Enquête
L’Aubrac : chef d’œuvre en péril ou infrastructure vitale ?
PAR ANNE BARLET
Le niveau des investissements nécessaires à la préservation d’une exploitation fret et voyageurs entre Clermont-Ferrand et Béziers pose le problème de son modèle économique. Comment redonner de l’attractivité à une desserte emblématique d’une certaine vision de l’aménagement du territoire ? Notre enquête, et en exclusivité le rapport du Cerema qui ouvre des perspectives nouvelles.
C’était une autre époque. La SNCF faisait rouler des trains pour voyager, et pas seulement pour aller vite, elle leur donnait des noms poétiques : Le Train Bleu, La Palombe Bleue, Le Capitole, et puis Le Cévenol et L’Aubrac. Ce dernier concentre actuellement les attentions des élus des régions traversées, entre Clermont-Ferrand et Béziers : de ralentissements en interruptions de circulation il a été un temps menacé de fermeture dans sa partie nord entre Neussargues et Saint-Chély-d’Apcher si des travaux de voie n’étaient pas réalisés de manière urgente.
Comment en est-on arrivé là, et quelles sont les perspectives d’avenir ? Nous avons voulu nous plonger au cœur de l’Aubrac qui desservait à son origine Béziers depuis Paris tandis que sa jumelle (tronc commun de Paris à Clermont-Ferrand puis le train était coupé en deux), le Cévenol, partait vers Nîmes et Marseille. Le Cévenol n’est plus aujourd’hui qu’un TER interrégional, dont la région Occitanie a repris l’exploitation et qui s’arrête à Nîmes. L’Aubrac, quant à lui, fait aujourd’hui partie des lignes voyageurs et fret les moins circulées (classée 7 à 9). L’Etat y fait pourtant circuler un Train d’Equilibre du Territoire (TET), les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie des TER et l’usine Arcelor-Mittal de Saint-Chély-d’Apcher ses convois de bobines d’acier. Oui mais voilà, elle est « doublée » par une autoroute gratuite, l’A 75. Alors, compte-tenu du coût des travaux nécessaires pour entretenir et sauver la ligne, est-ce bien raisonnable de maintenir deux infrastructures parallèles ? Y a-t-il d’un côté « les bons », les territoriaux et les écologistes, ceux qui défendent coûte que coûte cette ligne au nom de l’aménagement du territoire, de l’autre les « brutes », les comptables et les technos parisiens, qui au nom de la rentabilité financière rechignent à chaque euro dépensé et ne rêvent que de s’en débarrasser ? Il y aurait même les « truands », ceux qui défendent le train… mais ne le prennent jamais ! La réalité est en fait, comme souvent, un peu plus complexe.
Un peu d’histoire et quelques chiffres
Paradoxalement, c’est avec la modernisation de la desserte de Paris-Clermont-Ferrand qu’ont commencé les malheurs de l’Aubrac (et du Cévenol) : les rames Corail classiques ont été remplacées par les rames Teoz et l’arrivée des « rames blocs » ne permettait plus de séparer les voitures au-delà de Clermont. L’Aubrac et le Cévenol ont donc eu pour origine Clermont-Ferrand.
Carte simplifiée des lignes Cévenol et Aubrac. Aux gares indiquées il faut ajouter pour la desserte Aubrac: Brassac-les-Mines, Massiac-Blesle, Aumont-Aubrac, Banassac-La-Canourgue, Campagnac-Saint-Géniez, Séverac-le-Château, Saint-Georges-de-Luzençon, Saint-Rome-de-Cernon, Tournemire-Roquefort, Ceilhes-Roqueredonde, Le Bousquet, Magalas.
De Clermont-Ferrand à Béziers, l’Aubrac parcourt 387 kilomètres : 108 kilomètres de Clermont-Ferrand à Neussargues et 279 kilomètres de Neussargues à Béziers (ligne dite des Causses) et dessert une vingtaine de gares. Seule la section entre Béziers et Neussargues est électrifiée. Sa partie nord se trouve en région Auvergne-Rhône-Alpes puis on passe en région Occitanie. Elle comporte un ouvrage d’art de renom, le viaduc de Garabit, réalisé par Gustave Eiffel et mis en service en 1888, à l’ouverture de la ligne. Situé dans le Cantal, ce viaduc ferroviaire long de 565 mètres, classé monument historique, permet de franchir La Truyère.
