Pour les mobilités du quotidien, c’est la mobilisation générale!
A trois semaines du premier tour des élections municipales, TDIE, le Gart et l’IGD publient des contributions à l’amélioration des politiques de mobilité. Ces exercices témoignent de l’impérieuse nécessité pour les autorités organisatrices de mobilité de franchir un cap dans la nature et l’ambition des solutions proposées dans les territoires, quelques mois après le vote de la Loi d’orientation des mobilités. Même si, tout à son nouveau paradigme des mobilités du quotidien, l’Etat a largement «oublié» les aspects pécuniers…
Rien d’étonnant à ce que le thème de la mobilité et des déplacements soit l’un des points clés de la campagne des municipales. On nous a suffisamment dit que la priorité des priorités était les « transports du quotidien », sans que l’on ne sache d’ailleurs toujours bien de quoi l’on parlait… Avec les municipales, on touche du doigt ce flou: qui sera AOM (Autorité organisatrice de mobilité) ? Avec quelles compétences ? On tombe vite sur ces nombreuses « zones blanches » de la LOM (loi d’orientation des mobilités). Qu’y-a-t-il de commun entre une AOM que l’on pourrait qualifier d’ordinaire et celles qui se trouvent dans le périmètre de l’Ile-de-France avec la toute-puissance d’Ile-de-France Mobilités?
Le questionnaire de TDIE
Dans un paysage aussi éclaté, le Think Tank TDIE (coprésidé par Philippe Duron et Louis Nègre, dirigé par Pierre van Cornewal) a beaucoup de mérite à avoir bâti un questionnaire comme il le fait désormais lors de chaque élection. Mais autant, qu’il s’agisse de la présidentielle, des législatives ou des européennes, il y a un programme national et des chefs de file bien identifiés. Pour les régionales, là aussi on connaît le chef de file mais cela se complique déjà du fait des spécificités géographiques ou économiques. Alors les municipales…
Pour tenter de résoudre le problème de la diversité, TDIE a choisi d’établir trois types de questionnaires: le premier à destination des intercommunalités qui ont la compétence d’AOM ; le second à destination des intercommunalités d’Ile-de-France, où la fonction d’AOM est exercée par le Syndicat Ile-de-France Mobilités (IDFM) et enfin, un troisième pour les communautés de communes qui ne sont pas couvertes par une AOM intercommunale, les fameuses «zones blanches».
Faute de chef de file identifié, ces questionnaires sont donc un peu des bouteilles à la mer
Cet exercice réalisé, on tombe sur une autre difficulté : à qui faut-il envoyer lesdits questionnaires ? Tant que les intercommunalités ne seront pas élues au suffrage universel, impossible en effet de savoir qui, au final, quel que soit le résultat dans les communes membres, présidera l’intercommunalité. Faute de chef de file identifié, ces questionnaires sont donc un peu des bouteilles à la mer, sauf dans une quinzaine de cas où TDIE a des « référents » qui feront la chasse aux réponses. C’est le cas de Paris, Lyon, Grenoble, Rouen, Cherbourg, Dijon, Reims, Aix-Marseille, Toulouse et Perpignan, les Communautés de communes du Pays Basque, du Cotentin ou de la Baie de Somme. Sans doute est-ce la raison pour laquelle TDIE préfère parler de grille d’analyse plutôt que de questionnaire à proprement parler. Elles ont le mérite de constituer un outil pédagogique (en duo avec l’analyse de la LOM à laquelle s’est parallèlement livré TDIE) et de sensibilisation pour les élus qui prendront le temps de les ouvrir.
