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Passion SNCF
La couverture médiatique si peu rationnelle des événements ferroviaires masque la réalité des choix stratégiques. Et si cela arrangeait tout le monde ou presque?
A regarder le traitement médiatique des actualités SNCF depuis une semaine, on est passé par toutes les émotions – car définitivement, le train et tout particulièrement le TGV ressort d’une passion française très particulière. Et qui dit passion dit un peu de souffrance…
Avant le week-end du 11 novembre, une sorte d’effarement devant les énervements relatifs à la neutralisation de la LGV Paris-Lyon pendant trois jours. On tend le micro au quidam avant d’avancer l’explication – la modernisation de la signalisation qui augmentera les fréquences.
Pendant le week-end, l’emballement fatal accapare les radios et les télés dépourvues d’autres sujets «vendeurs»: une nouvelle grève SNCF à Noël, à partir d’un préavis unitaire le… 11 décembre. On dramatise avant de décrypter la stratégie du rapport de forces de la part des syndicats (lire ci-dessous).
Et mercredi dernier, une accumulation de «reportages» sur les ventes de billets TGV pour le début d’année 2025 et les vacances d’hiver – on compatit avec les voyageurs sans même avancer d’explication sur l’exploitation tarifaire de la crise de l’offre (lire aussi ci-dessous).
Nourrir la mécanique des prix à la hausse et hystériser la place publique
A qui profitent de telles lacunes de rationalité ? Certainement pas au mode ferroviaire et à son entreprise historique, qui tout à la fois subit les foucades et alimente elle-même les énervements. La mise en scène de l’ouverture des ventes TGV à six heures du matin est diabolique et cynique, elle nourrit la mécanique des prix à la hausse et hystérise la place publique.
On sait que la SNCF multiplie les efforts industriels pour optimiser l’offre (développement de Ouigo, rotations des rames, amélioration des cycles de maintenance etc) et limiter les dégâts d’ici 2030 : les TGV-M d’Alstom n’arriveront au mieux que fin 2025 à raison d’une rame par mois. Mais elle refuse d’assumer publiquement les vraies causes de la pénurie de rames, dont elle est responsable avec l’Etat au mitan des années 2010. Oui, elle a trop réduit le parc TGV (y compris en allant en Espagne – 14 rames) et trop tardé à réagir à la remontée de la demande en 2017/2018; oui, elle a exagérément joué la stratégie de la tension sur l’offre pour redresser ses comptes.
Allez, on va se laisser aller à une généralisation : c’est un vilain défaut des élites françaises de ne pas avouer leurs erreurs. Les comptes publics 2024 ont dérapé ? «C’est pas nous c’est Barnier», disent en chœur Attal et Le Maire ! Hallucinant. Les Français vont subir pendant encore de nombreuses années la pénurie d’offre ferroviaire longue distance ? «C’est pas nous c’est la crise de 2008 !»
La SNCF protège l’Etat qui protège la SNCF. Circulez. Le TGV rapporte doublement à l’Etat : péages élevés + tarification «dynamique» = moins de subventions publiques à l’infrastructure. Pourquoi pas, au demeurant, solliciter l’usager plutôt que le contribuable ? Encore faudrait-il assumer publiquement ce choix. A défaut, le procès public prendra des allures de plus en plus populistes. G. D.
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ANALYSE
Grande vitesse ferroviaire, le grand bazar
SNCF Voyageurs ne veut plus assurer de dessertes TGV déficitaires. De là à allotir la capacité des LGV, comme vient de l’esquisser le ministre des Transports…
Quelle mouche a donc piqué François Durovray ? Les Français se dépatouillent comme ils peuvent avec le yield management et la pénurie de trains, et voilà qu’il s’attaque un vendredi matin sur TF1 (le 8 novembre) aux dessertes dites d’aménagement du territoire, en annonçant des lots mixtes (lignes rentables + lignes «déficitaires»). Bigre, d’un coup disparaitrait l’open access tel que préfiguré depuis des années, au profit d’un allotissement autoritaire de la capacité? Selon nos informations, la DGITM aurait même demandé à SNCF Réseau de temporiser sur son processus de contrats-cadres sur l’axe sud-ouest. De là à penser que cela peut contrarier l’arrivée des nouveaux entrants et leur modèle économique, comme Proxima…
Le ministre des Transports accède ainsi aux demandes répétées de la SNCF qui se plaint de devoir exploiter des dessertes «déficitaires», alors que ses concurrents viendront – d’ici cinq ans au mieux – lui manger la laine sur le dos sur les liaisons les plus rentables (Paris-Lyon, Paris-Bordeaux etc). Surtout, il donne l’impression d’être à contretemps de l’essentiel : développer l’offre pour répondre à la demande des voyageurs et à l’urgence environnementale.