A partir de 2006, les ennuis sérieux commencent pour la partie Nord avec le déraillement d’un train entre Neussargues et Saint-Flour qui provoque l’arrêt des circulations pour trois semaines. Plus récemment, en 2020, un train d’inspection met en évidence des défauts de géométrie de la voie et des problèmes de sur-écartement des rails, en particulier dans le Cantal où la voie est équipée d’un rail à double champignon. Les circulations sont suspendues et des travaux d’urgence sont effectués, mais le verdict est net : le rail à double champignon doit être remplacé sur près de la moitié de la ligne entre Saint-Chély d’Apcher et Neussargues faute de quoi le trafic voyageur devrait s’arrêter à la fin de cette année et le trafic fret fin 2024. Coût du remplacement de ce rail à double champignon sur les 25 kilomètres concernés : 40 millions d’euros. Le rail à double champignon avait été conçu pour permettre un retournement du rail usé et donc lui offrir une double vie. En fait, le principe n’a pas fonctionné, car le rail retourné était déjà usé. Le système n’est donc plus utilisé d’autant que ce type de rail avait un coût de maintenance très élevé.
On en était là lorsque Mobilettre s’est penché sur ce dossier. Du côté du ministère des Transports, on fait valoir que tant pour les travaux d’infrastructure de l’Aubrac que du Cévenol, l’Etat proposait d’en financer un tiers, charge aux deux régions concernées, Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie, de financer les deux autres tiers. Les discussions, menées sous l’égide du préfet Philizot, n’ont jusque-là pas permis d’aboutir à un accord. Finalement devant l’urgence des travaux de remplacement des 25 kilomètres de rail à double champignon, l’Etat vient de demander à SNCF Réseau de maintenir ses achats et les équipes pour les réaliser. Une fois n’est pas coutume, c’est Bercy qui a poussé à cette dépense, compte tenu de l’enjeu pour Arcelor Mittal et pour Fret SNCF. Mais le tour de table n’est toujours pas finalisé : l’Etat accepte de mettre sa part dès maintenant (13,7 millions d’euros au total) sur la phase préparatoire des travaux (les achats de matières premières) et compte sur les régions pour porter les autres financements ; SNCF Réseau, quant à lui, contribuera à hauteur de 8,5%.
Arcelor Mittal est le premier client de Fret SNCF; ses trains de bobines resteront dans le giron SNCF, suite au plan de discontinuité en cours de finalisation.
Installée au cœur de la Lozère sur le site de Saint-Chély-d’Apcher, l’usine Arcelor Mittal emploie aujourd’hui 200 personnes et fait travailler environ 50 sous-traitants (pour mémoire, la Lozère compte moins de 80 000 habitants). Elle a fait l’objet d’investissements récents et s’est spécialisée dans la transformation d’aciers spéciaux, produits sur son site de Fos, qui servent de composants dans les moteurs de véhicules électriques, des TGV, les éoliennes et les centrales hydro-électriques. Les bobines d’acier remontent par train depuis Fos, via Lyon-Sibelin et Clermont-Ferrand pour redescendre sur le site de Saint-Chély, embranché sur le réseau national. Chaque jour, c’est donc un convoi de 700 tonnes de bobines d’acier – des « coils » de plus de 20 tonnes pièce- qui dessert l’usine de Lozère.Interrompre la circulation ferroviaire entre Neussargues et Saint-Chély aurait donc abouti à mettre 10 000 camions sur route par an et à fragiliser la pérennité des emplois ainsi que l’activité de Fos (2500 personnes et plus de 500 sous-traitants). De plus, Arcelor Mittal est le premier client de Fret SNCF et ses trains de bobines resteront dans la partie Fret SNCF qui subsistera après le redimensionnement exigé par Bruxelles. «Arcelor-Mittal s’est donné pour objectif d’être totalement décarboné en 2050 et le site de Saint-Chély est prêt à doubler son volume fret pour livrer ses clients», nous a assuré le directeur du «cluster Méditerranée», qui regroupe les sites de Fos et Saint-Chély.
Bras de fer entre l’Etat et les régions.
Pourquoi cette difficulté à trouver un accord entre l’Etat et les régions sur le financement de ces 40 millions d’euros? La région Auvergne-Rhône-Alpes a clairement écrit qu’elle se refusait à financer des infrastructures ferroviaires, qu’il s’agisse ou non du réseau structurant. Elle estime que c’est à l’Etat de le faire. La position de l’Occitanie ? Son vice-président Transport, Jean-Luc Gibelin, confirme l’engagement très ferroviaire de sa région qui souhaite conserver cette ligne, «mais le ministère des Transports ne peut pas s’exonérer de ses responsabilités en matière d’aménagement du territoire». Comme l’Etat a signé en mars 2022 pour la période 2022-2031 une convention d’exploitation des TET parmi lesquels figure l’Aubrac, la conclusion serait simple: à l’Etat d’assurer l’entretien de l’infrastructure, même si elle sert aussi au TER.
