Enquête
Soif de béton
Malgré la fin annoncée de l’artificialisation, la France se couvre encore de zones de tous types, de plus en plus éparpillées et coûteuses à desservir en transports. Chacun avance ses raisons pour continuer comme avant, en l’absence de stratégie globale. Parallèlement, les friches industrielles et commerciales se multiplient…
PAR OLIVIER RAZEMON
Photos : Sophie Loubaton
C’est par la route, bien plus qu’en voyageant en train, que l’on prend la mesure du phénomène : la France continue de s’artificialiser à grande vitesse. Les emprises de toutes sortes poussent le long des rocades, au pied des échangeurs, au milieu des champs. L’étalement urbain se nourrit de logistique, de commerce, d’industrie, de loisirs, de transports ou d’habitat, sans oublier les parcs photovoltaïques ou les champs d’éoliennes. Selon le ministère de l’agriculture, chaque année, depuis 1982, 57 600 hectares ont été artificialisés, pour atteindre 9% du sol français en 2018. De nouveaux chiffres, issus de la base de données Corine Land Cover, doivent être publiés d’ici la fin de l’année. En attendant, les Safer indiquent, pour l’année 2022, une baisse des ventes de terrains destinés à l’urbanisation par rapport aux années précédentes, même si cela concernait « encore près de 20 000 hectares ».
L’objectif ZAN, acquis de la loi Climat et résilience, est dans toutes les têtes, celles des élus comme des aménageurs, des consultants ou des citoyens engagés contre la « bétonisation ». Mais alors que la loi va fêter son troisième anniversaire cet été, les dérogations s’ajoutent les unes aux autres et l’urbanisation se poursuit.
Les impacts de ce mouvement centrifuge sont parfaitement connus. Ils figurent même en toutes lettres sur le site du ministère de l’écologie, de la destruction de la biodiversité à la « banalisation des paysages » en passant par la multiplication des trajets motorisés. La FNAU (Fédération des agences d’urbanisme) ajoute à ces conséquences l’imperméabilisation des sols, l’érosion des côtes ou la multiplication des ilots de chaleur. La viabilisation, la desserte, les raccordements coûtent cher aux collectivités. Les excès du climat alourdissent encore les coûts d’entretien, comme le montre l’exemple du Pas-de-Calais. Le département consacre chaque année en moyenne un million d’euros aux travaux d’urgence pour réparer la voirie. En 2024, après les inondations à répétition de l’hiver, la facture monte à 50 millions.
Des entrepôts de 800 mètres de long
Chaque secteur, dominé par de puissantes entreprises ou de discrets hommes d’affaires, joue sa partie. La logistique, en forte croissance, est l’un des principaux moteurs de l’artificialisation. Le secteur occupe, selon France Logistique, qui structure les 150 000 entreprises concernées, 83 millions de m² d’entrepôts, une surface qui ne cesse d’augmenter. « La production de ‘l’entreposage et stockage, manutention’ accélère en 2021 (+9,8% en volume après +1,6% en 2020) », indiquait l’organisation professionnelle dans son bilan pour 2021. A titre d’exemple, la zone logistique de Sénart, fondée en 2015, occupe 200 hectares. Les dimensions de la quinzaine d’entrepôts XXL bardés de métal défient l’entendement : 800 mètres de long, 150 mètres de large, 20 mètres de haut pour celui d’Autodistribution, « spécialiste de la pièce auto ». Non loin, Leroy-Merlin, Monoprix, Chronopost ou Amazon stockent les biens destinés à leurs consommateurs. Des bâtiments équivalents garnissent la plaine de France, au sud de Roissy, ou le nord de l’Isère. Des régions en marge des grandes métropoles, sans identité régionale forte mais avec un attachement renforcé au cadre national, où Jérôme Fourquet, dans son dernier livre, identifie un « peuple de la route », sans cesse en déplacement.
FM Logistic, l’un des champions nationaux avec 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires, exploite 4,8 millions de m² dans le monde. Son PDG, Jean-Christophe Machet, admet que sa capacité de stockage croît de « 120 000 à 150 000 m², soit 7% par an ». Pourquoi cette boulimie ? « Le moteur, c’est l’e-commerce », répond l’entrepreneur, qui dénonce « le diktat du toujours plus vite » résultant du standard de livraison en un jour qu’a réussi à imposer Amazon. La construction des méga-entrepôts avait pourtant commencé avant le covid. La quantité des références augmente, les stocks coûtent cher, les délais raccourcissent. Mécaniquement, tout ceci conduit à construire des plateformes automatisées et toujours plus vastes.