Par ailleurs il existe déjà un dispositif, le conventionnement supplétif des TGV, défini dans le Nouveau Pacte Ferroviaire de 2018. Il permet à une collectivité locale de subventionner la SNCF pour une desserte améliorée (Bretagne et Hauts-de-France y ont recours). Pourquoi ne pas travailler dans ce cadre législatif ? L’allotissement esquissé paraît bien aléatoire, et contraire à l’édification progressive d’une doctrine de l’ouverture à la française via les contrats-cadres.
On ne comprend toujours pas l’empressement de SNCF Voyageurs à traiter ce dossier, alors que le système actuel lui permettra encore pour de nombreuses années de confortables bénéfices. Sa raison d’être tient en grande partie à sa capacité à la peréquation, qui lui assure une couverture territoriale et une puissance industrielle inaccessibles à ses concurrents. En privilégiant la marge au détriment du volume, en découpant son offre, elle peut se banaliser et rentrer dans une bataille pour le coup vraiment difficile avec ses futurs concurrents.
Affaire à suivre. L’improvisation d’un matin aura-t-elle un lendemain ?
Le fonds de concours doit-il survivre ?
On comprend les dirigeants de la holding SNCF quand ils expliquent que le fonds de concours * est la précieuse assurance d’une pérennité de la régénération de l’infrastructure. En alimentant directement SNCF Réseau, il permet d’échapper aux aléas de l’annualité budgétaire, et en ces temps de disette des finances publiques, c’est salutaire.
Oui mais, sur le long terme, est-ce vertueux pour SNCF Voyageurs qui voit ainsi obérée sa propre capacité d’investissement (en matériel roulant notamment)? N’est-ce pas aussi une contribution déloyale au regard de ses concurrents qui n’ont pas à financer le réseau autrement que par les péages ? C’est le raisonnement du régulateur, qui n’est pas dupe de l’«habillage» officiel – l’Etat flèche la rétrocession de ses dividendes à SNCF Réseau. Et c’est aussi le combat affiché de Sud-Rail, qui considère que les bénéfices de SNCF Voyageurs doivent rester à la SNCF et profiter principalement à ses salariés.
En tout état de cause, l’Etat n’est absolument pas disposé à renoncer à une telle manne qui lui évite de piocher dans le budget général, en bien piteux état. Elle ne l’empêche pourtant pas de procrastiner sur l’indispensable augmentation de sa contribution au contrat de performance de SNCF Réseau. Quitte à insister une nouvelle fois, dans ce numéro de Mobilettre (lire ci-dessus), il faudrait expliquer ce choix aux citoyens en général et aux passagers du TGV en particulier: les prix élevés qu’ils subissent permettent d’abonder SNCF Réseau tout en amoindrissant l’autofinancement de SNCF Voyageurs, et dispensent les contribuables d’un effort collectif.
* Selon une loi organique de 2001, les fonds de concours sont des recettes non fiscales qui permettent de financer des dépenses d’intérêt public. En l’occurrence, une partie des bénéfices de SNCF Voyageurs alimente un fonds de concours qui alimente SNCF Réseau pour ses dépenses de régénération de l’infrastructure ferroviaire.
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SOCIAL
Syndicats cheminots, la stratégie du rapport de forces
Et s’il n’y avait pas grève à Noël ? Et si l’accumulation des inquiétudes (Fret SNCF, Destination 2030 à SNCF Voyageurs, Résonances à SNCF Réseau) ne faisaient pas boule de neige ?
Plus qu’une convergence des luttes, c’est une convergence des inquiétudes qui pourrait nourrir une mobilisation sociale à la SNCF en cette fin d’année. Mais si toutes les entités du groupe sont touchées par des réorganisations/des réformes d’ampleur consécutives au Nouveau Pacte Ferroviaire de 2018, rien n’assure que leurs salariés trouveront un motif commun de mobilisation. Si la concurrence inquiète à SNCF Voyageurs, avec la création de sociétés dédiées et l’adoption de nouveaux process sur les prestations, rien de tel à SNCF Réseau, nulle inquiétude relative à une mise en concurrence ou à la création d’entreprises régionales.