De l’organisation de l’espace public, on passe naturellement aux questions sur le partage de cet espace
La grille d’analyse destinée aux candidats aux élections municipales dans les communes membres d’une intercommunalité dotée de la compétence d’autorité organisatrice de mobilité comporte par exemple un chapitre sur l’aménagement du territoire dans la mesure où «les politiques du logement et d’urbanisme, la gestion de l’étalement urbain, la densification prioritaire autour des stations de transport collectif, la répartition des services publics, des lieux de travail, de commerce et de loisirs, ou encore les systèmes numériques impactent les besoins et la nature des mobilités». De l’organisation de l’espace public, on passe naturellement aux questions sur le partage de cet espace (politique piétonne, grands axes urbains, usage des berges, politique de stationnement). Tout cela sans oublier des questions plus techniques sur la tarification ou le déploiement de bornes de recharge pour le véhicule électrique. L’intermodalité (parcs relais, gares routières) fait également partie des interpellations, de même que la logistique urbaine ou la gouvernance.
Pour les candidats du périmètre Ile-de-France s’ajoutent logiquement des questions sur le Grand Paris Express et les infrastructures de dimension nationale (gares, aéroports). La grille d’analyse à l’intention des candidats dans les communes qui ne sont pas couvertes par une AOM intercommunautaire est beaucoup plus succincte mais elle joue son rôle d’alerte en rappelant d’emblée que «les communes auront jusqu’au 31 décembre 2020 pour décider du transfert de la compétence mobilité à l’intercommunalité, faute de quoi la compétence sera exercée par la Région. Afin de supprimer les “zones blanches de la mobilité“, les communautés de communes n’ayant pas la compétence d’organisation des mobilités ont jusqu’au 31 décembre 2020 pour délibérer sur la prise de compétence mobilité, à la suite de quoi les communes ont jusqu’au 31 mars 2021 pour délibérer sur le transfert de compétence. A défaut de transfert, la compétence sera exercée sur le territoire de l’intercommunalité par la Région.»
Le guide du GART
31 décembre 2020, 31 mars 2021, c’est déjà demain. Pour s’inventer une politique de mobilité et en prendre les rênes, il ne faut donc pas trainer! C’est cette urgence et la complexité des dispositions de la LOM qui ont conduit le GART (Groupement des autorités responsables de transport, présidé par Louis Nègre, dirigé par Guy Le Bras) à élaborer le premier volume d’un guide de décryptage de celle-ci. Au passage, le GART, tout en saluant certaines dispositions de la LOM, met aussi en évidence certaines de ses faiblesses.
Quatre des dispositions de la LOM sont ainsi «épinglées» :
- «L’absence de financement dédié pour les nouvelles autorités organisatrices qui décideraient d’agir en matière de mobilités actives et partagées, mais qui ne souhaiteraient pas créer leur réseau de transports collectifs réguliers»
- «Le caractère facultatif du forfait “mobilités durables” et le plafonnement de la défiscalisation de son cumul avec la prime transport à 400 euros»
- «La complexité du mécanisme retenu pour la mise en œuvre des zones à faibles émissions mobilité, que ce soit en termes de contrôle ou de gouvernance institutionnelle»
- «Les dispositions relatives au transport debout des élèves dont la mise en œuvre pratique devra faire l’objet d’un travail approfondi avec les services de l’Etat».
Le GART, dont les membres ont les «mains dans le cambouis», n’hésite donc pas à rappeler les technocrates à l’ordre…
Les propositions de l’IGD
Les élections municipales, rendez-vous de la démocratie de proximité, ne laissent décidément pas indifférent. Après les questions de TDIE, l’exercice pédagogique du GART, on a déjà… les réponses de l’IGD (Institut de la Gestion Déléguée, présidé par Hubert du Mesnil, dirigé par Pierre-Emeric Chabanne). Plus sérieusement, il s’agit en fait de propositions, huit, pour être précis, qui concernent les mobilités du quotidien des espaces urbains et péri-urbains, c’est-à-dire les communes appartenant à la couronne d’un pôle urbain dans la limite d’une heure en voiture du centre-ville. Là, on sent bien que cette définition va énerver certains: pourquoi pas en vélo ou train ? Oui, c’est un parti pris, mais c’est la définition de l’IGD!
