas entendre parler d’un déplafonnement général du Versement Mobilité sur le modèle d’IDFM. Selon nos informations, le ministre Vergriete imaginait un dispositif souple à même de ne pas heurter frontalement ses collègues argentiers : une sorte de comité des partenaires locaux donnerait un avis sur un dossier de déplafonnement qui spécifierait le périmètre, l’objet, les taux etc. De fait, les patrons locaux sont souvent plus pragmatiques que le Medef national.

La suite de l’échéancier SERM dépend du futur gouvernement. Le Rassemblement National ne cache pas sa tiédeur face aux investissements ferroviaires (sachant pourtant que les SERM sont œcuméniques). Un gouvernement technique pourrait-il compter sur une majorité d’appuis à l’Assemblée sur ce sujet ? Quand il s’agit de distribuer, les accords semblent soudain plus faciles à obtenir.

* Une petite dizaine de projets supplémentaires devraient être labellisés la semaine prochaine, parmi lesquels Avignon, Marseille, Nice, Orléans, Toulon, les projets Basco-landais, Côte d’opale et franco-suisse.


INAUGURATIONS

La grande semaine des gares

Saint-Denis-Pleyel, Paris gare du Nord, Lyon-Part-Dieu : le calendrier politique a perturbé des inaugurations de projets pourtant exemplaires.

Rassurez-vous, ce n’est pas le soleil tout d’un coup de retour qui a tapé sur le crâne de Mobilettre cette semaine, à le faire succomber à des louanges sans nuages… Lundi à Saint-Denis-Pleyel, mardi à la Gare du Nord et à La Part-Dieu, la qualité des projets menés s’est imposée d’elle-même. Monter en épingle quelques scories, à ce stade, serait aussi dérisoire que chercher une faute de goût dans la carrière d’Anouk Aimé.

Lundi 24 juin, gare Saint-Denis Pleyel, à midi, c’était l’heure des rictus pour Jean Castex, Emmanuel Macron, Nicolas Sarkozy et Amélie Oudéa-Castéra. C’est pas simple l’avenir. © DR


Cela dit, si lors de la première l’inauguration de la semaine, à la fois de la gare Saint-Denis-Pleyel et des prolongements de la ligne 14, il y eut une fausse note, elle ne tient pas au bâtiment lui-même, superbement conçu par l’architecte japonais Kuma et réalisé par les équipes sous maîtrise d’ouvrage SGP, mais à la cérémonie elle-même. Le barnum, le timing et le programme annonçaient un grand spectacle avec le Président Macron en guest star ; les invités, presse comprise, ont eu le droit après deux longues heures d’attente en plein soleil à trois phrases dudit Président, qui renonça in extremis à disserter, et à un dévoilement bleu-blanc-rouge de l’entrée de la gare à deux tiers camouflé par une estrade lourdingue sur laquelle se sont agglutinés les officiels. Il aurait fallu faire léger, à l’image du bâtiment vedette ; ce fut lourd et protocolaire.

Ce pschitt inaugural ne doit pas occulter la formidable impression dégagée par l’ouvrage, de par ses volumes, ses matériaux, la circulation de la lumière… Quand les 108 Vénus dionysiennes de la sculptrice Prune Nourry seront déployées dans l’atrium, l’impression d’élégance n’en sera que renforcée. Encore plus étonnante, la complémentarité avec le FUP (franchissement urbain Pleyel) en direction du RER D. Comme un symbole, c’est là qu’on a rencontré la première usagère à expérimenter la correspondance L14/RER D, «pour son travail» : heureuse de voir son quotidien si bien amélioré.

On oublie presque que les quais sont situés à 28 mètres de profondeur, et qu’il y aura beaucoup de monde à terme (250 000 voyageurs/jour), quand toutes les lignes seront mises en service. Keolis exploite d’ores et déjà la gare, dont les deux étages supérieurs (restaurant, pépinière de start up) ne seront opérationnels que dans deux ans. On vous recommande d’ores et déjà la vue sur Paris et le Sacré-Cœur, comme une sorte d’allégorie d’un Paris enfin augmenté.

La nouvelle éco-station bus de la gare du Nord, et à gauche un parking sécurisé de 1 186 vélos : on respire un peu mieux sur cette façade est, reliée aux espaces ferroviaires par de nouveaux accès. © DR


Le lendemain, c’était forcément plus détendu à la gare du Nord. La sobriété de la visite par la formidable cheffe de projet Hélène Marbach et la lisibilité des aménagements ont prévalu. Au demeurant, lors de leurs discours, aussi bien Jean-Pierre Farandou que David Belliard et Valérie Pécresse (le ministre Vergriete était réduit au silence, période de réserve oblige) ont relevé les bénéfices voyageurs : accès simplifié aux bus, meilleure circulation piéton, garage sécurisé des vélos, clarification des halls et refonte de la signalétique, espaces d’attente etc. Pour la pose-dépose des taxis, il faudra voir à l’usage – c’est surtout le plan de circulation routière aux abords de la gare qui pourrait encore poser problème : peu d’espace, et une grosse densité de véhicules, malgré tout, dans le quartier.

