Mobitelex 479 – 14 février 2025

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Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

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Jusqu’où ?

Tout est allé de travers cette semaine.

Trump et Poutine enterrent le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, Pascal Praud diffuse en toute impunité sur CNews de fausses informations sur le meurtre d’une enfant de 11 ans par un jeune de 23 ans, le RN Jean-Philippe Tanguy est élu député de l’année par des journalistes politiques, le Premier ministre François Bayrou patauge dans l’affaire Bétharram.

L’adoption d’un budget pour la France ne fut qu’une éphémère consolation cette semaine tant les nouvelles ahurissantes se sont succédé. Avec, en toile de fond, la très désagréable impression qu’une adaptation française du trumpisme est en train de mijoter à gros bouillons dans les esprits opportunistes : politiques populistes, patrons dérégulateurs, fractions libertariennes.

Rien de bien saillant ne s’est passé en matière de mobilité. Une succession de fâcheux désordres sur le réseau ferroviaire. Des miettes d’actualité. Une distraction en fin de semaine : Rachida Dati célébrant en gare de Lyon un accord sur le transport des contrebasses dans les TGV, initié en 2023 par le ministre des Transports Clément Beaune et la ministre de la Culture Rima Abdul Malak. Mais quelques heures avant elle a fait faux bond – une fausse note de plus, ou un scrupule de dernière minute avant une récupération osée?

Et puis, hier jeudi en fin d’après-midi, l’annonce surprise de la garde à vue à Montpellier pendant 9h30 de Jean Castex, PDG de la RATP, ancien Premier ministre, dans le cadre d’une enquête préliminaire sur de possibles détournements de fonds publics, faux et usages de faux en 2017 et 2018 au profit d’une entreprise en difficulté de Prades, dont il était maire – des subventions auraient été accordées malgré l’avis défavorable du préfet. «Je me tiens sereinement à la disposition de l’autorité judiciaire. Aucun enrichissement personnel ne m’est reproché», a réagi Jean Castex.

Une semaine de travers.

Bonne Saint-Valentin, et bon week-end. G. D.

PS : avant, peut-être, quelques jours de vacances, voici deux récits pleins de chiffres. Accrochez-vous !

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REGULATION

Tarifs des prestations de sûreté : la RATP passe au deuxième tour

Après avoir émis un avis défavorable sur la tarification 2024, l’Autorité de régulation des transports vient d’accepter le deuxième projet présenté par la RATP.

L’avis publié sur le site de l’ART est caviardé pour cause de SDA (secret des affaires), dont on persiste à ne pas comprendre la justification puisque le service de sûreté de la RATP, le GPSR, est en monopole 100% public. Mais bon, l’essentiel, à savoir les tarifs de chacune des prestations, est visible. Accompagné des explications toujours précises du régulateur, il permet de comprendre pourquoi la RATP est passée au deuxième tour, après un premier avis défavorable l’automne dernier.

Pour faire simple, les baisses de tarifs horaires sont très légères : -3,5% pour le GPSR jour à un tarif horaire de 104,88€ (contre 108,67€), -1,3% pour le GPSR nuit à 121,96€. Manifestement la RATP a documenté le rattrapage de l’année 2023, via «un lissage du rebasage des charges afin de partager les surcoûts liés à la non-atteinte des objectifs d’efficacité», tout en tenant compte de la revalorisation des charges de personnel reflétant la suppression de leur plafonnement à +1,5% suite à l’accord passé avec IDFM (dans le cadre de l’avenant à la convention 2021/2024). Par ailleurs, sans qu’on en connaisse le niveau exact (qui se situe «entre 1 et 3%»), le bénéfice «raisonnable» est également accepté par le régulateur.

Il y a pourtant un hic : le rejet de la tarification du recueil social, à 142,10€/heure. «La RATP n’a pas fait évoluer sa méthodologie d’estimation des temps improductifs et reconduit à l’identique son taux de production», regrette le régulateur, qui demande une baisse du tarif horaire («entre 2% et 4%»), alors que la RATP l’avait fait croître bizarrement de 0,6% depuis l’automne. Précisons qu’une soixantaine de personnes travaillent chaque nuit à l’orientation des personnes sans-abri vers des centres de prise en charge (notamment celui de 54 places à Nanterre), sachant que la loi interdit toute évacuation de personnes du métro en l’absence de solution d’hébergement.

Deux leçons peuvent être tirées de cet accouchement difficile de la tarification des prestations du GPSR

La RATP va devoir accélérer la mise en place du nouveau cadre de régulation, qui ne se limite pas à un exercice de calculs et d’écritures comptables. Dans les faits, ce sont aussi les agents du GPSR qui doivent spécifier au jour le jour leurs affectations : sur le terrain, en visite médicale, en formation etc. Pour l’instant cela se passe d’autant mieux que les tarifs restent bien au-delà de la moyenne horaire de tout autre prestataire de sûreté (y compris la Suge de la SNCF).

Une trajectoire tarifaire pluri-annuelle de trois ans va devoir être fournie au régulateur pour le DRT (document de référence de la tarification) de 2026, sur la base de la projection des charges à trois ans qui vient d’être établie (avec une tendance haussière entre 0 et 2% par an). C’est indispensable pour IDFM, l’Autorité organisatrice, et pour de futurs clients éventuels, alors que le GPSR s’apprête à assurer les prestations de sûreté des quatre lignes du Grand Paris Express.