69% des actifs utilisent leur voiture pour se rendre sur leur lieu de travail
Le choix de cette mesure s’explique sans doute parce que son groupe de travail « Mobilités du quotidien » a constaté «qu’une partie chaque année grandissante de Français sont contraints d’utiliser leur véhicule personnel pour se rendre de leur domicile à leur lieu de travail, que ce soit par manque d’alternative ou par manque de densité du réseau. (…) Elle est prédominante en zone urbaine où 69% des actifs utilisent leur voiture pour se rendre sur leur lieu de travail.» Quoi qu’il en soit le groupe de travail a donc formulé six propositions «d’ordre immédiat ou de court terme» et deux de «moyen ou long terme».
La première proposition de court terme vise à assurer la complémentarité des réseaux: «Une première étape pour encourager la mobilité durable et réduire l’autosolisme consiste à massifier les déplacements sur route. Transporter plus et mieux en utilisant ce qui existe et en interconnectant des services de transport collectifs sur les voies rapides urbaines aux services de transports publics ferrés des métropoles est une réponse qui apparaît à la fois rapide et adaptée aux besoins des navettes quotidiennes entre domicile et travail.»
Proposition 2: le partage de la voirie, en réservant par exemple une voie dédiée au covoiturage sur les grands axes.
Proposition 3: faire appel aux nouvelles technologies qui peuvent être des moyens de «rationnaliser l’usage de nos infrastructures pour concourir à une optimisation des flux, une réduction de l’autosolisme et au développement de transports partagés au profit de la mobilité du quotidien.»
Tarification solidaire, mais aussi modulation en fonction des horaires, ce que permet aujourd’hui la technologie
La proposition 4 consiste à utiliser l’outil de la tarification pour développer le recours au transport public. Tarification solidaire, mais aussi modulation en fonction des horaires, ce que permet aujourd’hui la technologie. L’IGD cite également la possibilité de mettre en place «des titres associant plusieurs services de mobilité ou de la vie quotidienne, ce qui permet une entrée simplifiée dans le système» ou «l’offre de produits d’appel permettant de faire découvrir le réseau de transport : titre Parc-Relais, titre Navette associé à des places de stationnement en périphérie, titre à tarif réduit en accompagnement d’un abonné en soirée…».
Proposition 5: repenser le stationnement. Le groupe de travail propose de transformer les parkings en « hub de services »: «Adaptés aux besoins locaux, les parkings offrent à leurs usagers une large gamme de services pour l’entretien du véhicule (maintenance et réparation rapide), faciliter leur vie quotidienne (consignes automatiques pour la réception des colis, espaces de stockage…) et des lieux ouverts sur la ville (événementiel, espaces culturels).» Dernière mesure de court terme: répondre aux besoins de mobilité dans les zones peu denses. Là pas vraiment de proposition, mais on évoque complémentarité des modes, mutualisation des services et… on renvoie la mise en œuvre aux autorités organisatrices.
Des deux propositions à moyen ou long terme, la première concerne la gouvernance. Le groupe de travail rappelle que «les Contrats Opérationnels de Mobilités (COM) prévus par la LOM permettent de créer les conditions d’un dialogue constructif entre les AOM et les Régions afin de travailler ensemble à l’offre de mobilité des personnes résidant ou travaillant dans les zones interstitielles des RTAOM (Ressorts Territoriaux des Autorités Organisatrices de la Mobilité), celle-ci relevant de la compétence régionale ». Il plaide donc nettement pour la mise en place de ces COM.
«La lutte contre l’étalement urbain et la recherche d’une nouvelle densification des villes centres peut paraître la réponse la plus efficace aux défis de la mobilité du quotidien»
La sixième proposition relève de l’aménagement du territoire: « La lutte contre l’étalement urbain et la recherche d’une nouvelle densification des villes centres peut paraître la réponse la plus efficace aux défis de la mobilité du quotidien », notamment parce qu’ils permettent de réduire les trajets domicile-travail et d’en changer les modes. Pragmatique, l’IGD concède qu’il serait probablement plus facile et rapide de « réduire les déplacements subis en facilitant les achats de proximité, développer un urbanisme de proximité, au niveau du quartier, qui rapprocherait de façon multifonctionnelle les différents services (santé, culture, loisirs, commerces) des lieux d’emplois ou de logement, le tout accompagné d’une offre de mobilité en mode doux ». Enfin, l’IGD se prend à rêver: « Une réflexion sur une gouvernance supérieure qui pourrait être en mesure d’arbitrer entre mobilité (Plans de mobilité de la LOM, ex-Plans de déplacements urbains) et développement urbain (PLU, PLUI) mériterait sans doute d’être conduite dans un cadre législatif ultérieur ». Mais c’est effectivement une autre histoire…
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Rendez-vous
Une table ronde le 30 mars
L’IGD organise le 30 mars prochain à 11h, à la Maison de l’Amérique latine, une séance de deux heures d’échanges sur les mobilités du quotidien, introduite et animée par Gilles Dansart (Mobilettre).