Marlène Dolveck, DG de G&C, a souligné l’exploit d’avoir réussi en deux ans à accoucher d’un nouveau projet, consécutivement à la dénonciation du contrat de concession avec Ceetrus. On ne reviendra pas sur cette décision courageuse et historique, confirmée à cette heure par tous les tribunaux saisis. Le fait est que G&C et Arep ont réussi pour 50 millions d’euros à gérer quelques lacunes majeures de la gare, et notamment d’en transformer la partie est, avec un garage à vélos de 1186 places et une gare bus lisible et accessible. On attend la suite avec intérêt.

La nouvelle galerie Béraudier de la gare Lyon Part-Dieu soulage le Hall 1 et propose de nouveaux espaces aux voyageurs. © DR


Le même jour, le nouveau hall et la galerie Béraudier ouvraient à Lyon Part-Dieu, mais sans tambours ni trompettes – Laurent Wauquiez, co-financeur avec la Région Aura d’un projet à 371 millions d’euros hors nouvelle voie L, ne le souhaitait manifestement pas. Les voyageurs ont donc été les premiers à découvrir ce très grand espace qui change radicalement la vie de la gare – en attendant la fin de la rénovation du vieux hall 1.

Mobilettre l’a visité l’année dernière, quand les travaux n’étaient pas tout à fait terminés. Il s’en dégageait déjà une impression de respiration par les volumes, les aménagements et leur design, et une promesse de désaturation des accès par la multiplication des zones de flux. Certes, le choix d’hyper-concentration à La Part-Dieu, par Gérard Collomb, n’allait pas de soi ; mais le fait est que des solutions architecturales et opérationnelles rendent le hub bien plus «vivable» et accessible, depuis l’extérieur et en circulation intérieure.


BILLET

Veni, vedi… decepi ?

Alors que le Tour de France s’apprête à partir d’Italie, la présentation d’une étude sur la concurrence ferroviaire incluant ce pays nous inspire une reprise d’une citation d’un de ses antiques dirigeants…

Plantons le décor : restaurant Le Train Bleu Gare de Lyon, cette semaine. On nous a promis une étude du cabinet de consulting E-Cube sur la concurrence dans le secteur de la grande vitesse ferroviaire, comprenant une analyse des exemples espagnols et italiens et des tendances générales pour la France. Nous allions voir ce que nous allions voir ! Nous sommes venus, nous avons vu… du très classique.

Jugez plutôt : les nouveaux entrants se concentrent dans un premier temps sur les axes les plus rentables d’un pays, génèrent une induction de trafic avec diminution du prix moyen du billet en fonction des axes. Le gestionnaire d’infrastructure doit s’adapter à un nouvel environnement de travail avec différentes entreprises ferroviaires et l’opérateur historique réagir en adaptant sa stratégie. Au vu des exemples espagnols et italiens, la France est un pays qui a le plus de potentiel pour l’ouverture du marché, aidé par des nouveaux opérateurs ne dépendant pas d’opérateurs historiques des pays voisins. Et on en passe…

Bref, rien de nouveau sous le soleil qui pointe (enfin!) ses rayons en ce début d’été. On croirait une compilation de tout ce que Mobilettre vous délivre depuis sa création. Nous sommes venus, nous avons vu… et nous sommes déçus !

En revanche, nous n’avons pas « vidi » le nom du/des commanditaire(s) de l’étude. « Cette étude provient de divers travaux réalisés pour plusieurs clients », répond le cabinet. Pourquoi nous inviter si l’on ne peut pas obtenir cette information ? Car on n’analyse pas trois marchés européens de la grande vitesse ferroviaire de manière désintéressée.

Quel intérêt pour le(s) commanditaire(s) de faire faire une étude qui enfonce les portes que Mobilettre ouvre régulièrement via des échanges avec les nouveaux entrants, Le Train, Kevin Speed ou Proxima ? Eux travaillent d’arrache-pied pour que les potentialités du marché français, réelles, soient révélées et les barrières à l’entrée, réelles également, soient levées. L’ouverture non-discriminatoire du marché est un impératif législatif et réglementaire. Alea jacta est !

J. A.


Un peu de poésie optimiste pour finir cette Mobilettre, deux strophes d’Eluard extraites de «Dit de la Force et de l’Amour». A interpréter librement…

La lumière toujours est tout près de s’éteindre
La vie toujours s’apprête à devenir fumier
Mais le printemps renaît qui n’en a pas fini
Un bourgeon sort du noir et la chaleur s’installe

Et la chaleur aura raison des égoïstes
Leurs sens atrophiés n’y résisteront pas
J’entends le feu parler en riant de tiédeur
J’entends un homme dire qu’il n’a pas souffert

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