Dans le contexte actuel de négociation des CPER (Contrats de Plan Etat Région), il est très difficile d’avoir des chiffres précis : ni l’Etat, ni SNCF Réseau, ni les régions ne veulent dévoiler leurs cartes. On doit donc se contenter d’ordres de grandeur et s’il n’y a pas de menace d’arrêt d’exploitation à court terme sur la partie « sud » entre Béziers et Neussargues, des travaux conséquents sont néanmoins nécessaires, notamment pour supprimer les nombreux ralentissements qui font perdre de l’attractivité à la ligne et… pour en éviter de nouveaux.
Selon des sources internes à SNCF Réseau, le coût moyen de maintenance de la ligne ces dernières années sur le seul tronçon Neussargues-Saint-Chély-d’Apcher se serait élevé à 2,2 millions d’euros par an, notamment à cause du coût très élevé de la maintenance du rail à double champignon. De ce point de vue-là, son remplacement serait une bonne nouvelle et permettrait d’économiser de l’ordre de 1 million d’euros par an.
Une autre dépense se profile aussi au Nord, liée à la remise en peinture et à la consolidation des socles en béton du viaduc de Garabit. Le coût total serait de 40 millions d’euros.
Jusqu’à présent, la région Occitanie n’a pas ménagé ses efforts, notamment dans le cadre de son plan rail. Mais les chiffres évoqués pour la suite donnent un peu le tournis. Le seul à avoir accepté de s’engager est le président du collectif pluraliste, Jacky Tello, qui milite de longue date pour le « sauvetage » de la ligne. Conducteur de train SNCF à la retraite, il évalue la dépense à 100 millions d’euros pour la voie et 200 pour la caténaire, soit un total de 300 millions d’euros. Sans être aussi précis, nos autres interlocuteurs estiment que l’on est bien entre 200 et 300 millions d’euros pour la partie Sud. Une autre dépense se profile aussi au Nord, liée à la remise en peinture et à la consolidation des socles en béton du viaduc de Garabit. Le coût total serait de 40 millions d’euros -décidément c’est l’unité de compte pour les opérations sur la ligne…-, la moitié pour la peinture, l’autre pour le béton. Sur le financement, il y a peut-être une lueur d’espoir : le viaduc de Garabit étant l’une des principales attractions du Cantal, la région Auvergne-Rhône-Alpes serait prête à mettre la main à la poche, nous dit-on.
L’évaluation des dépenses au Sud est d’autant plus difficile, qu’il y a ceux qui veulent y faire passer du fret et ceux qui seraient déjà bien contents de sauver les circulations voyageurs. Jacky Tello fait partie des premiers qui rêvent de voir les trafics d’Arcelor remonter directement de Fos sur Montpellier et Béziers. Jean-Luc Gibelin estime quant à lui que les arguments avancés par la SNCF pour écarter les circulations fret (contraintes de tonnages en fonction des pentes) ne valent pas puisque les trains de travaux de SNCF Réseau et les convois militaires empruntent bien cette section où subsistent d’ailleurs les plates-formes pour les machines de pousse. Mais des convois exceptionnels et des trafics réguliers sont deux choses différentes. Le directeur du « cluster sud » que nous avons interrogé nous a d’ailleurs clairement dit qu’Arcelor-Mittal n’était pas demandeur de ce passage par le Sud et que, contrairement à ce que certains pouvaient laisser entendre, cela n’engendrerait pas une diminution significative des coûts de transport.
Gare de Saint-Flour. La ligne de l’Aubrac est vitale pour le tourisme et pour les établissements scolaires spécialisés. On parlerait d’un millier d’élèves au total.
L’argument de l’aménagement du territoire.
La mobilisation pour sauver cette ligne ne fait pas défaut : qu’il s’agisse du Comité pluraliste créé en 1995 et présidé par Jacky Tello ou de l’AMIGA, l’Association des Amis du viaduc de Garabit, présidée par la maire de Coren-les-Eaux, dans le Cantal, Patricia Vergne Rochès. Cette dernière est très active et organise régulièrement des rassemblements sur la ligne qui peuvent mobiliser jusqu’à 200 personnes. 2000 élus (conseils départementaux, intercommunalités, syndicats, parcs et communes) ont par ailleurs signé une pétition pour demander la rénovation de la ligne. Hors le sujet du fret, les arguments sont les suivants : cette ligne est vitale pour le territoire et ses habitants, pour le tourisme et pour les établissements scolaires spécialisés (métiers de l’hôtellerie, notamment, et du cheval) implantés tant à Saint-Flour qu’à Saint-Chély. On parlerait d’un millier d’élèves au total. La plupart de nos interlocuteurs ont aussi insisté sur cette mission de la ligne.