Charles-Eric Lemaignen (AdCF) et Claude Faucher (UTP) résumeront dans un premier temps les constats en compagnie d’un dirigeant d’Ipsos, avant que les membres du groupe de travail de l’IGD confrontent leurs propositions aux différents acteurs des politiques territoriales, autour de trois thèmes (voirie, nouvelles technologies, zones rurales/zones denses).
Hubert du Mesnil, président de l’IGD, clôturera cette matinée.
Inscriptions obligatoires contacts@fondation-igd.org
COMMENTAIRE
Après la mobilisation, le combat…
Quelle vitalité! Chacun dans son style, les trois organisations sus-citées apportent d’utiles contributions aux futur(e)s élu(e)s de collectivités chargées de mieux agir en matière de mobilité. Qu’on ne s’y méprenne pas: il est toujours plus facile de conseiller que de réaliser. Mais à chacun son rôle : les AOM, y compris les plus grandes et les mieux armées, seront bien heureuses de trouver des réflexions de référence, des partages d’expérience ou des balises programmatiques pour ne pas se perdre dans certaines complexités.
Ils sont trop nombreux à s’être heurtés au mur de la réglementation et du process, jusqu’à abandonner leurs bonnes résolutions
Car c’est bien là le paradoxe du changement de paradigme voulu par l’Etat à travers la LOM, changement au demeurant fort judicieux: il ne s’attaque pas vraiment aux tracasseries de tous ordres qui douchent encore les enthousiasmes des élus. Ils sont trop nombreux à s’être heurtés au mur de la réglementation et du process, jusqu’à abandonner leurs bonnes résolutions ou à sous-traiter trop vite et sans suffisamment de maîtrise. Cela explique en partie les difficiles passages de l’expérimentation à la généralisation: tout d’un coup, on passe de l’ivresse innovante à la gueule de bois techno.
Car derrière le mur des réglementations (dont il ne faut pas nier l’utilité foncière: mais ne pourrait-on pas effectuer quelques nettoyages réguliers?), se dresse très vite un deuxième obstacle, celui du financement. Le Versement Transport ne peut plus tout, et dans les plus petites des intercommunalités appelées à une nouvelle compétence il ne pourra même rien du tout. Il faut d’urgence revoir cet aspect-là de la décentralisation des compétences, à tous les niveaux, depuis IDFM qui ne sait toujours pas avec quel argent financer l’exploitation du Grand Paris Express (sauf à prier l’Etat, ce que ce dernier adore pour perpétuer l’illusion de sa toute puissance) jusqu’aux petites collectivités qui fourmillent d’idées pas forcément estampillées «transport régulier de voyageurs», en passant par toutes les autres qui attendent des fumées blanches pour leurs projets : RER métropolitains, infrastructures vélos, BHNS, gares vraiment multimodales, services partagés.
Il ne suffit pas de clamer haut et fort que les élus de proximité sont les hérauts et héros de la République : encore faut-il continuer à leur faciliter la tâche. Certes ils peuvent faire des erreurs, à trop céder parfois à la tentation de la communication court terme ou du clientélisme – car c’est bien connu, l’Etat lui est exempt de ce genre de facilité. Mais le suffrage universel est un impitoyable rappel à l’ordre : pour durer mieux vaut être solide sur la durée. Au travail! G. D.