EMPRUNTS

Coûts financiers du Grand Paris Express : revoilà Bruno Le Maire !

Mobilettre raconte comment, au deuxième semestre 2020, le ministre de l’Economie et des Finances a bloqué une grosse levée d’emprunts préparée par la Société du Grand Paris, alors que les taux étaient historiquement bas. Résultat : un surcoût d’une dizaine de milliards, au bas mot.


Il est établi qu’il y a deux sortes de chiffrages pour un grand projet d’infrastructures

le coût de réalisation. Il est public, fait l’objet de révisions régulières voire de polémiques quand il subit de trop fortes variations. Depuis la révision de 2019, celui du GPE reste fixé à 35 milliards d’euros (constants).

le coût financier. Jamais ou rarement communiqué sur la place publique, hormis lors de documents techniques et financiers, tels les rapports de la Cour des comptes. C’est ce chiffrage-là qui nous intéresse depuis quelques mois…

Plus précisément, le rapport des magistrats de la rue Cambon délibéré le 19 janvier 2024 nous a permis de comprendre l’enjeu majeur de la charge financière du Grand Paris Express : 29,5 milliards d’euros selon le scénario de référence de juin 2023 ! Et encore, sans l’application des différentes variables qui pourraient modifier cette évaluation dans les années qui viennent : inflation, baisse des assiettes de taxes, surcoûts de réalisation, mise en services décalées, baisse de la redevance IDFM etc. Pour certaines simulations qui accumuleraient les «mauvaises nouvelles», les charges financières dépasseraient allègrement les 50 milliards, pour des horizons de remboursement postérieurs à 2070, voire 2100 !

Mais avant d’en arriver là, c’est une autre histoire que nous avons reconstituée : celle de l’année 2020 où la SGP, de par les atermoiements de Bercy, a gâché l’occasion de faire baisser spectaculairement les coûts de portage du GPE. En 2018 et 2019, le recours à l’emprunt les a déjà fait baisser de 18 milliards, selon les calculs de Gilles Carrez. Au programme de cette nouvelle année 2020, donc, bis repetita : profiter des taux extrêmement bas (jusqu’à seulement 0,7%!) pour sécuriser le financement du projet. Au printemps, un premier conseil de surveillance de la SGP acte le doublement du plafond d’emprunt (de 10 à 20 milliards) et autorise une levée de 12 milliards sur les douze mois à venir, puis un deuxième conseil le 7 juillet autorise concrètement les opérations par la mise en place d’une ligne de crédit sur un compte bancaire autonome (plutôt que de passer par l’Agence France Trésor – AFT).

Et là, c’est le drame…

Le 3 août, c’est-à-dire dans le délai d’un mois qui lui est imparti pour s’opposer à une délibération du Conseil de surveillance, le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire suspend son approbation de la clause permettant la levée d’emprunt. Dans un courrier que Mobilettre s’est procuré, il «s’interroge sur la complétude de l’information des membres du conseil de surveillance» et énonce plusieurs réserves dont celle de perdre une opportunité de gain au cas où les taux baisseraient encore. «Le cas échéant, [vous aurez] mon approbation expresse de la délibération du 7 juillet», écrit-il.

Que s’est-il passé ensuite ? Le directoire de la SGP a plaidé sa cause et multiplié les arguments en faveur d’une levée massive. Un conseil de surveillance, le 24 novembre, est assez tendu. François Durovray s’interroge sur la non-application des décisions du conseil du 7 juillet et met en cause le fonctionnement du conseil. Les personnalités qualifiées soutiennent le programme d’endettement. Même la mission de contrôle est pour ! Finalement, quelques jours après, le 1er décembre, Bruno Le Maire valide le programme d’endettement, à la réserve d’un pilotage technique par l’AFT.

Quatre mois perdus…

Le 15 décembre, le Comité d’audit reprend le cours du processus, et va même jusqu’à recommander, sur la proposition de Christian Favier, président du Conseil de surveillance, de lever 17 milliards sur deux ans. «La stratégie vise à réduire un risque et non à maximiser un gain», assène Frédéric Brédillot, l’un des trois membres du directoire avec Thierry Dallard et Bernard Cathelain. Le 19 janvier, le Conseil de surveillance entérine enfin un emprunt de 10 milliards en 2021 (Bercy a refusé une hypothèse à 12 milliards), avec examen en cours d’année de 7 milliards supplémentaires pour le début 2022. Mais la mise en œuvre n’est possible qu’un mois plus tard, le temps que le ministre de l’Economie puisse s’opposer…

Il n’a pas eu besoin de le faire : le 23 février, l’annonce du départ de Thierry Dallard, voulu par le Premier ministre Jean Castex, suspend tout le processus. Seuls 5 milliards seront levés en 2021, et 1,75 milliard d’euros en 2022, année où les taux remontent à plus de 3,50% (en 2023 et 2024, seuls 4 milliards d’euros ont été empruntés, à des taux entre 3,375% et 3,7%).

Bilan : les coûts de portage financiers du GPE remontent à 29,5 milliards, alors que dans l’hypothèse des 17 milliards d’emprunts, ils auraient baissé à 11 milliards… Autrement dit, cela aurait pu faire -10, et ça a fait +10. Bravo messieurs Le Maire et Castex !

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