Nous avons essayé d’obtenir des chiffres de fréquentation : pour le TET, on serait autour de 20.000 passagers par an. Pour le TER, en posant la question, on avait un peu l’impression d’avoir dit un gros mot. Le sujet n’est pas là, nous répond-on, c’est une question d’aménagement du territoire. La ligne ne se serait jamais trouvée en sur-fréquentation lors des « pointes » : tourisme d’été, week-end. Quant aux établissements scolaires qui recrutent aussi hors du département, ce sont des internats avec des élèves qui rentrent chez eux le vendredi soir et reviennent le dimanche soir et ne sont donc pas des utilisateurs quotidiens. Pourrait-il en être autrement avec une offre meilleure, y compris en dynamisant l’intermodalité dans les nombreuses gares desservies ?
Il y a des « poches » de fréquentation, autour de Clermont-Ferrand, de Bédarieux ou de Béziers ; assez peu d’utilisateurs de bout en bout, hormis des touristes et des passionnés. Comme nous l’a dit un très bon connaisseur du dossier, cette ligne est devenue un « symbole » de la continuité du service public dans des zones «peu denses». D’où l’attachement qui lui est porté et que confortent les opérations TER à 1 euro de la région Occitanie.
Le rapport du Cerema qui ouvre des perspectives.
Au cours de nos entretiens, il a été plusieurs fois fait référence à un rapport confié en 2021 par l’Etat et les deux régions au Cerema et remis un an plus tard. Rapport non rendu public et dont personne ne souhaite vraiment parler, sans que l’on sache exactement pourquoi – trop pessimiste pour les uns, trop optimiste pour les autres et l’Etat ? Toujours est-il qu’il y a quelques jours, Mobilettre se l’est procuré. Et il met sur la table de très nombreux éléments qui contribuent à enrichir l’approche du sujet.
Précisons tout d’abord que le périmètre de l’étude était plus large : il ne portait pas que sur l’Aubrac mais aussi sur le Cévenol et sur ce que les spécialistes appellent « le H lozérien », la barre transversale correspondant au barreau de Mende qui relie Aubrac et Cévenol. Sur le descriptif de la situation, l’étude confirme ce que nous ont dit nos interlocuteurs : une infrastructure en mauvais état qui supposerait des travaux conséquents (estimation 800 millions pour le tout, on retrouve donc l’ordre de grandeur de 300 millions pour l’Aubrac), une fréquentation voyageurs autour de certains pôles périurbains mais faible dans la partie centrale, un trafic fret limité à celui d’Arcelor Mittal au Nord. Côté utilisateurs, une forte mobilisation pour sauver cette ligne et ne pas la limiter à une ligne d’attraction touristique.
Mais le principal intérêt du rapport du Cerema est qu’au-delà du constat, il se penche sur les coûts de l’offre ferroviaire et propose un certain nombre de scénarios. Le modèle économique appliqué à l’Aubrac (situation 2021) donne un très mauvais résultat : le système est peu cher dans l’absolu mais comme il est peu utilisé, son coût par train et par voyageur est très élevé. « Chaque voyageur qui parcourt 1 km coûte 2 euros (…) Le périrubain fait baisser la moyenne, les sections centrales des lignes sont encore plus coûteuses par voyageur ». Le bilan CO2 est à l’avenant : coût du kilomètre double de celui d’une voiture thermique et quadruple de celui d’une voiture électrique. Mais le Cerema ne se donne pas battu et pose la bonne question : le train est-il inadapté ou y a-t-il trop peu de trains ? La bonne réponse, dit le Cerema, est oui à la seconde question. Pour en arriver là, le Cerema propose quatre scénarios possibles qui pour trois d’entre eux ont en commun de proposer une desserte cadencée, un retour aux temps de parcours nominaux en supprimant notamment les ralentissements, des acteurs fédérés autour d’un projet de territoire et côté exploitant « une gestion intégrée – une seule entité pour exploiter les trains et l’infrastructure ». C’est ce dernier point qui sera sans doute le plus compliqué à mettre en œuvre. Nous ne nous attarderons pas sur le quatrième scenario dit « au fil de l’eau » qui n’est en fait que celui de la mort annoncée de la ligne.
Le Viaduc ferroviaire de la Crueize traverse un lieu abrupt et sauvage, nommé «gorge de l’Enfer». Il fut mis en service le 9 mai 1887.
Voyons les trois scénarios de développement.
