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Soyons réseaunables !
Si le PLF 2025 sacrifie l’investissement continu et durable dans le réseau ferroviaire, les conséquences seront spectaculaires pour les voyageurs et les chargeurs dans la décennie qui vient.
Rassurez-vous, Mobilettre n’a pas perdu son orthographe sous le déluge. Mais puisque SNCF Réseau a joliment succombé à la mode des jeux de mots avec son projet de réorganisation Résonances (lire notre présentation ci-dessous), à notre tour de marquer les esprits par ce petit artifice. Etre «réseaunable», aujourd’hui, cela signifie : ne pas contrarier la modernisation en cours de l’infrastructure ferroviaire, malgré la déconfiture des finances publiques.
On peut chroniquer les insuffisances de performance de SNCF Réseau, et d’ailleurs l’ambition de réorganisation voulue par son PDG Matthieu Chabanel consiste en partie à rendre l’appareil industriel plus efficace par une déconcentration des responsabilités. Mais si d’aventure Matignon écoutait trop largement Bercy pour qui l’entretien et la régénération d’un réseau – quel qu’il soit : routier, ferroviaire, fluvial – consistent principalement à arroser le désert, alors la France tournerait définitivement le dos à une certaine vision de ses territoires et de son unité.
De si nombreux décideurs et technocrates ont été tentés, depuis cinquante ans, de remiser le chemin de fer classique au rang des glorieuses antiquités, pour n’en garder que ses rutilantes résurrections : le TGV et le mass transit. Ils ne peuvent ignorer aujourd’hui la demande sociale et l’évidence écologique de déplacements collectifs performants de bout en bout, à base de trains, de cars, de trams et de bus, auxquels doivent se connecter les véhicules motorisés individuels, les vélos, les piétons.
Nous avons résumé hier (lire Mobitelex 464) le drame allemand : un réseau négligé que les dizaines de milliards débloqués en urgence depuis trois ans ne suffisent pas à sauver. Casser la trajectoire de croissance du contrat de performance de SNCF Réseau, ce serait à coup sûr renoncer durablement à un service ferroviaire maillé et de qualité. Les premières orientations du PLF 2025 priveraient les régions de centaines de millions de recettes annuelles. Autrement dit, adieu aux contrats de plan Etat-région, à la modernisation des lignes et à l’accroissement des capacités et des offres régionales.
On en revient une fois encore à l’écrasante responsabilité des gouvernements sortants qui ont succombé de façon démesurée aux «quoi qu’il en coûte» électoralistes, jusqu’à camoufler en ce premier semestre 2024 la dégradation des finances publiques qui permet à Bercy de sortir ses rabots préférés : sacrifier les investissements au profit des subventions aux entreprises et aux ménages. La France est peut-être droguée à la dépense publique, mais ceux qui s’apprêtent à la sevrer violemment via un Premier ministre de passage ont été ses dealers masqués et hypocrites depuis sept ans. G. D.
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EXCLUSIF
SNCF Réseau entre en Résonances
Mobilettre lève le voile sur le projet de réorganisation baptisé Résonances et l’intention de Matthieu Chabanel de modifier l’organisation du gestionnaire d’infrastructure ferroviaire : demain, trois mailles (régionale, interrégionale, nationale) devront rapprocher les centres de décision de la production pour améliorer à la fois la standardisation et la déconcentration des opérations. La performance et la crédibilité de SNCF Réseau sont en jeu dans un paysage ferroviaire en pleine ouverture.
Il a pris son temps et n’a pas succombé aux boîtes de conseil au verbiage abscons. Depuis une dizaine de jours Matthieu Chabanel présente à ses cadres et aux syndicats son projet Résonances, avant un passage plus officiel devant les IRP aujourd’hui même. Paradoxalement, puisque cette ambition n’a pas été «packagée», elle est difficile à résumer en une phrase. Essayons malgré tout de la synthétiser.
Elle répond à plusieurs objectifs
Responsabiliser les cadres au plus près du terrain et de leurs interlocuteurs, de plus en plus nombreux du fait de l’évolution du système ferroviaire – et pas seulement du fait de l’ouverture à la concurrence ! C’est bien l’insertion du ferroviaire dans l’équation plus large de la multimodalité écologique qui bouleverse la gestation des projets.
Décentraliser tout en développant la standardisation des méthodes et des process.
Améliorer la performance économique (productivité, qualité, trésorerie).
Trois grands niveaux d’organisation seront articulés entre eux
La maille régionale, avec la création de directions régionales plus puissantes à même d’incarner la relation avec les autorités organisatrices, les collectivités locales, les entreprises, les associations, et d’assurer une maîtrise d’ouvrage unifiée (hors grands projets nationaux). Au demeurant, vu l’évolution des contractualisations entre les AO et les opérateurs, cet échelon régional devrait devenir prédominant du point de vue de la conception générale du graphique et de l’avenir du réseau.
La maille interrégionale, avec la création de trois directions interrégionales (+ Ile-de-France) elles-mêmes dotées d’une direction des opérations qui managera les établissements. Mission de ces trois directions : piloter les moyens et porter la responsabilité des résultats. On comprend : faire émerger une supervision finances et RH «de proximité», qui ne soit pas parisienne.