La NAO (négociation annuelle obligatoire), dont la table ronde conclusive se tient mercredi prochain, pourrait-elle être ce motif-là ?
Les quatre organisations syndicales représentatives (CGT, Unsa, Sud-Rail et CFDT) ont pris soin de poser un préavis de grève illimité et reconductible le 11 décembre, officiellement pour soutenir les cheminots Fret SNCF et demander un moratoire sur sa discontinuité juridique (à nouveau refusé cette semaine par le gouvernement, cette fois-ci via la ministre Catherine Vautrain), afin de mettre une pression maximale sur la direction de la SNCF avant mercredi. Médiatiquement, pendant le week-end très creux du 11 novembre, ça a marché. Mais c’est aussi une façon d’enjamber le probable échec de la grève carrée du 21 novembre – également sur le fret.
La suite devrait donc se jouer mercredi autour de l’AGS (augmentation générale des salaires) proposée par la direction en sus du GVT (Glissement Vieillesse Technicité), mais aussi des initiatives des organisations syndicales qui ne semblent pas unanimes sur la possibilité d’une mobilisation d’ampleur en fin d’année.
MOUVEMENTS
Pierre Coppey, sortie d’autoroute
Pierre Coppey dirigeait Vinci Autoroutes depuis 2009.
Mobilettre avait salué avant l’été la stratégie de continuité sans heurts choisie par les actionnaires de Vinci et son PDG Xavier Huillard, appelé à prendre du recul au printemps prochain. Une succession ordonnée, qui contrastait avec la programmation brutale de l’éviction de Jean-Pierre Farandou et Augustin de Romanet de la SNCF et d’ADP.
Si cette succession à Vinci se déroule pour l’instant comme prévu, avec le remplacement le 17 avril prochain de Xavier Huillard par Pierre Anjolras, juste en-dessous le ménage a commencé, et de façon spectaculaire, puisque celui qui a longtemps été l’homme fort des autoroutes en général et de Vinci Autoroutes en particulier, Pierre Coppey, a démissionné de toutes ses responsabilités, au profit de Nicolas Notebaert, nommé directeur général de Vinci Concessions et directeur de Vinci Autoroutes.
Cette éviction de Pierre Coppey peut apparaître surprenante – elle s’explique. Très actif lors du putsch contre Antoine Zacharias en 2006 qui avait propulsé Xavier Huillard à la tête du groupe, il s’était érigé progressivement en puissant patron de Vinci Autoroutes, passé maître dans l’art des négociations avec l’Etat et les différents gouvernements sur les concessions autoroutières. Est-il allé trop loin dans l’influence voire dans la provocation, jusqu’à indisposer les autres opérateurs au sein d’une ASFA (association des sociétés françaises d’autoroutes) réduite au silence ou presque ? En tout état de cause, à l’approche de sa propre transmission de témoin, Xavier Huillard a décidé de s’en séparer.
«Je retrouve le goût inestimable de la liberté», nous a brièvement et dignement répondu Pierre Coppey, personnage à multiples facettes, grand amateur de voitures de collection et cycliste urbain, président de l’association Aurore qui œuvre depuis 150 ans pour l’accompagnement social, le soin et la réinsertion socio-professionnelle de personnes en situation d’exclusion ou de précarité, président du Centre de musique baroque de Versailles (CMBV).
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Xavier Gruz quitte SNCF Réseau
Xavier Gruz, patron emblématique du projet Eole.
C‘est une surprise tant la qualité de son management du projet Eole (le RER E à l’ouest) a été unaninement louée, y compris par IDFM qui n’est pas toujours tendre avec le gestionnaire d’infrastructure ferroviaire. Mais justement, c’est probablement du fait même de cette performance depuis dix ans que Xavier Gruz a été recruté par EDF, comme responsable de la maîtrise d’ouvrage du programme nucléaire – une très grosse responsabilité. Une recrue de choix pour le PDG Luc Rémond qui doit accélérer la réalisation des nouvelles centrales. Et une perte pour le groupe SNCF. Celui ou celle qui va lui succéder pour mener à bien l’achèvement du prolongement du RER jusqu’à Mantes n’est pas encore connu.