Le scénario 1, dit de « métropolisation » propose le maintien du fret lourd, des trains à haute fréquence sur le périurbain, le renforcement du Cévenol à 6 aller-retours par jour et pour les autres liaisons des cars rapides à haute fréquence et des trains touristiques. Ce scénario a deux inconvénients : « le possible sentiment d’abandon des territoires centraux de l’Aubrac et Translozérien » et « la difficulté de sanctuariser le maintien en bon état des lignes centrales. »
Le scénario 2, dit « Equilibre territorial » se veut plus équilibré entre enjeux économiques et territoriaux. Il propose une offre ferroviaire plus développée et évoque notamment la réouverture de la ligne Séverac-Rodez que la région Occitanie envisage effectivement à horizon 2035. Son inconvénient est que l’A75 reste le principal outil de désenclavement de l’Aubrac.
Le scénario 3, dit « Territoire résilient » est le plus volontariste : il propose une offre ferroviaire sur tout le territoire avec une desserte minimale de 1 train toutes les 2 heures dans chaque sens sur toutes les lignes, partant du principe qu’une fréquence plus faible ne justifie pas les coûts fixes. Et pour le fret, il s’interroge sur la possibilité d’offres coopératives. Ce scénario a pour avantage la possibilité de développements touristiques intégrés et laisse espérer une hausse globale du trafic (le Cerema parle d’« espérer » car aucune étude de trafic n’a été faite sur cette ligne). Mais il n’est pas non plus dépourvu d’inconvénients : son coût en investissement est élevé et les perspectives de trafic incertaines.
La bonne nouvelle, c’est que si l’on compare les coûts des scénarios, le scénario 3 qui propose un triplement de l’offre actuelle présente un coût total annuel certes plus élevé, mais dans une bien moindre proportion (173 millions d’euros contre 137 actuellement), et surtout une subvention publique par voyage en très forte diminution (0,59 euro par voyageur/km) et un bilan CO2 à l’avenant. Conclusion pour le Cerema : l’offre peut être triplée à un coût proche de l’actuel, le bilan CO2 aujourd’hui défavorable peut s’améliorer fortement, mais cela suppose une concertation large autour d’un projet de territoire.
C’est en d’autres termes ce que nous disait le préfet Philizot qui ne ménage pas sa peine pour trouver un équilibre raisonnable et acceptable : « Si on veut faire durer cette ligne il faudra une véritable stratégie » où les parties prenantes se mettent d’accord sur les missions et financements. De quoi redonner des raisons d’espérer à tous ceux qui défendent l’Aubrac avec passion. A. B.
COMMENTAIRE
Leçons d’histoire récente
Un peu de mémoire courte : le rapport sur les Trains d’équilibre du territoire, en 2015. L’habillage ne masquait pas l’intention : il fallait réduire les pertes d’exploitation dues à la désaffection des voyageurs en réduisant la voilure et en transférant une partie des lignes aux régions.
Huit ans plus tard, le succès des trains de nuit, malgré des rames à bout de souffle, et de plusieurs lignes Intercités, malgré une qualité de service insuffisante (Bordeaux-Marseille, Bordeaux-Nantes, Paris-Clermont), remet en cause l’unilatéralité du diagnostic de 2015 : et si la désaffection du service était principalement due aux lacunes d’offre et d’investissement plutôt qu’à la fatalité d’une modernité impitoyable ou de la supériorité de la route ?
On pose la question parce que l’avenir des lignes du Cévenol et de l’Aubrac ne semble tenir qu’à un fil, ou à quelques bobines d’Arcelor Mittal. Manifestement aucune étude «sérieuse» n’avance de chiffres de fréquentation suffisants. Et si on se trompait ? Et si cette ligne de l’Aubrac trouvait une nouvelle utilité sociale, à la faveur des bouleversements sociétaux et écologiques en cours ?
Notre enquête confirme que chacun reste dans son couloir : Bercy ne voit qu’Arcelor Mittal, les Transports observent et lambinent, les élus s’agrippent aux concepts d’aménagement et de sauvegarde des territoires, SNCF Réseau et SNCF Voyageurs présentent les additions. La dynamique d’une attractivité retrouvée ? Il faudrait que l’Etat, puisqu’il tient encore dans ses mains tant de leviers, ose la porter au-delà de la réduction des coûts, afin d’entraîner les acteurs territoriaux, les entreprises, les administrations, les associations, les établissements scolaires, culturels et touristiques.
Manifestement, à constater la non-publication officielle de l’instructif rapport du Cerema que nous révélons, on n’en est pas encore là. Et c’est si dommage.
G. D.