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Nuages
Ce mois de novembre commence aussi joyeusement qu’un film des frères Dardenne.
On a beau savoir qu’il y a du ciel bleu au-dessus des nuages, l’accumulation de mauvaises nouvelles ne va guère arranger le moral des troupes. Entre les guerres – Ukraine, Proche-Orient, demain Taïwan ? -, le ralentissement économique et commercial au niveau mondial, l’accélération des dérèglements climatiques, la crise allemande et la crise des finances publiques françaises, l’horizon est aussi engageant qu’une soirée de novembre.
Le confinement Covid va bientôt passer pour une aimable bamboche
Ajoutons à cela les conséquences de l’élection de Donald Trump, et le confinement Covid va bientôt passer pour une aimable bamboche. Puisque les Etats-Unis et la Chine n’ont pas grand-chose à faire de l’environnement, à quoi bon multiplier les efforts pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre ? Mieux vaudrait consacrer l’intégralité de nos efforts à l’adaptation pour protéger les biens et les populations, avancent déjà certains politiques et les nostalgiques de l’économie carbonée.
L’affirmation d’un modèle alternatif ou résistant au nouvel impérialisme américain est-elle possible en France et en Europe ? Disons qu’elle dépendra de la capacité des opinions publiques et des acteurs économiques et sociaux à se mobiliser pour, plutôt que contre. C’est très loin d’être gagné. La nostalgie américaine d’un consumérisme sans limite et la tentation libertarienne ont leurs équivalents ici, et contrairement aux représentations un peu rapides ils ne sont pas l’apanage des masculinistes.
Les faiblesses des démocraties contemporaines, avec l’accroissement des pauvretés et des inégalités qui constituent de puissants carburants populistes, doivent être urgemment affrontées. A défaut, nous aurons nous aussi des rendez-vous électoraux déprimants. La gauche morale et sociétale ne suffit pas. La bouillie libérale-colbertiste est inefficace.
Quelles conséquences pour les mobilités ?
Veut-on vraiment promouvoir une économie du partage et de la décarbonation ? Le train, le car, le transport public, le vélo, l’autopartage, plutôt que l’autosolisme ? Le fret ferroviaire et l’économie de la proximité plutôt que les camions et les échanges internationaux ? Il ne s’agit pas de choix exclusifs, mais d’un rééquilibrage indispensable à la préparation d’un futur mieux vivable.
Disons que les difficultés économiques et sociales de l’Europe n’incitent guère à l’optimisme. Les exécutifs fragilisés sont tentés de revenir à quelques vieilles recettes, et c’est même assez spectaculaire avec le gouvernement Barnier : renoncement au grand plan vélo (le vélo coûte et ne rapporte pas grand-chose, argumente Bercy), hypothèque sur les investissements ferroviaires, diminution des ressources des collectivités locales. Il n’y a guère que les grandes agglomérations qui pourraient s’en sortir un peu mieux via les Serm, pour éviter de dangereuses embolies urbaines.
Voilà où nous en sommes, en ce 8 novembre 2024. Il va falloir traverser les nuages pour trouver le ciel bleu. G. D.
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FERROVIAIRE
Nantes-Bordeaux et Nantes-Lyon, la bataille finale
La dernière phase du premier appel d’offres concernant les Trains d’équilibre du territoire commence, après la remise des offres en début de semaine. Voici ce que Mobilettre peut en dire.
C’est un dossier sur lequel la prudence des acteurs est aussi intense que son enjeu symbolique. Pas question, pour l’Autorité organisatrice, la DGITM, comme pour les candidats de déroger aux règles de confidentialité qui assureront la conformité juridique du processus d’attribution. Mais puisqu’il s’agit d’une première ferroviaire en France – un transfert concessif sur ligne exploitée avec partage des risques -, il est important d’en poser les enjeux avant l’emballage final.
Les offres ont été remises en ce début novembre – des oraux avec les opérateurs candidats auront lieu très prochainement au ministère des Transports. Seront-ils deux ou trois ? Seuls SNCF Voyageurs et la compagnie Le Train ont confirmé à Mobilettre avoir déposé une offre. A l’heure où nous publions, impossible de savoir si la Renfe, toujours aussi peu loquace, en a fait de même. Le calendrier initial a été à peu près tenu. L’attribution, pour quinze ans, est prévue pour le tout début de l’année 2025, pour une exploitation au SA 2027.
