Faîte national
Quelle coïncidence… L’acmé de nos divisions à la veille du 14 juillet. Logiquement Mobilettre a davantage l’humeur à parler politique que transport au sens strict.
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Désintoxication
C’est le paradoxe du moment : l’actuelle lacune politique pourrait relégitimer des pouvoirs et des influences que l’hypertrophie des pouvoirs exécutifs avait malmenés.
On respire donc un peu mieux depuis dimanche soir. Essayer le pire n’est jamais une solution.
Les Français ont résisté à l’influence des médias d’information en continu et sévèrement sanctionné le Président sortant. Mais rien n’est réglé, en cette veille de 14 juillet les oppositions sont profondes et les divisions flagrantes. La page blanche issue du scrutin voulu par l’artificier Macron peut donner le vertige ; elle devrait pourtant inciter chacun à un peu d’introspection.
Les appareils politiques protégés dans leurs certitudes depuis soixante ans par la brutalité du scrutin majoritaire sont confrontés au défi du compromis. Le Président de la République n’est plus en mesure d’en être l’architecte ; qu’il se contente de nommer au plus vite un Premier ministre qu’il pense apte à relever le défi, puisque la gauche divisée tergiverse et que la droite hésite à s’affranchir des obsessions identitaires et ultralibérales. On ne lui demande désormais rien de plus que le respect de la Constitution, puisqu’il ne respecte plus grand-chose depuis des mois. Ni son Premier ministre auquel il a caché pendant deux mois son funeste dessein de dissolution, ni les présidents des chambres parlementaires qu’il a informés plutôt que consultés au soir des élections européennes.
Il va d’ailleurs falloir documenter pour l’Histoire ce premier semestre 2024, où le ministre de la Défense en exercice a dîné avec Marine Le Pen et Jordan Bardella dont la grande proximité avec la Russie et la Hongrie pro-russe est établie ; où les arbitrages interministériels n’étaient plus ou si mal rendus ; où le narcissisme des élites politiques a sans doute atteint son paroxysme.
Il serait temps de rééquilibrer les pouvoirs des uns et des autres. De désintoxiquer la machine publique du pouvoir politique qui s’infiltre partout, des nominations du moindre haut fonctionnaire à l’écriture des rapports ou à l’attribution de la plus petite subvention. De déléguer plus largement, honnêtement et sérieusement.
Augustin de Romanet, le patron d’ADP, a rappelé le week-end dernier aux Rencontres économiques d’Aix (lire aussi ci-dessous) la phrase du Général de Gaulle en 1965 : «Je ne veux pas voir les gens des cabinets ministériels dans les réunions, ce sont les enfants naturels de la République. Je ne veux voir que les enfants légitimes nommés en Conseil des ministres, je ne veux voir que les directeurs.»
Un certain nombre de collectivités locales sont elles aussi menacées par le syndrome de l’instrumentalisation. On ne rappellera jamais suffisamment combien l’autonomie formelle du Stif l’a protégée des excès d’influence partisane, et protège encore IDFM de quelques tentations politiques.
La scène politique française n’est pas seulement victime d’une conjoncture internationale et économique délicate, elle montre une incapacité répétée des pouvoirs exécutifs à enrayer des phénomènes anxiogènes. Citons-en quelques-uns : les déserts médicaux, l’explosion des consommations de drogue dure sur tout le territoire, les précarités sociales. Pendant ce temps, les quartiers généraux continuent à jouir de leur puissance au service d’un entre-soi anachronique et malsain. Citoyens hauts fonctionnaires, il est temps de ne plus courber l’échine… G. D.
Aux Rencontres d’Aix, un contraste saisissant
Juste avant le deuxième tour des élections législatives, les Rencontres économiques d’Aix se sont tenues sur deux jours, les 5 et 6 juillet. Mobilettre a assisté le samedi à plusieurs séances.
Nous avons été saisis. D’un côté des chefs d’entreprise engagés et conscients du contexte global. La liste n’est pas exhaustive, on citera Antoine Frérot (Veolia), Luc Rémond (EDF), Anne Rigail (Air France), Benoît Bazin (Saint-Gobain), Jean-Pierre Clamadieu (Engie), et bien entendu Jean-Pierre Farandou (SNCF), qui assument et revendiquent leur responsabilité sociale, notamment au travers de la promotion interne. 80% des cadres de la SNCF sont issus de l’exécution, selon son président, «ce qui garantit la non-assignation et la non-déconnexion». La non-assignation à la reproduction sociale, la non-déconnexion par rapport au monde du travail réel. Tous, pour bien connaître leurs effectifs qui sont souvent une France en miniature, ont conscience que leur entreprise est aussi une sorte de famille de repli, un refuge face aux violences économiques et sociales.