Côté commerce, le shopping center en pleine nature n’a, sur le papier, plus la cote. Le 29 mars, le gouvernement lançait son plan de « transformation des zones commerciales ». Un budget de 26 millions d’euros doit financer les aides à l’ingénierie de 74 opérations de requalification des entrées de villes. Pour en finir avec ce que Télérama avait maladroitement baptisé, en 2010, « la France moche ».
Les chiffres collectés par la fédération Procos, qui représente 300 enseignes, confirment le recul progressif du recours à l’artificialisation commerciale. Depuis un pic atteint en 2007, la superficie des projets autorisés se réduit d’année en année : 3 millions de mètres carrés supplémentaires en 2010, près de 1,5 million en 2019, et moins de 750 000 en 2023. Les CDAC, commissions départementales d’aménagement commercial, demeurent certes les « machines à dire oui » dénoncées en 2017 par le député macroniste Patrick Vignal. Le taux d’autorisation atteint 89% en 2023, dix points de plus qu’en 2018. Mais le volume total des projets présentés à ces instances opaques a été divisé par deux entretemps.
Doit-on cette timide rationalisation à un effet anticipé du ZAN ? A un sentiment de trop-plein ? A la faillite des enseignes du textile ? Pas vraiment, à écouter le délégué général de Procos, Emmanuel Le Roch, qui avance trois raisons structurelles : « le stock des surfaces existantes est élevé et la demande des enseignes a donc baissé ; l’argent coûte plus cher ; des contraintes pèsent sur la construction ». Les commerçants se seraient lassés des nouvelles zones, sauf, quand même, « ceux qui sont également promoteurs ou qui possèdent des terrains ». Dès lors, en 2023, « pour la première fois, aucun des projets présentés en CDAC n’atteignait les 10 000 m² » assure Procos.
Accroître discrètement les surfaces de vente
Pourtant, des mastodontes continuent de sortir de terre, là où vivaient quelques années plus tôt des insectes, des oiseaux et des grenouilles. Entre Rennes et Nantes, à Pléchâtel (2 800 habitants), 13 000 mètres carrés de « shopping park », investissement du promoteur Frey, ont été inaugurés en mars. Aucune gare à l’horizon, mais une sortie d’autoroute. En 2017, le maire communiste de Saint-Martin d’Hères, dans la banlieue de Grenoble, rêvait de « donner une centralité à la commune » grâce à la transformation, par le promoteur Apsys, du site de Neyrpic, une ancienne usine d’équipements hydrauliques. L’opposition des élus grenoblois a fait long feu et le colosse Neyrpic, 24 000 mètres carrés dont un cinéma, sera cet automne la plus grosse surface commerciale inaugurée en 2024. « La marche arrière n’est pas facile à enclencher », résume Emmanuel Le Roch.
D’autant que le ralentissement ne se traduit pas toujours par une baisse effective de l’artificialisation, comme le montre une ZAC prévue à Vallet (9 500 habitants, Loire-Atlantique), en plein vignoble nantais. Le Scot prévoyait 30 000 mètres carrés de commerces, un chiffre ramené à moins de 10 000 pour cause de loi Climat, qui a également inspiré l’ajout d’espaces verts, la pose de panneaux solaires et d’ombrières sur les parkings.
Mais rien n’empêche la construction de bâtiments exempts d’autorisation commerciale, explique Anne-Laure Fleurance, membre de l’association « Laissez-nous vivre un peu », opposée au projet. Elle énumère « une station-service, un contrôle technique, une agence d’intérim, un courtier en assurance ou un cabinet dentaire », et précise que « l’emprise foncière totale reste la même qu’initialement, 17 hectares », d’après les calculs du Scot. Dans cette région saturée de surfaces commerciales, le combat des riverains n’est pas totalement vain, puisque le département de Loire-Atlantique, qui soutenait jusqu’ici les promoteurs, est désormais contre. Cela n’a pas suffi : la CNAC a donné son avis favorable le 11 avril.