Il y a donc compétition, et c’est déjà une bonne nouvelle pour l’Etat qui s’était résigné à déclarer infructueuse la précédente procédure, au grand dam de SNCF Voyageurs qui était la seule à avoir répondu.
A en juger par les réponses officielles à nos sollicitations, cette compétition est même tout à fait dynamique. SNCF Voyageurs : «Nous avons remis une offre avec l’intention de gagner. C’est un appel d’offres ambitieux techniquement et nous avons trouvé des réponses pour tout». Le Train : «C’est un travail passionnant que d’avoir formulé des propositions de robustesse, de fiabilité et d’innovation servicielle pour ces trains qui méritent de la qualité de service. Nous disposons d’une équipe complète, investie et rigoureuse».
L’Etat a non seulement fait l’effort de remettre à plat tous les éléments constitutifs d’une offre ferroviaire longue distance de qualité, mais a aussi cherché à simplifier les conditions d’accès. Point majeur de cette évolution, le futur atelier de maintenance à construire : il sera financé grâce à une contribution de l’Afitf, et non par l’opérateur qui aurait dû mobiliser une somme conséquente en Capex. Certes, cela induit pendant quelques années l’utilisation de l’atelier SNCF de Nantes-Blottereau, mais la période sera transitoire, jusqu’en 2030. Selon nos informations SNCF Voyageurs et Le Train se sont alliés chacun à un grand acteur du BTP pour la construction du futur atelier.
Le principal défi posé aux opérateurs reste celui de la qualité de service, aussi bien en termes de régularité que de relation client et de services à bord.
Même si la ponctualité s’est un peu redressée depuis deux ans (aux alentours de 75% selon les critères en vigueur), trop d’incidents diminuent l’attractivité des deux lignes. Et contrairement aux explications trop souvent avancées, les causes GI (gestionnaire d’infrastructure) sont minoritaires – environ 30%. Le sortant doit donc convaincre que du passé il pourra faire table rase avec une nouvelle société dédiée, et améliorer la fiabilité du matériel (qui n’est pas obsolète), la disponibilité des équipes et les procédures d’alerte et d’information. Pas simple, même si depuis deux ans SNCF Voyageurs a mobilisé une équipe dédiée pour s’inscrire dans une nouvelle perspective.
Pour Le Train, pas de passif à assumer, mais en complément des fondamentaux d’exploitation, l’opportunité de proposer vraiment autre chose en matière de relation-client et de services à bord. Même si la commercialisation/distribution donne lieu à une autre appel d’offres (GITE), en simultané, il y a tant de choses à faire pour améliorer l’expérience voyageur, a fortiori pour des dessertes longues, notamment Nantes-Lyon, sur lesquelles le cabotage est très majoritaire. Au demeurant, comme sur les actuels TET, il y aura une part de risque trafic pour l’opérateur – ce qui a peut-être refroidi les ardeurs d’un candidat comme Transdev qui préfère les modèles conventionnés plus classiques. Au regard des flux de déplacements tous modes confondus, le marché des clients occasionnels est conséquent – encore faut-il aller les chercher, puis les convaincre de revenir, malgré des fréquences pour l’instant insuffisantes.
Dans cet appel d’offres, les opérateurs ont pu aussi proposer des dessertes complémentaires aux origines-destinations prédéfinies, s’ils réussissent à optimiser l’usage des rames.
SNCF Voyageurs, avec ses experts internes, et Le Train, renforcé par deux entreprises, un ingénieriste et un spécialiste de la maintenance, ont manifestement beaucoup travaillé sur les fondamentaux. Choix techniques inédits, robustes, ambitieux : les mots sont les mêmes chez les deux opérateurs. A l’AO, avec ses conseils, d’en évaluer la pertinence !