La maille nationale, au service de quatre grands principes : l’unification de la relation client via une direction Clients et Exploitation, l’unification des fonctions de sécurité via une direction de la Sécurité globale, l’unification des grands projets amont et aval via une direction des Grands projets, le maintien des structures de production nationales (de la supply chain à la signalisation). Ces structures continueront à définir la stratégie, accompagner la production, contrôler la performance etc.
Lors des futures affectations des uns et des autres, il y aura forcément un peu d’animation dans les quartiers généraux…
Concrètement la très grande majorité des agents de terrain de SNCF Réseau ne seront pas touchés par cette réorganisation systémique, qui va donner lieu aux consultations et échanges réglementaires avec les organisations syndicales d’ici le printemps, pour une mise en application prévue le 1er juillet 2025 qui occasionnera alors un certain nombre de changements managériaux. De ce point de vue, il y aura un peu d’animation dans les quartiers généraux…
Régulièrement interpellé sur trois lacunes de Réseau (concertation, coûts, délais), Matthieu Chabanel a choisi de déconcentrer pour responsabiliser. Alors que les autorités organisatrices vont progressivement tomber dans un dialogue business avec les exploitants candidats aux DSP, SNCF Réseau a une belle carte à jouer dans la préfiguration des réseaux régionaux et des logiques de multimodalité, à l’image de la plupart des SERM auxquels elle donnera une impulsion décisive. Le projet Nouvel’R porté par Patrick Jeantet avait été entravé de fait par la vision purement financière de Luc Lallemand. Avec Résonances, Matthieu Chabanel peut redynamiser une double et forte ambition : de partenariat avec les acteurs locaux, d’ingénierie au service des clients finaux. A condition que les sources de financement ne soient pas taries, à Paris comme dans les territoires.
Le régulateur exécute le Code de bonne conduite de SNCF Réseau
Quelle actualité pour SNCF Réseau en cette fin de semaine ! L’ART, l’Autorité de régulation des Transports, publie aujourd’hui son rapport sur le Code de bonne conduite (CBC) et l’indépendance du gestionnaire d’infrastructure. Non conforme, il commence par une critique sans concession des lacunes de contrôle et d’application dudit Code : «Aucun dispositif de conformité (compliance) […], pas d’organisation opérationnelle permettant d’assurer son respect par les agents exerçant des fonctions essentielles.»
Il se poursuit par un certain nombre de recommandations : améliorer le Code, mieux le faire connaître, formaliser une méthode d’identification des agents chargés de fonctions essentielles, mettre en place un contrôle robuste de son respect. On apprend par exemple en lisant le rapport que les agents du groupe SNCF peuvent communiquer sur une messagerie instantanée commune à toutes les entités du groupe, ce qui «de facto, facilite l’accès des agents de SNCF Voyageurs aux interlocuteurs de SNCF par rapport aux agents des autres entreprises ferroviaires.» Idem pour les accès aux emprises sécurisées, disponibles sur leur pass Carmillon quand les personnels des autres EF doivent obtenir un badge spécifique (badge Canif).
En substance, l’ART passe d’une critique du CBC (Code de bonne conduite) à une analyse sans concession de l’indépendance du gestionnaire d’infrastructure: «Un certain nombre d’éléments publics viennent étayer les apparences d’une insuffisante indépendance et contribuent à alimenter les suspicions légitimes des entreprises ferroviaires», écrit le régulateur. Tout y passe : l’intégration dans la culture de groupe «Tous SNCF», la part variable des cadres de SNCF Réseau liée au cash flow libre… du groupe SNCF dans son ensemble, l’abondement du fonds de concours par SNCF Voyageurs.
En fait, le régulateur avoue qu’en échange de sa mansuétude sur l’architecture intégrée du groupe SNCF (versus la séparation du gestionnaire d’infrastructure, qui serait plus simple et efficace, mais dont l’Etat ne veut pas pour l’instant), il exige des garanties renforcées en matière d’indépendance effective, et même étendues au-delà des seules fonctions essentielles (circulations ferroviaires et programmation des travaux, par exemple), en accord avec l’Autorité de la concurrence. Une vision extensive qui s’applique également à Gares & Connexions, par la recommandation suivante: «Etendre les mesures de garanties relatives à l’indépendance de SNCF Réseau à la tarification de l’accès aux gares et à la programmation des travaux opérés par Gares & Connexions.»
Manifestement, la nomination en début d’année de la Directrice générale de Gares & Connexions Marlène Dolveck aux fonctions de directrice générale adjointe du groupe SNCF (en charge de la transformation) ne passe pas chez le régulateur, qui sollicite «un avis conforme sur la nomination, le renouvellement ou la révocation du directeur général de Gares & Connexions.»
Conséquence de la mise en évidence de ces lacunes et insuffisances, l’ART préconise à la fois une modification des conditions de mobilité des agents de SNCF Réseau, via l’instauration d’un contrôle déontologique interne et une «industrialisation du processus de filtrage des agents dont le projet de mobilité doit conduire à une saisine de la commission de déontologie du système ferroviaire.»
Pour finir, et c’est logique, l’ART sollicite un pouvoir d’avis conforme sur le Code de bonne conduite de SNCF Réseau, mais aussi la possibilité de sanctionner son non-respect par SNCF Réseau.
Bref, faute de séparation radicale entre le GI et les activités, le régulateur propose de garantir l’équité et le sentiment d’équité des opérateurs alternatifs par une sophistication du Code, de son contrôle et de la gestion des mobilités professionnelles, qui ne va probablement pas ravir les agents de SNCF Réseau. Un mal pour un bien ?