« Avec les difficultés du textile, le commerce cherche à reconstituer des flux, grâce à la restauration ou aux loisirs », commente Emmanuel Le Roch.
Dans une note consacrée à l’étalement pavillonnaire publiée en avril, Jérôme Fourquet a d’ailleurs choisi comme indicateur l’ouverture des restaurants McDonald’s dans l’agglomération de Toulouse. Le premier a ouvert en 1982 place du Capitole. Puis la distance au centre s’est éloignée de 10 kilomètres par décennie, jusqu’au dernier McDo en date, ouvert en 2023 à Carbonne, à 41 kilomètres de la ville rose.
Tous les moyens semblent bons pour accroître discrètement les surfaces de vente. Une pratique répandue consiste à créer des espaces mesurant exactement 999 m², afin de déroger à la procédure CDAC. Comme le montre une recherche sommaire en ligne, Aldi en est coutumier, avec ses magasins de Bagnols/Cèze (Gard), Vierzon (Cher), Concarneau (Finistère) ou Beaurainville (Pas-de-Calais), une commune touchée par les inondations de cet hiver. Personne ne sait combien de « 999 m² », une surface à laquelle s’ajoutent naturellement les parkings et bâtiments annexes, se créent chaque année. « C’est indécelable », concède Emmanuel Le Roch. Toutefois, la dérogation n’est valable que si ces surfaces sont autonomes. Rattaché à une zone plus vaste, le magasin inférieur à 1 000 m² doit être intégré au décompte total. C’est munie de cet argument que début avril, l’association En toute franchise, qui combat depuis trente ans la prolifération des zones commerciales, a attaqué devant le tribunal administratif deux enseignes à succès, bien connues de la « France périphérique » : un Grand Frais et un Marie Blachère, 999 m² chacun, posés en bordure de Plan de Campagne, aux portes de Marseille.
Un terrain convoité est un animal blessé
Si la logistique et le commerce doivent ruser, l’industrie bénéficie en revanche d’une présomption d’utilité publique. Le 10 avril, le gouvernement a publié une liste de 464 emprises totalisant près de 12 000 hectares (l’équivalent de la moitié du département du Val-de-Marne) qui échapperont au décompte du ZAN. Tous les dossiers industriels proposés par les régions y figuraient, à commencer par la « gigafactory » dédiée à la batterie électrique à Dunkerque. La phrase de Bruno Le Maire, « Il n’y a pas d’usine sans terrain », n’appelle pas à la discussion.
Localement, les opposants peinent à se faire entendre. A Soissons, le danois Rockwool franchit une à une, avec l’aval de la plupart des autorités, les étapes juridiques pour installer une usine de laine de roche sur 40 hectares d’un plateau dominant la ville. De nombreux médecins, pharmaciens, agriculteurs de la région redoutent l’impact des rejets des immenses cheminées et craignent pour les ressources en eau. Des maires de petites communes enchaînent recours sur recours. Les informations ne sont pas toujours faciles à obtenir, mais « avec l’enquête publique et les procédures juridiques, l’industriel est obligé de se déboutonner un peu », observe Nicole Gastel, fer de lance de l’association Stop Rockwool.
Bien sûr, il arrive que des grands desseins soient finalement abandonnés, à l’instar d’Europacity ou de Notre-Dame-des-Landes. Ainsi, Ikea ne s’installera pas en périphérie du Mans.
Des maires, de Cahors à Chaumont, s’appuient sur le ZAN pour refuser les avances des promoteurs. Mais ceux-ci ne renoncent jamais. Un terrain convoité par un promoteur est un animal blessé. A Plaisance-du-Touch, dans la périphérie de Toulouse, le Conseil d’Etat a confirmé l’annulation, en décembre 2023, du permis de construire pour le géant Val Tolosa. Mais un nouveau projet immobilier fait déjà l’objet d’une enquête publique. Le Triangle de Gonesse, arraché à Europacity en 2019, pourrait accueillir, sous le bruit des avions, une « cité scolaire internationale », comme l’a promis Jean Castex, alors premier ministre, en mai 2021. Pour Bernard Loup, opposant de longue date, cette annonce « n’a pour objectif que de justifier la gare de la ligne 17 ».