L’heure du choix approche, donc, entre un opérateur sortant new look, qui assure de sa capacité à faire les choses autrement via une société dédiée et d’autres méthodes/organisations, et une start up ambitieuse, qui a fait le pari depuis plusieurs années de se structurer en entreprise ferroviaire parallèlement à la mise au point de son closing financier pour son activité SLO (closing qui serait imminent). La première veut gagner par principe et pour se réinventer, et probablement aussi pour ne pas laisser s’installer des modèles alternatifs, la deuxième est impatiente de se confronter à la vérité du terrain et de l’exploitation pour s’inscrire dans la nouvelle dynamique de croissance du ferroviaire hexagonal. Il reste à l’Etat à faire son choix en dehors de toute considération politicienne de court terme, dans l’intérêt du voyageur.
SOCIAL
SNCF, fin d’année sous tensions
Les quatre syndicats représentatifs appellent à une grève carrée le 21 novembre «pour l’arrêt des processus de discontinuité de Fret SNCF et de filialisation au sein de SNCF Voyageurs, et pour une loi de programmation pluriannuelle du système ferroviaire». La veille, la direction aura fait part de ses propositions chiffrées dans le cadre de la NAO 2025 (négociation annuelle obligatoire). Faut-il craindre une conflictualité généralisée en fin d’année ?
Les feuilles tombent en automne, et les grèves reviennent en Noël. Même si sur la longue période aucune statistique n’atteste d’une récurrence des conflits ferroviaires de fin d’année, plusieurs épisodes récents ont traumatisé les Français et installé dans les esprits la crainte d’«une grève SNCF à Noël». Et de fait, la «réussite» de plusieurs mobilisations catégorielles (les ASCT-contrôleurs en dernier lieu) peut inciter quelques organisations syndicales à miser en amont sur la sensibilité des TGV de Noël.
En est-il de même cette année ?
Examinons les deux points chauds du moment. La grève du 21 novembre, c’est en fait la prolongation du grand conflit de 2018: «L’heure est au conflit à la SNCF!», clame le communiqué commun des quatre OS représentatives. Six ans plus tard, la SNCF et tout particulièrement SNCF Voyageurs en arrive à la concrétisation dans son organisation des choix effectués par Edouard Philippe et Elisabeth Borne en faveur de l’ouverture à la concurrence: filialisation et transformation des process (lire Mobitelex 467). Les cheminots feront-ils massivement grève pour une réforme de structure certes systémique mais aux contours encore bien flous pour leur propre activité quotidienne ? C’est peu probable. Quant à Fret SNCF et ses 4500 salariés appelés à rejoindre les futures sociétés Hexafret et Technis (lire MobiAlerte 118), la perspective de repartir d’un bon pied (sans endettement, avec de substantielles aides publiques au wagon isolé), pourrait l’emporter sur une logique de contestation très dure, et pour tout dire assez aléatoire, du processus de discontinuité confirmé par l’actuel gouvernement. Par ailleurs, on aimerait bien qu’un grand mouvement social oblige un gouvernement à installer, enfin, une loi de programmation pluriannuelle, indispensable aux infrastructures et industries de réseaux (énergie, télécoms, transport…). Clairement on n’y est pas.
La tension autour de la NAO est plus classique et peut focaliser certains mécontentements. Avec le ralentissement de l’inflation la direction de la SNCF entend limiter l’augmentation générale des salaires, sachant que le GVT atteindra 1,7% et qu’aux très probables +2% du Smic la SNCF répondra par le maintien de son dispositif «Smic +10%».
Les syndicats demandent davantage. A titre d’exemple Sud-Rail exige «+ 400 euros pour tous», soit le transfert aux salariés du fonds de concours (1,5 milliard d’euros) qui va à SNCF Réseau et évite à l’Etat de puiser dans son budget. De manière générale, les OS attendent un rattrapage des huit années pendant lesquelles l’augmentation des salaires s’est limitée au GVT, et que la consistante augmentation des trois dernières années n’a pas compensé, vu le niveau de l’inflation.
Sans lire dans une boule de cristal ni se substituer aux uns et aux autres, on pressent:
– que la direction de la SNCF va limiter la hausse générale en sus du GVT et chercher à octroyer quelques avantages aux catégories «sensibles» pour désamorcer de potentiels conflits.
– que le pouvoir d’achat des Français en général rendrait particulièrement impopulaire toute grève cheminote d’importance.
– que la radicalité de Sud-Rail va inciter les autres syndicats à négocier au mieux certaines dispositions relatives à cette NAO 2025.