Le pompon à Nicolas Dufourcq (BPI France), adepte des solutions miracles : fin de la retraite par répartition, fin du statut des fonctionnaires etc.
D’un autre côté, on va les qualifier ainsi, des patrons et des intervenants hors sol, nourris sans vergogne par la générosité publique mais obsédés par la dérégulation, le modèle ultralibéral et l’éternelle référence des Etats-Unis, auxquels ils vont jusqu’à envier le modèle de protection sociale «plus axé sur la prévention que sur le curatif (sic)». Manifestement les phénomènes croissants d’exclusion et de précarité, qui échappent en partie aux statistiques normalisées, ne les effraient pas – ils ne les voient probablement même pas. Le pompon à Nicolas Dufourcq (BPI France), adepte des solutions miracles : fin de la retraite par répartition, fin du statut des fonctionnaires etc. A côté de lui, Augustin de Romanet passait pour un sage expérimenté, lui qui dénonce la course effrénée à la dépense publique et un Etat incapable de se réformer, et recommande la délégation de pouvoir et de vraies réformes de gouvernance.
Le comportement très intéressé d’une bonne partie du patronat, qui se serait accommodé de l’arrivée au pouvoir des nationalistes libéraux du RN, n’est pas seulement choquant au regard de l’Histoire (le capitalisme marche-pied des régimes autoritaires), il ressort d’une rare indécence : «Je méprise la main qui abonde mes bénéfices.» Les entreprises de transport, qui sont bien à l’écart de ces dérives, ne doivent pas regretter la faiblesse de leurs marges en activités de délégation de service public (l’open access et le vrai risque capitalistique et entrepreneurial, c’est différent et il faut en protéger le modèle), mais s’en glorifier. Les puissances publiques iront mieux quand elles cesseront d’être les petites mains des intérêts privés.
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PUBLICATION
La réconciliation, une jubilation
A la tête de l’agence de conseil en tous genres Bonafidé, Robert Zarader était présent à Aix pour dédicacer un petit essai réjouissant de pertinence, de liberté et de style.
C’est une gourmandise et un salut public, cet abécédaire de 168 pages sur le thème de la réconciliation. Une gourmandise à sourire et à rire presque à chaque page, tellement celui qui a inventé les Platon-repas cisèle son propos, intelligent et pertinent, et agrémente son style alerte de délicieux jeux de mots. On pourrait en citer vingt, on en choisit deux. A propos de la sologamie, pratique virale sur les réseaux sociaux qui consiste à se marier avec soi-même, Robert Zarader titre : «JE. Alter et ego dans un bateau». Sur les entreprises à mission, qui veulent assumer leur responsabilité sociale et dépasser la seule maximisation du profit : «MISSIONNAIRE. Le nouveau kama-sutra des entreprises.» Efficace.
Robert Zarader, qui a conseillé François Hollande et Emmanuel Macron, n’appartient pas, mais alors pas du tout, à la catégorie des serviles. Son intelligence des situations, sa compréhension des hommes sont nourries par un savoir et une expérience uniques, au service de quelques convictions et principes. Sortir, début juillet 2024, avant même le résultat du deuxième tour des législatives, un opus sur la réconciliation, quelle vista, quelle anticipation ! Citons deux phrases de son argumentaire : «Il faut casser la fragmentation, l’opposition des «uns contre les autres», la rente de ceux qui prospèrent sur la division, pour rendre la politique et l’intérêt général réconciliables. Il n’est plus possible d’en rester au constat désolant d’une Nation et d’une République qui se fracturent.»
François Hollande a sobrement préfacé cet abécédaire. On en retiendra un paragraphe et une allusion à son successeur : « Il n’y a pas de société harmonieuse, de cohésion nationale, de solidarité effective, de démocratie durable sans un effort de dépassement. Non des sensibilités politiques, comme certains l’ont prétendu, mais de nos singularités. Non du passé, comme si l’histoire n’avait pas laissé de traces, mais du présent, parce que c’est lui qui pèse. Non de nos identités, mais de nos enfermements.»