Tournus, cité de 5 700 habitants dont les automobilistes qui passent sur l’autoroute A6 connaissent tous le nom mais moins l’abbatiale romane, s’est distinguée en 2017, lors d’une élection partielle. Les habitants avaient balayé le maire sortant, ardent défenseur d’un centre commercial Leclerc. Mais le nouvel édile, Bertrand Veau (divers gauche), soutient désormais ce que la presse locale décrit comme un « Puy-du-Fou bourguignon », porté par le département de Saône-et-Loire. « C’est l’une des rares sorties d’autoroute non construite », argumente l’élu, qui se targue d’avoir « supprimé la possibilité de créer un centre commercial ou logistique » à cet endroit. « Bien que conscient des effets de l’urbanisation, le maire de Tournus accepte une construction sur des terres agricoles. Le combat contre le Leclerc était purement de circonstance », accuse Pierre-Michel Delpeuch, maire de la commune voisine de La Chapelle-sous-Brancion, et porte-voix d’un collectif d’opposants. Bertrand Veau, largement réélu en 2020, assume son choix : « un maire qui annoncerait la suppression de 22 hectares sans contrepartie ne serait pas réélu », dit-il, distinguant, alors même que l’enquête publique a enregistré plus de 200 contributions négatives, « les écologistes radicaux » de « la majorité des citoyens qui croient » au projet.
Densification mal cadrée
La majorité silencieuse est souvent appelée à la rescousse, comme soutien passif à l’emploi, l’attractivité, la consommation. Sur les estrades locales ou nationales, le ZAN devient une contrainte « ruralicide » tombant du pouvoir parisien, à jeter dans le même sac que la ZFE. Pourtant, c’est bien la Convention citoyenne pour le climat, 150 personnes tirées au sort, qui a tranché contre l’artificialisation. Le débat nous renvoie à nos contradictions, entre principes et confort. La France n’est en outre pas isolée. Comme le rappelle une étude de la FNAU de décembre 2023, plusieurs pays voisins ont leurs propres législations visant à limiter l’étalement urbain, notamment les fameuses lois Stop béton, votées en Wallonie et en Flandre en 2018.
Toutefois, le lent chemin vers la sobriété foncière ne peut se faire sans aménagement ni rationalisation. « Le commerce, ça bouge. Des enseignes émergent, d’autres reculent. En figeant tout, on créerait des rentes de situation », affirme Emmanuel le Roch. Dans le secteur de l’approvisionnement, Jean-Christophe Machet demande aux aménageurs de « flécher les zones dédiées à la logistique », et plaide pour « des entrepôts de quatre étages ».
La densification mal cadrée pose autant de problèmes qu’elle n’en résout. Sur des parcelles encore naturelles de Pontault-Combault, où elle a vécu, Elodie Bitsindou, historienne de l’architecture, pointe du doigt « la construction en quelques mois à peine d’un Grand Frais ou d’un MacDo, qui ne répondent à aucun besoin ». Dans cette ville de grande couronne, « les cheminements piétonniers tendent à être clôturés, des pavillons en meulière sont détruits et remplacés par des immeubles compacts, beaucoup plus peuplés », raconte-t-elle. Alors « qu’aucune alternative à la voiture n’est proposée ni même pensée, la densification entraîne des flux motorisés supplémentaires dans les rues étroites qui mènent à la gare », regrette l’historienne. En conséquence, les foyers qui appréciaient le mode de vie aéré de la grande banlieue déménagent plus loin.
La solution consistant à optimiser les friches industrielles ou commerciales a-t-elle jamais été expérimentée ? A Sénart, à quelques centaines de mètres (mais plusieurs kilomètres par la route) des mega-plateformes d’Autoconstruction ou Monoprix, une zone plus ancienne demeure sous-exploitée. Des panneaux publicitaires en 4×3 promettent des « entrepôts à louer », tandis qu’un Courtepaille et un Buffalo Grill, à l’abandon, tombent en ruine.
Selon le conseiller d’un ministre, il existerait « 47 000 hectares de friches industrielles, déjà raccordées en eau et en électricité, desservies par la route, qui vous tendent les bras ». Certes, leur usage implique « peut-être des coûts liés à la dépollution, mais qui peuvent faire l’objet d’aides ». Ce n’est pas gagné. Chez FM Logistic, Jean-Christophe Machet juge que « les friches ne sont pour l’instant pas compétitives », ajoutant « qu’on n’a pas à faire supporter à une nouvelle installation le prix du passé ».
Combo transports + trottinette électrique
Cette fuite en avant généralisée impacte directement la mobilité. Pour les salariés, la voiture est souvent une contrainte, parfois un risque. Mais tout le monde n’en possède pas. Au milieu des entrepôts XXL de Sénart, à quelques kilomètres de la gare de Lieusaint-Moissy, une piste cyclable rectiligne a été tracée. N’en déplaise aux électeurs parisiens qui ont voté en 2023 pour leur bannissement, les seuls véhicules qui l’empruntent sont de robustes trottinettes électriques, sur lesquelles sont juchés des salariés, pas tous jeunes. « Beaucoup de salariés utilisent le combo transports publics + trottinette », constate la photographe Sophie Loubaton, qui a monté, cet hiver, une exposition sur les zones logistiques et leur personnel. A leurs risques et périls. Car, contrairement aux idées reçues, les accidents de trottinettes électriques les plus graves se produisent davantage dans les communes périurbaines que dans les grandes villes.
Toujours à Sénart, la seule autre solution qui s’offre aux employés privés de voiture consiste à emprunter le bus qui dessert la zone une fois par heure. « Nous demandons aux réseaux urbains d’adapter les horaires des transports en communs au travail des salariés », témoigne Jean-Christophe Machet, qui fait également appel au covoitureur Karos, « parce que le plein, pour un ouvrier, ça coûte cher ». Mais son entreprise, FM Logistic, n’est pas capable d’indiquer la proportion des salariés qui utilisent la voiture individuelle ou d’autres moyens de déplacement. La même ignorance prévaut dans la distribution, où Procos ne connaît ni les modes de transports des salariés de ses membres, ni la part de commerces desservis en transports publics.
Les élus urbains s’échinent à démotoriser à coup de tramways, de bus rapides et de pistes cyclables, voire misent sur les futurs SERM. Et certains de leurs homologues, à la campagne, cherchent à sortir de l’emprise du tout-voiture, grâce au train et au vélo électrique.
Mais tant que les activités et les habitants continueront de s’éparpiller dans un périmètre toujours plus vaste, ces efforts rappelleront ceux des rameurs qui luttent sans espoir contre un puissant courant.
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COMMENTAIRE
Tout le monde s’en friche ?
Le décalage entre les proclamations publiques et les réalités de terrain est sidérant, et le voyage d’Olivier Razemon n’est pas de nature à nous rassurer sur notre capacité collective à changer le monde. Plus on promeut la fin de l’artificialisation, plus on construit au lieu de réhabiliter.
Car il ne faut surtout pas tomber dans le piège qui consisterait à opposer l’écologie, forcément décroissante, au progrès, forcément créateur. En favorisant l’émergence de nouvelles zones commerciales, industrielles et logistiques, au lieu d’encourager à la réhabilitation de bâtiments et d’espaces en déshérence, on cède à la puissance de modèles économiques et financiers impitoyables pour notre environnement.
Eric Tassily, PDG France de Knorr-Bremse Systèmes ferroviaires, racontait il y a quelques mois lors d’un colloque sur la décarbonation qu’il avait fait le choix pour son nouveau siège de réhabiliter un vieux bâtiment industriel désaffecté, dans la banlieue de Reims, plutôt que construire un édifice tout beau tout neuf. Manifestement ses salariés sont ravis de leur univers de travail moins anonyme, moins aseptisé.
Ne soyons pas naïfs, la conscience environnementale se heurte à des puissances très fortes qui exercent volontiers un chantage à la création de valeur : une zone toute neuve clés en main en quelques semaines ou quelques mois. Mais des élus ici et là résistent, et refusent, comme à Issoire, d’autoriser une deuxième zone commerciale : réhabilitons la première, ont-ils décidé. Quelle bataille…
Elle mérite d’être menée car les équipements publics, et en premier lieu le transport, ne peuvent suivre le rythme effréné des nouvelles polarités d’activité. On pourra toujours se désoler du fossé entre les centres urbains et la France périphérique, mais à laisser proliférer des zones d’activités bétonnées et déshumanisées, coupées des centres de vie sociale, on génère assurément une France à deux vitesses. G. D.