L’amour et la haine ne sont jamais loin, les lendemains qui déchantent non plus
Au mot «SANS. Contre les peine-à-jouir», Robert Zarader adresse une lettre à son fils. Quelques touchantes recommandations qui sonnent, alors que son auteur n’est pas nostalgique pour un sou, comme un avertissement solennel à une génération. « L’amour et la haine ne sont jamais loin, les lendemains qui déchantent non plus. Rien n’est jamais acquis, il faut toujours être prêt à se battre pour défendre l’essentiel. Ensemble, groupés. Ma génération l’a appris trop tard. Méfie-toi de ces bonimenteurs qui viendront un jour te voir avec leurs grandes idées, leurs grands schémas qu’ils t’expliqueront, en invoquant ta liberté pour te les imposer. Personne ne doit te dire comment agir – encore moins des algorithmes. N’écoute jamais tous ceux qui ont des réponses toutes faites. Reste ce libre-penseur qui a pour seule boussole la solidarité.»
Le vendredi, lors de ces Rencontres d’Aix, Robert Zarader avait participé, avec Marlène Dolveck, DG de Gares & Connexions, à une séance «Controverse» intitulée: «Les économistes peuvent-ils mesurer le bonheur ?» Où l’on a parlé notamment du nouveau rapport au travail. Là aussi, le propos était jubilatoire. Visionner l’échange
L’année prochaine, on espère parler bel et bien de la mesure du bonheur plutôt que de la démesure du malheur.
Abécédaire de la réconciliation. Par Robert Zarader, Editions Bona Fidé. 168 p., 12 €.
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INTERNATIONAL
A Melbourne, pourquoi Transdev a gagné
Il faudra attendre pour savoir exactement pourquoi ses adversaires ont perdu.
Mobilettre l’a révélé en exclusivité le 28 juin (lire Mobitelex 455) : avec son allié John Holland Transdev va exploiter pendant neuf années (trois en option) le réseau Yarra Trams de Melbourne, le plus important au monde : 24 lignes, 1600 arrêts, plus de 500 rames, 170 millions de voyageurs par an. Chiffre d’affaires : 4,2 milliards d’euros. Et une marge très correcte, probablement.
Il est probable que l’autorité organisatrice australienne, dont la rigueur dans la procédure pourrait utilement inspirer quelques homologues européennes, communiquera sur les trois offres concurrentes (Transdev/John Holland, Keolis/Downer, Kinetic/GoAhead). En attendant, donc, d’en savoir plus sur les éléments rationnels de la compétition et sur ce qui a pénalisé les perdants, il est possible de comprendre comment le gagnant a conçu son offensive gagnante.
Une bonne stratégie, un bon allié, une bonne préparation: ainsi peut-on résumer les ingrédients mis en œuvre par Transdev pour revenir à la tête des trams de Melbourne, 15 ans après la victoire de Keolis. La première bonne décision prise par Antoine Colas, le directeur international de Transdev, après que Kinetic a ravi un marché de bus en 2021, ce fut de garder le siège de Melbourne. C’était un signe important à l’attention de l’Etat de Victoria : «On peut y revenir». De fait, tout au long des deux longues années de compétition, les dirigeants de Transdev, y compris Thierry Mallet quand il s’est rendu sur place, ont montré une forme de sérénité confiante – qui, certes, est souvent l’apanage du challenger face au sortant qui joue gros. Mais à voir Antoine Colas ne jamais se départir de son flegme et sa bonne humeur sur la durée d’une difficile procédure, et de privilégier une posture de challenger respectueux, on a compris qu’il engageait derrière lui une équipe soudée et «focus» sur l’essentiel. Au demeurant, cette nouvelle victoire, après quelques autres dont celle du métro de Quito l’année dernière, le pose dorénavant personnellement comme un leader de grande envergure dans les compétitions internationales.
Il s’est appuyé en Australie sur une équipe expérimentée : Brian Brennan (CEO Transdev Asutralie), Elisabeth Reddy (future COO de Yarra Trams), et depuis quelques mois un homme plus connu sous nos latitudes, Vincent Destot, ex-directeur régional de Transdev en Hauts-de-France (2015-2023), qui assurera la direction du contrat. A côté d’eux, l’apport des équipes de John Holland, partenaire crédible, fut important, quand selon quelques signes concordants celui de Downer avec Keolis semblait moins solide qu’à ses débuts.
Toujours en coulisses, la cohérence du dispositif de réponses local avec les ressources groupe, à Paris, pour quelques sujets majeurs, a donné satisfaction – ce n’est pourtant pas évident, vu l’éloignement géographique et le décalage horaire. Sur le fond, Transdev a insisté sur les réponses disruptives liées aux grands événements, aux services de nuit, aux travaux, mais aussi à la mise en service des nouveaux matériels dès l’année prochaine. La dimension «Gender Equality» a été particulièrement prise en compte, comme il se doit en Australie.
C’est le 1er décembre prochain qu’aura lieu le passage de relais entre les deux opérateurs.